Pourquoi vous inscrire ?
La galette est un plat qui se mange sur la tombe
icone Fiche icone Fils de discussion icone Lecture icone 15 commentaires 15
«
»
Lecture

Petite précision : cette nouvelle a été écrite pour le concours du Festival des Galettes sur l'Allée des Conteurs, selon plusieurs défis relevés sur l'Allée, dont celui de placer le nom d'un Conteur. Je vous assure que ce Conteur est quelqu'un d'adorable en vrai... :P.


Épiphanie croisa les bras une fois devant la boulangerie-pâtisserie « A la galette ». Aujourd’hui, le panneau « fermé » pendait tristement sur la vitre de la porte. Les volets dérobaient aux regards les gâteaux, les viennoiseries les brioches… et surtout les galettes, pourtant très attendues.

Dans la nuit, les lieux avaient été vandalisés. Plus une seule galette ! Pire encore : les employés qui y travaillaient avaient été assassinés dans leur sommeil, chez eux. Par quel procédé ? Aucune blessure sur leur corps… Comme signature, le tueur avait posé une couronne en papier sur la tête des victimes. Quelle blague de mauvais goût en ce début de mois de janvier…

La détective soupira. Il lui serait compliqué d’investiguer vu le nombre de plaignants qui la harcelaient pour que les victimes soient vengées, sans parler de Pandallyster… Le pâtissier voulait régler le compte du criminel seul. « À la galette » traînerait une sale réputation. L’homme craignait de perdre des clients, les murs de son entreprise seraient hantés par les fantômes de ses employés selon lui…

Épiphanie secoua la tête. Non. Pandallyster devait rester en dehors de son enquête. Les autres aussi. Alors qu’elle se dirigeait vers la boulangerie-pâtisserie pour en discuter avec lui, elle entendit des bruits de pas derrière elle.

— Mademoiselle Fève !

Elle se retourna, l’air perplexe. Un petit garçon s’arrêta devant elle, essoufflé, en tenant un billet plié en quatre. Le fils de sa voisine. Que lui voulait-il ? Il lui tendit son papier.

— C’est pour vous. On me l’a transmis.

— Qui ?

— Je ne sais pas.

— Comment ça ; tu ne sais pas ? s’étonna Épiphanie.

— Ben la personne cachait son visage et était habillée d’un grand manteau…

Il baissa la tête, piteux. Elle le sermonna :

— Tu ne dois pas accepter n’importe quoi de la part d’un inconnu !

— Oui, mais là, il m’a promis une galette… et il me l’a donnée d’ailleurs !

Assaillie par un pressentiment, Épiphanie s’empara du morceau de papier ; à sa lecture, elle serra les dents. Un frisson parcourut son échine. Ses mains chiffonnèrent le billet. C’était une blague ! Une très mauvaise blague…

Lorsqu’elle releva la tête, le petit garçon avait disparu. Elle replongea le nez dans l’écriture en pattes de mouche après avoir défroissé tant bien que mal le papier. Qui lui avait écrit cette demande de rendez-vous ? Pourquoi devant le restaurant « La couronne des rois » ? Elle ne le sentait pas, mais alors pas du tout… Un piège ? Elle n’était pas idiote ; l’invitation provenait du tueur. Il avait l’intention de jouer avec elle et de la tester.

Épiphanie fulmina. Elle aurait dû rester cachée, mais comment s’y prendre dans un si petit village ? Tout le monde connaissait son métier et savait qui elle était, bien qu’elle ne soit pas d’ici, c’était tout naturellement vers elle que l’on s’était tourné pour régler ce problème ! Même la police ou les gendarmes n’interviendraient pas avant un bon moment. Saturnale était loin de toute civilisation, ils possédaient leurs propres lois, leur propre justice.

***

Épiphanie se pinça l’arête du nez. Elle en avait assez de ce jeu de piste incessant ! Lorsqu’elle était arrivée devant « La couronne des rois », un serveur lui avait apporté un billet, où le tueur lui demandait de se rendre au bureau de poste. Ensuite, la factrice lui avait remis un autre mot… Elle maugréa. Pourquoi lui ordonnait-il cette fois d’aller dans la forêt Frangipane ? Sérieusement…

Elle manqua de se tordre la cheville sur une énième racine. Combien de temps devait-elle marcher comme ça ? La nuit était presque tombée en plus ! Heureusement, elle avait amené une lampe-torche…

Alors que la détective désespérait, elle entendit des voix ; ou plutôt, des sanglots. Elle se dirigea vers eux, de plus en plus déconcertée. Rêvait-elle, ou étaient-ce des enfants ? Elle eut sa réponse lorsqu’elle déboucha dans une clairière, où une dizaine de mômes entre quatre ans et onze ans s’étaient regroupés en grelottant. Ils hurlèrent lorsqu’ils virent la lampe-torche d’Épiphanie, puis l’une des petites filles s’exclama :

— Mademoiselle Fève ! Aidez-nous !

— Mais enfin, que faites-vous ici ?

Une enfant de neuf ans s’approcha d’elle et souffla d’un ton tremblant :

— On a entendu un chant, tous dans notre maison.

— Un chant ?

— Oui, répondit un garçon de sept ans. Ça nous a donné envie de sortir et d’aller là.

Épiphanie les fixa avec hébétude. Elle ouvrit la bouche pour poser d’autres questions, mais une voix douce, envoûtante, et féminine s’éleva dans la clairière ; aussitôt, tous les enfants se calmèrent et gardèrent les yeux grands ouverts, le souffle suspendu. La détective elle-même percevait le charme redoutable contenu dans ce chant. Elle se concentra sur les paroles :

Au clair de la froide lumière,

Suivez-moi, âmes innocentes,

Cheminez jusqu’à la lisière,

Avec vos pensées insolentes,

Ce sera votre seule croisière,

Le Roi prendra vos voix chantantes.

Au clair de la chaude nuitée,

Venez à lui, cœurs si heureux,

Répondez à ce chant sucré

Qu’une sirène aux tristes yeux

Vous offre pour mieux supporter

Le couronnement vénéneux.

Épiphanie cligna des yeux. L’enchantement ne semblait avoir aucun effet sur elle ; en revanche, chez les enfants, si ! Ils commençaient à marcher en direction de la voix ! Elle les héla :

— Hé ! Arrêtez-vous !

Elle essaya de tirer un petit garçon vers elle, mais il se débattit, l’air absent. Elle voulut lui boucher les oreilles. Rien à faire. Le chant pénétrait tout de même en lui… Elle dut se résoudre à les suivre, morte d’inquiétude. Le tueur était-il une tueuse ? Cela ne collait pas… Pour tout organiser, en revanche, il fallait deux personnes : le criminel et une complice. Toutefois, de quel artifice usait la fameuse « sirène » ?

Tandis qu’elle marchait à leur côté, son téléphone portable vibra dans sa poche. Discrètement, elle décrocha :

— Allô ?

— Ici le médecin légiste. J’ai autopsié les corps des victimes.

Épiphanie grimaça ; la voix de la « sirène » devenait plus forte…

— Pourriez-vous me rappeler plus tard ? Je suis occup…

— Ils ont tous ingéré de la galette empoisonnée au cyanure.

— Pardon ?

— Les victimes, Mademoiselle Fève. Elles ont mangé de la galette truffée de cyanure.

— Et cette galette, elle vient d’où ?

— De « À la galette » ! Ce sont celles de Pandallyster !

Elle peina à suivre les enfants, qui marchaient de plus en plus vite alors que les ténèbres s’épaississaient et que sa lampe-torche éclairait chichement les lieux. Une neige drue commençait à tomber en plus…

— C’est incompréhensible ! Pourquoi empoisonner les pâtisseries de cet homme ? Est-ce un employé qui a voulu se venger ?

— Alors il fait partie des victimes et se serait suicidé après. Non, ce n’est pas logique.

— Rappelez-moi plus tard, nous en rediscuterons.

Elle raccrocha avec angoisse. Soudain, les enfants s’arrêtèrent net. Épiphanie remarqua qu’ils se trouvaient à la lisière, proche du village. Ils avaient tourné en rond ? Lorsqu’elle bougea sa lampe-torche, elle avisa une silhouette mince à quelques mètres d’eux. Elle braqua la lumière sur un visage angélique, à la courte crinière blonde et aux iris verts – l’inverse d’elle, avec ses longs cheveux noir corbeau et ses yeux d’encre. Elle souffla :

— Théophanie Olympien… c’est… C’est vous qui…

Elle remarqua que les mômes se taisaient. Ils étaient toujours sous l’emprise de cette femme ! Comme s’ils étaient victimes d’hypnose… Elle battit des paupières. Théophanie était une psychologue de renom et pratiquait cette technique ! La détective la vit baisser la tête d’un air coupable.

— Je suis désolée. Il m’a obligée à les conduire à la clairière pour les tuer, avec le même procédé qu’il a utilisé pour assassiner les employés de « À la galette ». Je n’ai pas réussi à le faire… alors je me suis enfuie. Puis je vous ai aperçue, et…

— Et quoi ? Vous comptiez revenir sur votre décision ?

Théophanie se mordit la lèvre. Elle avoua dans un sanglot :

— J’aurais peut-être été plus loin, mais au moment de passer à l’acte, je… Je n’aurais pas pu. Je ne suis pas une meurtrière.

La psychologue plaqua ses mains sur son visage pour pleurer de tout son saoul. Épiphanie n’eut aucun doute : elle était sincère. Avec un soupir, elle grommela :

— Je m’occupe du criminel. Ramenez les enfants chez eux. Je suppose que tant que vous y êtes, vous ne pouvez pas me dire qui c’est ?

Théophanie secoua la tête.

— Non. Il était vêtu d’un grand manteau à capuchon…

— Évidemment. Allez, partez.

La psychologue acquiesça et, de son chant, entreprit de guider les enfants sur le chemin inverse. Une fois seule, la détective souffla en frottant ses mains gantées. Elle se gelait les miches, mais elle avait une enquête à terminer et un tueur à débusquer ! Elle reprit sa marche non sans s’interroger : comment retrouver la trace de l’homme ?

Soudain, elle se figea net ; devant elle, à quelques mètres, un écureuil tenait entre ses pattes quelque chose de doré. Un morceau de pain ? Non. Cela ressemblait plus à des morceaux de galette… D’ailleurs, voilà que l’animal reculait en déposant son butin au sol ! Ahurie, la détective le vit avancer et sortir des plis de sa fourrure un autre petit morceau, qu’il abandonna à son tour. Il darda un regard curieux sur elle, la tête penchée sur le côté, avant de continuer son manège. Fascinée, elle se mit à le suivre machinalement. Ce n’était pas anodin s’il avait des morceaux de galette sur lui – ou cachés dans sa bouche ! Qui l’avait dressé pour avoir un tel comportement ?

Le criminel. C’était évident, tout comme c’était évident qu’il jouait encore avec elle. Un juron s’échappa de ses lèvres. Il se montrait vicieux, manipulateur ! S’il se donnait autant de mal, c’était parce qu’il s’amusait !

Excédée, elle finit par se rendre compte que l’écureuil l’avait conduite devant une chaumière, dont les lumières étaient éteintes. Pour autant, elle ne paraissait pas abandonnée.

Il l’attendait.

Épiphanie déglutit. Elle posa la main sur la clenche, l’abaissa, ouvrit la porte, retint son souffle.

La pièce était plongée dans la pénombre. Elle distinguait juste une table, une chaise, et une assiette avec une part de galette, que la lueur de la lune éclairait chichement. Elle se raidit. Cette part, c’était…

— Ah ! Mademoiselle Fève ! Vous en avez mis du temps ! Allez, installez-vous et mangez !

Cette voix… Épiphanie la localisa sur sa droite. La colère la gagna. Elle siffla :

— Vous ! C’est vous qui avez manigancé tout ça ! Je vous croyais effondré à cause du préjudice que votre commerce subirait !

Pandallyster s’avança avec un sourire mauvais. Il agita un couteau, puis le pointa sur la part de galette.

— J’ai dit : installez-vous et mangez. Ne m’obligez pas à vous y forcer.

Épiphanie choisit de lui obéir ; du moins, elle s’assit, la main proche de l’assiette. Cependant, elle n’y toucha pas. Elle lâcha d’un ton empli de rage :

— Cette part est empoisonnée au cyanure, je me trompe ?

D’une voix doucereuse, toujours le sourire aux lèvres, le pâtissier déclara :

— Vous n’en sentirez pas le goût. Comme mes employés, vous savourerez ma spécialité.

— Pourquoi faites-vous ça ?

Pandallyster planta son regard noir dans le sien. Elle put déceler une certaine satisfaction de la tenir sous son joug.

— Parce que l’année passée, plusieurs d’entre vous ont préféré manger la galette de mon concurrent, parti l’été dernier !

— Tous ceux que vous avez tués ?

— Oui ! Mes employés se plaignaient aussi de leurs conditions de travail… Pourtant, je les laissais s’empiffrer des restes ! Si j’avais su…

Épiphanie le vit serrer les poings.

— Quant à vous, Mademoiselle Fève, vous n’auriez pas dû mettre votre nez dans mes affaires.

— Attendez, ce sont les habitants qui m’ont appelée à l’aide ! C’est légitime !

Le pâtissier eut un geste vague de la main.

— Des excuses. Maintenant, mangez.

— Et si je refuse ?

Il se pencha vers elle, une lueur de folie dans les prunelles.

— Je vous gaverai comme une oie.

— Essayez, pour voir.

La détective eut tout juste le temps de se déporter sur le côté avant qu’il renverse la table sur elle. Elle frappa au hasard et fit sauter le couteau de la main de Pandallyster. Elle roula à terre, chercha du regard l’arme pour se défendre. Un croc-en-jambe la déconcentra et le sol lui érafla le menton. Soudain, un éclat, devant elle. Elle étendit la main, attrapa le couteau et, dans un cri de bête, le brandit.

Il se ficha dans le cou du pâtissier.

Il porta les doigts à sa gorge ; elle avait touché la carotide. Il tournoya sur lui-même, se débattit pour extraire l’arme, puis s’effondra devant elle. Haletante, sidérée, elle le fixa.

Elle l’avait tué. Ce n’était pas prévu, mais ce n’était pas interdit dans son contrat. Légitime défense.

Elle se releva et sortit. Qu’ils se débrouillent avec le corps. Elle en avait fini avec sa mission.

Épuisée, couverte de sang et de galette, Épiphanie se retrouva de nouveau dans la clairière où elle avait trouvé les enfants. Elle battit des paupières ; il ne neigeait plus, mais quelques flocons semblaient flotter au-dessus d’une herbe qui aurait dû être blanche. Elle plissa les yeux, tourna le regard. Le reste avait fondu pour former un ru qui coupait la clairière en deux. En avançant davantage, elle distingua alors une lanterne, nichée entre deux touffes de végétation. Sa lumière dorée répondait à celle de la lune. Épiphanie déglutit.

Les flocons vacillèrent, puis se dirigèrent vers elle. Ils se contentèrent de la nimber d’une auréole, qui faisait écho à la lanterne. La détective tomba à genoux. Petit à petit, sa taille se rapetissa. Elle ferma les yeux, se prépara à retourner chez elle maintenant que sa mission était accomplie.

En tant que fée de la lumière, elle n’avait plus rien à faire ici. Le village était sauf, la lanterne l’attendait. Son vaisseau spatial. Elle marcha jusqu’à la petite porte vitrée, qui s’ouvrit dans un grincement. Les gonds auraient besoin d’être huilés. La lueur éclipsa sa silhouette. Un ronronnement émana de la lanterne.

Enfin, Mademoiselle Fève s’envola pour d’autres cieux.


Texte publié par Aislune S., 18 janvier 2020 à 15h19
© tous droits réservés.
«
»
Lecture
LeConteur.fr Qui sommes-nous ? Nous contacter Statistiques
Découvrir
Romans & nouvelles
Fanfictions & oneshot
Poèmes
Foire aux questions
Présentation & Mentions légales
Conditions Générales d'Utilisation
Partenaires
Nous contacter
Espace professionnels
Un bug à signaler ?
2629 histoires publiées
1177 membres inscrits
Notre membre le plus récent est Audrey02
LeConteur.fr 2013-2024 © Tous droits réservés