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tome 1, Chapitre 31 « Le Masque de la Mort Ombre » tome 1, Chapitre 31

— T’ai-je ordonné de bouger ? grinça Sálarhaushung.

Presque nu, Stjörkug ne ressentait pas le froid, pas plus que le poids des chaînes qui le couvrait ; du regard, il balaya le paysage.

— Non ! Vous ne m’avez rien ordonné de la sorte. Hélas, je pensais vous épargner et ne point offrir à votre fille le spectacle de votre mort, vous me forcez la main. Un jour, un homme s’en viendra ; il aura un cœur en or, une ombre brodée d’argent et son visage sera coulé dans l’airain. Il viendra et il renversera le tyran, puis sauvera son royaume, car il apaisera la colère du Drekvöld.

Au milieu de la nuit naissante, le cliquetis du métal résonnait au milieu de l’enceinte, cependant que sa peau se teintait de ténèbres.

— J’ai accompli tout cela, poursuivit-il. Mais plus encore, à présent, je suis venu vous reprendre une chose qui m’appartient.

Dans le ciel, des milliers de flocons flottaient. La main tendue, Stjörkug les recueillait.

— Une chose qui t’appartient, ricana le souverain, toujours sûr de lui, malgré l’inquiétante métamorphose de Stjörkug.

— Oui, soupira-t-il, la tête penchée sur le côté, les yeux enténébrés.

Une à une, les chaînes tombaient à ses pieds.

— Oh oui ! Et si je ne vous la reprends pas alors, à jamais, je perdrai l’amour de votre fille, Ævintýri, souffla-t-il, le regard tourné vers le firmament.

À ses pieds, ses entraves n’étaient plus qu’un misérable tas de métal qui s’en allait en poussière.

— Humpf ! Quand bien même tu me tuerais. Ne crois-tu point qu’elle te fuira ?

— Peut-être… ou non. Peut-être me pardonnera-t-elle ce geste.

Seul son visage était encore humain, son corps était celui d’un loup, immense et puissant.

— Alors, prouve-moi tes dires, se moqua Sálarhaushung.

— Si tel est votre désir, roi Sálarhaushung. Demandez à votre fille de nous retrouver dans les jardins, je vous prie, murmura la chose ombre.

— Tu as entendu, Ævintýri ? Descends ! Ce… cette chose souhaite te parler, s’époumona son père.

Confuse, la jeune femme les rejoignit, accompagnée de sa chaperonne. Apeurée par la gigantesque créature qui obombrait les surplombs de pierre, elle n’osa s’approcher.

— Donnez-moi, sir, votre parole que vous ne tenterez rien.

— Vous l’avez, rétorqua le roi, en jetant sa lourde hache sur le sol gelé.

Alors la chose ombre rétrécit, se ratatina jusqu’à redevenir l’étrange jeune homme qui s’était présenté, à l’exception de sa peau obsidienne. À son cou se balançait un objet doré qui reflétait dans la nuit les pâles éclats de la lune. Avec précaution, il dénoua la chaîne et la lui glissa au creux de la paume, cependant que la boucle tintinnabulait.

— Ævintýri, un jour vous me l’avez offerte. Si j’ignorais alors la signification de votre geste, mon cœur ne s’y trompait pas. Aujourd’hui, je puis le nommer, c’était un gage d’amour. Je vous le rends, car je me résigne à vous perdre, plutôt que de perdre ce sentiment qui m’est si cher. Jamais, je ne me serai résolu à ôter la vie de votre père, pas même pour lui rependre ce visage qui est mien, ma persona. Je suis devenu autre, je l’accepte. Adieu, Ævintýri.

Stupéfaite, la jeune femme regardait sans comprendre la boucle défaite, cependant qu’un flot de souvenirs remontait dans son esprit. Saoule de douleur, elle poussa un cri et s’évanouit ; derrière la prêtresse s’était enfuie.

— Ævintýri ! hurla Stjörkug qui tendit les bras pour la recueillir.

Penché sur elle, il entendait le souffle profond de sa respiration et il en conçut soulagement certain. Au même instant, un torrent de lumière jaillit du corps du roi et l’aveugla. Lorsqu’enfin il recouvra la vue, Ævintýri reprenait ses esprits, comme une voix chevrotante les appelait.

— Ævintýri, Stjörkug.

Étendu dans neige, Sálarhaushung avait perdu de sa superbe et de sa sévérité, mais ses traits, bien qu’ils n’eussent point changés, semblaient s’adoucir.

— Enfin… enfin, me voici délivré de mes chaînes, soupira-t-il. Stjörkug, tu m’as épargné et je t’en remercie. Ævintýri, puisses-tu me pardonner mes erreurs passées, à présent que je pars le cœur léger et l’esprit apaisé.

— Père…

— Pardon, mon enfant. J’ai désiré toute ma vie que tu empruntes la voie que je t’avais tracée. Un jour, je découvris ce visage, qui est mien à présent, il m’octroya le pouvoir de soumettre les gens et de choisir à leur place leur destinée. Hélas, ce fut une funeste erreur, car j’oubliais qui j’étais, cependant que je n’étais plus entouré que de mes reflets, dans lesquels je me perdais et je m’adorais.

— Père !

Dans ses yeux, le vide habitait ; sa vie s’en était allée avec son dernier souffle.

— Stjörkug ! jaillit soudain une voix des fourrés.

Surprise, Ævintýri poussa un cri lorsqu’elle aperçut l’enfant qui venait d’en sortir. De même taille qu’elle, il possédait une figure en tout point semblable à celle de son père.

— Mais, qui es-tu ? s’exclama-t-elle.

— Tu es Spegbarn, l’enfant miroir, n’est-ce pas ? murmura Stjörkug. Qui m’aida jadis à traverser le miroir.

Tout sourire, l’enfant acquiesça. Nu, il ne semblait pas le moins du monde incommodé par le froid. Marchant dans la neige, il ne laissait aucune empreinte ; ses pieds flottaient au-dessus de la couche poudreuse.

— Ævintýri, me permettez-vous de vous poser une question, désormais que la magie, qui vous liait à votre père, n’est plus ?

Un voile sombre obombra son visage, mais elle accepta.

— Quels sont vos sentiments à l’égard de Stjörkug ?

Son ton était si naïf, si ingénu, qu’elle ne put s’empêcher de rougir et de rire, malgré le chagrin qui l’étreignait.

— Stjörkug, je connais tes sentiments à son égard, ainsi que le poids de ta décision. Hélas, tu n’ignores pas qu’il est des lois contre lesquelles personne ne peut s’élever, pas même moi.

Dans la pénombre, il les sentait qui s’agitaient. Dès l’instant où il avait pris son choix, il savait que ce serait un voyage sans retour. Soudain, l’une d’entre elles s’avança. Aussi semblable que ses sœurs, il ne la reconnut pas moins.

— Que fais-tu là, enfant du miroir ? siffla-t-elle, courroucée. Tu ne devrais pas être là, mais avec tes frères ; il nous appartient.

— Non ! Je suis là où je dois être, rétorqua-t-il d’un ton posé. Que cela plaise ou non.

Puis, il se tourna vers Stjörkug, Ævintýri réfugiée dans ses bras.

— J’ai dit qu’il existait des lois contre lesquelles je ne puis m’élever. Toutefois, il ne m’est pas interdit de les restreindre.

— Qu’entends-tu par là, enfant miroir ? grinça l’ombrageuse créature dans son dos.

Les yeux pétillants de joie, il fixait son antagoniste.

— J’ai baptisé Stjörkug de mon sang. De cette manière, il ne vous rejoindra que les trois jours de la lune pleine de chaque mois.

— Stjörkug, Ævintýri, je vous fais mes adieux, se reprit-il, avant de disparaître dans un éclat de lumière qui chassa les spectres creux.

Dans le ciel tapissé d’étoiles, deux silhouettes aux ailes gigantesques s’enroulaient autour de la colonne numineuse tandis qu’un tourbillon de neige descendait.

— Au revoir, les enfants. Soyez heureux, soupira une voix.

— Andlitslaus, chuchota Stjörkug à l’adresse du visage dessiné par les flocons, un bras passé sur les épaules d’Ævintýri.


Texte publié par Diogene, 5 mars 2020 à 07h41
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