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tome 1, Chapitre 28 « La Promesse d'une Ombre » tome 1, Chapitre 28

— Oh ! Vous êtes là, je ne vous pas entendu rentré, s’écria-t-elle comme elle s’éveillait sursaut et le découvrait.

Occupé à dépecer l’animal, Stjörkug avait ranimé le feu et déposé ses habits sur le lit.

— Vos vêtements sont secs, si vous désirez les mettre, grommela-t-il.

— Merci.

Luisant de sueur, il tira d’un coup sec sur la peau fendue qui glissa d’une seule traite. Puis, à l’aide d’un vieux couteau rouillé, trouvé dans un tiroir, il découpa de larges quartiers de viande qu’il jeta dans un pot en terre posé sur les braises, ainsi que de fines tranches qu’il suspendit au-dessus du foyer. Sombre, il se refusait à la regarder, concentré sur le feu. Du bout des doigts, il saisit les morceaux brûlants ; au fond du récipient, la graisse grésillait doucement.

— Tenez.

Elle le remercia d’un hochement de tête et attrapa les lamelles qu’il lui tendait. Mutique, elle mâchait l’hastelle, les yeux fixés sur son dos, alors qu’il se rhabillait. Gravées dans la chair, des runes écarlates dansaient à la clarté des flammes. Elle brûlait d’en connaître la signification et l’origine. Pourtant, elle préféra se taire et acheva son repas sans un mot.

— Pourquoi me regardez-vous ainsi ? lui demande soudain Stjörkug.

— Je pourrai vous retourner la question, rétorqua-t-elle d’un ton sec.

Stjörkug avait retiré des braises le plat en terre. Attristé, il remuait les morceaux de viande ; il gardait le silence plutôt que de s’engager sur un chemin qu’il devinait sans issue.

— Sans doute. Mais cela ne nous mènera nulle part et je ne désire en aucune manière parler de mon intimité, soupira-t-il. Dormez ! Je vais monter la garde et m’assurer qu’aucun rôdeur ne traîne dans les parages.

Redressé, habillé de toutes ses peaux, il lui parut gigantesque. Non qu’il eut grandi en taille ou gagner en stature, mais il semblait émaner de sa personne une singulière présence. Silencieuse, elle le regarda s’éloigner, puis franchir le seuil de la porte.

— Stjörkug ?

Mais elle était désormais seule, seule au milieu de l’obscurité. Épuisée par le froid et sa promenade matinale, elle ne tarda pas à sombrer dans un profond sommeil. Étendu dans la neige, Stjörkug contemplait le ciel noir d’où tombait une pluie d’étoiles.

— Andlitslaus ! Andlitslaus ! Viens à moi, car j’ai besoin de toi !

Noué des traînées blanches, le visage, de celui qui jadis le recueillit, se dessina

— Je t’entends, mon garçon, comme la peine et la résignation qui te ronge.

Des larmes coulaient le long de ses joues, se détachaient puis se métamorphosaient en perles de givre qui retombaient.

— Hélas, Ævintýri s’en est revenue et, désormais que je comprends les désirs qui m’animent, je sais que je la perdrai.

— Pourquoi mon garçon ? souffla Andlitslaus.

À présent, il était un géant de neige et de glace, assis à ses côtés.

— Son père a lié son esprit au sien et, à moins de le convaincre, seule sa mort lui apporterait la délivrance ; je ne puis m’y résoudre. De plus, il possède quelque chose qui m’appartient et si je ne lui reprends pas, alors ce sont les ombres qui me prendront.

Du bout des doigts, il effleura sa figure ; elle était devenue de givre.

— Mon visage… Ce visage… En te le confiant, tu deviendras moi et je deviendrai… je deviendrai… Mais, je suis devenu autre et je suis parti. Mais l’ai-je cherché ? Car aujourd’hui je le retrouve. Dois-je lui réclamer et perdre Ævintýri, ou lui laisser la vie sauve et me fondre parmi les ombres ?

Le bras tendu, il tentait, en vain, de se saisir des étoiles qui flottaient. À côté de lui, le géant Andlitslaus contemplait le ciel, humide des tourbillons de neige qui s’abattaient sur lui.

— Stjörkug, enfant venu de nulle part, il ne m’appartient pas de t’indiquer quel chemin tu emprunteras. C’est un choix qui te revient. L’ombre sur le sentier est ce que tu deviens, écoute-la. De même, écoute ton cœur, car il est tien et la voie que tu arpenteras sera toujours la bonne ; elle sera le reflet de ta décision.

Soudain, comme s’il devinait que la discussion était close, le vent se leva et commença à disperser le corps évanescent.

— Au revoir, Stjörkug. Surtout, n’oublie pas, l’ombre sur le chemin te montre ce que tu deviens.

— Au revoir, Andlitslaus.

Ému, il regardait la figure aimée se dissoudre, éparpillée par les tourillons de neige. Disparu, il se releva. D’un coup d’œil par la fenêtre, il s’assura que la jeune femme dormait, puis rentra sans un bruit. Dans la cheminée, le feu était mort et un peu de poudre blanche recouvrait les cendres. À pas de loup, il s’approcha de la silhouette assoupie et, du dos de la main, lui effleura la joue ; chaude et douce comme le souffle régulier qui s’échappait de ses lèvres entrouvertes. Soulagé, il la couvrit néanmoins de ses propres habits, puis sortit. En cercle, autour de la clairière, elles veillaient, leurs yeux, couleur vif-argent, scintillaient de mille feux..

— Demain, bruissèrent-elles.

— Demain, souffla-t-il.

Alors, tour à tour, elles s’en allèrent, à l’exception de trois d’entre elles, dont le regard acéré semblait vouloir déchirer le voile ténébreux qui les entourait.

— Personne ne viendra troubler votre sommeil, glapit la première.

— En échange, tu tiendras ta promesse ! feula la dernière.

D’un hochement de tête, Stjörkug les remercia, puis s’en retourna. Son bâton de marche entre les mains, il le glissa au milieu du lit et se coucha. Une fois encore, il désira contempler encore une fois son visage, mais il renonça et ferma les yeux.

Le lendemain matin, Ævintýri s’éveilla la première. Toujours endormi, la figure de Stjörkug reflétait les pâles rayons de l’aube et donnait à voir un bien étrange spectacle. Elle ignorait si elle devait le gifler, ou bien de le remercier de sa présence, cependant qu’elle découvrit la branche qui les séparait. Soulagée, elle demeura un moment les yeux ouverts, puis se leva et s’accouda à la fenêtre. Instinctivement, elle porta sa main à son oreille. Quelque chose manquait, mais elle était incapable de la nommer. Dehors, les vents avaient éloigné les nuages et le soleil embrassait un ciel azuréen. Au fond de la poitrine, elle ressentait comme un pincement au cœur qu’elle chassa aussitôt. Aujourd’hui, elle retrouverait son père ; il lui tardait tant. Soudain, elle entendit Stjörkug remuer sur le matelas et marmonna quelques mots indistincts, cependant qu’il s’éveilla à son tour.

— Oh ! Vous êtes déjà levée ?

— En effet, le soleil me transperçait les paupières et j’avais perdu le sommeil.

Assis sur le rebord du lit, Stjörkug attrapa son bâton et le posa sur ses genoux. Pensif, il fixait le plancher maculé de boue et de feuilles mortes.

— Nous devrions partir dès à présent, si nous ne voulons pas être surpris par la nuit.

Les mots résonnaient, se répercutaient, animés d’une vie qu’il ne leur avait pas insufflée.

— C’est vrai, soupira la jeune femme.

Comme à regret, elle s’éloigna de la fenêtre et se retourna. Debout, sa capuche rabattue sur le visage, elle n’entrevoyait plus que les yeux luisants du jeune homme dans la pénombre. Sans un mot, il quitta la pièce et revint quelques minutes plus tard ; il tenait entre ses mains deux paires de chaussures à large semelle, taillée dans de l’écorce.

— Passez-les donc à vos pieds lorsque nous serons dehors. Elles vous empêcheront de vous enfoncer dans la neige.


Texte publié par Diogene, 4 mars 2020 à 08h44
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