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tome 1, Chapitre 27 « Requiem pour une Etoile » tome 1, Chapitre 27

Elle était là, les mains jointes et la tête baissé, perdue dans ses pensées. Lorsqu’elle les entendit arriver, elle se redressa. Mais aucune joie, aucune colère ne se lisait sur ses traits ; rien, seulement rien ; son visage n’exprimait rien ; il n’était qu’un masque de cire vide et passif.

— Est-ce mon escorte ? L’homme qui doit me ramener chez moi, à la cité de Nowendörm ?

Étonnée, elle dévisageait Stjörkug qui n’avait pas encore rabattu sa capuche.

— En effet, dame Ævintýri. Je vous présente Stjörkug ; je l’ai chargé de vous conduire sauve à votre père, grogna le Drekvöld.

— Mon père…

Le temps d’un battement, le doute s’empara d’elle, mais s’évanouit aussitôt cependant que tintait une clochette.

— Mon père… bien sûr… Mais votre visage ? Que lui est-il arrivé ?

— Le fléau de Hel, madame, murmura Stjörkug.

Contre sa poitrine, son pendentif le brûlait. Mais il n’en laissa rien paraître, pas même des émotions étranges et singulières qui le troublaient.

— Le fléau de Hel, répéta-t-elle. J’aurai cru… Mais non, je fais erreur. Pardonnez-moi.

Sous son capuchon, ses prunelles s’embrasaient d’un feu qui, s’il l’avait vu, l’aurait terrifié tandis qu’un silence pesant s’installait.

— Empruntez donc ce sentier, il vous conduira jusqu’à Nowendörm. Lorsque vous franchirez le gué, prenez le chemin de gauche, celui de droite ne fera que vous éloigner, leur expliqua le Drekvöld.

Stjörkug le remercia puis s’écarta de quelques pas, accompagné d’Ævintýri qui demeurait mutique. Soudain, il s’arrêta et se retourna ; le dragon n’avait pas bougé et le fixait toujours.

— Je suis Stjörnbarn, garçon ombre étoile, susurra-t-il dans un sourire.

À ces mots Stjörkug sursauta, car il n’y avait que feu son ami Andlitslaus qui l’appelait ainsi.

— Maintenant, va !

Humble, Stjörkug le salua puis s’en alla rejoindre Ævintýri qui l’attendait un peu plus loin.

— Stjörnbarn, enfant étoile… murmura-t-il comme il pressait le pas.

Côte à côte, ils marchaient sans mot dire, accompagnés du chant du vent dans les cimes et des bruits d’un cours d’eau. Arrivés à hauteur du passage, Ævintýri marqua une hésitation.

— Pardonnez-moi mon effronterie, Stjörkug. Cependant, m’accorderiez-vous que nous empruntions le chemin de droite, plutôt que celui de gauche. Je me réjouis de revoir bientôt mon père. Néanmoins, il me serait encore plus agréable de ne point précipiter mon retour.

— Nullement, je vous obéis. Je suis seulement là pour m’assurer de votre protection ; je n’ai aucun autre engagement. Toutefois, seigneur, votre père, ne vous voyant pas revenir, ne risque-t-il point d’envoyer quelque troupe à votre recherche, lui rétorqua-t-il dans d’un ton posé.

— Oh ! En aucune manière ! s’exclama-t-elle. Personne ne sait quand je devrais revenir. Seul le Drekvöld m’avait promis que je serai chez moi avant le zénith. M’a-t-il interdit de m’y rendre plus tard ?

— Non, madame, s’inclina Stjörkug, dont le malaise grandissait.

Dans le ciel, le soleil montait inexorablement, cependant que s’amoncelaient des nuages de plus en plus menaçants, accompagnés d’une brume qui semblait vouloir tout dévorer sur son passage. Bientôt, les arbres ne furent plus que des spectres et de violents tourbillons de neige les enveloppèrent, tandis que l’orbe jaune disparaissait derrière une voile de blanches ténèbres. Pourtant, Ævintýri n’en paraissait pas incommoder et marchait tout en s’émerveillant de chaque instant, semblable à un enfant qui s’ouvrirait au monde pour la première fois. Elle ne se rendit non plus compte que sa figure avait bleui, quand elle eut enlevé la capuche qui lui couvrait la tête. Elle protesta lorsque Stjörkug la lui rabattue et qu’ils coururent se mettre à l’abri, dans un vieux cabanon qu’il avait aperçu sur le chemin. Réfugiés à l’intérieur, Stjörkug s’était déshabillé et avait ensuite revêtu la jeune femme de ses épaisses fourrures, comme elle grelottait. Dehors, les vents se déchaînaient ; la maisonnette grinçait et les flocons s’accumulaient aux fenêtres. Emmitouflée, Ævintýri retrouvait peu à peu des couleurs.

— Mer… merci, bredouilla-t-elle. Je… j’ignore ce qu’il m’a pris d’agir aussi sottement.

Ses lèvres blanches tremblaient encore et son corps était parcouru de violents frissons, malgré la chaleur que lui procuraient les peaux. Occupé dans le foyer, Stjörkug avait cassé une vieille chaise qu’il enflammait.

— Ôtez vos chausses ! Elles sont détrempées, de même que tous vos habits, sinon vous ne vous réchaufferez jamais, répliqua-t-il d’une voix dure.

— Je ne me retournerai pas, si c’est cela qui vous inquiète, ajouta-t-il, pour couper court aux protestations de la jeune femme.

Résignée, presque vexée, elle n’en obtempéra pas moins.

— Vous pouvez ! s’exclama-t-elle sèchement dès qu’elle eut fini de se vêtir.

Était-ce l’étincelle qui avait fusé de ses prunelles, ou bien le ton ? Cependant, Stjörkug en fut soudain troublé. Dans la cheminée, le feu crépitait et il suspendit au-dessus les habits trempés ; le temps les fuyait. Ainsi couverte, pieds nus, Ævintýri lui rappelait d’étranges images, des ombres adossées à un mur ; des peluches comme elles s’appelaient. Ils n’avaient échangé qu’un regard et rien ne s’était produit ; il n’était, comme l’avait expliqué le Drekvöld, que l’escorte ; Ævintýri avait tout oublié de lui.

— Reposez-vous donc, marmonna-t-il. Dès que la tempête se sera calmée, j’essaierai de nous trouver de quoi nous restaurer pour ce soir. Il y a un lit dans le fond. Prenez-le !

— Merci.

Elle n’avait rien ajouté, juste « merci ». Merci fut les seules syllabes, le seul mot qui sortit de sa bouche. Et quand bien même il y en eut d’autres, qu’elle les aurait tus. Les mots étaient secs et sa pensée aride. Du regard, il capturait ses esquives. Couchée sur le lit, elle ne grelottait plus et gardait les yeux grands ouverts ; la petite fille avait disparu, engloutie par la rudesse d’un autre esprit. Sa place n’était pas ici, dans ce chalet. Bien sûr, il veillerait sur elle, non par compassion, mais par devoir.

— Où partez-vous ?

Le ton se voulait doux, mais les mots, les mots étaient rugueux, rêches, encombrés de pensées intruses.

— Dehors. Je m’en vais chercher notre dîner.

— Ainsi vêtu ! s’écria-t-elle.

Mais Stjörkug ne l’écoutait pas. La main sur la poignée de la porte, il la tourna. Le froid traversait la mince couche de bois et de métal et lui mordait avec cruauté la chair, cependant qu’il n’en ressentait aucune douleur. Il l’entendit se précipiter, mais il s’était déjà enfui. Combien de minutes, combien d’heures s’étaient écoulées ; dans le ciel la noirceur remplaçait la grisaille. Son ombre-étoile n’était plus, mais il les entendait toujours ; elles glapissaient, ne pouvant s’approcher plus, car il ne l’aurait pas permis, lui non plus. La neige tournoyait autour de lui et se collait à ses habits, les alourdissant d’autant. Les paupières closes, les yeux plongés dans l’obscurité, il s’ouvrait au lamento du vent qui se propageait entre les cimes. Tandis qu’il abandonnait son enveloppe humaine, il en revêtait une autre, lupine, avant de courir à en perdre haleine, sillonner sans but la forêt emplie de spectres et de faux-êtres, à hurler sa rage et sa frustration. Mais il ne pouvait se résoudre et s’arrêta au bord d’une rivière. À contrevent, il avait senti l’odeur d’un jeune chevreuil. Tapi au milieu d’un épais buisson, il guettait.

Penché sur la surface liquide, Stjörkug contemplait sa figure défaite ; quelques touffes de poils écarlates dépassaient d’entre ses dents et son museau trempé dégoulinait d’une eau aux reflets de sang.

— Qui suis-je ? adressa-t-il à son double.

Sans attendre sa réponse, il se saisit de sa proie et l’entraîna avec lui. Par chance, il n’avait que tourné en rond et bientôt il aperçut le cabanon. À l’intérieur, Ævintýri s’était assoupie et le feu se mourrait. De quelques coups de dents, il se débarrassa de la tête et des pattes qu’il abandonna plus loin.


Texte publié par Diogene, 3 mars 2020 à 08h45
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