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tome 1, Chapitre 26 « Songe qui Rêve » tome 1, Chapitre 26

Folie et vérité ne sont-ce pas les deux faces d’un même miroir ? Stjörkug se tenait à la droite du dragon, dont la tanière ressemblait à une gigantesque gueule noire. Il remarqua également que de son corps se détachaient deux ombres, l’une immense et monstrueuse, l’autre de la taille d’un homme.

— Qui ai-je combattu ?

Ses yeux fixaient toujours les taches jumelles qui dansaient sur le sol nu.

— Tu ne devines pas ? As-tu entendu les cris cette nuit ?

— Oui ! Le cri d’un… inhumain, ou plutôt le hurlement d’un homme qui n’en était plus un.

Les paroles du Drekvöld résonnaient à nouveau dans sa tête, cependant qu’il revoyait son adversaire dansé, la hache levée, animée d’une vie qui n’appartenait qu’à elle.

— Il aura découvert et combattu son ombre, un reflet qui n’en est pas un. En fait, c’est cela que tu détiens, mon ombre, souffla Stjörkug.

Dans les yeux du dragon, se réfléchissait une confusion d’émotions et de sentiments mêlés.

— En effet…

Il avait souhaité ajouter quelque chose, mais il avait choisi de garder le silence. Que lui dissimulait-il ? La tête tournée vers le tronc blanchi d’un chêne, il contemplait la sienne, piqueté d’ivoire et d’argent. Son antagoniste n’avait-il pas souligné qu’il n’était qu’un imposteur, un faux. Était-ce cela que taisait le Drekvöld ? Si le chevalier affrontait la vérité ; inversée ; il aura omis que celui qui la lui rapporta n’était autre que son écho, et il aura sombré dans la folie. Encore une fois, Stjörkug doutait. Cependant, il se rappelait les mouvements de son double, sa danse funeste et, toute à la fois, pleine de grâce. Chacun de ses gestes semblait être une réplique au sien, alors même qu’il n’était que pensée. Il n’agissait pas à la manière d’un reflet, mais, à la manière, d’un être qui le connaître encore mieux que lui-même, de l’intérieur.

— La vérité est folie pour qui ne l’accepte pas, la folie est vérité pour qui l’embrasse, murmura Stjörkug le regard dans le vague.

— Que veux-tu, Stjörkug ?

Surpris, il sursauta puis releva la tête. Pleine de majesté, la créature le fixait d’un air étrangement mélancolique.

— J’ai une question, Drekvöld !

— Pose-la. Il n’y a rien auquel je ne puisse te répondre.

À nouveau, l’éclat au fond de ses yeux avait changé.

— Pourquoi mon ombre m’a-t-elle attaqué ? Pourquoi combattre celui sans lequel elle n’existerait pas ?

— Elle ne t’a pas attaqué, Stjörkug. C’est toi qui l’agressas, par la peur qu’elle suscitait en toi, la peur de découvrir ce qui se cache à l’intérieur. Souviens-toi ! T’a-t-elle été hostile ?

Au fond de sa poitrine, son cœur se glaça soudain d’effroi, ses lèvres scellées ne s’ouvraient plus et ses jambes se dérobaient sous son corps.

— Non ! laissa-t-il s’échapper.

À genoux dans la neige, il contemplait ses mains défaites.

— Stjörkug, l’homme est l’ombre d’un songe et son œuvre est son ombre*.

— Que cela signifie-t-il ? murmura-t-il, désemparé.

— Tu le découvriras en temps voulu. À présent, endors-toi enfant que je te rende ce qui t’appartient ; il n’est que de cette manière que tu pourras la retrouver et comprendre pourquoi tu le désires.

— Alors, prends mon ombre vilaine et rends-moi mon ombre pleine, rugit-il, le dos arqué et le visage déformé par la douleur, cependant que s’arrachait à son être la silhouette argentée.

Face à lui, se dressait la figure ombrageuse d’un souverain au regard noir. La peur, l’effroi, ’envahissait ; il savait, dès leur rencontre, lui aussi avait entrevu l’issue funeste ; leurs chemins étaient tracés, pourtant chacun cherchait à s’y soustraire.

— Tout est fini, jeune chasseur, soupira le Drekvöld.

— Et Ævintýri ? s’inquiéta Stjörkug que l’affliction n’avait pas soumis.

— Demain, Stjörkug… demain.

Le ton était lourd et empreint de tristesse.

— Tu passeras la nuit auprès de moi, car il en est qui t’attendent, alors même que tu n’as pas encore fait ton choix.

Épuisé, Stjörkug se retourna, puis s’écroula, le visage tourné vers le firmament. La vue brouillée, il n’arrivait plus à lutter contre le flot noir qui l’emportait ; il dérivait. Il voulut ouvrir la bouche, mais ses lèvres étaient devenues de plomb, cependant qu’une ombre humaine, un enfant, se penchait sur lui et lui fermait les paupières.

— Autrefois, j’ai taillé une ombre dans un tissu d’étoiles ni belle ni vilaine. En échange, j’ai pris la tienne ; aujourd’hui, je te la rends. Mais ce faisant, sans doute, je te condamne, soupira-t-il.

Entre ses bras, le corps inerte de Stjörkug semblait ne rien peser, tandis que ses pieds paraissaient flotter au-dessus de la couche neigeuse. Arrivé au pied du chêne, il déposa Stjörkug dans un creux du tronc, puis s’assit devant la brèche. Il ramassa alors une pierre et la frappa au point d’en tirer des éclats. De l’un d’eux, le plus tranchant, il se saisit et tailla l’extrémité d’une branche, qui traînait, en biseau. Ainsi fait, il se fendit la paume de la main gauche. Silencieux, il regardait le sang qui s’en écoulait, puis dégoûtait dans la neige. Délicatement, il trempa la pointe de sa plume improvisée dans le flot. Agenouillé face au dormeur, l’enfant l’avait déshabillé et à présent tatouait d’étranges signes dans son dos. Quand l’encre venait à manquer, il replongeait le bois dans la plaie et poursuivait. Enfin, lorsqu’il eut achevé, il jeta ses instruments et se rassit en tailleur, en regard de la clairière, les bras écartés. Un instant plus tard, ce n’était plus la silhouette d’un homme, mais un dragon immense aux écailles d’argent et aux prunelles ardentes. De l’autre côté, une ombre se détacha soudain de l’obscurité. Comme lui, elle était gigantesque et ses yeux, grands ouverts, scintillaient dans les ténèbres. Mutique il s’avança, fit le tour du chêne et se coucha. Au lever du soleil, il échangea un regard, puis s’envola sans un mot, sans une parole, dans le plus grand des silences. Lorsque Stjörkug s’éveilla , il était étendu sur une litière de feuilles mortes. Confus, il entrapercevait au-dessus de lui les premiers rayons du soleil. Une main sur le front, il marcha vers de la brèche qu’il devinait à quelques pas de lui. Non loin de là, la tête tournée en direction de la citée, le Drekvöld attendait.

— Quelle est ta décision ?

Silencieux, il s’était glissé à hauteur du flanc de la créature, dont l’ombre démesurée semblait vouloir dévorer la forêt.

— Où est Ævintýri ?

Ce nom, ses mots ; il les avait presque expulsés, chargés d’émotions et de sentiments dont il n’effleurait que la surface.

— Avec moi, Stjörkug. Néanmoins, il n’est pas en mon pouvoir de défaire ce qui a été ; seul son père le possède. Elle ne te reconnaîtra pas. Je lui ai donc expliqué que tu serais son escorte jusqu’à la cité. Ensuite, il n’appartient qu’à toi de choisir le chemin que tu arpenteras.

— Personne n’échappe à sa destinée, n’est-ce pas ?

Dans sa tête trop de choses se bousculaient, trop de pensées, trop de visions, des mots par dizaines, par centaines…

— Non… personne.

— Mais il existe mille et une manières de la contourner puisque, peu importe le sentier emprunté, à la fin c’est le noir qui nous attend et la mort qui l’emporte.

Le vent se levait, les cimes branlaient et les branches craquaient. À côté de lui, le Drekvöld ne bronchait pas ; il fixait seulement la cité qui émergeait peu à peu de la brume matinale.

— Mettons-nous en route ; je lui ai promis qu’elle serait de retour parmi les siens avant que le soleil n’atteigne son zénith.

Le cœur lourd, Stjörkug ne s’arracha qu’avec difficulté à la contemplation. Était-ce de l’appréhension, ou bien autre chose ? D’un pas mécanique et indolent, il suivit la dragon jusqu’à l’orée du bois.

*Marie de Gournay


Texte publié par Diogene, 2 mars 2020 à 08h18
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