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tome 1, Chapitre 17 « L'Oracle de l'Archère » tome 1, Chapitre 17

— Ainsi donc, vous désirez vous rendre à la cité de Nowendörm.

Derrière son comptoir, l’aubergiste semblait plein d’embarras.

— Oui. Y verriez-vous quelque inconvénient ? s’étonna Stjörkug.

— Pas du tout ! Seulement, le temps se gâte et vous risquer de mourir gelé, avant même d’en apercevoir les portes. Cette nuit, nous avons entendu les vents chanter ; ils sont toujours annonciateurs des pires tempêtes. Il serait sûrement plus sage que vous attendiez quelques jours. Toutefois, je ne suis pas maître de vos décisions.

Même s’il nourrissait du ressentiment, eut égard à la situation, il acquiesça et, en échange de quelques peaux supplémentaires, il prolongea son séjour à l’auberge.

— Quel gibier abonde en cette saison dans la région ? s’était-il enquis avant de sortir.

— Le lièvre variable. Tenez ! Je vous offre le repas et les nuits, si vous m’en rapportez au moins deux ; ils sont presque insaisissables.

Embusqué derrière une vieille souche, à contrevent, il demeurait à l’affût, les yeux fermés, s’imprégnant des sentiments de la forêt. Mais surtout, il écoutait le chant, un chant lugubre qui s’écoulait depuis les crêtes jusque dans la vallée où il se trouvait. Quand il s’en revint à l’auberge, le temps se gâtait déjà et de lourds flocons tombaient en tourbillon.

— Trois ! Trois ! s’exclama l’aubergiste, ébaubi, quand il le vit de retour avec ses proies ceintes à la taille. Ma parole ! Avec un pareil tableau de chasse, je suis votre obligé ! C’est presque miraculeux lorsqu’un de nos plus habiles trappeurs en capture deux, mais trois…

— Contentez-vous de ce que vous m’avez promis ! Je ne mérite pas tant d’honneur, non plus que de faveur, le remercia-t-il en lui tendant les trois bêtes.

— Heureusement, vous êtes rentrés à temps. Nous allons avoir cette nuit, l’une des pires tempêtes qui soient. Demain, j’aurai certainement besoin de vous pour déblayer la neige ; j’espère que vous n’y voyez pas d’inconvénient.

— Aucun. Je doute que vous ayez d’autres clients que moi par ce temps.

Son hôte souriait d’aise.

— Oh non ! En attendant, je vais mettre vos captures à faisander ; Olfindra nous les préparera.

Stjörkug acquiesça, puis s’en alla s’asseoir près de la cheminée où un feu généreux réchauffait son corps roidi. L’aubergiste n’avait pas exagéré, car des tourbillons de neige dévalaient dans le conduit et étouffaient l’ardeur du foyer, tandis qu’il entendait la charpente gémir.

— Rassurez-vous ! Cette auberge appartenait à mes ancêtres qui, eux-mêmes, la tenaient des premiers arrivés. Alors, rassurez-vous, elle en a connu d’autres.

Stjörkug ignorait s’il devait ou non partager l’optimisme de son hôte, mais il convenait que les murs étaient tout ce qu’il y avait de plus solides. Le lendemain, ainsi qu’il l’avait prédit, la neige, tombée en abondance, avait enseveli le bâtiment jusqu’à l’étage. Hélas, la tempête rendait toute tentative trop dangereuse et tout le monde se contenta de passer le temps, attablé au tour du feu, dans l’attente que s’apaise la colère céleste. La journée durant, ils échangèrent quelques banalités sur les raisons qui l’avaient poussé à rejoindre des terres si inhospitalières. Le soir, ils dînèrent de l’un des trois lièvres, qu’Olfindra avait mis à macérer dans un tonnelet de bière, autour des contes et des légendes qui, de tout temps, avaient narré l’histoire du royaume. À la fin du repas, Arnbjörn, ainsi qu’il s’était présenté, se proposa de servir une liqueur qu’il ne sortait qu’en ces rares et précieuses occasions. Bien que n’ayant jamais rien bu de plus fort que de la bière forestière, Stjörkug accepta, au plus grand plaisir de son hôte. Quelques minutes plus tard, il s’en revenait une bouteille, couverte d’une épaisse couche de poussière, entre les mains.

— Du vin de lune d’hiver, expliqua-t-il. Nous ne l’ouvrons qu’en ces rares occasions, lorsque le vent chante et emprisonne nos cœurs.

Cependant, Olfindra avait apporté trois verres qu’il emplit d’un liquide grenat, si foncé qu’il en paraissait noir.

— C’est un alcool qui vous éveille l’âme et chasse les ombres mauvaises qui rôderaient, lui confia Arnbjörn.

Accompagné de sa femme, Stjörkug hissa à son tour son verre. Dans sa gorge, le vin coulait doucement et lui échauffait le sang, cependant qu’il l’engourdissait. Désorienté, il n’écoutait plus que d’une oreille distraite la conversation de ses hôtes. Désolé, il s’excusa puis monta se coucher. Dehors, le vent ne chantait plus, mais la neige tombait toujours en abondance, l’éloignant encore un peu plus de son but. Épuisé, il s’endormit presque aussitôt et plongea dans un sommeil empli de nouvelles visions.

Dans le ciel, un dragon aussi semblable que Tunglbarn, dansait au-dessus d’une plaine où gisaient, par centaines, des corps inanimés et criblés de flèches. Au loin, des soldats bandaient leurs arcs et lâchaient leurs salves mortelles qui, hélas, ne rencontraient que les ténèbres, cependant qu’elles s’abattaient sur les villageois réfugiés dans les bois. Puis, à leur tour, ils furent balayés et plus personne n’était en mesure de défendre l’orgueilleuse cité, sur laquelle fondait déjà la bête, chevauchée par une silhouette au regard empli de haine et de douleur. Spectateur, Stjörkug demeurait immobile ; il contemplait la scène, indifférent au carnage ; son corps, dans la nuit, se confondait avec le ciel, de noir et d’étoiles il était. À présent que la créature se posait dans la plaine, l’ombre en descendait et marchait au milieu du champ de bataille. La neige étouffait le bruit de ses pas, cependant qu’elle s’avançait dans sa direction ; pâles, ses yeux reflétaient la noirceur qui habitait son cœur. Dans sa poitrine, le souffle lui manque tandis qu’il reconnaissait Ævintýri, mais de la force d’âme qui l’animait autrefois, il ne restait plus qu’une colère froide et vengeresse. À mesure qu’elle marchait vers lui un sourire se dessinait ; un sourire prédateur sur des lèvres purpurines.

— Rejoins-moi, Stjörkug ! Sois mon souverain ! Je serai ta reine, ronronnait-elle, alors que dans la plaine s’élevait l’appel.

Mais une autre voix demeurait ; murmure triste et mélancolique :

— Ne m’oublie pas, Stjörkug.

Hélas, Stjörkug ne l’entendait pas et s’avança d’un pas en direction de sa souveraine. Mais alors que son pied s’enfonçait dans la neige, une flèche lui transperça le cœur. Coupé dans son élan, il contemplait, interdit, l’archère qui avait décoché son trait ; en face de lui, Ævintýri avait disparu, avalée par la nuit.

— Pourquoi ? suffoqua-t-il, comme ses jambes se dérobaient sous lui.

Étendu dans la poudreuse, elle se pencha sur lui ; à son oreille, une boucle dorée tournoyait.

— Parce que tu ne dois pas l’oublier.

Abandonné, Stjörkug se sentait dériver ; autour de lui, les flocons se teintaient d’écarlate. Dans le firmament, les étoiles s’éclipsaient et la lune pleurait ; son cœur saignait. Sous ses paumes, la neige fondait et devenait rêche. Enfin, dans sa poitrine la douleur reflua à l’unisson de ses visions ; il était dans son lit, allongé et la fenêtre était fermée. Dans la moiteur de ses couvertures, il passa une main sur son torse et souleva son pendentif. Incrusté de noir et d’argent, le bijou aux reflets mordorés virevoltait, semblable à un flocon égaré.

Le matin était encore loin et la neige avait achevé sa folle descente. Désormais, l’auberge était prisonnière de l’hiver, enseveli sous un blanc linceul. Cependant, il ne pourrait attendre une nuit de plus et, dès que le jour se lèverait, il partirait.


Texte publié par Diogene, 22 février 2020 à 08h04
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