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tome 1, Chapitre 15 « Songe d'une Nuit d'Hiver » tome 1, Chapitre 15

Se sentait-elle attristée, ou bien seulement soulagée de son absence ? Elle n’aurait su se départager entre ces deux sentiments. Demain, leurs chemins divergeraient-ils, ou entendraient-ils les cris muets de son cœur aveugle ? Le mercenaire envoyé par son père n’était pas un présage, mais un message. La matinée se passa, le soleil s’éleva et Stjörkug ne revenait toujours pas, même lorsqu’elle aperçut sa silhouette dans le sous-bois. Soudain, alors qu’elle se morfondait à l’attendre en vain, quelqu’un frappa à la fenêtre. Heureuse, elle courut à la porte, car elle avait reconnu son si étrange visage. Mais, à peine l’avait-elle entrouverte, qu’il lui intima le silence, avant de lui tendre un ruban de soie noire. Après une vague hésitation, elle le noua sur ses yeux, cependant que des bras se glissaient autour de sa taille. Ainsi plongée dans l’obscurité, la forêt d’ordinaire si silencieuse semblait s’éveiller à une vie nouvelle. Avec délicatesse, on lui ôta ses chausses et ce fut pieds nus qu’elle arpenta le chemin, guidée par son invisible compagnon.

— Voici, Ævintýri. Enlevez donc votre bandeau.

Stjörkug se tenait devant elle, assis en tailleur, très certainement nu, car elle entrevoyait, à la lueur de la lune, les contours de sa silhouette. Derrière lui, sur le tronc d’un chêne millénaire, une ombre gigantesque brillait de mille feux, tandis que dans ses yeux se reflétaient les échos de leurs souvenirs.

— Où sommes-nous ? bredouilla-t-elle.

Malgré la fraîcheur de la nuit, un filet d’air tiède lui caressait le visage et il lui semblait entendre le bruit d’une cascade.

— Dans mon sanctuaire, murmura Stjörkug, comme il se redressait.

Écarlate, elle détourna vivement la tête, mais s’aperçut qu’il portait un pagne ceint autour de la taille ; sur sa poitrine une étrange cicatrice en étoile luisait au niveau de son cœur.

— Je… commença-t-il.

Mais les sanglots de la jeune femme l’interrompirent.

— Ævintýri… Pourquoi ?

La figure baigné de larmes, elle s’avança vers lui et se pelotonna contre lui.

— Ne… n’ajoutez rien, Stjörkug ! Vous n’auriez su exaucer souhait plus merveilleux.

Pétrifié, le jeune homme n’osait plus bouger ; le visage tourné vers la voûte céleste qu’il apercevait par la minuscule trouée dans la ramure du chêne.

— Merci… Andlitslaus, souffla-t-il d’une voix ténue, comme son ami le saluait avant de se fondre à nouveau dans les ombres.

Blottie contre lui, Ævintýri était demeurée immobile.

— Pouvons-nous rester ici, cette nuit ? demanda-t-elle, presque timide, émue.

— Est-ce là votre désir ? rétorqua Stjörkug.

Les mots dansaient dans sa bouche, comme s’ils étaient de fer et de glace ; dans sa poitrine son cœur ne battait plus, il s’était tu.

— Oui, gémit-elle. Demain, nos chemins se sépareront pour toujours quand les envoyés de mon père s’en viendront. Je n’ignore rien du sort misérable qui m’attend à mon retour.

— Alors, suivez-moi, lui chuchota-t-il, cependant qu’il lui prenait la main.

Du doigt, il pointa une tache dans les hauteurs puis ils s’enfoncèrent dans le noir dédale. Ils marchèrent ainsi un long moment et, soudain, débouchèrent sur une plateforme où était dressée une table garnie de mets délicats, derrière laquelle évoluait le ciel étoilé. Émerveillée, Ævintýri en oublia son chagrin et ce fut dans un silence, troublé par les chants venus de la forêt, qu’ils dînèrent. Puis, alors que l’épuisement la gagnait, Stjörkug, l’index posé sur les lèvres, l’invita à le suivre jusqu’au rebord de pierre. Là, dissimulé par l’obscurité, se dévoilait un escalier taillé dans l’écorce. Prudents, ils en entamèrent la descente vers une clairière où s’étalait une étendue d’eau alimenté par une cascade. Aussitôt, elle avait lâché sa main et s’était approchée de l’onde cristalline. Puis, elle avait jeté ses habits, avant de plonger dans la surface noire et de l’appeler. Obéissant à une voix qu’il pensait entendre pour la première fois, il s’avança, ôta son pagne et pénétra à son tour dans le lac étoilé. Dos à dos, ni l’un ni l’autre n’osait se contempler, échanger ce regard que chacun d’eux devinait fatal. Main dans la main, ils évoluaient dans un pas de deux, sans jamais se voir, sans jamais se dévoiler, toujours cacher. Puis, sans un mot, tour à tour, ils sortirent de l’eau ; silhouettes d’ombres confondues dans la pénombre. Silencieux, Stjörkug ramassa ses habits et les lui tendit, se couvrant le visage d’une main. En retour, Ævintýri en fit autant ; elle aussi avait obscurci ses yeux.

— Stjör…

Mais il lui avait posé un doigt sur les lèvres.

— Ne brisez pas la magie de cette nuit, lui chuchota-t-il en lui offrant son bras.

Dans un recoin, à l’abri dans un creux de l’arbre, un lit était installé à même le sol. Main dans la main, ils s’étendirent, leurs visages tournés vers les ténèbres.

— Fermez les yeux, s’il vous plaît, Stjörkug.

Étonné, il obéit et il sentit ses lèvres se poser sur les siennes. Le temps d’un battement de cœur, il désira plus que tout la repousser. Mais à la place, il l’enlaça et lui rendit son baiser. Lorsqu’ils se détachèrent, l’obscurité illuminait leurs regards d’une lueur nouvelle.

— Merci, Stjörkug.

Les mots s’étaient envolés de bouche et à présent ils étaient comme ces papillons attirés par les chandelles au cours des nuits d’été. Stjörkug tenta de les capturer, mais son bras retomba ; Nótt l’attendait.

Le lendemain matin, lorsqu’ils s’éveillèrent, ils étaient de retour à la chaumière. L’aube pointait que déjà retentissait au loin une trompette. Le visage fermé, Stjörkug s’était levé et habillé, avant de sortir. Dehors, un cavalier s’avançait, une bannière au flanc. Sa cuirasse étincelante l’éblouissait presque.

— Est-ce ici que s’est réfugiée Dame Ævintýri ? lui demanda-t-il d’un ton pincé.

— En effet, seigneur. Elle ne tardera pas.

Il avait rabattu sur sa tête son capuchon, ne donnant à voir de sa figure seulement ses yeux. Mal à l’aise, l’homme d’armes s’efforçait de soutenir ce regard si impétueux et inquiétant. Soudain, la porte de la chaumière s’ouvrit et livra le passage à une femme qui s’avança, sans même une marque d’attention pour son hôte. Apprêtée, sa jument l’attendait et d’un mouvement souple elle monta sur son dos.

— Enfin, Madame ! Votre père se morfondait en son palais à votre sujet ; vous lui avez causé bien des désagréments. Cependant, je constate que vous avez été traité avec toute la déférence qui sied à votre rang.

— Quant à vous, bûcheron, mon maître tient à vous remercier, ajouta-t-il en balançant une bourse garnie à ses pieds.

Mais il ne se baissa pas ni ne la ramassa ; il fixait toujours le cavalier, les bras croisés sur la poitrine.

— Partons ! jeta Ævintýri d’un ton qui n’admettait aucune réplique.

— Bien, madame.

Impassible, Stjörkug n’avait pas bronché, pas même lorsqu’il avait surpris Ævintýri, détachant l’une de ses boucles d’oreille. Après qu’ils se furent éloignés, il s’agenouilla et s’en empara ; une spirale dorée dans laquelle était enchâssée une minuscule émeraude. Silencieux, il ouvrit sa chaîne puis la glissa à côté de l’éclat de noir.

De retour à l’intérieur de la cabane, il attrapa sa gibecière, son bâton et son baluchon dans lequel il fourra quelques affaires, avant de se ceindre de sa hache. Il partait sans savoir quand il reviendrait ; une seule certitude l’animait, son cœur ne lui appartenait plus, cependant qu’elle éveillait en lui des souvenirs douloureux. À la nuit tombée, il quitta la maison qui l’avait accueilli toutes ses années. Il n’avait pas pris la peine de s’encombrer de la bourse, offerte en guise de récompense. À la place, il l’avait jetée dans la rivière où elle irait nourrir l’appétit sans fin des plus avides. Sur le sol, son ombre s’étirait et ressemblait au reflet du ciel sur la terre.

— Je te baptise, Stjörkug, avait prononcé, une nuit, un ami, au milieu d’une clairière déserte.

Ses paroles résonnaient encore à ses oreilles, alors qu’il traversait la forêt. Deux choses lui manquaient, l’une, dont il taisait et chérissait le nom, l’autre, dont l’absence l’aveuglait et l’empêchait de contempler, avec sérénité, les sentiments qui le guidaient.


Texte publié par Diogene, 19 février 2020 à 12h14
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