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tome 1, Chapitre 10 « Le Chevalier Errant » tome 1, Chapitre 10

Les jours passèrent et aucun ne se ressemblait. Parfois, il apercevait les silhouettes des hommes de fer et leurs regards se croisaient, puis ils l’oubliaient ; oubliaient pourquoi ils étaient venus. Or, il advint qu’un jour qu’il coupait du bois en vue de la morte-saison, son chemin rencontra celui d’un cavalier dont les couleurs et les armoiries lui étaient inconnues.

— Oh là ! Bûcheron ! l’interpella-t-il. Je viens d’un pays lointain pour combattre le fléau qui sévit sur vos terres. M’offririez-vous l’hospitalité pour la nuit ? Mon cheval est fourbu et je suis, moi-même, épuisé.

Sa hache jetée à terre, le capuchon toujours baissé, Stjörkug releva la tête.

— Certes, je le puis. Néanmoins, de fléau, il n’en est plus question, lui répondit-il.

— Que signifie, bûcheron ? Aurai-je galopé jusque dans votre contrée en vain ? s’exclama-t-il, outré.

— Je le crains, seigneur. Toutefois, je n’ai pas achevé mon travail. Accepteriez-vous de me suivre ? Puis, nous rentrerons.

Juché sur sa monture, rageur le chevalier hésita. Mais sa jument, à bout de force, n’avancerai pas d’une lieue de plus et se refuserait à partir bride rabattue.

— Ainsi soit-il, soupira-t-il tandis qu’il mettait pied à terre, avant de s’asseoir sur une vieille souche.

Les rênes nouées autour du tronc d’un jeune frêne, l’animal broutait une mousse touffue. Pendant ce temps, Stjörkug achevait d’abattre un bouleau dont le fût, en plusieurs endroits écorcés, menaçait de se briser. Puis, il le débita et chargea les bûches dans sa charrette à bras, des branchettes et des brindilles, il en fit des fagots qu’il jeta par-dessus. Infatigable, il ne s’arrêtait que pour reprendre son souffle ou s’emparer de son outre et boire, pour mieux revenir à sa tâche. Enfin, quand il l’eut achevé, il invita le chevalier et sa monture à le suivre. Silencieux, ils cheminèrent de concert jusqu’à la clairière où se dressait la chaumière.

— Libérez donc votre jument ; il n’est nul loup ou ours qui hantent les parages.

Il le remercia d’un hochement de tête, tandis que Stjörkug entassait les bûches et les fagots sous l’abri bâti à flanc de mur. Quelques instants plus tard, dérouté, l’animal explorait avec précaution les lieux, reniflant chaque fourré, chaque arbre, chaque végétal ; Stjörkug l’observait, amusé.

— Où puis-je ranger ma selle et la bride de mon cheval, je ne souhaite pas que la pluie les abîme ? Pour toute réponse, Stjörkug s’en empara, puis les déposa sur le tas de bois, puis rentra dans la cabane, suivi du chevalier. À l’intérieur, il ranima le feu, dont les braises se mouraient doucement.

— Je ne comprends pas, murmurait son invité, dont l’armure renvoyait à présent les flammes qui dansaient dans le foyer.

— Que ne comprenez-vous pas, messire Chevalier ? s’enquit le jeune homme, toujours au chevet d’une flambée, par trop capricieuse.

— Le fléau ! Le Drekung ! Comment cela se peut-il ? Nul n’en réchappait. Tous ceux qui osaient le défier périssaient, répétait-il en secouant la tête. Qui aura pu le défaire ?

— Je suis navré de ne pouvoir vous éclairer de mes lumières. Tout juste, ai-je un jour croisé une troupe d’hommes armés et casqués : le lendemain, je contemplais leurs restes calcinés et leur camp dévasté, souffla Stjörkug, occupé à dépecer un lièvre, piégé dans la matinée avant de l’embrocher.

— Que dites-vous ! s’exclama soudain le chevalier, enthousiasmé par ces paroles. Cela signifie donc que le Drekung est toujours en vie.

— Hélas non, seigneur. Ainsi que je vous l’ai confié, le fléau, le Drekung ainsi que vous le nommez, a été vaincu. Le soir même que je rentrai de la rivière, où ils avaient établi leur campement, j’entendis d’effroyables grondements en provenance de ce lieu. Me rapporta-t-on qu’on les perçut jusqu’au village de Stjarnaá. Éveillé en sursaut, je suis alors précipité en leur direction et je l’ai vu ; je l’ai vu qui survolait la forêt avant de se fondre dans les cieux, vaincu.

Au-dessus des flammes, la chair du lièvre suintait et dorait doucement, cependant qu’il la tournait et la retournait pour qu’elle ne cuise point trop.

— Vous semblez affligé, releva Stjörkug, le regard en coin.

— Je…

Mais il n’acheva pas sa phrase.

— Me… me permettriez-vous de me retirer un instant ? Votre feu est généreux et j’étouffe sous mon armure ; mes frusques sont dehors, dans une besace suspendue à ma selle.

— Désirez-vous que je m’en occupe ? Les nuits sont froides en cette saison et vous risquez d’attraper le mal, si vous sortez ainsi.

— Je…

Ses membres tremblaient. Soudain, il se raidit et, d’un geste sec, accepta. Dehors, la lune baignait de sa lumière un ciel dépourvu de la moindre étincelle. Attentif, Stjörkug scrutait les ténèbres, mais seuls les froufroutements du vent entre les branches et les hululements lointains des hiboux lui répondirent ; collé contre sa chair, le pendentif demeurait inerte. Soulagé, il s’approcha du tas de bûches et attrapa le sac accroché à la selle, puis rentra.

— Merci ! Cependant, puisque vous m’avez ramené mes affaires, je souhaiterai être seul, à présent.

— Vous n’êtes pas le premier que je verrai dans son plus simple appareil. Mais, si vous y tenez. Permettez-moi seulement d’écarter le lièvre du feu, je ne désire point que notre dîner fût brulé.

Quelques minutes plus tard, Stjörkug sortait et un orage éclatait.

— Vous m’en voyez navré, jeune homme. Hélas, personne ne saurait percer mon secret, soupirait le chevalier, alors qu’il ôtait son heaume, avant de défaire les lanières de cuir qui retenait sa cuirasse.

Au bout de plusieurs minutes, débarrassé de son armure et rhabillé, il appela Stjörkug qui s’était réfugié sous l’abri. Le feu ranimé et le dîner servi, il prit place sur la margelle de la cheminée tandis que son invité s’asseyait sur une chaise.

— Il me semble que je vous doive des excuses. Vous êtes trempés.

Amusé, il sourit d’un air entendu et jeta une bûche au milieu des flammes avides.

— Peut-être. Cependant, je ne connais pas votre nom, seigneur.

L’espace d’un temps, les traits du chevalier se figèrent, puis relâchèrent. Mais, bien que sa figure fut plongée dans la pénombre, cela n’échappa pas à Stjörkug qui, néanmoins, fit semblant de rien

— Ævintýri. Et vous, jeune bûcheron ?

— Je me nomme Stjörkug, mon… mon père me baptisa ainsi à cause de mon ombre…

Sur les rebords de pierre, silencieux, il contemplait la silhouette étoilée qui dansait au gré des flammes.

— Stjörkug, répéta le chevalier.

Les yeux posés sur l’ombre étrange, il en dessina les contours.

— Je comprends. Mais pourquoi ne puis-je voir votre visage, Stjörkug. Vous n’avez de cesse que de le garder dissimulé dans l’obscurité. Auriez-vous peur de me le dévoiler ?

Le regard dur, Stjörkug s’empara d’une nouvelle bûche et la balança dans le foyer. ; les grandes hampes orangées lui échauffaient violemment la figure, malgré tout il ne ressentait aucune douleur.

— Non, seigneur Ævintýri. Cependant, je sais combien sa vision peut-être pénible à certains.

— J’ai vu, bien pire, savez-vous. J’insiste, Stjörkug. S’il vous plaît.

À contrecœur, il s’exécuta et dévoila son visage, assemblage délicat de cuir, de bois et de métal.

— Oh ! s’exclama-t-il. Je… je comprends votre réticence.

Stjörkug avait rabattu sa capuche, cependant qu’un inexplicable malaise s’emparait de son être. Auparavant, il s’était déjà ainsi mis à nu devant un étranger. Mais, c’était la première fois, depuis qu’il avait retrouvé son pneuma. Le regard tourné vers les flammes, il ne se sentait plus à sa place.

— Vous paraissez songeur, Stjörkug. Ma demande vous aurait-elle blessé ?

Perdu dans ses pensées, le jeune homme sursauta, les yeux toujours posés sur le foyer lumineux.

— Non, messie ! Je…

Il renonça ; la fatigue était là et le sommeil l’appelait.

— Allons plutôt dormir. Le feu se meurt et la nuit promet d’être glaciale. Je vous aurai bien cédé ma couche et pris l’autre. Néanmoins, je ne crains qu’avec ce froid, nous t’attrapions tous deux la mort. Un bref instant, le visage du chevalier se rembrunit, mais sans doute était-ce les braises agonisantes.

— Vous aurai-je, à mon tour, plongé dans l’embarras, messire ?

— Non ! Certainement pas ! Je… euh.

Les yeux tournés vers la fenêtre couverte de buée, il poursuivit :

— En fait, vous avez raison, ce serait folie de ma part, et je nous condamnerais à d’inutiles souffrances. Toutefois, m’accompagneriez-vous demain ? Je désire voir de mes propres yeux le lieu où fut vaincu le Drekung.

Stjörkug se retourna vers le chevalier ; sa figure était rouge, des mèches défaites dépassaient de son bonnet.

— Si vous y tenez, je vous guiderai, acquiesça-t-il.

Dans sa main, il portait un chandelier de bronze dans lequel était enfoncée une bougie décrépie. Penché dessus, son visage œuvrait à la manière d’un miroir, renvoyant dans la lugubre demeure la pâle lueur. Assis sur le bord du lit, le chevalier s’y glissa le premier et s’assoupit aussitôt, tandis que Stjörkug le rejoignait et soufflait le cierge. Les yeux grands ouverts, il contempla un long moment l’obscurité, à côté de lui son compagnon dormait à poings fermés ; la tempête hurlait. Les paupières closes, il s’imprégnait de la symphonie des vents sans que le sommeil s’en vînt ; dans sa poitrine, son cœur battait d’un rythme qu’il ne lui connaissait pas.

Il avait menti. Pourquoi ?

L’abîme l’observait, là, quelque part, tapie dans le noir et lui s’y abîmait.


Texte publié par Diogene, 15 février 2020 à 11h45
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