Pourquoi vous inscrire ?
«
»
tome 1, Chapitre 6 « Le Fléau de Njördern » tome 1, Chapitre 6

Parfois, le soir, lorsque le soleil étirait ses derniers rayons avant de disparaître, il croyait apercevoir des flammes qui montaient au-delà de la cime des arbres ; des flammèches voletaient autour de lui et il se souvenait. Solitaire, il n’aspirait pas à se lier, plus que de raison, à ses semblables et lorsqu’il les croisait, ils lui vantaient souvent les merveilles des cités qu’ils avaient auparavant traversées. Toujours alors, il les remerciait et les renvoyait à leurs illusionnées, gens coupés et dépouillés. Cependant qu’un jour il s’en allait chasser et ramener du bois pour le foyer, son chemin rencontra celui d’hommes en armes. Silencieux, ils montaient des chevaux dont l’allure et la grâce étaient à l’image de la fierté et de l’assurance qui se dégageaient de leurs mines radieuses. Il s’en inquiéta, non pour sa tranquillité, mais pour la forêt. Troublé, il resta longtemps assis dehors à écouter le chant des vents et chats-huants. Andlitslaus n’était plus là, mais son absence ne lui pesait pas ; il avait pris sa décision, il se rendrait demain matin au village de Stjarnaá, afin d’obtenir des explications.

Là-bas, les villageois lui recommandèrent d’aller voir le bourgmestre qui, lui-même, avoua toute son ignorance des événements, sinon qu’il avait aperçu la veille, dans les rues, des hommes fortement armés.

— Rendez-vous donc à la cité royale de Njördern. Réclamez une audience au palais, car seule la garde aura ainsi pu agir, l’enjoignit-il

L’ayant remercié, Stjörkug avait repris sa marche et cheminé jusqu’à arriver aux portes de la susdite cité, dont les remparts se dessinaient dans l’horizon. Armé de son bâton, son baluchon jeté sur l’épaule et son capuchon rabattu, il ne dépareillait en rien des autres voyageurs ou curieux qui en sortaient ou qui entraient. Bien plus grande que le village de Stjarnaá, il ignorait s’il devait se réjouir ou s’effrayer du gigantisme des lieux. Où que ses yeux le portent, il ne voyait qu’une masse grouillante et désordonnée qui déambulait dans les allées, des voix criardes et aigrelettes battaient d’inutiles rappels ; hommes ou femmes, filles ou garçons, tous se pressaient et se bousculaient. À plusieurs reprises, il manda son chemin et enfin découvrit la place du palais où des affiches proclamaient l’ouverture d’une grande battue. Intrigué, il sollicita l’aide d’un quidam de passage qui, hélas, ne put que lui faire part de son ignorance de la chose, car elles avaient été collées le matin même. Il le remercia puis s’éloigna. Assis sur la margelle d’une fontaine, il embrassait du regard le monument et sa cour. Des gens allaient, venaient, disparaissaient ; ils évoluaient devant lui sans le voir. En haut des marches, personne ne paraissait prêter la moindre attention à ceux ou celles qui entraient ou sortaient et il s’en étonnait. Alors, se mêlant à la foule des anonymes, il traversa à son tour l’immense place pavée de pierres blanches jusqu’aux pieds du monumental escalier. Il hésitait, le sommet lui paraissait soudain si lointain, si inaccessible, comme si de sa hauteur il écrasait celui qui prétendrait vouloir y pénétrer et puis il y avait les voix. En effet, à peine avait-il posé le pied sur la première marche qu’elles lui parvinrent, pareilles à un murmure, semblables au chant du vent dans les cimes ; il n’évoluait non plus dans un dédale de marbre blanc, mais dans une forêt obscure, mystérieuse où dansaient des ombres qui l’appelaient par son nom. Perdu au milieu des degrés, il n’était qu’un visage parmi tant d’autres ; un anonyme dans la foule. Étrangement, il ne ressentait aucune fatigue, pas plus que son souffle ne lui manqua lorsqu’il atteignit le sommet.

Juché sur la plus haute marche, il contempla la ville, avec ses toiles de tuiles brunes et rouge, cuites et recuites par le soleil, accompagnées de toutes ces cheminées, dont les pointes s’élançaient vers le ciel. Perdu dans sa méditation, il ne remarqua même pas le page qui s’était glissé à ses côtés.

— Toutes mes excuses, jeune homme. Mais que désirez-vous ? s’enquit-il.

Surpris, Stjörkug se retourna et découvrit un être si grand et si sec qu’il l’eut cru taillé dans un roseau.

— Je vis dans une hutte à quelques lieues d’ici et, ce matin, j’ai vu passer une troupe d’hommes en armes. Je me suis alors rendu au village de Stjarnaá, où le bourgmestre m’a avoué son ignorance de la chose ; seulement que ce ne pouvait être que des gardes royaux. Ensuite, il m’a enjoint de me rendre au palais où l’on répondrait à mes questions, m’a-t-il assuré, s’expliqua-t-il.

— Une colonne de gardes, dites-vous… Oh, oui ! Bien sûr ! Suis-je sot ! Rendez-vous donc auprès de Dame Ráðgáta, elle répondra à toutes vos interrogations ; son office est au bout de ce couloir, pépia son interlocuteur, avant de s’éclipser et de disparaître dans le dédale, au milieu d’une nuée d’emplumés et d’empoudrés perruqués.

Seul, Stjörkug se dirigea vers le couloir susdésigné. Accrochées aux murs, de part et d’autre, des tapisseries, des tableaux paysagers, des portraits de tous âges et de toutes tailles, l’observaient. Tout au bout, une brindille annonçait les visiteurs, en même temps qu’elle orientait les malheureux égarés.

— Puis-je vous renseigner ? s’enquit-elle lorsqu’elle l’aperçut, errant dans le passage. À moins que je vous annonce auprès de Dame Ráðgáta.

Créature aux allures d’épouvantail, il était vêtu d’un pantalon noir qui s’arrêtait juste au-dessus des genoux, d’une chemise de flanelle blanche qui débordait de la ceinture et d’une veste bleu nuit bien trop petite pour lui.

— Je vous demande pardon. Mais c’est que… euh… M’annoncer ? bafouilla Stjörkug, pris au dépourvu.

— Non ! Non ! Vous n’y êtes point. Je connais déjà tout des raisons qui vous amènent ici, mais non votre nom. Comprenez donc mon désarroi ! Comment puis annoncer quelqu’un dont j’ignore tout ? Alors quel est-il, je vous prie ?

— Ah ! Euh… euh… je suis… je suis…

Le temps d’un battement de cœur, il lui sembla que le pendentif le brûla, puis la sensation disparut.

— Je suis Stjörkug et j’habite une cabane dans les bois.

— Parfait ! Prenez donc place sur ce banc ! Là ! Sur votre droite ! Dame Ráðgáta va vous recevoir.

Assis, Stjörkug ferma les yeux. Il n’appréciait guère la ville et encore moins la foule qui s’y pressait. Hélas, il n’eut guère le temps de savourer cet instant de paix, que le grand chambellan l’introduisait déjà auprès de Dame Ráðgáta. De dos, dans un fauteuil entouré d’un parterre de plantes démesurées, dont la cime effleurait presque les hauteurs de la verrière. Dans un sourire, elle l’invita d’un geste à prendre place en face d’elle, mais il déclina, peu à l’aise.

— Que désirez-vous de moi, jeune Stjörkug ? Mon grand chambellan m’a expliqué que vous aviez croisé le chemin d’hommes en armes rôdant non loin de votre logis.

— J’entends, madame. Cependant, pourquoi faire donner la troupe alors que le calme règne dans cette région ? La main de Hel s’est abattue à de trop nombreuses reprises…

— Je ne le sais que trop, jeune homme. C’est pour cette raison que nous avons ordonné l’envoi de ce corps expéditionnaire. Un fléau s’est réveillé et il est de notre devoir de l’exterminer.

Appuyée sur sa canne, elle paraissait fragile et peu sûre d’elle. Pourtant Stjörkug l’aurait juré, son attitude n’était que pure comédie. Silencieux, il l’observait, attentif au moindre de ses gestes ; sur sa poitrine, le pendentif le brûlait.

— Vous me semblez troublé…

Les yeux soudain tournés vers les extérieurs, il s’en revint vers la figure énigmatique de la dame assise dans son large fauteuil.

— Veuillez excuser mon étonnement. Mais, pourquoi si peu d’hommes s’en sont-ils alors venus. Vous avez évoqué un fléau, cela signifie-t-il donc qu’ils ne sont que les premiers d’un plus grand contingent ? Et donc, qu’arrivera-t-il lorsqu’ils s’en viendront tous ?

À ces mots, elle éclata d’un rire amer.

— Si seulement les choses étaient aussi simples. Ils comptent parmi les meilleurs et pourtant c’est une mort certaine qui les attend.

— En ce cas, pourquoi les y obliger ? rétorqua Stjörkug.

Un instant, son regard se troubla.

— Vous faites erreur, jeune homme. Ils sont tous volontaires. Bien sûr, nous promettons également une forte récompense, alors si vous désirez vous joindre le bureau des recrutements des volontaires civils est ouvert depuis ce matin.

Mutique, Stjörkug soutenait le regard inquisiteur de la dame de glace.

— Je ne suis pas intéressé, Dame Ráðgáta. Toutefois, j’aurai encore une question avant que je ne vous quitte.

— À votre guise.

— Quel est donc ce fléau dont vous avez fait mention ?

— Un ver, jeune forestier, et des plus vicieux. À présent, faite comme bon vous semble, je ne vous jugerai pas.

Mais Stjörkug n’écoutait déjà plus et ses paroles moururent dans le vide. Des hommes pouvaient bien mourir pour la fortune ou pour la gloire, il ne lui en importait pas. Sur le parvis du palais, il contempla un long moment l’orbe solaire dont l’éclat illuminait la cité radieuse. Il devinait les silhouettes évanescentes de ces hommes fiers, qui étaient partis en quête d’un triomphe aussi éphémère que vain, et d’autres qui les regardaient avec envie.


Texte publié par Diogene, 9 février 2020 à 21h55
© tous droits réservés.
«
»
tome 1, Chapitre 6 « Le Fléau de Njördern » tome 1, Chapitre 6
LeConteur.fr Qui sommes-nous ? Nous contacter Statistiques
Découvrir
Romans & nouvelles
Fanfictions & oneshot
Poèmes
Foire aux questions
Présentation & Mentions légales
Conditions Générales d'Utilisation
Partenaires
Nous contacter
Espace professionnels
Un bug à signaler ?
2624 histoires publiées
1173 membres inscrits
Notre membre le plus récent est Pélagie
LeConteur.fr 2013-2024 © Tous droits réservés