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tome 1, Chapitre 3 « Il était une fois un fils » tome 1, Chapitre 3

Dans le silence pesant de sa chambre, seul lui répondait le tic-tac, presque rassurant, de son horloge. L’oreille tendue, certain que personne ne s’en viendrait ; il ferma tout de même sa porte à double tour, tout en prenant bien soin de coincer la clé dans le verrou, il ôta les lames du parquet. En bas, dans le salon, ses parents devisaient lorsqu’on leur annonça un visiteur.

— Hélas, hélas, je ne sais quoi penser. Je vous le soutiens, encore une fois, je suis de commerce honnête et vous persistez à vouloir me tromper. Ah… Que vais-je décider ? M’en aller et vous priver de tous vos attraits et de mes bienfaits ou, ue nouvelle fois, vais-je faire preuve de générosité à votre égard ?

— …

— Non ! Non ! Ne protestez pas ! Je n’énonce qu’une vérité. Que pourrais-je en faire ? Même sur le mur de mon trône, elle dépareillerait. Ah ! Que voulez-vous, là est ma faiblesse. Je le reconnais bien volontiers. Je déteste partir et dépouiller mes clients. Néanmoins, sachez qu’il s’agit là de ma dernière offre. Ensuite… ensuite, je me retire et vous n’ignorez pas ce que cela signifie.

L’oreille collée au plancher, le garçon avait frissonné à l’écoute de ces dernières paroles. Plus encore que le sous-entendu, ou bien encore le ton, il avait eu l’impression d’un poids qui l’aurait broyé, une présence qui l’aurait étouffé.

— Bien sûr, soupira son père, soulagé de le voir revenir. Toutefois, je suppose que…

— Oh, non ! le coupa l’étranger. Vous vous méprenez. Je vous ai expliqué que je saurai me montrer généreux, ainsi ne retirerai-je rien de mon offre précédente. En échange, je ne vous demanderai qu’une toute petite, au moins aussi insignifiante ; son visage.

— … son visage ! s’exclama sa mère.

— Oh ! Très chère amie. Qu’allez-vous donc vous imaginer ainsi ? Je ne parle pas de sa figure de chair et de sang. En plus d’être extrêmement douloureux, il ne ressemblerait plus à rien, sinon un squelette grimaçant. En plus, je ne saurai qu’en faire ! Non ! Non ! Je parle de manière symbolique, son masque social, ou sa persona si vous préférez ; une simple image de lui, à la manière d’un portrait.

Visiblement soulagé, il entendit son père soupiré.

— Fort bien ! Ainsi donc, nous nous retrouverons dans trois jours, le temps pour vous de réfléchir à mon offre. Cependant, ne tentez pas encore une fois de me tromper ou il vous en cuira.

Sur ces mots, il replaça les lames de bois et se précipita à pas feutrés vers le miroir.

— Enfant ! Enfant ! Enfant des miroirs ! Viens à moi, car j’ai besoin de toi !

— Je t’entends ! Que veux-tu de moi ?

— Ce soir encore le diable s’en est venu et il était furieux. Il pense que mes parents l’ont trompé. Toutefois, il leur a proposé, en échange de ma persona, la fortune et la gloire promise.

Dans le miroir, le visage de l’enfant s’assombrit.

— Quand doit-il revenir ?

— Dans trois jours, ainsi qu’il en a toujours été.

— En ce cas, demain tu t’en iras chez le cordonnier et tu en ramèneras des chutes du plus beau cuir ; chez le forgeron, tu lui réclameras de magnifiques tournures de son plus bel acier ; chez le menuisier des copeaux de son bois le plus dur ; enfin chez le tapissier des clous les plus fins. Ensuite, tu me les confieras et je confectionnerai un masque que tu revêtiras à la place de ton visage. T’en sens-tu capable ?

En face, le garçon acquiesça et le remercia.

— Ne dis rien et va donc te coucher ; demain sera une longue journée.

En effet, le lendemain matin, au grand étonnement, mais aussi au soulagement de ses parents, il exprima le souhait de se rendre en ville afin de rassembler de quoi se confectionner un masque pour le carnaval. Une fois sorti, il se rendit d’atelier en atelier où tous lui cédèrent volontiers un peu de leur matière : du cuir chez le cordonnier, de l’acier chez le forgeron, du bois chez le menuisier, des clous chez le tapissier. Le soir, après qu’il fut rentré et qu’il eut dîné, il s’enferma à double tour dans sa chambre. Assis devant le miroir, il murmura :

— Enfant ! Enfant ! Enfant des miroirs ! Viens à moi, car j’ai besoin de toi !

— Je t’entends. As-tu apporté ce que je t’ai demandé ?

Pour toute réponse, le garçon lui confia le cuir, l’acier, le bois et les clous, ainsi qu’il l’avait réclamé. Grave, l’enfant les prit, puis fixa son reflet de l’autre côté du miroir.

— Reviens demain, au coucher du soleil ; je te le remettrai. Cependant, as-tu conscience de ce qu’impliquera l’échange de ta persona contre ce masque ?

Silencieux, le garçon regardait son double, puis baissa les yeux.

— Oui ! En te la confiant, tu deviendras moi, je deviendrai autre et alors il me faudra partir et te chercher, afin de te reprendre ce que je t’aurai donné.

— Alors, il en sera ainsi. Demain au coucher du soleil, je te la remettrai et le diable s’en viendra.

Dans la pièce, la lumière s’assombrissait et bientôt, ils ne furent plus que deux silhouettes, baignés dans une lueur opalescente et glacée. En bas, dans le salon, deux adultes se réjouissaient ; ces histoires d’ombres et de persona n’étaient que des superstitions. Le lendemain, alors que le soleil embrasait les cieux, l’enfant achevait de façonner un masque de bois, de cuir et de métal. Enfin, le garçon l’appela :

— Enfant ! Enfant ! Enfant des miroirs ! Viens à moi, car j’ai besoin de toi !

— Je t’entends ! Ainsi que tu me l’as demandé, j’ai réalisé ce masque. Maintenant, approche-toi et surtout ne crie pas lorsque je te l’ôterai ; je suis Spegbarn, l’enfant miroir..

Raide, le garçon colla sa figure contre le miroir et ferma les yeux tandis qu’il sentait les doigts de son reflet courir dessus. Les mâchoires serrées, il ne cilla pas lorsqu’il sentit sa peau se décoller, non plus quand il lui cloua la fausse persona. Dans le miroir, l’enfant tenait entre ses mains son visage, cependant qu’en bas lui parvenaient des voix.

— Encore une chose, murmura l’enfant au garçon. Avant que nos chemins ne se séparent, je désire que tu conserves un souvenir de moi. Ce n’est pas grand-chose, mais cela te protégera. Porte-le autour de ton cou, ainsi jamais tu ne le perdras.

Les yeux baissés, il découvrit, au creux de sa paume, un minuscule éclat noir, brillant comme un miroir.

— Merci.

Mais dans la psyché, l’enfant était déjà parti ; il n’y avait plus que lui, lui et son visage contrefait, si semblable à celui qu’il possédât autrefois.

Dans le salon, les voix s’élevaient et le ton se durcissait. Il attrapa alors une vieille chaîne que ses parents lui avaient offerte, en récompense de son prix d’excellence en composition. Suspendue au bout, une médaille dorée, à la surface de laquelle étaient gravés ses mérites, tournoyait doucement. Sans perdre un instant, il ouvrit le fermoir, jeta le pendentif et glissa à la place l’éclat noir, avant de le passer autour de son cou. Déjà, il entendait les bruits furieux des pas de son père qui montait, quatre à quatre, les marches de l’escalier, suivi de sa mère, dont les vociférations s’élevaient crescendo. La main sur la serrure, il effleura du bout des doigts la clé et la tourna d’un coup sec. Derrière la porte, résonnait, de plus en plus proche, le staccato des chausses sur le plancher tandis que des cris hauts perchés emplissaient l’atmosphère de leur clameur. À reculons, il s’éloigna en direction du miroir, cependant qu’il se saisissait de son baluchon, garni de ses maigres possessions. Du coin de l’œil, il aperçut son visage et dans sa poitrine son cœur de métal se serra ; de l’autre côté, le panneau s’entrebâillait. Sur le seuil, ses parents le contemplaient, horrifiés par la vision qu’il leur offrait.

— Où est mon fils ? hurla son père.

— Devant toi, père ! s’exclama-t-il.

— Ainsi qu’il en fut toujours, ajouta-t-il d’une voix sourde, la main posée sur la surface glacée.

Sous ses doigts, le verre était devenu une substance molle. Au fond, l’enfant l’attendait, il le savait.

— Hélas, il fallut que le diable s’en mêle pour que tu t’en souviennes, murmura-t-il comme il franchissait la frontière imaginaire ; sa main gauche refermée sur son pendentif.

À peine eut-il plongé qu’une violente explosion retentit et il s’évanouit.


Texte publié par Diogene, 31 janvier 2020 à 18h52
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