Elle ne savait plus qui elle était réellement, ni ce qu’elle faisait là. Encore en vie alors que sa moitié reposait six pieds sous terre. Quel sens pourrait-elle donner à sa vie, maintenant ? Léxana, malgré sa jeunesse, se trouvait à un moment de la vie où une telle question paraissait évidente. Le destin s’était montré impitoyable avec eux, les séparant pour longtemps encore. Bien sûr, elle aurait pu choisir de rejoindre Guézar, mais la peur de mourir la tétanisait. Son heure n’était pas venue et elle le savait. Tout ce qu’elle pouvait faire, c’était souhaiter que Guézar foule les terres sacrées de Moch, appelées Moch’Alis. Moch était la déesse de la Mort, la protectrice des âmes. On disait qu’elle accueillait tout le monde dans son royaume : de la plus pieuse des âmes à la plus criminelle. Elle leur offrait à tous de laver leurs péchés pour l’éternité, de faire d’eux les âmes pures qu’ils n’avaient point été dans le monde des vivants.
Léxana leva les yeux au ciel et contempla l’étendue bleutée. Le soleil s’était invité à l’enterrement comme un indésirable trublion. Elle aurait préféré que le vent talantien se lève, que la pluie iodée s’abatte sur eux et partage ainsi sa tristesse. Ne possédant malheureusement pas le pouvoir de modifier les humeurs du ciel, Léxana dut se résoudre à supporter l’ardeur des rayons solaires. La température ambiante grimpait, et la sueur commençait à humidifier le tissu de sa tunique, au niveau des aisselles. Sensation détestable dont elle se débarrasserait une fois qu’elle rentrerait chez elle, dans leur appartement situé dans une tour d’Ozyane. Pour l’instant, elle se contentait de les voir défiler, tous ces hommes qui avaient partagé la vie de Guézar. Parmi eux se trouvait son assassin.
Pourquoi était-il allé à ce rendez-vous ? Depuis quelque temps, Guézar était devenu méfiant, sous-entendant fréquemment qu’on cherchait à lui nuire, que quelqu’un voulait même sa mort. Nombreuses étaient les fois où, elle lui avait dit qu’il nourrissait un délire paranoïaque et qu’à force de voir le mal partout, il deviendrait asocial. Malheureusement, Guézar avait supposé juste, peut-être parce qu’il en savait plus qu’il lui en racontait. C’est seulement le soir de sa mort que Léxana avait compris que ses doutes étaient à juste titre fondés. Avant de la quitter, il lui avait clairement fait comprendre qu’il connaissait son assassin. Et c’est sur cette demi-confidence qu’il l’avait abandonnée dans leur appartement. Seule. En proie à l’angoissante idée qu’elle ne le reverrait peut-être jamais.
Maintenant, elle le maudissait pour avoir tu un détail aussi important, car elle ne savait pas qui accuser, qui tuer pour venger la mort de son amant. Léxana lui en voulait pour tous ces silences, pour toutes ces fois où il avait feint de ne pas entendre ses questions la laissant dans l’ignorance. Même après deux ans de vie commune, elle n’était pas parvenue à s’habituer à cet hermétisme. À maintes reprises, elle avait imaginé que Guézar ne lui faisait pas confiance, toutefois c’était mal la connaître. Léxana savait garder un secret, et même sous l’emprise de la plus puissante des magies, elle serait capable de maîtriser sa langue. Mais elle comprenait maintenant que ces secrets, ces non-dits n’avaient fait, en fin de compte, que la préserver d’un univers qui ne devait résolument pas être le sien.
Guézar et « ses compagnons », comme il les définissait, évoluaient depuis leur plus jeune âge dans un monde dur, sans pitié pour les faibles et où les plus rusés pouvaient s’assurer une place confortable au sein de la mafia locale. Léxana avait rapidement deviné l’opinion de Guézar vis-à-vis de la culture dont elle s’abreuvait. Il suffisait de regarder son regard devant un livre, pour comprendre que le déchiffrage des caractères lui était inaccessible.
Souvent, elle s’était demandé ce qui l’avait attiré chez cet homme. Guézar ne cadrait absolument pas aux critères qu’elle avait définis pour choisir l’élu de sa vie. Toutefois, elle sut, dès l’instant où elle le vit, qu’il ne quitterait pas sa vie de sitôt.
Cet instant. Ce jour.
Le jour de leur rencontre ressurgit du fond de sa mémoire. Ce souvenir remontait à un peu plus de deux ans. Léxana, fraîchement émoulue de l’Académie Professorale d’Anthor, venait de poser ses valises à Ozyane pour remplir la fonction de professeur d’écriture et d’histoire au Collège Général. Elle avait quitté la capitale du Roi’Yaume, pour ce port situé à des milliers de kilomètres du nid familial. Grisée par l’éloignement et l’indépendance, elle avait immédiatement adopté ce port talantien et ses habitants qui ne ressemblaient pas à ceux de capitale. Les Non-Humains comme les Humains y étaient très différents. Cette dissimilitude résultait de la Paxa. Après « la guerre prophétique », les Humains comme les Non-Humains intégrèrent facilement cette idéologie qui proclamait au départ une entente cordiale entre les espèces, mais qui rêvait au brassage culturel et surtout sanguin, détail qui continuait d’enflammer les débats des têtes pensantes d’Anthor. Et malgré cette hostilité à l’égard de ce qui devait être, le brassage s’était développé bien plus rapidement qu’on ne se l’était imaginé à l’époque. Les semences humaines mêlées à celles des Non-Humains avaient donné naissance à des êtres « contre-nature » – terme qu’employaient les érudits Anthoriens. Mais Léxana s’était toujours insurgée contre ces idées rétrogrades. Le temps des querelles était depuis longtemps révolu.
Dès son arrivée à Ozyane, elle avait succombé aux charmes de cette population bigarrée. Chaque jour, en arpentant les rues d’Ozyane, elle découvrait de nouveaux visages, des faces où traits humains et non-humains se mariaient plus ou moins harmonieusement. Alors, elle s’amusait à déterminer l’origine des géniteurs. Les Non-Humains se composant d'une multitude d'espèces aux attributs parfois très surprenants, il était très difficile dans certains cas de déterminer la race qui s’était unie avec le parent humain.
Léxana s’était installée dans une petite chambre, située au deuxième étage d’une agréable pension. Celle-ci était tenue par une vieille femme, la veuve d’un marin. L’atmosphère conviviale et familiale qui y régnait lui rappelait le cocon familial lors de ses moments de cafard. Néanmoins, Léxana s’était faite à sa nouvelle vie, à ces nouvelles personnes qui côtoyaient son existence. Elle avait aussi pris l’habitude de rentrer de son travail à pied, et cela pour deux raisons : la première découlait de ses modestes revenus qui l’empêchaient ainsi de se payer un cheval ou les services d’un charretier, la seconde raison venait de sa curiosité, de son besoin d’observer les détails de la vie. Léxana remerciait ces deux raisons, car sans elles, sa détonante rencontre avec Guézar n’aurait jamais eu lieu.
C’était par une de ces longues journées d’hiver que l’on exècre par-dessus tout, un jour pluvieux et venteux. Elle avait terminé ses cours de bonne heure et, munie de son parapluie, elle s’était enfoncée dans le labyrinthe que dessinaient les rues. Elle avait emprunté « le chemin de la côte », le quartier peut-être le plus fréquenté de tout Ozyane. Mais, derrière cette charmante appellation, se cachait une glauque réalité. « Le chemin de la côte » était loin de désigner un joli sentier côtier. Derrière cette expression, il fallait imaginer le port, ses bars, ses marins empestant le sel et l’alcool, ses gagneuses plus ou moins jeunes et sa criée où les poissons côtoyaient les marchandises illicites issues de trafics et de pirateries. Personne, y compris les « Fouineurs », n’était dupe sur la nature plus que douteuse des transactions qui s’effectuaient sur les quais.
Bien que ce quartier soit peu recommandable pour une jeune fille de sa condition, Léxana ressentait comme un besoin vital d’y passer, de se plonger dans cet univers très particulier qu’elle ne retrouvait pas dans les autres quartiers de la ville. Frôler ces corps virils de marins fatigués par des mois de mer, par une sévère cuite et par des nuits de passion partagées avec l’une de ces catins qui l’insultaient sur son passage, était devenu une habitude quasi quotidienne.
Elle avait donc emprunté ce même trajet, essuyé les invitations à forniquer des marins saouls, les minauderies de quelques lesbiennes et les remarques acerbes de deux ou trois prostituées. Rien d’exceptionnel en somme. C’est seulement, en s’enfonçant dans une ruelle qu’elle connaissait bien, que sa vie avait basculé.
Comme toujours, Léxana prit la ruelle, l’étroit cordon ombilical qui reliait les quais à la rue des Vœux. Les yeux rivés au sol, la tête dans les nuages, Léxana n’était plus vraiment dans la réalité lorsqu’une flèche s’était fichée dans sa besace. Stupéfaite et effrayée, Léxana avait levé les yeux sur un spectacle violent. Une poignée d’hommes se battait à quelques mètres d’elle. Sa raison lui avait crié de rebrousser chemin, de trouver refuge sur les quais, mais physiquement, elle en avait été incapable. Son corps, tétanisé par l’angoisse, l’avait conduite à se retrouver au centre de cette mêlée. De ses yeux écarquillés, elle avait contemplé ce spectacle bestial où il était de toute évidence question de vie et de mort. Léxana vit un homme s’effondrer sur le sol, la lame d’une dague plantée dans le cœur et le visage défiguré par les coups de son adversaire. Devant cette scène, elle s’était sentie minuscule, fragile, mais paradoxalement, elle avait éprouvé une certaine excitation à regarder ces hommes.
Occupée à regarder ces combattants anonymes, elle n’avait pas vu l’archer bander son arc et décocher une flèche qui lui était destinée, à elle qui n’avait rien à voir avec cette altercation. Et lorsqu’elle avait senti le carré métallique lui effleurer la joue, et un bras qui enlaça sa taille pour l’entraîner dans le renfoncement d’un mur, Léxana s’était imaginée au dernier de sa vie. Plaquée contre les briquettes glaciales et humides, elle s’était laissé réchauffer par la chaleur de ce corps qui se pressait contre elle. Ce contact physique, les cris sauvages, tout ce contexte l’avait tellement bouleversé. Elle se souvenait encore de l’état dans lequel elle avait été. Physiquement et psychologiquement, Léxana s’était muée durant ces quelques minutes en quelque chose de flasque. Son corps devenu aussi mou que de la gélatine lui avait paru privé de son squelette. Et malgré cet état fiévreux, Léxana avait pris le temps de détailler le profil de l’inconnu, de cet homme qui la protégeait avec son corps. Elle avait embrassé du regard les lignes fines et effilées de son nez aquilin et de son menton, avec un désir incompréhensible et injustifié pour ce profil. Malgré la jeunesse de cette peau hâlée, quelque chose de populaire se dégageait de ce visage, rien à voir avec les hommes qu’elle fréquentait habituellement. Il appartenait à cette racaille qui pullulait dans Ozyane, détroussant les honnêtes citoyens qui avaient le malheur de croiser sa route. Malgré cette certitude, Léxana n'était pas parvenue à détacher son œil de ce demi-visage et avait supplié la déesse Phédusia d’arrêter cette rixe pour qu’il tournât son visage vers elle. Son vœu s’était finalement exaucé. À cet instant, alors, elle avait su qu’il – cet homme dont elle ignorait encore tout – ne quitterait pas sa vie de sitôt.
Aujourd’hui, son cœur saignait, ses yeux pleuraient, toute sa personne était brisée. Son être, dans son entier, hurlait, criait, se tordait de douleur, et par-dessus tout, il réclamait vengeance.
Poignées de main et révérences obséquieuses se succédaient.
Pour Léxana, ce cérémonial durait depuis trop longtemps, parce qu’elle ne se sentait pas à sa place parmi ces visages, parmi ces hommes et ces femmes qu’elle ne connaissait que de vue. Tous travaillaient avec Guézar. Tous travaillaient pour un homme. Oberacht était son nom. À Ozyane, les riches comme les pauvres lui devaient de l’argent, communément appelé « gage de tranquillité ». En versant cette somme, chaque Ozyanien était assuré de couler des jours heureux. Ainsi, au début de chaque mois, les sbires d’Oberacht allaient de maison en maison pour prélever cette assurance pour une vie heureuse, et ceux qui osaient braver la loi d’Oberacht étaient soumis à quelques tortures supposées leur remettre la tête à l’endroit. Personne n’était dupe. Ses activités illégales, sa grande fortune et sa cruauté assuraient à Oberacht une position plus que confortable dans la cité. Les « Fouineurs » – réputés pour leur ténacité – devenaient totalement aveugles lorsque les affaires, qu’ils traitaient, étaient étroitement liées à Oberacht.
Léxana n’avait rencontré Oberacht qu’une seule fois et cela lui fut suffisant pour le haïr. Elle détestait l’homme dans son entier. Il étalait les plis de son obésité avec une telle répugnance qu’on en éprouvait de la nausée, et cette expression de dédain qui ne quittait pas son visage bouffi l’avait ulcérée. Mais, elle le maudissait surtout pour avoir déteint sur Guézar et pour avoir condamné une si belle ville à vivre dans la peur. Il aurait pu se contenter de gouverner les quais. Mais non, il lui avait fallu tout Ozyane. Heureusement, Guézar ne l’avait jamais contrainte à subir la présence d’Oberacht ; peut-être, parce qu’il n’aimait pas voir sa vie professionnelle interférer dans sa relation avec elle.
Durant ces deux années d’amour, chacun avait tu les détails de son travail, même si parfois l’envie de poser des questions avait démangé Léxana.
– Mademoiselle… Vasnar ?
– Euh… Oui.
Un homme, à la maigreur presque squelettique, se tenait devant elle. À son long nez, Léxana devina qu’il s’agissait d’un « Fouineur ». Il était connu de tous que l’Académie Fouineuse choisissait ses recrues en fonction de leur pif. Plus le candidat en possédait un long, et plus il avait de chance d’intégrer les rangs de la célébrissime institution. Mais cette renommée avait un prix : le mépris du reste de la population. Un « Fouineur » était un espion, un enquêteur qui ne faisait généralement pas de cadeaux aux habitants qu’ils soient Humains ou Non-Humains.
– Je me présente, Chef Fouineur Pinsec.
Sa voix nasillarde empruntant un ton supérieur eut raison de la tristesse de Léxana qui se retint pour ne pas pouffer de rire. Il paraissait si ridicule, mais se moquer de lui signifiait aussi la prison. N’importe quelle raison suffisait aux « Fouineurs » pour incarcérer les gens.
– Que fait un Chef Fouineur à l’enterrement d’un inconnu ? lui demanda-t-elle.
– Pas si étranger que cela, votre ami Guézar ! Il était bien votre intime, n’est-ce pas mademoiselle ?
– En quoi cela vous regarde-t-il ? fit Léxana froidement.
– Guézar a bien été assassiné, et tout meurtre est confié à nos soins. Auriez-vous oublié ce détail ?
Léxana pencha la tête en avant et regarda ses pieds nus, enlacés dans les lanières de ses sandalettes. Son silence trahissait que trop bien ses pensées, et elle en avait conscience, mais pourquoi chercher à mentir à un « Fouineur » ? Ces types possédaient l’odorat le plus développé, le plus à même de flairer les mensonges et les histoires louches. Bien que repérables à des mètres à la ronde, les « Fouineurs » n’avaient guère besoin d’être à vos côtés pour comprendre que vous prépariez un coup tordu.
– Je souhaiterais vous interroger sur la ou les raisons de sa mort.
– Je… euh… Je ne suis pas disposée à vous répondre. Le moment est plutôt mal choisi, Chef Fouineur Pinsec. Voyez par vous-même, nous sommes à l’enterrement de Guézar.
Le « Fouineur » toussota, gêné d’être remis à sa place par cette jeune femme et présenta ses plus plates excuses.
– Mon intention n’était pas de vous blesser, mais comprenez-moi… Sa mort ne me fait ni chaud ni froid. Guézar n’était pas tout rose, comme son assassin, d’ailleurs. Et j’ai besoin de votre aide pour le choper.
– Veuillez me laisser tranquille ! menaça Léxana. Je ne vous serai pas d’une grande aide.
– J’en doute. Mais par respect, je n’insisterai pas davantage… aujourd’hui, parce que je ne vous lâcherai pas de sitôt.
Il allait s’éloigner lorsqu’il fit brusquement volte-face. Il colla son immense tarin contre le visage de Léxana et dit :
– Au fait, méfiez-vous du « gros bouffi » qui vient vers ici. Guézar travaillait pour lui.
Léxana regarda dans la direction que lui indiquait le nez du « Fouineur » et vit Oberacht qui approchait de son pas lent et chaloupé. L’envie de sourire picota la commissure droite de ses lèvres.
Lorsqu’elle retourna la tête, le Chef « Fouineur » avait disparu.
– Mademoiselle Vasna’, je pa’tage vot’ peine. Guéza’ était comme un fils pou' moi.
Comme tous les Ozyaniens d’origine, Oberacht avalait les « r », ce qui rendait parfois la compréhension difficile. Avec le temps, l’oreille de Léxana s’était familiarisée avec cette accentuation et suivait sans mal toute conversation avec un Ozyanien.
– Guéza’ m’a souvent pa’lé de vous, en des te’mes t’ès élogieux.
– C’est étonnant, parce que Guézar n’était pas du genre à se confier, rétorqua Léxana, vexée d’avoir été le sujet de conversation de ces hommes, alors que Guézar avait toujours soigneusement évité de lui parler de ses collègues et d’Oberacht.
– Oh ! Il ne s’étendait jamais en de longues ti’ades, fit-il en souriant. Mais ces maig’es détails nous pe’mettaient de mesu’er la passion qui l’animait.
Léxana commençait à perdre patience en l’écoutant déverser ses paroles nappées de miel; le tout sonnait tellement faux et ne cadrait pas avec ce visage aux traits flasques et vicieux.
– Si vous n’y voyez pas d’inconvénient, je souhaite demeurer seule, déclara-t-elle rapidement coupant Oberacht dans son élan.
Le « gros bouffi » comme l’avait nommé le Chef « Fouineur » Pinsec hocha la tête en guise d’adieu, et claqua des doigts. En quelques secondes, les environs de la tombe furent désertés. Le chef venait de parler – d’un simple geste – et tout le monde avait décampé, soumis aux ordres, à la seule volonté de ce ballon de baudruche.
Enfin seule !
Léxana soupira de soulagement. Elle plongea son regard dans le trou rectangulaire où gisait le corps embaumé de Guézar. Étrangement, à la vue du corps emmailloté dans ses bandelettes, Léxana ne ressentit rien. Elle ne versa aucune larme comme s’il ne lui restait plus de liquide lacrymal, comme si ces derniers jours de profonde tristesse avaient asséché à tout jamais son cœur. Elle regarda presque avec indifférence le trou béant se remplir un peu plus à chaque pelletée jetée par deux types, des fossoyeurs employés par le Funérarium.
À ce moment-là, elle leva ses grands yeux verts et les vit : une vieille femme et un chat noir. Immobiles comme deux statues, ils la fixaient avec une insistance surprenante, si bien que Léxana en éprouva un certain malaise. Intriguée, elle les dévisagea avec cette certitude de les avoir déjà vus; cependant, quelque chose l’empêchait de dire où et quand sa route avait croisé celle de ces deux étranges créatures. Le visage fripé de la femme était singulier ; il ressemblait à celui d’un chat ! Léxana, éberluée, se concentra sur ces traits usés, sur cette bouche étroite cernée par des ridules, sur ces pommettes proéminentes et couperosées, sur ce nez aplati et sur ces yeux en amande d’un vert jaunâtre. Ce visage félin ne faisait que corroborer l’étrange rumeur concernant l’existence d’une secte dans les environs. Les on-dit l’appelaient « La secte des chats » et racontaient que des félins, au comportement humain, avaient élu domicile dans les ruines du temple Phédusien d’Ozyane, et que la nuit venue, ils descendaient tous en ville pour s’abreuver du sang des Humains et des Non-Humains qui se trouvaient dans leur sillage. D’autres histoires affirmaient qu’une étrange créature les gouvernait, mais Léxana avait toujours prêté une oreille distraite et amusée à toutes ces balivernes. Mais cette vieille femme s’apparentait tellement à l’espèce féline qu’elle accorda soudain crédit à ces histoires. Seulement, il fallait qu’elle sache, qu’elle la voie de plus près, qu’elle la touche si possible, pour en être finalement sûre.
Décidée à éclaircir tout cela, Léxana avança d’un pas, mais un vertige s’empara de ses sens. Le cimetière ondulait autour d’elle. Et malgré ses efforts pour inspirer, Léxana ne parvenait plus, lui semblait-il, à respirer normalement comme si une force invisible lui vrillait le cerveau et obstruait ses poumons. Cependant, la voix nasillarde d’un des fossoyeurs lui parvenait clairement.
– Vous vous sentez bien, ma petite dame ?
Léxana ne répondit rien.
– Vous dev’iez pas ‘ester ici, continuait le type. C’est pas bon de s’to’tu’er ainsi. En plus la pie’e tombale se’a pas posée avant une semaine.
Léxana ne sentit pas l’homme la prendre par la main et l’obliger à s’asseoir sur une pierre, faisant fi des convenances à l’égard du mort, enterré à cet endroit. Et lorsque sa vision lui revint, Léxana posa ses grands yeux étonnés sur les deux fossoyeurs qui la dévisageaient avec un sourire indulgent. Le souvenir de la vieille femme et du chat ressurgit alors et elle tourna la tête vers l’endroit où s’étaient tenus les deux intrus, mais il n’y avait plus personne. Léxana pesta intérieurement et demanda aux fossoyeurs :
– Vous n’auriez pas aperçu la vieille femme et son matou ?
Mais les deux bougres secouèrent mollement la tête comme si l’information ne parvenait pas à atteindre leur cervelle. Jugeant qu’il ne servait à rien de rester là, Léxana se releva, refusant avec brusquerie l’aide que lui offrait le duo, et s’en alla sans même jeter un dernier coup d’œil à la tombe.
Deux semaines déjà que Guézar reposait sous terre, dans ce cercueil rutilant que le responsable du Funérarium lui avait vanté avec beaucoup d’entrain, comme s’il était question d’un vulgaire objet. Maintenant, elle devait à nouveau faire face aux réalités de la vie et entreprendre un grand nettoyage dans son existence, oublier ce qui avait été et construire le futur. Cependant, sa plus grande résolution était de ne plus retomber dans les pièges de l’amour, de ne plus succomber aux charmes d’un bel et dangereux inconnu. Seule, dans ses projets, persistait l’image de la vieille femme aux airs de félin et du matou noiraud.
Léxana avait rapidement repris l’enseignement au collège, ainsi que des travaux de recherches pour l’université. Bizarrement, Léxana concentra ces derniers sur “la secte des chats”. Elle avait besoin de savoir si une telle société secrète existait à Ozyane. Un de ses collègues qui se prénommait Oswald s’associa à son travail avec un entrain qui avait pour vertu de la stimuler lors de ses baisses de moral. Leurs travaux finirent malheureusement par stagner, et l’université, ne voyant aucune preuve arriver, ne leur versa plus de subventions. Léxana et Oswald se retrouvèrent seuls, abandonnés avec leurs convictions. Démoralisée, Léxana replongea dans un état dépressif et repensa de plus en plus souvent à Guézar. Il lui arrivait même de voir la vieille femme et le chat au détour d’une rue. Elle se mettait alors à courir, en vain, car il n’y avait jamais personne.
Un jour pourtant, son destin bascula à la suite d’un étrange incident.
Elle venait de donner son dernier cours de la journée. Peu motivée à rentrer directement chez elle, Léxana décida de flâner sur “le chemin de la côte”, de s’immerger une nouvelle fois dans la foule des quais. Marchant d’un pas lent, savourant la douce chaleur des rayons sur sa peau, Léxana ne modifia pas son habituel trajet. Elle n’avait pas remarqué qu’on la suivait et continua d’avancer aveuglément comme si son corps agissait seul, refusant à son esprit de le guider. Léxana arriva alors dans la ruelle, celle où elle avait rencontré Guézar. Ce souvenir réveilla en elle un sentiment nostalgique, heureux et triste. Il lui rappelait aussi qu’elle ne s'était pas recueillie sur la tombe de Guézar depuis plusieurs semaines. Comme s’il n’avait jamais appartenu à sa vie. Submergée par les images du passé, elle n’entendit pas les pas derrière elle.
Un timide rai de lumière caressait sa joue. Seule source lumineuse dans cette obscurité. Léxana était allongée à même le sol, les pieds et poings solidement liés. Encore ébaubie, Léxana bougea la tête pour essayer de distinguer un détail qui pourrait expliquer cette inconfortable position. Mais ses yeux ne se familiarisaient pas avec l’obscurité, et elle se prit à envier la vision nocturne des chats. Sachant qu’elle n’arriverait à rien, elle ferma les yeux, abandonnant son esprit à la douleur lancinante qui palpitait au niveau de ses poignets et de ses chevilles. La personne qui l’avait ligotée n’y était pas allée de main morte, se disait Léxana qui commençait à gigoter d’impatience. À chaque mouvement, la corde mordait un peu plus sa chair. Des larmes causées davantage par la douleur que la peur inondaient ses yeux. Pour quelle raison la traitait-on ainsi ? Que lui voulait-on ? Les questions se bousculaient dans sa tête engourdie par la douleur diffuse au niveau de sa nuque. On l’avait assommée et cette idée l’angoissait et ne faisait que confirmer l’hypothèse qu’on cherchait à lui nuire. Léxana ne possédait aucun souvenir, mis à part celui où elle marchait dans la ruelle. Un trou noir dans sa mémoire suivait cette dernière image. Léxana était terrorisée à l’idée de devoir vivre avec un espace vide dans sa mémoire, un trou qu’elle ne comblerait jamais. Cette confusion, cette incompréhension étaient tellement anxiogènes qu’elle ne prêta aucune attention aux pas feutrés qui évoluaient près d’elle. Et lorsqu’elle sentit quelque chose de vivant se plaquer contre ses jambes, elle hurla de terreur, un cri d’horreur qui n’eut cependant aucun effet répulsif sur la présence qui continuait de se mouvoir doucement contre son corps. Un ronronnement répondit à l’inquiétude de Léxana qui n’en fut pas moins rassurée. L’animal se rapprochait de sa tête. Désormais, il se frottait contre son dos et lorsqu’il arriva à sa nuque, il se dégagea pour contourner sa tête et alla s’asseoir cinquante centimètres plus loin, à la frontière entre la lumière et l’obscurité.
Le chat noir se tenait devant elle.
– Tiens, tiens ! Te revoilà minou ! Où est ta maîtresse, dis-moi ? Je sais bien que tu es incapable de parler, mais tu me parais intelligent comme un Humain. Tu n’es pas comme les autres chats. C’est comme si un Humain était logé en toi.
Léxana détailla la créature et ne put s’empêcher d’éprouver de la peine en remarquant sa maigreur presque famélique. Léxana plongea ses yeux dans ceux du chat, deux gigantesques pupilles rondes d’un jaune étincelant. Il lui jetait un de ces regards qui vous dénudent, pourtant Léxana ne ressentait aucune gêne à être ainsi détaillée, tout simplement parce que ce regard lui semblait familier.
Pendant qu’elle réfléchissait et fouinait dans les tiroirs de ses souvenirs, le chat abandonna sa position statuaire et se rapprocha, de sa démarche chaloupée, pour laper le front de Léxana avec sa délicate langue légèrement râpeuse.
Une piqûre dans la fesse arracha à Léxana un couinement de surprise.
Le noir à nouveau envahit son esprit.
–Guézaaaaaaaaaaaaaar !
Le prénom de son défunt amant sonna comme un cri de désespoir. Un coup sourd fit écho et Léxana n’eut aucun mal, malgré son esprit embrumé, à deviner que son voisin du dessus l’avait entendu hurler. Les larmes labouraient ses joues jusqu’au menton.
– Guézar, répéta-t-elle à voix basse.
Ses yeux embués l’empêchaient de voir, de se rendre compte qu’elle avait réintégré son appartement. Elle mit un temps avant de se libérer de son chagrin. Elle frotta ses yeux, et c’est seulement à cet instant que Léxana réalisa qu’elle n’était plus prisonnière. Un instant, elle crut que tout cela n’avait été qu’un cauchemar. Mais en baissant ses yeux sur ses poignets, elle découvrit des meurtrissures. Sa séquestration avait été bien réelle. Sa nuque aussi lui faisait mal. Elle passa sa main sur ses cervicales et sentit sous ses doigts une bosse et une croûte de sang séché.
Elle jeta un coup d’œil sur les aiguilles de la pendule, suspendue au mur. Elles indiquaient seize heures passées. Intriguée, Léxana s’assit au bord du lit, se pencha en avant, et scruta le sol. Elle se souvint du chat qui l’avait dévisagée dans le noir. Ce chat…
– Mais bien sûr ! Le tatouage de Guézar. Pourquoi n’y ai-je pas pensé plus tôt ? J’aurais dû faire le rapprochement depuis longtemps.
Léxana se remémora le tatouage. Impressionnant de réalisme, il s’étendait au-dessus du téton gauche de Guézar. Noir comme le charbon, le félin était assis au cœur d’une mer de verdure.
Cette découverte donnait un nouveau souffle à ses recherches. Cette femme, ce chat et Guézar semblaient liés, mais des détails lui échappaient encore. Il fallait qu’elle voie Oswald, qu’elle partage avec lui ses suppositions. Elle se leva et s’étira. Une douleur au sein gauche lui arracha une grimace. Elle passa la main sur sa peau et sentit un relief dur. Elle se posta devant le miroir. Son souffle se coupa. Ses yeux s’agrandirent démesurément, alors que sa bouche dessina un O, sans qu’aucun son n’en sorte pour autant, car la surprise la laissait aphone.
Quelqu’un avait eu l’audace de lui tatouer un chat, identique à celui de Guézar. Des larmes de colère montèrent à ses yeux, et prise d’une soudaine crise d’apoplexie, Léxana se laissa glisser à même le plancher de sa chambre. Elle ramena ses jambes contre elle et, roulée en boule, elle déversa un torrent de larmes. Longtemps, elle était restée ainsi. Paralysée par son chagrin, elle ne sentit pas le chat s’allonger sur ses pieds, et lorsqu’elle remarqua sa présence, Léxana sursauta. Cette fois-ci, il avait les yeux clos. Dormait-il ? Dépassant sa crainte pour les félins, elle glissa ses doigts dans le pelage charbonneux de l’animal qui ne broncha pas. Quelqu’un ricana tout à coup dans son dos. Léxana bondit sur ses pieds, bousculant le chat qui trottina jusqu’à sa maîtresse. La vieille femme se tenait dans l’encadrement de la porte.
– Je dois avouer que tu as bon goût en matière de fille, mon petit Guézar, lança la vieille femme.
Léxana n’en croyait pas ses oreilles. L’intruse avait appelé son chat Guézar.
– Je comprends votre désarroi, Léxana. Guézar est… comment dire… la forme réincarnée du Guézar Humain, celui qui a partagé votre vie durant deux ans.
– La secte des chats !
La vieille femme souriait.
– Mais pourquoi ? demanda Léxana en indiquant du doigt le tatouage sur son sein.
L’inconnue ne répondit pas immédiatement comme si expliquer la présence de ce dessin indélébile lui était difficile.
– Une fois morte, tu deviendras une des leurs. En donnant ton âme à la secte, tu vivras pour toujours, auprès de ton amant.
– Donnée ! Je ne vous ai absolument pas offert mon âme. Vous me l’avez volée ! fit Léxana avec une dureté dans la voix qui figea l’intruse et le chat.
Elle avait fait mouche.
Les traits de l’inconnue s’étaient tout à coup rembrunis, devenant menaçants. Avant de réaliser la menace qui planait autour d’elle, Léxana se retrouva avec une fléchette fichée dans son cœur. Elle pencha la tête et regarda son sang la quitter. Un jeu de lumière dansa devant ses yeux et son corps s’affaissa.
Elle cligna des yeux et découvrit, penchés au-dessus d’elle, la vieille femme et le chat. La première lui parut gigantesque, alors que le chat était à sa taille. Son champ visuel s’était modifié. La vieille femme lui caressait le flanc comme si elle avait été un animal, et ce contact diffusait une telle sensation de bien-être qu’elle en ronronna. Elle n’était plus humaine. En la tuant, la vieille femme avait fait d’elle une chatte.
L’arrivée de la nuit n’avait pas pour habitude de modifier l’intense bouillonnement qui caractérisait si bien Ozyane. Ils marchaient côte à côte, zigzaguant entre les jambes des badauds qui ignoraient leur présence, menaçant à tout instant de les botter. Il s’arrêta, lui lança une œillade entendue et passa le premier pour pénétrer dans un établissement où régnait une joyeuse ambiance. Des Humains et des Non-Humains buvaient, riaient, dansaient. Ils arrivèrent au pied d’un escalier. Il savait où il allait et elle n’avait qu’à la suivre. Ils bondirent, sautant d’une marche à l’autre avec souplesse. Arrivés sur le palier, ils trouvèrent une porte ouverte. Son compagnon entra dans la pièce le premier et se faufila derrière un fauteuil. Il s’arrêta et pencha la tête. Que regardait-il ? Elle se rapprocha et vit l’homme qu’un certain Chef “Fouineur” avait surnommé “gros bouffi”.
Son compagnon frotta sa tête contre la sienne et elle comprit ce qu’il attendait d’elle. Il sortit de sa cachette, elle lui emboîta le pas. Il miaula, elle l’imita.
– Minous ! Minous !
L’homme riait et claquait des doigts, cherchant manifestement à les appâter, et lorsque son compagnon bougea, elle comprit que son intention était bel et bien de laisser croire à cette baleine humaine que sa technique de séduction se révélait infaillible. D’un bond souple, d’une félinité propre à sa race, son complice se retrouva sur le ventre rebondi du “gros bouffi” et feula méchamment. L’individu hoqueta une dernière fois de rire, ravalant son amusement, comprenant – trop tard – que le chat ne lui voulait pas que du bien. Ce dernier feula de nouveau, arrondit son dos et hérissa ses poils. Alors, elle vit un liquide rouge et visqueux, jaillir sous les pattes de son fidèle compagnon. Du sang. Une seconde, la peur l’envahit. Il venait de planter ses griffes dans la chair humaine, dans la graisse de son assassin. L’heure de la vengeance sonnait et il l’invitait de ce regard dur et impitoyable à le rejoindre, à participer à ce meurtre. Effrayée, elle ne broncha pas et le regarda labourer le corps de cet homme qui jadis l’avait soi-disant considéré comme un fils. Désormais, il était à leur merci, et quand elle décida de le rejoindre pour participer à ce massacre, l’homme respirait déjà avec difficulté et ne cherchait plus à les chasser. L’odeur du sang excita ses sens, éveillant chez elle une soif intense pour ce liquide rouge, épais et chaud. Elle s’attaqua, suivant l’exemple de son amant, au visage du “gros bouffi”, griffa les joues, planta ses griffes dans les yeux et griffa à n’en plus finir. À l’instant où ils surent qu’il ne respirait plus, ils l’abandonnèrent l’esprit léger. Ils laissaient derrière eux un cadavre mutilé, vautré dans un canapé qui avait pris la teinte sombre de son sang.
Le Chef “Fouineur” Pinsec détaillait la scène du crime, les sourcils froncés, une flamme étrange dans le regard. Dans toute sa carrière, il n’avait jamais vu un cadavre dans un si piteux état, et qui de surcroît devait sa mort à des chats. Le légiste le lui avait clairement dit : “Un ou des félins ont tué ce type.” Et il avait ajouté : “Si les chats continuent dans cette voie-là, nous sommes dans de beaux draps. Il ne se passe pas une semaine sans que j’autopsie une nouvelle victime des chats. Mais le cas d’Oberacht est le plus atroce.” Mais Pinsec avait sa propre théorie, ou plutôt les travaux de Léxana Vasnar lui avaient fourni suffisamment d’éléments pour croire qu’une secte des chats existât. De plus, la disparition suspecte de cette jeune femme ne faisait qu’éveiller davantage ses soupçons. L’enquête qui s’annonçait ne manquerait pas d’occuper ses jours comme ses nuits, et il s’en réjouissait d’avance.
L’air iodé chatouilla leurs moustaches. Ils échangèrent une œillade complice et se collèrent l’un contre l'autre, ronronnant et savourant leurs retrouvailles. En contrebas s’étendait Ozyane où des milliers de gens grouillaient, loin d’imaginer que des centaines de chats les épiaient. Un concert de miaulements s’éleva.
Derrière eux, la Gardienne des chats les contemplait, satisfaite d’avoir réuni Guézar et Léxana. Les Idoles étaient nées.
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