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"Oh bah tient ! V'la qu'y a un nouveau ! s'exclama le clown.

- Une nouvelle, s'il vous plaît.

- Ah, excusez moi, mademoiselle. On voit pas très bien par ici. Vous êtes quoi, au juste ?

- J'ai l'impression que c'est une princesse, commenta l'âne en plissant ses yeux.

- Je crois aussi, répondit l'intéressée. Je ne suis pas fan de la robe rose et des froufrous mais bon. Pas le choix, je suppose.

- Ah ça... répondit l'âne. J'aurais préféré qu'ils ne me collent pas le visage de travers ! Bienvenue parmi nous en tous les cas. Il faut dire que c'est la saison !

- Et comment tu sais ça, toi ? grinça le clown.

- L'autre jour, quand ils ont ouvert, j'ai eu le temps de voir le calendrier ! On était le 4 janvier. Vous avez fait vite, princesse. Du beau travail.

- Merci.

Dans un coin, une voix faible comme un cristal qui se brise prononça un bonjour furtif.

- Bonjour, hésita la princesse avant de se pencher vers le clown et de chuchoter : qui est-ce ?

- Oh, faites donc pas attention. C'est l'ancien. Il est là depuis... Rho, j'en sais rien moi. Pour sûr qu'il a connu le monde sans frangipane !

- Ah tout de même, s'étonna la princesse.

- De ce qu'on dit, c'était soit un chat, soit un gâteau. Nous on arrive pas à se prononcer. Et lui ne s'en rappelle plus, pensez-vous ! Pas de frangipane ! Imaginez l'âge du bazar !

- Donc, monsieur le clown, il y a bien un risque de se retrouver bloqué ici. Mon contact ne m'avait pas transmis cette information.

- Vous savez à qui vous avez parlé ?

- Il se disait être une amphore, affirma la princesse.

- Alors le gus est sûr. Plutôt réputé dans le milieu. L'âne l'a croisé par ici y a quoi ?

- Deux ans maintenant, fit l'âne. Si je peux me permettre chère amie, vous m'avez l'air fort bien conservée. Nul doute que vous ne moisirez pas ici.

- Et on attend longtemps ?

- Tout dépend des résultats, fit le clown. En général, on glande un an et on remet le couvert, si j'ose. On a connu des années où on était plus en forme et on pouvait te faire deux passages ! Mais c'est plutôt rare. Faudra prendre votre mal en patience, princesse.

La voix dans le coin dit quelque chose que personne ne comprit.

- Et on attend du monde ? reprit la princesse.

- Oh, on risque de recroiser des bouilles connues, mais ça fait toujours plaisir de voir de nouvelles têtes. C'était votre première sortie ?

- Je ne peux rien vous cacher, cher clown. C'était ma première fois. Je dois dire que je l'ai fait vraiment très scolaire.

- Comme nous tous. Vous verrez que les années passant, l'ennui vous poussera à improviser de nouvelles stratégies. Histoire de redonner un peu de piment à tout ça.

- Sans vouloir être indiscrète, vous en êtes à combien ?

- 37 à 35, récita le clown. Môssieur l'âne a eu la chance de commencer plus tôt que moi. Notre ami chat ou gâteau nous avait dit avoir dépassé la centaine, mais tout de même... On a du mal à y croire, hein ! Z'avez de la chance d'être une princesse en tout cas. Fin je veux dire, les bras, c'est toujours pratique. Pour se bloquer, comprenez ? Lorsqu'on est un smiley, c'est quasi foutu !

- Mais alors, comment l'amphore fait-elle pour s'en sortir ?

- Voulez que j'vous dise ? J'en sais fichtre rien."

Le clown haussa ses épaules. Derrière eux, des bruits sourds résonnaient à travers les parois, des sons métalliques à en grincer des dents, une voix grave d'homme à laquelle répondait celle d'un autre, plus légère, moins mature. La princesse tendit l'oreille et ne put se départir d'un sourire fier.

"Je crois qu'ils commentent mes méfaits. C'est lui le fameux Régis ?

- Légiste. L'erreur est courante, on entend mal quand on est dans la pâte pas vrai ? ricana le clown. Tout le monde l'appelle Régis. Mais oui, c'est bien lui. Il viendra nous faire la causette en fin de journée.

- Je dois dire que je peine à comprendre... dit la princesse.

- Parce que y a rien à comprendre, ma bonne dame ! Notre Régis légiste est déjà zinzin de découper de la viande plus fraîche toute la journée, alors nous parler à nous, pourquoi pas ?

- Mais à quoi lui profite...

- A rien, coupa l'âne. Le légiste est un agent du chaos, comme nous l'appelons. Il sert la Légion dans le seul but de répandre la mort, pour son amusement personnel. Il n'en tire rien, si ce n'est une charge de travail supplémentaire.

La princesse parut perplexe. Elle écouta à nouveau à travers les murs, la conversation continuait, mais les bruits de métal avaient cédé leur place au silence.

- Il doit recoudre. Vous êtes allée en profondeur ?

- Une bonne quinzaine de centimètre. Très scolaire je vous l'ai dit. Et ces méthodes dont vous me parliez ? Pour, disons, varier les plaisirs ?

Une lueur lugubre parcourut les yeux du clown. Il sautilla pour ne se trouver qu'à quelques millimètres de la princesse.

- La prochaine fois, vous restez bien tapie dans la frangipane. Si vous êtes arrivée jusqu'à nous, c'est que vous savez éviter les coups de couteau qui pourraient trahir votre position. Mais c'est plus difficile de se cacher dans un petit morceau, croyez-moi ! Surtout avec ces tarés qui te sépare tout à la cuiller. Eux, on peut pas les sentir.

- Vous digressez.

- Ouais, pardon. Alors, bien planquée dans votre morceau, vous attendez la mise en bouche. Et là, c'est parti. Visez les dents. De devant, celles du fond sont mastoc et peuvent vous fissurer. Si vous avez de la chance, vous faites sauter un joli bout d'incisive, vous le ramassez et ensuite, la procédure habituelle. Sauf que là, au lieu de descendre dans la trachée version classique, vous plantez votre bout de dent, et vous vous laissez tomber avec. Vous le sciez de l'intérieur ! Je suis même descendu une fois dans l'estomac, je vous parle pas du carnage que j'ai fait. Je vous parle pas de l'odeur non plus.

- Je vois. Et vous monsieur l'âne ?

- Je crois que je reste malheureusement partisan des méthodes classiques. Elles sont sûres. Mais je comprends notre ami le clown. Nous n'avons tout simplement pas la même patience.

- Pour sûr, couina le clown.

- Et donc, interrogea la princesse, ça se passe vraiment comme notre contact l'amphore me l'a dit ?

- Tout à fait, la rassura l'âne. Lorsque nous serons assez nombreux dans cette boîte, le légiste nous ramènera au boulanger, un autre agent du chaos, qui nous recachera, nous et les autres membres de la Légion, dans la frangipane. Vous êtes jeune, princesse. Le combat que nous menons est long, très long. D'autres cellules de la légion se créent quand d'autres sont démantelées. N'oublions jamais les camarades tombés au champ d'honneur."

La princesse frissonna. Elle avait entendu parler de ces humains qui vous rangeaient dans des boites de collections pour vous en extraire occasionnellement. Quel destin horrible ! Elle s'inquiéta pour ses camarades de promotion et espéra sans un mot qu'eux aussi réussissent leur tâche. La boîte s'ouvrit encore.

"Et bah dis donc, s'excita le clown ! De la porcelaine toute neuve ! Bienvenue, l'ami.

- On dirait un coq !

- C'est ce que je suis.

Il s'approcha de la princesse et lui fit un baisemain charmeur. Elle rit.

- Bienvenue dans la Légion, dit-elle.

- Que la frangipane tue, répondit le coq.

- Que la frangipane tue, chanta le reste du groupe."


Texte publié par Martin Montels, 15 janvier 2020 à 22h15
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