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Sur l'onde mourante - Morceaux épars
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volume 1, Chapitre 6 « Urgence café (Philotanus, Bélial) » volume 1, Chapitre 6

Il devrait en avoir l’habitude, pourtant. En vérité, il avait l’habitude. Combien de fois était-ce arrivé au cours de son existence depuis qu’il était devenu un démon, pour une raison ou pour une autre ? Il s’était résigné à ce que certaines de ses nuits fussent sacrifiées sur l’autel d’une excuse bidon. Pourtant, cela ne rendait pas les choses plus faciles, surtout avec un fessier aussi douloureux. La nuit avait été mouvementée et son amant n’avait pas été de main morte. Il avait aimé, mais pour quelles conséquences !... Autant dire que le timing était des plus mauvais.

Philotanus ouvrit les yeux avant de cligner des paupières. Les rideaux avaient été tirés si violemment qu’il avait du mal à s’en remettre. Son regard tomba sur un visage d’homme aux traits agréables, un visage bien connu pour être celui de son maitre. Ses épaules nues l’amenèrent à noter que la peau brune du torse musclé de Bélial luisait sous la clarté matinale et qu’il n’était donc vêtu que de son pantalon de nuit. Il grimaça. Il y avait pire comme vision au réveil, évidemment… mais avait-il réellement besoin de le réveiller en le secouant comme un prunier pour le fixer avec cet air catastrophé ? Il soupira avant de se frotter les yeux, mal réveillé, mais se retint de gémir. Il y avait des limites à ne pas dépasser, même pour lui qui n’était pas qu’un simple servant. Provoquer la colère de Bélial était la pire idée à avoir.

Un coup d’œil à ses côtés lui confirma que son amant de la nuit avait déjà disparu. Riche idée.

— C’est pour quoi, cette fois ? eut-il seulement le temps de marmonner car Bélial s’empressa de se plaindre :

— Il n’y a plus de café !

Philotanus redressa le buste pour s’asseoir, poussant Bélial à reculer, avant de glisser une main devant ses lèvres pour retenir un bâillement. Bélial ne le laissa pas prendre son temps ; il écarta les couvertures et, indifférent à la nudité de son lieutenant, il lui attrapa le bras pour le tirer et le forcer à se lever, les sourcils froncés.

— Debout ! Il n’en reste plus du tout et je n’en ai pas bu ce matin !

— Mais pourquoi ne pas l’avoir dit plus tôt ? Nous n’avons pas passé commande !

Il ne devrait pas en être étonné, Bélial avait cette mauvaise habitude de constater ce genre de choses à la toute dernière minute, quand il estimait la situation critique – et évidemment, c’était branle-bas de combat pour tout le monde, surtout lui. Philotanus retint une autre lamentation ; les mouvements brusques avaient ravivé les élancements douloureux au niveau de son bassin. La prochaine fois qu’il verrait Baphomet, il lui en toucherait deux mots. A cause de lui, il risquait de boitiller une bonne partie de la matinée !

Il n’eut pas le temps d’y songer davantage qu’un tissu lui fut jeté sur la tête, coupant net ses réflexions vindicatives. Il le tira pour reconnaitre une chemise blanche. Il se retourna et s’aperçut avec perplexité que Bélial se tenait devant ses placards ouverts et fouillait allègrement dedans, sans aucune considération pour sa vie privée. Une veste fut jetée sur le lit, suivie d’un pantalon.

— Je ne me suis pas encore douché et je n’ai même pas déjeuné ! geignit-il. Et puis vous êtes sûr que c’est ouvert, au moins ?

Bélial ne voulut rien entendre et fit taire ses protestations d’un regard glacial ; il s’attela à décrire ensuite ce qu’il désirait, soit le café habituel. Tout juste Philotanus eut-il le temps de s’habiller qu’il fût aussitôt mis à la porte de ses propres appartements. Les lèvres pincées pour retenir une remarque acerbe, il se retrouva propulsé dans l’antichambre sous le regard perplexe d’Enaia. La gouvernante haussa à peine un sourcil devant sa tenue un peu débraillée qu’il s’efforçait d’arranger. Araphyloménès n’était nulle part en vue et il en fut soulagé ; ne pas affronter ses moqueries enjouées pendant plusieurs jours serait plus qu’appréciable.

Bélial arriva dans son dos et se figea à sa vue.

— Tu es encore là ? Qu’est-ce que tu attends ? Vas-y au lieu de lambiner !

— Je finis de m’habiller, grogna Philotanus avant de disparaitre.

Ne jamais oublier à quel point Bélial devenait exécrable sans sa dose de caféine matinale. Cette habitude ne datait que de deux siècles mais elle était bien ancrée en lui à présent. Trop bien.

Il réapparut sur Terre, dans un endroit à l’abri des regards derrière un bâtiment désaffecté. Il en fit le tour. La boutique de l’artisan torréfacteur se situait à quelques centaines de mètres de sa cachette. Placée sur une colline dans une zone industrialisée en périphérie d’une grande ville française, un large panorama d’une succession de rues enchevêtrées et de bâtisses diverses s’offrait à ses yeux. L’aube était bien avancée mais il était encore tôt. Ainsi, le soleil était bas et le ciel déployait une succession de couleurs attrayantes. Il ignora le tout et se dirigea vers la boutique. La fatigue lui pesait sur les épaules et il ne nourrissait qu’un seul désir, se renfouir sous ses couvertures. Après une bonne douche et avoir jeté ses vêtements au linge sale.

Il passa la porte vitrée, accompagné par un tintement clair, et fut heureux d’observer qu’il n’y avait pas d’autres clients pour le moment. Le gérant l’accueillit d’un bonjour enjoué et il le rejoignit. Ils se serrèrent la main. Philotanus était un client régulier qui n’hésitait pas à mettre le prix pour avoir des grains de qualité, d’autant qu’il en commandait des quantités importantes. Le genre de client que l’on désirait continuer à satisfaire, donc.

— C’est un plaisir de vous revoir, monsieur Malendreau. Vous souhaitez passer commande ?

Philotanus soupira.

— En fait, je voudrais savoir si vous n’auriez pas du grain habituel en stock ?

L’artisan lui sourit avant d’acquiescer avec complaisance. Il en avait l’habitude.

— Laissez-moi regarder la quantité que j’ai en stock. Vous souhaitez… ?

— Tout, très certainement. Je vais passer commande au passage.

Comme d’habitude. Ils furent loin du compte mais au moins auraient-ils de quoi tenir le temps que la commande arrivât. Bélial aurait enfin son café ce matin.


Texte publié par Ploum, 12 mai 2020 à 17h56
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