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Sur l'onde mourante - Morceaux épars
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volume 1, Chapitre 3 « Galette en famille (Marie et sa famille, pré-récit » volume 1, Chapitre 3

— C’est moi qui aurai la fève !

— Non, c’est moi !

Marie observa les jumeaux se disputer avec un air désabusé, presque hautain. Du haut de ses huit ans, elle se sentait emprunte d’une maturité qui échappait à ses petits frères quand ils agissaient ainsi. Cela ne l’empêchait pas d’en penser moins qu’eux : si quelqu’un devait devenir le roi ou la reine du jour, c’était elle ! Cependant, elle ne le criait pas à tout bout de champ comme les deux garçons.

— Hugo, Cléandre, vous vous calmez, les sermonna leur mère en sortant la galette de la boite pour la placer dans le four. Sinon vous n’aurez pas de part !

— Quoi ? s’exclamèrent les deux garçons avec horreur avant de s’entreregarder.

Après quelques secondes, ils déterminèrent que ce ne pouvait être qu’une farce, alors leurs chamailleries reprirent. Marie se renfonça dans son siège avant de se boucher les oreilles, agacée par leurs jérémiades. Ils avaient une capacité pour embêter les gens... de haut niveau !

— Marie, sépare-les ! Je ne veux plus les entendre ! l’enjoignit sa mère depuis la cuisine.

— Pourquoi moi ? se plaignit la fillette avec une moue boudeuse.

Leur père était parti chercher leur sœur ainée, invitée chez une de ses amies pour son anniversaire – mais Marie savait qu’Anaïs avait insisté pour s’y rendre dans l’espoir de se lier d’amitié avec le garçon qui lui plaisait tant sans l’avouer. La traitresse. Elle l’avait abandonnée à son triste sort avec ces deux monstres !

Avec un soupir exagérément dramatique, Marie quitta sa chaise pour se rendre auprès de ses petits frères. Elle s’efforça de se donner une stature imposante mais sa silhouette maigre la fit échouer dans sa tentative. Elle se plaça ensuite entre les deux garçons mais cela ne les empêcha pas de continuer – une bonne chose pour elle, ils n’en étaient pas venus aux mains. Elle leur hurla dessus mais cela n’eut aucun effet, si ce n’était embrouiller davantage la situation et faire brailler leur mère en retour, épuisée par tous leurs éclats. Alors Marie se résolut à faire la seule chose qui parvenait à les calmer en toutes circonstances ; elle les quitta brièvement, les laissant à leur dispute, pour récupérer le livre d’images qu’ils aimaient tant dans leur chambre. L’épais volume entre les mains, elle revint vers eux et s’assit près d’eux en position du tailleur. Elle cala l’ouvrage entre ses genoux et l’ouvrit avec nonchalance, feignant de les ignorer. Cependant, alertes, ses frères la remarquèrent bien vite. Après quelques secondes, ils s’approchèrent, silencieux, jusqu’à s’asseoir face à elle sur leurs genoux, de sorte à pouvoir se pencher pour admirer des images qui les laissaient rêveurs. C’étaient tantôt des personnages de contes ou de légendes fantastiques qui défilaient sous leurs yeux, tantôt des forêts aux mille plantes enchanteresses ou étranges ; tantôt des ciels emplis de myriade d’étoiles et de nébuleuses, sur lesquels se découpaient des silhouettes d’enfants soufflant des fleurs ou d’adultes se démontrant leur amour ; et bien d’autres images encore, des images de mondes situés au-delà de la porte de leur maison, à l’extérieur ou dans le pays des rêves, des images qui, à leurs yeux, rendaient le présent et l’avenir plus beaux que ne le promettaient la monotonie des cours d’école ou du catéchisme.

Il ne fallut que quelques minutes pour que Marie perdît le contrôle sur les pages, le livre accaparé par les jumeaux. Ces derniers le feuilletaient avec entrain, les yeux agrandis d’excitation et de joie. Leur dispute était désormais derrière eux et même la galette, qu’ils dégusteraient dans une dizaine de minutes, avait été totalement effacée de leurs esprits. Ils ne virent pas le temps passer, mais le présent revint à eux lorsque la porte claqua, accompagnée d’éclats de voix.

— C’est nous ! s’exclama Anaïs avec entrain en pénétrant dans le grand salon.

— C’est étonnamment calme par ici, nota leur père en entrant à son tour.

Il sourit en voyant les trois cadets assis par terre ensemble, rejoints par leur ainée qui, par curiosité, jeta un coup d’œil sur ce qui les subjuguait tant. Elle reconnut le livre et se mordit les lèvres, amusée. L’arme fatale avait dû être sortie pour distraire les deux jumeaux. Elle n’en était guère étonnée. Elle se redressa puis traversa la pièce d’un pas léger jusqu’à atteindre le poste radio, qu’elle alluma. Elle n’eut pas besoin de faire davantage ; un CD était toujours à l’intérieur et la lecture reprit là où elle avait été arrêtée le matin-même. Un morceau s’éleva, doux et répétitif, presque mélancolique, dans lequel les instruments se suffisaient à eux-mêmes. Sur cet air, la fillette de dix ans gagna le fauteuil le plus proche et s’y vautra sans aucune grâce, ce que lui reprocha aussitôt son père, même si son air n’était pas si sérieux. Ils pouffèrent, amusés, tandis que Héloïse faisait son entrée dans la pièce, les mains sur les hanches.

— Je vois que vous vous amusez bien, par ici !

Anaïs et le père se tournèrent vers elle pour prendre un air coupable mais aucun des trois plus jeunes ne cilla à son arrivée ni à son intervention. Héloïse secoua la tête, amusée, avant de croiser les bras.

— Eh bien, alors… qui viendra m’aider à préparer la galette ?

Les trois plus jeunes levèrent brusquement la tête. Comme par magie, ils avaient enfin perçu sa présence.

— Pour la manger ? se réjouit Hugo, la voix pleine d’espérance.

Les plus âgés se mirent à rire.

— Tout le monde va en manger, pas seulement toi, rétorqua sa mère d’une voix faussement sévère. Mais avant cela, il faut préparer les parts.

— Et les distribuer ! s’exclama Anaïs avec entrain. C’est moi qui le fais !

— Non, c’est moi !

— Non, c’est moi !

Marie se retint de se frapper le front. Cette scène avait un goût de déjà vu, un peu trop proche à son goût. Et pourquoi sa sœur désirait-elle le faire ? Elle devait pourtant savoir que ce serait l’un des jumeaux qui finirait par avoir gain de cause, si ce n’était les deux – histoire de ne pas avoir de jaloux ! Avait-elle juste envie de les titiller un peu ?

Renaud, le premier, se leva pour aider sa femme. Leurs enfants vinrent peu après, attirés par l’odeur alléchante, mais les deux plus jeunes, taquins et excités, furent plus une gêne qu’autre chose. Bientôt, Héloïse apporta le gâteau tant attendu : une galette frangipane des plus traditionnelles, à la pâte feuilletée croustillante et dorée. Elle dégageait un délicat parfum d’amande. Tout, de l’odeur à sa simple vue, laissait présager du bonheur de sa future dégustation.

La mère ordonna le calme tandis qu’elle la posait sur la table. Les deux jumeaux se placèrent en-dessous pour désigner la destination des parts. Chacune eut droit à de âpres délibérations avant que les deux enfants ne parvinssent à se décider ; Marie se lassa vite de ce petit jeu. Faudra-t-il attendre la fin du jour pour enfin réussir à la manger ? Cependant, elle se retint de protester car leurs parents lui reprocheraient son impatience. Dans son esprit elle rêva qu’elle croquait déjà dedans, ce qui la fit saliver.

— Marie ! Tu rêvasses !

— Ca veut dire qu’elle ne veut pas sa part ! Je peux la manger alors ?

— Même pas en rêve, maugréa-t-elle, tirée de ses pensées.

Elle s’attaqua à sa part avec autant d’ardeur que les garçons. Les minutes suivantes furent partagées entre le plaisir de la dégustation et la fébrilité liée au désir d’avoir la fève. Un cri finit par retentir et avec dépit, les plus jeunes constatèrent que c’était Anaïs qui l’avait. Ce n’était qu’un petit âne couché sur le ventre comme celui de la crèche mais ils n’en furent pas moins déçus. Pendant que l’ainée était toute à sa joie et exultait d’être ainsi désignée reine du jour, les parents s’efforcèrent de consoler les trois autres qui s'étaient mis à bouder.

— Ce sera pour une prochaine fois ! les assurèrent-ils.

Les trois enfants se fusillèrent du regard. La compétition était déjà en place alors même que la prochaine galette n’était pas encore achetée.

— En attendant, c’est moi la reine et vous devez m’obéir ! s’enthousiasma Anaïs.

Cette affirmation n’enchanta aucun de ses frères et sœur, et à ses propos se succédèrent des plaintes et des lamentations. C’était bien connu au sein de la famille, Anaïs était une sadique, le reste de la journée laissait présager les pires tortures… C’était la pire situation sur laquelle ils auraient pu tomber !


Texte publié par Ploum, 19 janvier 2020 à 01h25
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