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tome 1, Chapitre 11 « Pourquoi les Sapins ont des Aiguilles » tome 1, Chapitre 11

En une lointaine contrée, deux souverains régnaient sur la nature sauvage : le roi de la Forêt et le roi de la Montagne. Les deux esprits rivaux se disputaient souvent la frontière mouvante entre leurs deux mondes. Mais un fait restait bien établi : tous les arbres appartenaient au roi de la Forêt, depuis les frêles noisetiers jusqu’aux chênes les plus robustes ; y compris ceux qui poussaient sur les pentes escarpées des plus hauts contreforts, comme les majestueux sapins, au magnifique feuillage bleuté, aussi doux et duveteux qu’un plumage. Car en ces temps lointains, ils possédaient encore des feuilles comme tous les autres arbres.

Pour prendre soin de son peuple végétal, le roi de la Forêt se reposait sur ses filles. L’une de leurs tâches principales consistait à faire jaunir et roussir les feuilles des arbres, puis de les aider à tomber, afin que la sève dans leurs blanches ralentît son cours avant que la froidure ne vînt les saisir. Chacune d’entre elles recevait pour mission de veiller sur une espèce en particulier : chênes, frênes, saules, ormes, peupliers, bouleaux… Minuscules, légères et éthérées, aussi fragiles que des papillons, elles volaient d’arbre en arbre avec leurs grandes ailes translucides pour faire respecter ce cycle immuable.

L’une d’entre elles, Satine, aimait à régenter les autres. Elle n’hésitait jamais à leur donner des ordres ni à les dénoncer à son père quand elles commettaient un acte susceptible de leur attirer une punition. Son attitude se révélait d’autant plus insupportable qu’on la voyait rarement à son poste et que ses sœurs devaient souvent assurer sa part de travail.

Quand elle réapparaissait, elle offrait toujours une bonne raison pour expliquer son absence ; malgré tout, les autres fées des arbres savaient que si on ne la trouvait pas en train de voler de feuille en feuille, c’était parce qu’elle paressait quelque part, cachée dans un tronc creux ou un buisson touffu. Pourtant, aucune punition ne s’abattait sur elle, sans doute parce qu’elle flattait son père à la moindre occasion :

« Père, si vous saviez comme je vous admire pour tout le travail que vous effectuez ! »

« Père, les feuilles de votre barbe n’ont jamais été aussi vertes ! »

« Père, votre stature est tellement majestueuse ! »

Le roi de la Forêt aimait à écouter ses propres louanges, aussi passait-il à sa fille sa paresse et ses absences inexpliquées. Si le reste de ses enfants osait protester, il mettait cette réaction sur le compte de la jalousie.

Satine finit par obtenir l’insigne honneur de s’occuper du plus beau des arbres : le grand sapin. Il nécessitait beaucoup de travail, avec toutes ses feuilles si fines, si souples et si légères. La fée paresseuse se vantait d’être la seule à posséder assez de talent pour remplir cette tâche. Elle s’était pompeusement affublée du surnom de « protectrice des sapins » et ne manquait pas de le dire à chaque personne qu’elle croisait. Pourtant, jamais aucune de ses sœurs ne la voyait à l’œuvre.

Plus l’année avançait, plus le froid hivernal se rapprochait… Toutes les petites fées travaillaient à endormir avec douceur les arbres, mais les sapins restaient oubliés sur les flancs des montagnes. Leurs belles feuilles bleues commençaient à se friper au lieu de prendre les teintes chaudes de l’automne. Satine continuait de se pavaner, de jouer les affairées, de prétexter qu’elle manquait de temps et bien sûr de courtiser son père.

Le roi de la Montagne regardait avec inquiétude les sapins perdre leur magnificence ; il craignait de les voir mourir durant les grands froids de l’hiver. Il alla trouver le roi de la Forêt pour le prévenir de l’incurie de sa fille, mais son rival refusait de reconnaître ses fautes, surtout devant un autre souverain. Aussi le roi de la Montagne déclara-t-il que, désormais, les sapins lui appartiendraient, et qu’il emploierait sa magie pour qu’aucune fée ne s’en approchât !

Une fois que son visiteur fut reparti, le roi de la Forêt éprouva malgré tout un peu d’inquiétude. Il convoqua Satine qui, comme à l’accoutumée le couvrit de compliments et accusa ses sœurs de n’avoir pas voulu l’aider. Cette fois, son père lui demanda d’une voix sévère de s’occuper des sapins avant qu’il ne fût trop tard. Sentant que, pour une fois, les exigences du roi étaient réelles, elle fila pour remplir enfin sa tâche… mais la nuit étendait déjà son voile obscur, et elle ne vit pas que le feuillage avait changé. Au lieu des douces feuilles, elle se heurta à des pointes sur lesquelles elle s’embrocha. Le roi de la Montagne, pour sauver les grands arbres, les avaient dotés d’aiguilles qui ne tombaient pas en hiver et restaient vertes toute l’année, même sous la neige.

Le sang de Satine coula sur le sapin et depuis ce temps, l’odeur suave des fées émane de ces arbres. On raconte que seul son père la pleura.


Texte publié par Beatrix, 21 janvier 2020 à 23h07
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