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tome 1, Chapitre 5 « Le Banquet de Babio » tome 1, Chapitre 5

S’il avait fallu trouver un terme pour qualifier Babio, le vannier du village de Clérange, celui de « bon vivant » se serait imposé. L’un de ses principaux plaisir dans la vie était de manger, ce dont on ne pouvait le blâmer, mais plus encore… de manger aux frais d’autrui !

Tous les habitants de Clérange savaient qu’ils ne devaient surtout pas lui ouvrir la porte aux heures du déjeuner, et toujours le faire sortir de la demeure avant de poser les assiettes du dîner, pour ne pas le voir engloutir leurs provisions.

Noël approchait ; pour Babio, cette fête représentait le plus beau moment de l’année, en raison des dindes, des truffes, des marrons, des pâtisseries et autres douceurs qui s’accumulaient sur les tables. Hélas, personne ne voulait plus l’inviter, et il était trop piètre cuisinier pour se préparer son propre banquet ! Aussi errait-il dans le village comme une âme en peine, en cherchant désespérément quelqu’un qui accepterait de l’accueillir… mais même s’il avait payé – ce qu’il n’avait pas l’intention de faire, personne ne lui aurait proposé de se joindre à la maisonnée pour le réveillon.

Tristement, il s’installa dans la taverne locale, le menton dans la main, et se commanda une bière devant laquelle il soupira à fendre l’âme. Il ne disposait plus que de deux semaines pour résoudre le problème… Mais comment faire, quand personne ne semblait souhaiter son auguste présence ?

Alors qu’il se désespérait, Grigor, un garçon du village, pénétra dans la salle, les yeux écarquillés, le front en sueur, les vêtements trempés par la neige :

« Vous ne devinerez jamais ce qui m’est arrivé ! »

Toute l’attention se tourna vers lui ; Babio fronça les sourcils. Sans doute le godelureau allait-il raconter une histoire à dormir debout pour attirer la pitié des gens présents et se faire payer à manger et à boire. Il lui en voulait surtout d’avoir eu cette idée avant lui… Mais ce que dit le garçon devait l’intéresser bien plus qu’il ne l’avait escompté :

« J’étais parti chercher des fagots dans les bois et j’ai trouvé une étrange maison au toit de pierre… je me suis approché et j’ai vu que la porte était ouverte. Quand je suis entré, j’ai trouvé sur la table le plus fabuleux banquet que j’ai jamais vu : il y avait une oie entière, deux faisans, un cuissot de biche, des marrons, des airelles, des monceaux de pâtisseries aux épices et de fruits confits… »

Rien qu’à l’écouter, Babio en avait l’eau à la bouche.

« Alors que je contemplais ce festin, est apparue la Trollesse la plus abominable que l’on puisse imaginer ! Grande comme un ours, et aussi large, la peau grise et de petits yeux perçants qui ressemblaient à des cailloux… Elle portait un tablier et agitait une énorme louche ! Elle m’a dit : « Que fais-tu dans ma maison ? ». Je suis resté paralysé de frayeur. Elle s’est rapprochée et j’ai cru qu’elle allait me frapper… Mais elle m’a toisé des pieds à la tête et a déclaré :

« Mon repas te plaît ? Eh bien, tu demeureras ici pour le dévorer jusqu’à la dernière miette, et je ne te laisserai pas partir avant qu’il soit terminé ! » J’aurais été bien incapable de manger autant ! Alors je me suis approché de la table, mais au dernier moment, je suis passé dessous pour ressortir à côté de la porte et je me suis enfui ! »

Babio leva les yeux au ciel : ce Grigor n’était qu’un imbécile ! Comment pouvait-on refuser de faire gratuitement bombance ? Il tendit l’oreille, écoutant avec avidité chaque détail donné par le jeune homme. Puis, quand il en sut assez, il quitta l’auberge discrètement, bien décidé à retrouver le chemin de cette fameuse maison de Troll.

Le vannier se lança sur les sentiers enneigés. Il n’avait plus l’habitude de marcher autant et devint bientôt rouge et essoufflé. La lumière baissait et les ombres de la forêt lui paraissaient effrayantes… Babio songea à revenir sur ses pas, mais parviendrait-il à rentrer sans se perdre ? Alors que son peu de courage l’abandonnait, il aperçut enfin la maisonnette : une masure avec un toit de pierre, couverte de mousse. Il faillit reculer, mais sa gourmandise l’emporta sur sa couardise. Il s’avança dans la clairière et poussa la porte : devant lui, il trouva le festin tel que l’avait décrit Grigor. Sans attendre, il commença à y piocher avec délectation…

Soudain, un grand bruit lui fit lever le nez : le vannier vit apparaître devant lui la Trollesse, avec sa peau grise, ses petits yeux et ses cheveux hirsutes.

« Ainsi, mon repas t’intéresse ? » grogna-t-elle.

Babio fut tenté de prendre ses jambes à son cou, mais il restait tant de bonnes choses devant lui qu’il n’eut pas la force de fuir. Et puis, si l’exigence de la Trollesse envers les intrus n’avait pas changée, il réussirait l’épreuve sans souci.

« Oui, il est fameux ! répondit-il crânement entre deux bouchées d’oie.

— Très bien. Voyons si tu peux le manger jusqu’au bout ! Pas seulement celui-ci, mais tous ceux que je te porterai durant la semaine à venir, ici même, jusqu’à Noël !

— Et après ? demanda-t-il avec un vague relief de prudence.

— Tu pourras sortir de cette maison.

— Je relève ce défi ! » déclara Babio, enchanté.

Durant les quinze jours suivants, il passa son temps à manger et dormir. Chaque midi un nouveau festin lui était apporté. Parfois il songeait à son village et à son métier, mais sans nostalgie. Il voyait s’approcher avec crainte le jour où il devrait quitter cet endroit merveilleux… Enfin, le soir du quinzième jour arriva. Babio, qui n’était déjà pas maigre, avait pris de l’embonpoint. Au point que le lit offert par la Trollesse devenait trop étroit. Malgré tout, il s’endormit comme une souche.

Le matin de Noël, la Trollesse put abandonner la vieille demeure moussue pour retrouver sa vaste caverne, fort bien meublée et décorée avec un grand luxe. Toute sa famille l’accueillit avec joie, d’autant qu’elle ramenait la pièce principale de leur repas de réveillon, qu’elle allait cuisiner pour les siens !

Avec fierté, elle posa sur la table le traditionnel plat de Noël chez les Trolls, un humain rôti aux fruits de bois. Ce mets de choix, engraissé dans cette perspective n’était autre que le pauvre Babio, qui avait bien quitté la maison dans la clairière mais pour tomber dans la cheminée de la caverne. Tandis que son mari se levait pour découper le rôti, son épouse lui lança :

« Il faudra que tu me rappelles de remercier ce jeune Grigor en lui offrant quelques richesses… Son plan a marché à la perfection.

— Et comment ! Tu as eu parfaitement raison de le relâcher. Même gavé, il ne serait jamais devenu aussi gras et moelleux que celui-ci ! »


Texte publié par Beatrix, 10 janvier 2020 à 22h06
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