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tome 3, Chapitre 2 tome 3, Chapitre 2

C’étaient trois gamins intemporels, interchangeables, internationaux....

L’apparition de leurs premiers poils leur avait monté à la tête ou plutôt aux testicules. Désormais ils se sentaient obligés de démontrer leur virilité naissante en toute occasion.

Présentement l’occasion se limitait à rester en bande appuyé contre un mur. Ils pensaient ainsi imiter les durs, qui surveillaient leur quartier. Cette activité ô combien passionnante fut interrompue par le passage d’une femme. Le trio préférait le terme greluche.

La suite pourtant évidente n’eut pas lieu. Ils rangeaient les femmes en deux catégories : les belles qu’on sifflait, et les moches dont on riait. Or l’objet de leur intérêt avait une apparence atypique sans être laide à proprement parler. Par conséquent elle n’entrait dans aucune des cases.

Au sein du groupe il y avait un chef. Un statut qu’il avait acquis tout simplement en le prenant. Sa seule arrogance avait suffit à convaincre aussi bien ses deux complice que lui-même, qu’il méritait ce titre.

Le chef se sentit obligé d’agir face à cette distraction entrain de leur échapper. Il se rendit compte alors d’une évidence.

« Hé qu’est-ce tu fais là ? » Dit-il en s’approchant de la femme. « T’es pas chez toi ici ! »

Effectivement elle n’était pas du quartier sinon le chef aurait reconnu au moins son visage. A cela s’ajoutait sa démarche mal aisée et sa façon de regarder les alentours comme si elle cherchait son chemin. Elle ne devait même pas être de Hell’s Kitchen.

Les deux autres gamins s’agglutinèrent autour de leur chef réjouis d’avance par le spectacle. A leur grande déception la femme ne réagit pas vraiment. Elle se contenta juste de les ignorer.

Prenant ce geste de mépris pour de la peur, le chef se planta devant la femme.

« T’es sourdes ? »

Dominique répondit d’abord par un soupir, puis se remémora les leçons de David.

« Plier et rentrer le bout des doigts au niveau de la base. Bien serrer au niveau de l’index et du majeur. Balancer les hanches avant le bras...»

Un seul coup de poing suffit à étaler le chef par terre. Comme quoi David était un bon professeur. Il fallait admettre que l’adversaire n’était terrible non plus.

Quant aux autres assaillants potentiels ils étaient totalement pris de court. En dignes rejetons des bas quartiers la violence et les coups ne leur étaient pas étrangers. Sauf que dans le cas présent l’auteur du coup de poing était une femme. Rien ne les avait préparé à un tel cas de figure.

Dominique en profita pour reprendre sa route d’une certaine manière déçue. Elle s’attendait à pire de la part de cet endroit. Et dire que par sécurité elle s’était vêtue d’une robe. Dominique n’en portait plus depuis longtemps comme les vêtements dit féminins en général.

Seulement elle se trouvait actuellement à Hell’s Kitchen, et ne voulait pas attirer l’attention. Après tout c’était le coin des irlandais. Or qui disait irlandais disaient catholiques, c’est-à-dire des gens peu ouverts d’esprits.

Enfin elle parvint à la fameuse cabine téléphonique où le maitre-chanteur avait passé son dernier appel à sa victime. Comment le savait-elle ? La réponse prenait la forme d’un écho. Car Dominique avait apprit cette information de son client et victime du chantage, qui lui-même la tenait de Benny.

Benny était l’associé proposé par Luciano. Dominique ne l’avait rencontré qu’une seule fois. Paradoxalement il lui avait à la fois déplu et inspiré confiance. Benny était de toute évidence un charmeur. C’est-à-dire qu’il disposait de bien plus de subtilité que l’homme de main moyen. Toutefois du fait du milieu dans lequel elle évoluait Dominique savait déceler les aspects dissimulés chez les gens.

Dans le cas de Benny se trouvait tout au fond quelqu’un de violent. Pas juste la brute décérébrée incapable de régler les problèmes autrement que par les poings. Son cas était bien pire. Cette union entre la violence et l’intelligence donnait un sadique, le genre qui aimait faire souffrir son prochain gratuitement.

Selon Dominique c’était le type de personne le plus répugnant au monde. D’un autre coté un connard compétent valait mieux que l’inverse.

Cette histoire ne la concernait pas. Alors pourquoi Dominique passait juste derrière ce gangster ?

L’argent ? Uniquement Benny palpait dans cette histoire. Dominique n’était qu’une intermédiaire bénévole. Une solidarité comme entre lui et Meyer ? C’était bien cela : les liens au sein d’une communauté mal aimée.

Cet effort aboutirait-il à quoi que se soit ?

Contrairement aux espoirs de Benny, le maitre-chanteur n’appelait pas d’un domicile. Il subsistait tout de même une chance que cette cabine se situe dans un lieu où il passait régulièrement. Pourquoi se serait-il embêté à se rendre à l’autre bout de la ville pour un simple coup de fil ?

Seulement cet indice demeurait un peu trop vague. Peut-être le maitre-chanteur était-il proche de sa victime ? Même pas. La victime en question était un bourgeois de Brooklyn et d’origine anglaise de surcroit. Jamais il n’avait foutu les pieds de sa vie dans un coin aussi malfamé que Hell’s Kitchen.

Dominique cherchait tout de même en espérant ne rien trouver. Car une perspective ne la quittait plus depuis quelques temps. Son client était extrêmement discret au sujet de ses penchants. A vrai dire il ne les révélait uniquement dans l’établissement de Dominique.

Et si la fuite venait de là ? Si Dominique avait échoué dans l’édification de son havre de paix ?

Elle voulait donc savoir si certains éléments reliaient cette affaire de chantage à la sienne. Soudain sa tournée des alentours ralentit, puis s’arrêta. Dominique semblait avoir enfin trouvé l'indice providentiel. Du moins en apparence, en fait c'était un problème qu'elle venait en fait de dénicher.

Le problème en question incarnait le stéréotype de l'irlandais: un roux massif à l’air renfrogné. Et il se dirigeait clairement vers elle.

Sans doute fallait y voir une plaisanterie du destin liée à sa déception face aux trois morveux.

« C’est toi la pute, qui cogne des mômes ! »

Foutu vie de quartier ! Les nouvelles y voyageaient plus vite que par téléphone. Bien que la négociation soit visiblement compromise, Dominique ne tenta pas un nouveau direct du droit.

« Un instant. » Dit-elle tranquillement à la place en fouillant dans son sac.

Cette réaction incongrue stoppa un court instant le stéréotype. L’instant nécessaire à Dominique pour sortir son petit pistolet. Nageant allégrement dans l’illégalité et l’immoralité elle était devenue prévoyante par la force des choses.

Le naturel avec lequel l’action avait été effectué augmenta la crainte du stéréotype. Cette femme était visiblement capable de faire feu. La situation était on ne peut plus clair. Sauf que le stéréotype ne voulait pas s’écraser devant une bonne femme.

Il sortit alors une réplique bien éculée.

« T’as besoin d’un flingue pour te battre. T’as pas de couilles ! »

« Effectivement. » Répliqua à son tour Dominique avec ironie.

Jusqu’ici elle regardait çà et là au hasard. Elle n’était en rien une enquêtrice. Par contre son altercation avec le stéréotype, lui était plus habituelle. Dominique connaissait le protocole à suivre. Justement cette maitrise retrouvée lui révéla l’évidence se tenant derrière le stéréotype.

Comment n’avait-elle pas y songer plutôt ?

Ce n’était qu’une petite imprimerie, mais peut-être pas seulement.


Texte publié par Jules Famas, 9 avril 2020 à 20h48
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