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tome 2, Chapitre 6 tome 2, Chapitre 6

« Ah les gens de chez Collins ! », « Quel boucan ils nous font Collins & Co ! », « Ces foutus noircisseurs de papiers empêchent toute la rue de dormir. »....

Ces phrases revenaient souvent, mais toujours dans un nombre restrint de bouches. Il s’agissait de vieux râleurs désœuvrés, qui s’étaient octroyés le statut de porte-parole.

Pourtant Collins & Co était un établissement modeste, à l’activité et aux machineries toutes deux limitées. Lucy ne pouvait pas le nier alors qu’elle évoluait au milieu de la zone d’impression. Une rotative de Bullock occupait l’endroit. Une machine efficace mais dépassée depuis l’apparition de la version Offset.

Toute cette mécanique la fascinait. Les odeurs d’encre, et surtout ce bruit incessant incarnaient le mouvement, l’activité... L’inverse de ce qu’elle avait connu à Catville.

Lucy continua d’avancer sans obtenir la moindre réaction à sa présence. Même Jim l’apprenti, qui lui avait fournit quelques connaissances sur le sujet, l’ignorait. Pourtant il adorait parler de son travail.

Il se passait quelque chose. Au moins sa venue n’était pas inutile. Alors que les employés l’ignoraient le patron Keith Collins vint en personne à sa rencontre. Le tablier en cuir, les tâches d’encre, les larges épaules issues du travail manuel, Collins était exempt de tous ces clichés.

Il était surtout un gestionnaire un peu technicien sur les bords. Avec sa barbiche, ses favoris, et son gilet proche d’un plastron, il faisait penser à un personnage de Dickens, c’est-à-dire du siècle précédent.

Keith était d’un naturel un peu guindé. Si bien que Lucy ne perçut pas son ressentiment. Les employés dans une sorte d’accord silencieux se mirent tous à observer la scène du coin de l’oeil.

« Bonjour Keith. Je voudrais savoir pourquoi tu m’as renvoyé mes dernières planches ? »

« Je ne travaille plus avec toi. » Récita Keith d’une façon mécanique.

« Il y a un problème ? » Commença à dire Lucy tout en réfléchissant. « Si c’est la police, qui cause des soucis, je peux m’en occuper. »

A ses débuts lorsqu’elle vendait en personne dans les rues, un policier l’avait initié à la corruption.

« Tu ferais mieux de partir. »

Derrière la froideur, se dissimulaient quelques signes révélateurs comme un léger tremblement, et un trouble dans le regard. Lucy perçut en eux un sentiment qu’elle connaissait bien à présent : la peur, la vraie peur.

A cela s’ajoutait cette hostilité, et cet l’afflux de mauvais souvenirs. Lucy ne pouvait pas y faire face. Elle partit sans un mot.

Une fois dehors elle retrouva un peu de sang-froid. Dans un premier temps elle raisonna en femme d’affaire. Une nouvelle imprimerie était nécessaire. Il valait mieux s’en tenir aux petits établissements de Manhattan sud.

Au milieu de ses réflexions Lucy réalisa, qu’elle se trouvait toujours à proximité du bâtiment en briques rouges abritant Collins & Co. A vrai dire elle était entrain d’en faire le tour. Curiosité face à ce désistement inattendu ? Fierté mal placée face à une sorte de fuite ?

Ces raisons étaient mauvaises pour ne pas dire stupide. Alors qu’elle s’apprêtait à partir pour de bon, quelqu’un sortit par la porte-arrière, et s’approcha.

Jim ce gamin débrouillard et toujours vêtu d’une casquette marron semblait lui aussi provenir de l’œuvre de Dickens.

On associait souvent l’intelligence à la fourberie. Bien que vif d’esprit Jim lui était quelqu’un de serviable. Et puis il appréciait Lucy. Alors il décida de faire un geste.

« Faut pas en vouloir à m’sieur Collins. »

L’opportunité apportée par ce gamin était trop tentante. Lucy oublia alors sa résolution précédente.

« Je ne lui en veux pas. J’aimerai juste comprendre. »

Tout en parlant elle s’était abaissée afin d’être à la hauteur de son interlocuteur. A son dévouement s’ajoutait chez Jim son coté volubile. S’en était presque trop facile.

« Quelqu’un est venu à l’imprimerie il y a cinq jours. Il voulait savoir si on éditait vous savez vos dessins .... avec des femmes. »

Il se mit à rougir un peu. Il n’allait pas s’arrêter en route !

« Alors ! »

Libéré de sa gêne par ce simple mot, le gamin reprit.

« M’sieur Collins est venu lui parler. Il croyait sûrement, qu’il voulait en acheter d’autres. J'entendais pas trop d'où j'étais. Le ton est monté. Fergus s'en est mêlé. Mais l'autre type lui à mit la raclée. »

« A Fergus ! » S’exclama Lucy connaissant ce gaillard avoisinant les cents kilos.

« Oui vous auriez vu çà. Il lui a d’abord donné un coup de poing en plein dans le nez. Fergus saignait tellement, qu’il y voyait plus rien. L’autre type a enchainé par des frappes dans les côtes... »

Jim racontait avec enthousiasme en mimant le combat de ses mains comme si c’était une simple histoire d’aventure ou un western. Lucy décrocha un peu jusqu’à un certain passage.

« Quand Garth, Ray, et Chris se sont ramenés, il a sortit un révolver. »

« Un révolver ! »

« Il n’a pas tiré. » Expliqua Jim avec un soupçon de déception dans la voix. « Il en a juste profité pour partir. »

Le récit d’action romanesque venait de laisser la place à un sombre polar.

« Cet homme, c’était un sicilien ? » Demanda Lucy inquiète.

« Non. » Répondit Jim trop obnubilé par son rôle de conteur pour percevoir le ressentiment de la jeune femme. « Ni un gars coin. Il ressemblait plutôt à un juif du Lower East Side. »

Jim était natif de New York. Les expressions, les habits, les accents inhérents à chaque communauté il les connaissaient parfaitement.

De son coté Lucy encaissait difficilement. Le retour de la pègre dans sa vie constituait déjà un coup dur. Et voilà que s’ajoutait un mystère. Qu’est-ce que la kosher nostra venait-elle faire dans ses affaires ?

Un peu de recul était nécessaire.

« Merci. » Dit-elle en amorçant son départ.

« De rien. » Répliqua Jim en appuyant sur les mots.

Sa gentillesse avait tout de même des limites. Lucy le comprit, et lui tendit un billet. Tout n’était que business au bout du compte.

**************************

Lucy quittait rarement sa forteresse. Par conséquent elle avait peu d’occasion d’emprunter les transports en commun tout particulièrement le El destiné aux longues distances.

Le ressentit en était encore plus grisant. Que se soit à pied ou en voiture les immeubles dominaient, écrasaient. Le El lui circulaient en hauteur au milieu de construction d’égal à égal. On faisait réellement partie de la ville.

Sauf qu’en cette journée cette sensation avait disparu chez la jeune fille. Les immeubles lui donnaient l’impression de l’encercler, de la dévorer. Au fond qu’est-ce qui pouvait arriver d’autre à une pauvre gamine de la campagne dans une grande ville ?

Lucy avait toujours craint ce poncif.

« Gary a disparu. » Ressassait-elle inlassablement dans sa tête.

De cette absence découlait tant de choses. A commencer par l’impuissance de Lucy.

Gary n’était pas n’importe lequel de ses vendeurs. Les autres étaient justes des recrues occasionnelles, qui interpellaient plus ou moins discrètement les passants dans les rues.

Gary lui savait s’introduire partout y compris dans les lieux les moins recommandables comme les speakeasy et les bordels. C’est-à-dire des endroits peu regardant sur la moralité et donc les plus aptes à accueillir des eight pagers.

En résumé Gary était un débrouillard, et surtout ce qui se rapprochait le plus d’un truand dans les relations actuelles de Lucy. Hors c’était exactement ce dont elle avait besoin.

Travaillant dans l’illégalité il n’était pas question de contacter la police. Alors comment identifier le visiteur de l’imprimerie désormais ? A vrai dire Lucy connaissait une alternative : Gargouille. Après tout il semblait avoir de l’expérience et les relations nécessaires à ce genre de tâche.

Lucy descendit à l’arrêt suivant. Lequel était-ce ? Elle n’en avait aucune idée. Elle marcha de long et large sur le quai, puis au bout quelques minutes poussa un cri. Les passants se retournèrent effarés. Du moins c’est ce qui se serait produit hors de New York.

La simple idée du recourt à Gargouille la couvrait de honte. Le projet comportait de gros risques. Gargouille ne se montrerait sans doute pas accueillant, la disparition de Gina ayant mis son affaire de mariage blanc à mal.

Toutefois ce n’était pas la principale raison du rejet de Lucy. En agissant ainsi elle quémandait, se mettait sous la protection d’autrui. Tout celà constituait un terrible retour en arrière. Plus jamais elle ne voulait être sous la coupe de qui que se soit.

Le cas de Gary était différent, puisqu’il était son subordonné.

Elle s’appuya alors sur la rambarde afin de retrouver un peu de stabilité. En bas des gens s’agitaient. Un petit vendeur de rue proposant montres, jouets.... haranguait les passants. Lucy devait faire comme lui aller au devant de la situation, de riposter, de mener le jeu...

Par conséquent connaitre l’identité du gangster devenait primordial. Surtout qu’elle prenait du retard. Car il ne fallait pas se leurrer. La disparition de Gary n’était pas un hasard. Sa conçierge disait qu’il ne s’était plus montré depuis trois jours, c’est-à-dire peu après la visite à l’imprimerie.

Ce regain de détermination la rendit plus vive. Elle restait tout de même dépassée par la situation et donc avait besoin d’aide. Jusque là seul Jim le gamin de l’imprimerie lui en avait apporté. Il demeurait un gosse malgré tout. Sans parler de sa fidélité toute relative et pécuniaire.

Lucy en revint à son équipe. Ses vendeurs ? Rien de plus qu’une bande de trainards. Ses dessinateurs ? Eux disposaient d’un peu plus de cervelle. En revanche leur motivation faisait défaut. Lucy n’était qu’un petit complément de leur revenu. Seul Todd constituait peut-être une exception.

Cet homme dont elle évitait de penser depuis l’incident, la rendit songeuse. En dessous le vendeur de rue venait de refiler une montre à un homme en ayant déjà une à son poignet.

*********************************************

« D’où te viennent toutes ces idées ? »

Todd avait entendu cette phrase tant de fois. Le pire n’était pas la répétition. C’était le sous-entendu. Ces fameuses idées étaient censées apparaitre par miracle, un peu comme son « don » pour le dessin.

Todd venait à la rencontre de son inspiration et non l’inverse. Il observait sans cesse quotidien en quête d’une anecdote, d’un détail...

Comme par exemple ce bâtiment de briques rouges devant lequel il attendait. Une des briques affichaient une énorme fissure alors que ses voisines étaient toutes impeccables.

Progressivement un futur strip se mit en place dans la tête du dessinateur. Les consœurs de la brique fissurée l’accablaient. Cette feignasse allait toutes les foutre par terre. Elles allaient se plaindre au patron, afin qu’elle soit virée. La brique fissurée ne se démonta pas. Elle irait voir le syndicat.

Soudain le bruit des pas groupés le sortit de son rêve. Il en avait oublié la sortie des employés. Quel imbécile ! Devenu physionomiste du fait de sa profession il le reconnut rapidement parmi les autres travailleurs de l’imprimerie.

« Jim. » Dit-il tout en s’approchant du gamin. « Tu te souviens de moi. Je bosse...»

« Todd mon vieux pote. » Coupa immédiatement l’intéressé avec un sourire figé quelque peu forcé. « Ça me fait plaisir de te voir. »

Il s’agissait de deux jeunes débrouillards. Ils se comprirent parfaitement. Le dessinateur joua le jeu le temps, qu’ils s’éloignent ensemble des autres employés de l’établissement.

Émeraude était juste une cliente de l’imprimerie. Ce n’était pas si gênant que Jim la fréquente un peu. Ce gosse paniquait un peu trop facilement. Même s’il détestait ce mot, Todd avait plus sérieux à penser.

Les présentations ayant déjà eu lieu ultérieurement, il entra directement dans le vif du sujet.

« Je viens pour le boulot qu’on a fait ensemble. Je veux savoir, qui était ce type. »

« Pourquoi ? » Demanda Jim étonné. « Elle ne t’a pas payé ? »

Todd émit un soupir d’écœurement. Si jeune et déjà si pourri.

« Em... Lucy s’est fourrée dans une sale histoire. C'est tout. »

La solidarité n’était peut-être pas l’argument idéal face à quelqu’un de purement vénal. Hélas le porte-feuille réduit du dessinateur ne laissait pas tellement d’autres possibilités.

Jim se fit songeur quelques instants. Ce n’était une réflexion profonde à la Rodin. L’image correspondait plutôt au gamin en quête de sa prochaine bêtise.

« T’es amoureux ? » Balança-t-il à la fois attendrit et amusé.

« Oui. » Répondit Todd en partageant l’enthousiasme de son interlocuteur.

Il venait de réaliser cette évidence en même temps que ce gosse. Du genre entreprenant Todd avait déjà malgré son jeune âge quelques femmes à son actif. Jusqu’ici ces rencontres n’avaient jamais dépassé le stade de la découverte ou du récréatif.

Son humour lui revint alors. En effet la situation n’était pas dénuée d’une certaine ironie. Déjà il avait eu besoin de l’aide d’un gamin pour comprendre. Et surtout son histoire prenait à contre-pied toutes ces grandes romances prétentieuses dont on gavait les gens.

Aucun claire de lune, aucun grand événement historique en toile de fond, aucun signe du destin, seulement une main sur l’épaule. Par ce simple relâchement celle qu’il trouvait auparavant juste jolie mais froide, lui occupait désormais l’esprit.

Beaucoup à sa place se serait trouvé stupide. Todd lui raisonnait différemment. Il était trop intrigué pour ne pas mener l’affaire à son terme. Surtout qu’ils s’étaient revus lors du travail en commun avec Jim. Même si elle semblait préoccupée Émeraude ne parvenait pas à totalement dissimuler sa gêne à son égard.

De son coté Jim ricanait, une réaction normale à son âge. Todd se résigna alors à endosser le rôle du studieux.

« Bon alors tu me balances ce que tu sais sur ce type ? »

« Peut-être. » Dit le gamin dans un premier temps avant de céder

Comment résister à une histoire d’amour ?


Texte publié par Jules Famas, 8 mars 2020 à 17h50
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