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tome 2, Chapitre 1 tome 2, Chapitre 1

Attendre voilà ce que faisait Lucy depuis sa venue au monde. Elle n’attendait pas un grand événement comme le grand amour, l’inspiration, un message divin... Non elle attendait simplement que sa vie passe.

Rien d’intéressant n’arrivait jamais à Catville. Cette désignation en soit était un mensonge. Catpatelin, Catbled, ou Cattrou-du-cul-du-monde auraient été plus appropriés.

On parlait d’années folles, de modernité, d’innovations technologiques, de renouveau artistique... C’est comme si une sorte de rempart les stoppait tous dans ce coin perdu.

Donc Lucy attendait dans un ennui légèrement amoindrit. Elle avait obtenu de son père de participer à cette sortie ou plutôt la sortie. C’était la seule occasion régulière où des membres de la famille s’éloignaient de la ferme.

Ils allaient sous le chaperonnage de leur père bien entendu prendre des provisions et diverses choses à l’épicerie. Le magasin en question faisait également office de bureau de poste et disposait de l’unique cabine téléphonique du coin.

Autant dire que c’était de loin la principale attraction de Catville.

Le temps que son père discute avec le tenancier à propos d’une histoire de courrier, Lucy s’appuya contre un mur aussi loin de ses deux frères que possible. C’était là le summum de liberté que sa vie lui offrait.

Soudain eut lieu sur sa droite une surprise ou plutôt une perturbation. Puisque c’était un peu trop prévisible. Au vue de la population restreinte, Elliot le fils du boulanger avait identifié le véhicule à partir de la fenêtre de la boutique familiale, et était donc venue lui rendre visite.

« Bonjour. » Lui dit-il droit dans les yeux.

Lorsqu’on regardait ainsi une personne du sexe féminin en négligeant son physique, c’est qu’on l’aimait vraiment. Sauf qu’il n’y avait pas grand chose à voir chez cette gamine maigrichonne de quatorze ans. Ses formes faisaient timidement leur apparition. Le tout était enrobé par une longue robe d’un bleu foncé terne.

Toutefois si on regardait par-delà sa longue chevelure brune et irrégulière lui le recouvrant le visage, on distinguait une rareté : des yeux verts.

Cette particularité unique dans tout Catville lui donnait autrefois l’espoir que son avenir serait différent. Puis l’enfance avait prit fin.

Les deux adolescents s’échangèrent un semblant de sourire. Ils n’y parvenaient qu’ensemble. Ce n’était pas le premier amour ou des âmes sœurs. En fait ils partageaient juste une forme timide de résistance envers leur morne existence, qui sans doute disparaitraient avec le temps à l’instar des autres habitants.

Pour l’heure ils tentaient de tromper leur ennui autant que possible.

« Tu seras là pour le soir du 4 juillet ? » Demanda Eliott en faisant mine de regarder ailleurs à la manière des espions.

Il avait remarqué les frères de Lucy à proximité.

« Oui mais avec toute la famille. » Répondit-elle tristement.

« On se débrouilla. »

Cette dernière phrase manquait de conviction. L’un comme l’autre savaient que ça ne serait pas si simple. Les feux d’artifices ne constitueraient pas une grande diversion. C’était toujours les mêmes depuis des années. Personne n’y prêtait vraiment attention. On venait juste par habitude, puisqu’on ne pouvait même plus se saouler.

Les bootleggers aussi ignoraient l’existence de Catville.

Lucy songea alors qu’on était fin Mai. Et ils en parlaient déjà. De quoi exactement ? Juste d’une éventuelle occasion de se distraire un peu.

C’est alors qu’un événement arriva voir un miracle. Une voiture inconnue traversa la rue. Le miracle continua. Le véhicule ralentit, puis se gara un peu après l’épicerie, qui disposait pourtant d’une pompe à essence.

Pour quelle autre raison pouvait-on bien s’arrêter à Catville ?

« Tu sais de qui c’est ? » Demanda Eliott en remarquant sa fascination.

Lucy n’entendit même pas la question. Elle n’y connaissait rien en automobile comme dans un bon nombre de domaines d’ailleurs. Il était tout de même évident que ce modèle déparaillait avec ceux de Catville. Ne serait-ce que son état de conservation. Aucun cabossage, trace de poussières, ou rayure propre à la fréquentation régulière des mauvaises routes de campagne n’était à relever.

La portière avant commença à s’ouvrir. Quel genre d’homme allait sortir. Car il s’agissait forcément d’un homme. Les femmes ne conduisaient pas. C’était bien connu.

L’image du citadin se dessina dans le crâne de Lucy : un homme mince, élégant, avec une fine moustache et vêtu d’un trois-pièces sombre. Sa main droite tenait un cigare dont s’échappait une colonne de fumée étrangement régulière.

La réalité vint écraser le fantasme. A la rigueur la tenue se résumant à un costume beige et une chemise blanche, présentait correctement. Par contre si on regardait au-delà de l’emballage, c’était une toute autre histoire. Du ventre, de larges épaules, et une mine renfrognée. Malgré son jeune âge Lucy connaissait déjà ce type de personnage par cœur. Un seul mot suffisait à le résumer : brute.

Toutes ces observations n’expliquaient pas la raison de sa présence. Lui-même l’ignorait visiblement à regarder les alentours avec dégoût.

Faisant fi de sa déception Lucy poursuivit son examen. Nez aplati, crâne dégarni même avec la meilleure volonté du monde rien ne le sauvait du désintérêt.

Un murmure se fit alors sur la droite de l’adolescente. Une sorte d’écho suivit sur la gauche bien plus puissant.

« Lucy ! Tu m'entends sale paresseuse ? »

Simon Hangus le grand patriarche venait d’entrer en scène. Toujours vêtu d’une salopette, et d’une paire de botte il était l’archétype du fermier ou plutôt sa caricature.Dans son cas trois mots étaient nécessaire à sa description : trimer, gueuler, et frapper.

Sans même attendre une réaction de sa fille il la prit par le bras et la jeta à l’arrière de sa camionnette. Ces deux frères l’y attendaient déjà. George le plus jeune des deux rigola devant le spectacle. Même à dix-sept ans le môme sadique arrachant les ailes de mouche et étranglant les chats, n’avait pas disparu en lui.

Robert l’ainé répugnait bien plus Lucy. George lui au moins trouvait un certain plaisir dans sa cruauté. Les taloches de Robert elles étaient juste une reproduction de celles de son père. Cette copie soumise et incapable de la moindre individualité incarnait tout le drame de l’existence de Lucy : une répétition immuable.

La camionnette démarra. Eliott effectua un salut discret de la main avant de retourner à la boulangerie. Seule la brute demeura immobile sur le trottoir tandis que les habitants vaquaient à leur occupation. A ce stade cet homme n’était pas intrus ou un étranger mais une erreur un peu comme les yeux verts de Lucy.

Le lien commençait déjà à se tisser.


Texte publié par Jules Famas, 12 février 2020 à 19h35
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