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tome 1, Chapitre 16 « Mala » tome 1, Chapitre 16

Quand Mala rejoignit Peon et Aomi dans les gradins, elle les salua poliment, mais ne reçut aucune réponse : la Mushadine observait les alentours avec froideur, tandis que Peon grignotait une pomme d’un rouge brillant sans se presser. Mala ne leur en tint pas rigueur. Derrière eux, le brouhaha des spectateurs bourdonnait déjà.

Danaël clopina ensuite vers eux et prit place à l’autre bout du rang, loin de Peon à qui il rendit son regard assassin.

— Alors t’es capable de faire des trucs en fin de compte, le boiteux ? T'aurais pas pu te réveiller avant ?

— Ferme-la, l’Orgoï, fous-lui la paix, soupira Aomi.

— On a tous failli perdre à cause de lui, et tu le défends ?

— Je défends juste ma tranquillité.

Dans un geste de colère, Peon enflamma son trognon de pomme et jeta les cendres vers l’arène. Le vent les emporta. Aux yeux de Mala, l’Orgoï ressemblait à une marmite en train de bouillir, qu’il fallait sans cesse surveiller pour qu’elle ne déborde pas. Mala garda son commentaire sous silence, et se pencha vers Danaël pour lui chuchoter :

— Bravo pour ton duel, hier.

Danaël pâlit.

— J’ai failli le tuer.

— Tu ne l’as pas fait et tu as appelé à l’aide. Beaucoup ne s’en sont pas donné la peine avant toi.

Danaël se détendit. Pour la première fois, il ancra son regard bleu-gris dans le sien sans vaciller.

— C’est gentil, merci.

Mala lui sourit.

Le héraut de l’empereur pénétra dans la tribune d’honneur et attira l’attention de tous. Elle annonça l’entrée de l’empereur, qui rejoignit son trône sans un mot et l’incita à poursuivre, puis Gaïa, suivie de près par son Donneur, le beau Zalin. L’une comme l’autre étaient vêtus du pagne des Alayis et des peintures rituelles s’étalaient sur leur peau, marques blanches sur l’ébène, captant la lumière.

Gaïa était magnifique dans sa simplicité, presque sauvage. Son immense chevelure, grossièrement nattée et peu serrée, ondulait à chacun de ses pas, des bijoux de bois et de plumes chamarraient sa silhouette. Une main sur son ventre rond, elle s’installa sur le trône ouvragé et balaya l’assemblée du regard. Zalin posa une main sur son épaule. Ils échangèrent alors un regard presque amoureux. Comme Leti l’avait fait pour Waal, Zalin avança, ses longues nattes bercés par le vent, sa voix calme et apaisante :

— Bonjour à toutes et à tous. Je suis Zalin, Donneur de Gaïa, et c’est en son nom que je vais organiser les épreuves suivantes. Pour aujourd’hui et les deux prochains jours, nous allons travailler votre force mentale.

Il leur adressa un sourire bienveillant.

— Je vous invite à rejoindre l’arène.

Peon se releva et descendit avec sa spontanéité brutale, suivi par Aomi qui fit preuve de plus de maintien. Mala attendit Danaël : sa jambe douloureuse l’empêchait de se mouvoir avec aisance. Elle-même était plutôt fatiguée : elle avait donné beaucoup d’énergie pour l’aider, la veille, au milieu d’une agitation d’ordinaire incompatible avec la méditation et la projection astrale.

Depuis la tribune, Gaïa observait les concurrents se réunir. Mala avait un secret de plus à lui cacher. Parce qu’évidemment, projeter son esprit dans celui de Danaël était formellement interdit par le règlement rappelé par l’héraldesse. Si quelqu’un s’en était rendu compte, ils auraient été éliminés sur le champ. De toute façon, personne n’aurait compris qu’une Alayie aide un Thaelin.

Ils se retrouvèrent sur le sable, tandis que Zalin descendait de la tribune par les escaliers cachés de l’Amphithéâtre. Mala s’aperçut qu’ils étaient moins serrés, et se souvint des calculs de Danaël : quarante personnes en moins. Apparemment, elle n’était pas la seule à avoir eu cette réflexion, car elle capta le regard un peu étonné d’autres candidats qui observaient l’arène.

Zalin arriva vers eux, toujours souriant. De près, la largeur de ses épaules et de son torse nu avait quelque chose que Mala avait toujours trouvé impressionnant, et lui donnait des airs de force tranquille. Il n’avait pas besoin d’hausser la voix pour se faire entendre : le silence s’était fait à son approche.

— Pour cette épreuve, c’est très simple : nous allons méditer.

Hormis les Alayis, presque tous les autres candidats le regardèrent comme s’ils attendaient la suite. Peon inspira profondément : Mala se sentit presque agressée par son agacement. Zalin s’assit sur le sol, en tailleur, et tous l’imitèrent, certains un peu plus gauches que d’autres.

— Cette méditation va vous permettre de trouver l’harmonie intérieure. L’harmonie intérieure est le pilier de notre tradition : si votre esprit est encombré, vous ne pouvez pas trouver l’équilibre et vous ne pouvez pas trouver l’harmonie avec une autre âme.

Peon, à côté de Mala, tapotait son genou des doigts. Pour l’aider à se calmer, elle emprisonna sa main dans la sienne. Il se dégagea avec fureur, non sans griffer au passage les doigts de la jeune femme.

— Alors qui est-ce qui va handicaper les autres, maintenant ?

Mala fit les gros yeux en direction de Danaël, assis en demi-fleur de lotus, sa jambe droite tendue. Sur son visage un sourire moqueur imitait ceux de Peon.

— Bouclez-la vous deux, lâcha Aomi avant que Peon ne réplique.

Ils obéirent non sans s’envoyer des regards plein de mépris. Zalin, qui avait attendu que tous s'assoient sur le sable, poursuivit avec une bienveillance trop douce pour être honnête :

— Il va falloir apaiser le flux de vos pensées pour trouver votre équilibre, et rester dans un état méditatif pendant plusieurs heures.

— C’est tout ? demanda Aomi.

— Ne t’y méprends pas, la transe et la projection astrale qu’il nous encourage à faire est dangereuse. Reste concentrée sur ton corps pour ne pas le perdre.

Aomi lui lança un regard intriguée, mais ne répondit rien.

— Vous êtes prêts ? demanda Zalin.

La plupart acquiescèrent. Zalin arbora un sourire encourageant.

— Alors fermez les yeux et écoutez ma voix.

Mala obéit. Aussitôt, elle sentit affleurer à sa conscience celles des autres Alayis qui, pour la première fois, lui donnèrent l’impression de se noyer. Elle n’avait pas médité avec eux depuis longtemps, et c’était par simple inquiétude qu’ils venaient prendre de ses nouvelles. Elle empêcha le réflexe qui menaçait de se manifester : mettre tout le monde en dehors de sa conscience, loin de tous les éléments qu’elle dissimulait. Elle garda à l’esprit l’image qu’Issah lui avait faite adopter : cacher son secret pour que d’autres consciences puissent venir dans la sienne, mais sans le deviner.

Elle avait trop de choses à cacher : elle ne devait pas attirer les soupçons.

Puis elle la sentit. La déesse. Son esprit qui, auparavant, se présentait toujours à Mala avec bienveillance, lui parut cette fois trop gros, trop imposant, presque douloureux. Elle se força à se concentrer sur la voix de Zalin, sur ses mots, sur ses descriptions de plus en plus profondes. Avec soulagement, elle sentit la déesse quitter son esprit.

Une chaleur familière la caressa. Baako, son jiima. Elle perçut son appréhension et les inquiétudes qu’il avait pour elle. Sa douceur la toucha profondément, et elle fut presque tentée de s’ouvrir à lui. Il l’aurait acceptée, non ? Il l’avait toujours complétée et soutenue. Continuerait-il de le faire s’il connaissait sa vraie nature ?

Mala choisit de ne rien lui montrer et de le rassurer. Elle sentait encore les doutes de son jiima lorsque son esprit se retira du sien.

Les mots de Zalin s’espacèrent, mais Mala était déjà plongée dans une transe profonde. Quand les présences dans son esprit se firent de passage, moins inquisitrices, Mala se permit d’aller fureter dans les pensées des autres. Elle choisit d’abord Danaël : ayant déjà pénétré dans son mental, elle avait les clefs pour l’ouvrir.

C’était comme si elle s’engouffrait dans un cyclone au centre duquel Danaël luttait pour rester au calme. Son esprit subissait les assauts répétés de plusieurs consciences qui le harcelaient. Mala les combattit pour rejoindre le Thaelin, et reconnut quelques voix durant son trajet : des Orgoïs. Ils se vengeaient de sa victoire contre Fyodor. Elle les contra, avec une violence qui la surprit elle-même, une violence qui les fit sortir de leur transe et échouer l’épreuve. Quand elle atteignit le cœur de la conscience de Danaël, elle ressentit sa peur, sa douleur, son envie de disparaître. Elle put alors lui donner toutes les forces dont elle disposait encore pour l’aider à rester concentré.

Parce que Danaël en avait besoin, parce qu’elle avait besoin de rester dans la course, et parce qu’apparemment Zalin ne faisait absolument rien pour empêcher les attaques sournoises des autres candidats, elle devait l’aider. Pourquoi le Donneur n’intervenait-il pas ? C’était contre les règles alayies : on s’ouvrait aux autres avec confiance, en sachant que seule la bienveillance était échangée. Il ne pouvait pas faire semblant de ne rien voir, pas plus que la déesse : leur puissance mentale était des plus accrues, et plus encore que celles des jeunes et impétueux Orgoïs qui maîtrisaient à peine l’art de la projection astrale.

Ils laissaient la loi du plus fort s’exercer. Et c’était loin, très loin de ce qu’on avait appris à Mala.

Le gong de fin réveilla Mala et la fit sortir de sa transe. Les applaudissements du public rugirent à ses oreilles. Elle papillonna des yeux et son regard tomba aussitôt dans celui de Danaël. Il ne dit rien, mais ses traits étaient tirés par la suspicion. Mala lui sourit en réponse et, timidement, le Thaelin lui répondit.

Beaucoup de candidats d’origine orgoïe et mushadine avaient été mis en difficulté. Mala constata que certains d’entre eux avaient le regard vide de celui dont l’âme n’avait pas regagné le corps : un danger que la projection astrale non-maîtrisée engendrait. Leurs partenaires alayi et thaelin, plus accoutumés à la pratique, tentaient de les ramener. Ils étaient déjà disqualifiés pour cette épreuve, mais il ne s’agissait plus de ça : il s’agissait de la santé mentale de leurs camarades. Comme ils l’avaient prévenu, ni la déesse ni son Donneur n’intervenaient pas et les laissaient à leur sort. Mala se tourna vers Peon, et soupira de soulagement : son esprit ne les avait pas quitté, malgré la peur qu’elle avait eue pour lui.

Comme ils s’y attendaient tous, Peon avait eu un mal fou à tenir. La dernière heure avait été un calvaire pour lui, et il avait déconcentré Aomi qui avait cédé à son tour. Si Danaël n’avait pas subi autant d’attaques, Mala aurait pu aller les aider. La fatigue l’envahit, et elle ne se leva pas de suite.

Aomi fusilla Peon du regard. Celui-ci, loin d’être penaud, haussa les épaules comme s’il n’y était pour rien.

— Quoi ?

— T’es sérieux ? Si on est encore nominés à cause de toi, je te lâche, je te préviens.

Je te lâche ? Que voulait-elle dire par là ? Peon blêmit à vue d’œil. Face à lui et pour la première fois depuis leur rencontre, Danaël afficha un air victorieux.

— Alors ? Combien de points as-tu gagné ?

Peon se leva avec la fierté d’un coq et tenta de surplomber Danaël, mais il mesurait une tête de moins et l’effet était ridicule.

— Tu réussis une seule épreuve et tu prends la confiance, ça y est ?

Danaël ne se démonta pas.

— Ça fait quoi, d’être en difficulté ? Ça fait quoi, d’être le boulet ?

Peon serra la mâchoire, ne répondit pas, et quitta l’arène d’un pas furibond. Aomi se releva à son tour.

— Sérieusement, tu ne vas pas rentrer dans son jeu ? T’es plus intelligent que lui, le Thaelin.

Mala poussa un soupir. La tension entre Peon et Danaël était palpable depuis le premier jour, et elle avait choisi de ne pas s’en mêler.

— Laisse tomber, c’est entre lui et moi. Il m’en a fait baver, je vais faire pareil.

Mala serra les dents : elle n’avait pas pensé que le fait d’aider Danaël aurait accru les tensions entre lui et Peon, et la culpabilité, maintenant coutumière, vint la mordiller. Aomi secoua la tête et poussa un soupir d’impuissance, avant de rejoindre sa tour.

— N’oublie pas qu’on est censé travailler en groupe, dit Mala.

Danaël lui rendit son regard avec une intensité qu’il n’y avait jamais mise. Il releva les sourcils et inclina la tête.

— Je sais bien.


Texte publié par Codan, 6 janvier 2021 à 16h14
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