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tome 1, Chapitre 4 « Danaël » tome 1, Chapitre 4

L’encens montait haut dans l’église abbatiale, s’étiolant jusqu’à frôler le plafond en croisée d’ogives. Danaël Hugwin, frère du Haut Monastère de l’Est, jeta un coup d’œil en coin à son maître. Il était au service personnel d'Henaël Hugwin depuis tant d'années qu'il savait reconnaître le moindre signe d'impatience de sa part. Devant eux, à genoux sur le sol de pierres blanches, ses semblables attendaient dans un silence de cathédrale. Ils étaient des centaines à avoir grandi dans ce monastère, soit cédés par leur famille en quête de reconnaissance, soit récupérés dans les rues de la ville-falaise. Riches ou pauvres, ici ils avaient tous le même rang et la même mission : prier le capricieux Lan qui se faisait attendre, et obéir aux trois maîtres. Trois pères de familles d'adoptés, dirigeants de ce monastère et plus proches conseillers du dieu.

Les trois maîtres échangeaient des regards anxieux. La lourde urne de cérémonie, dans laquelle Lan avait glissé les noms de ses cinquante favoris, avait été posée sur l’autel et l’encens brûlait depuis maintenant une bonne demi-heure. Leur dieu était en retard. Maître Koyan et maître Onaël cachaient mieux leur impatience que maître Hugwin, dont les soupirs étaient de plus en plus rapprochés. Il finit par se pencher vers Danaël pour lui ordonner dans un murmure :

— Va chercher Axiliam. Ne reviens pas sans lui.

Danaël baissa la tête avec humilité et longea le chœur pour emprunter un passage derrière la sacristie. Il poussa la lourde porte de chêne avec autant de discrétion qu’il put. Ses pas résonnèrent contre la pierre alors qu’il traversait en claudiquant le long couloir à la merci des courants d’air. Le froid pénétra sa jambe droite. Il serra les dents et continua d’avancer.

Il dépassa le cloître, baigné par le soleil de fin de matinée et embaumé par l’odeur des roses de provins, puis se rendit dans le couloir des dortoirs. Ces satanés escaliers s’élevaient devant ses yeux, comme s’ils le narguaient. Il détestait plus que tout les escaliers. Pourtant, pour suivre Henaël, il en grimpait au moins dix par jour, hormis les rares journées où son maître avait pitié de lui et l’envoyait au scriptorium pour aider les moines copistes. Danaël poussa un soupir et entama la montée en forçant sur sa jambe estropiée. Jusqu’au dernier étage. L’étage de Lan et de son Donneur, Axiliam.

Il reprit son souffle quelques instants en massant son genou douloureux. D’immenses vitraux filtraient la lumière du dehors qui s’écrasait sur le sol en de multiples couleurs. Danaël ne s’attarda pas sur les scènes mythiques qui représentaient les anciennes incarnations du dieu et frappa à la porte. Pas de réponse. Il se mordit les lèvres et réitéra son geste avec plus de force.

Cette fois, la porte s’ouvrit sur la silhouette complètement nue de Lan. Danaël eut juste le temps de le voir sourire avant de baisser les yeux vers le sol. Derrière le dieu, son Donneur se leva du lit pour habiller Lan d’une veste de kimono chamarrée. Même si ce n’était pas la première fois qu’il interrompait un échange d’énergie entre eux, il était toujours envahi par un sentiment de gêne.

— Bonjour Danaël, fit la voix chantante du seigneur du vent.

— Maître Hugwin m’a demandé de venir chercher mon frère Axiliam.

Comme lui, Axiliam avait été adopté par Henaël.

— Pour ne pas dire moi, rit Lan.

— Nous arrivons, répondit Axiliam.

— Tu diras à ce rabat-joie d’Henaël que Lan avait besoin d’échanger son énergie avec celle de son magnifique Donneur.

Les yeux toujours rivés au sol, Danaël acquiesça. Les doigts fins du dieu remontèrent son menton et leurs regards se croisèrent. D’un marron pétillant, celui de Lan avait quelque chose d’hypnotisant. Sans prévenir, le dieu attrapa ses lèvres dans un baiser brutal. Danaël sentit son énergie le quitter d’un seul coup, incapable de résister. Il détestait cette sensation de vide qui l’envahissait.

Le contact s’interrompit quand Axiliam tira Lan en arrière. Le garçon reprit sa respiration.

— Je crois que je vous ai donné assez de la mienne, se justifia-t-il.

Lan rit et passa ses longs doigts sur la joue de Danaël.

— Dommage qu’il soit atrophié, tu ne trouves pas, Axiliam ?

Danaël avala difficilement sa salive. Cette atrophie, c’était au dieu même qu’il la devait. Le Donneur intervint avec sécheresse :

— Préparons-nous.

Danaël retint la porte qui allait se refermer.

— J’ai ordre de revenir avec Axiliam.

Axiliam acquiesça, alors que Lan roula des yeux.

— Henaël t’a bien dressé, n’est-ce pas ?

Danaël ne répondit rien. Sans aucune pudeur, Lan s’habilla de ses robes d’apparat et coiffa ses longs cheveux blonds. Il sortit de la pièce avec empressement, dépassa Danaël et descendit les marches quatre à quatre. Axiliam fit mine de le suivre mais ralentit pour prêter main forte à son jeune frère, dont la jambe hurlait de douleur. Danaël ne put supporter le sourire chaud qu’Axiliam posait sur lui : la jalousie possessive de Lan à l’égard de son Donneur le lui ferait payer.

— Rejoins-le, chuchota-t-il. J’arrive.

— La cérémonie…

— Peut commencer sans moi. Je ne suis que le petit chien du premier maître, tu te souviens ? Le Donneur ne peut abandonner son dieu.

Axiliam grimaça, mais pressa le pas, ses boucles claires disparurent dans l’escalier à colimaçon.

Quand Danaël rejoignit l’assistance, de nouveaux bâtons d’encens avaient été posés et la voix du maître Onaël fredonnait des prières en langue ancienne. Henaël lui jeta un regard inquiet, auquel il répondit d’un hochement de tête. Il allait bien. Il allait juste attendre que la cérémonie prenne fin pour plonger sa jambe dans une bassine d’eau chaude. Une fois tous les frères du monastère accaparés par le grand carnaval qui les attendait dehors, il pourrait avoir un petit moment de paix.

Danaël n'avait pas besoin de regarder l'autel pour savoir ce qui était en train de se dérouler. Siégeant sur son trône, Lan faisait ressortir de l’urne les petits papiers noircis par les noms de ses favoris. D’un doigt, il manipulait l’air pour que les papiers volettent vers les maîtres, qui annonçaient ainsi à voix haute ceux qui avaient été choisis. Résonnant contre la pierre, cet égrenage avait une solennité imposante et étouffante que Danaël supportait mal. Un à un, trop lentement, il regardait les jeunes hommes dont le nom avait été scandé se lever avec calme dans un bruit de tissus que l’on froisse. Danaël les connaissait tous. Ils avaient été élevés ensemble. Il pensait à tous ces talents sacrifiés quand…

— Danaël, de la famille Hugwin !

Il se statufia. Il leva les yeux vers son maître en quête de réponse, mais rien ne filtrait du regard bleu-gris d’Henaël Hugwin. Puis ses yeux dérivèrent vers Lan, mollement affalé dans le trône qui lui était attribué, au milieu des soieries colorées qui entouraient sa frêle silhouette, coiffé d’un chignon d’où pendaient bijoux tintants et brillants. Le seigneur du vent et de l’été affichait un sourire goguenard. Dans ses yeux d’un marron chaud, brillait une étincelle de malice. Danaël fronça les sourcils. Pourquoi Lan l’avait-il choisi ? Il savait que son dieu n’était pas un exemple de bienveillance, mais il le pensait assez sensé pour mettre toutes les chances de son côté afin de battre son frère et ses sœurs durant le Grand Choix, afin qu’un Thaelin soit choisi comme prochain hôte de la Divinité Supérieure. Danaël courba la nuque, contraint par la lame de vent qui venait de s’y abattre. Henaël avait toujours eu des méthodes plutôt dures pour contraindre ses élèves, et Danaël ne discuta pas. Il se rangea aux côtés des autres appelés.

Une ultime parole rituelle en langue ancienne fut prononcée à l’appel du cinquantième nom. Lan se leva alors de son siège et s’avança vers les frères de son pas léger et sautillant.

— Maintenant, allons profiter des festivités ! J’espère que vous avez préparé un carnaval du solstice des plus fastueux !

Lan battit des mains, invitant ainsi ses Fils à le suivre, et Danaël se fondit dans la troupe. Il chercha à approcher le dieu.

Ne discute pas mes choix, Danaël.

Le regard de Lan qui se braqua dans le sien était dur, froid et ne souffrait aucune désobéissance. Danaël serra les dents. Il suivit tant bien que mal l’allure rapide de ses camarades, entraîné par la vivacité du seigneur du vent. Danaël porta les mains à ses oreilles pour tenter de les protéger, mais trop tard : à peine les portes de l’église furent passées que les hourras de la foule lui explosèrent dans les tympans. La lueur du soleil l’éblouit quelques secondes. Son voisin lui donna un coup de coude pour qu’il avance et, maladroit, Danaël fit un pas trop grand pour sa jambe malade. Il grimaça de douleur.

Ridicule. Il était juste ridicule et n’avait pas sa place ici.

Toute la population de la ville-falaise s’était rassemblée autour du promontoire pour féliciter et encourager les heureux élus, que Lan mena jusqu’à une estrade de pierre. De nombreux Thaelins avaient fait le chemin jusqu’à leur capitale, Halioès, pour assister aux festivités. En proie à une panique animale, Danaël ne parvenait pas à se projeter plus loin que le pas suivant. Le simple fait de penser au Grand Choix le terrifiait.

Il n’allait pas revenir vivant.

Il lança un regard effrayé à Lan. Ce n’était pas sérieux. Il allait se rendre compte de son erreur et lui dire de faire demi-tour. Qu’il n’avait pas sa place ici.

Lan dut lire dans ses pensées, car Danaël croisa son regard et vit les lèvres du dieu se retrousser en un sourire inquiétant. Il claqua dans ses mains lourdes de bagues pour faire revenir le silence, et attira aussitôt l’attention du public. Ravi d’être le centre de tous les regards, Lan étendit les bras. Les couleurs chatoyantes de ses soieries captèrent la lumière, et le soleil fit étinceler ses cheveux blonds.

— Mon peuple ! cria-t-il à la foule.

Des vivats lui répondirent, et son sourire s’élargit. Il attendit quelques secondes avant de reprendre :

— Cette année, les festivités vont être plus grandioses encore ! Je vous promets des combats plus haletants que jamais !

La foule hurla en réponse, effrayante.

— Pour le premier combat, j’appelle Danaël Hugwin et Galed Onaël !

La force des regards qui s’abattirent sur lui contraignit Danaël à se mouvoir. Il se détacha de ses semblables et claudiqua jusque devant Lan. Les autres sélectionnés s’éloignèrent et Galed se dressa devant lui. Amusé, Lan attrapa les mains des concurrents, les joignit puis recula à son tour. Danaël releva les yeux et croisa le regard de son adversaire qui ne laissait apparaître aucune émotion. Il serra les mains de Danaël avant de rejoindre l’autre bout de l’estrade. Danaël fit de même, avec lenteur pour limiter la boiterie de sa jambe. La peur lui dévorait les entrailles et les regards, braqués sur lui, lui piquaient la peau.

De l’autre côté, Galed s’était déjà mis en garde, la jambe et le bras gauches avancés, le bras droit lui protégeant le torse. Danaël l’imita maladroitement, mais sa jambe droite lui fit mal lorsqu’il essaya de descendre ses appuis. La seconde plus tard, Galed avait déjà joint ses mains et projeté ses bras en avant : la bourrasque qu’il fit naître dévora la distance qui les séparait. En urgence, Danaël monta le bras pour qu’un bouclier d’air le protège. Son adversaire en avait profité pour avancer vers lui et, de manière habile, lui fit un balayage sur l’arrière de la cheville. Sur sa mauvaise jambe. Danaël tomba au sol, sur les fesses. La foule hilare applaudissait déjà.

Piteux, Danaël se releva et boita pour descendre de l’estrade. Les concurrents suivants furent aussitôt appelés.

Ne pense pas à disparaître.

L’élan de colère et de rancune qu’il ressentit pour Lan lui donna le cran de dévisager le dieu. Celui-ci laissa la fête aux mains du maître Koyan pour rejoindre Danaël et passer un bras autour de ses épaules. Le contact fit frémir le garçon. Le dieu l’entraîna un peu à l’écart, et éloigna les sollicitations fanatiques d’un signe de la main.

— Pourquoi m’avoir choisi ? Vous ne m’aimez même pas.

Le sourire de Lan lui donna envie de vomir.

— C’est vrai. Je ne t’aime pas et je ne te trouve d’aucune utilité. Je ne sais pas ce qu’ont Axiliam et Henaël à te protéger, mais cela attise ma curiosité.

Danaël accusa le coup. Lan était pervers et manipulateur, mais de là à le sélectionner à la place d’un frère tout à fait valide et plus compétent que lui ?

Le dieu s’avança vers lui, le visage plus qu’à quelques millimètres du sien.

— J’ai pensé que ce serait divertissant de te voir te débattre contre la mort dans une arène, face à un Orgoï ou une Mushadine, chuchota-t-il.

Ses doigts frôlèrent la mâchoire de Danaël, qui fit de son mieux pour ne pas s’écarter.

— Je suis curieux de voir jusqu’où tu parviendras à survivre.

Le dieu le quitta pour rejoindre l’estrade d’un pas vif et léger pour reprendre son rôle de maître de cérémonie. Danaël le regarda, la rage au ventre et l’envie de hurler bloquée dans sa poitrine.

Les combats s’étaient terminés dans la liesse, et maintenant ses frères se voyaient offrir des verres, des brioches, des danses à chaque stand. Les filles avaient sorti leurs voiles et leurs foulards, les hommes leurs plus beaux durumagi. Le vent faisait danser les cheveux et les amples vêtements traditionnels du peuple thaelin. Partout, des couleurs, des rires, du plaisir, de l’alcool, de la nourriture, dans une abondance presque honteuse.

Fidèles aux coutumes des festivités de Lan, plusieurs individus, hommes et femmes, avaient tenté de l’attirer à eux pour partager leur couche, mais Danaël les avait repoussés avec de plus en plus de violence. Il avait quitté la fête quand l’alcool avait rougi les visages et rendu les mains baladeuses, trop mal à l’aise à l’idée de regarder les autres se livrer à des orgies dans chaque recoin de la ville sous l’œil satisfait de Lan.

Cinquante moines dans la fleur de l’âge allaient mourir, et la populace était heureuse. Parmi cette masse qui n'avait jamais foulé le sol du monastère, personne ne savait ce que cela faisait de vivre dans l'unique but de satisfaire le dieu. Le peuple profitait des largesses excentriques de Lan, des plaisirs qu’il distribuait sans compter, des fêtes qu’il organisait dans tous les territoires de l’Est. Il l’aimait comme on aime un aïeul qui ne se montre que quelques fois l’an, sans connaître la profondeur de son caractère explosif.

Danaël n’avait pas pu le supporter et il s’était isolé. Assis dans l’herbe, les cheveux agités par les vents, les bras entouraient ses genoux dans une position presque enfantine, à peu de distance du bord de la falaise haute de plus de huit cents mètres. Il était seul, face à l’azur du ciel et de l’océan, et cela lui allait bien.

Là, dans cette grande crique, comme une offrande à cette houle parfois ravageuse, s’était développée Halioès, la capitale des terres de l’Est et du maître du vent. Sur la falaise, dans le dos de Danaël, le Haut Monastère avait érigé ses quartiers, composés de bâtiments aux tours immenses dont la plus haute était réservée à la chambre du dieu ombrageux. Tellement haute que lorsque le brouillard s’abattait sur la région, elle devenait invisible et isolée du reste des mortels. Danaël baissa les yeux vers la bande de plage mangée par la marée où étaient entassés bateaux de pêche et embarcations de commerce. Ces lieux étaient plein d’odeurs marines et de bruits. Il aimait perdre son regard vers ces silhouettes si minuscules et méconnaissables pour imaginer leur quotidien, si loin du sien. Il remonta les yeux sur les quartiers d’habitations. La magie de Lan donnait à la falaise sacrée une solidité telle que les habitants avaient sans crainte creusé leurs demeures dans celle-ci. Les maisons étaient peintes dans des teintes vives qui habillaient la ville d’un costume d’arlequin. Elles étaient reliées entre elles par un labyrinthe d’escaliers étroits, toujours bondés de monde. Les citoyens les plus aisés vivaient dans les hauteurs, là où le vent soufflait fort et chassait les odeurs nauséabondes du port. Son cœur se serra. C’était sans doute la dernière fois qu’il regardait le soleil se coucher et projeter sur sa ville ses lueurs mordorées.

Il repassait en boucle les mots que Lan lui avait lâchés, amer. Ne vivait-il que pour amuser ce dieu cruel ?

Il sentit qu’on s’installait à côté de lui et sa réflexion s’interrompit. Les petites échasses blanches qui lui tenaient jusqu’alors compagnie s’envolèrent un peu plus loin. Il tourna la tête pour voir Axiliam lui tendre une brioche fourrée à la viande.

— Je n’ai pas vraiment faim, déclina-t-il.

Axiliam adopta son ton de grand frère.

— Tu pars demain avec les quarante-neuf autres et tu n’as rien mangé de la journée.

Danaël soupira et attrapa l’en-cas. Il en grignota un bout sans grande conviction.

— Tu ne devrais pas être avec moi.

Axiliam haussa les épaules, et renoua consciencieusement son wu dang. Danaël mâcha lentement.

— Pourquoi veut-il me punir ?

Axiliam renâcla.

— Pour s’amuser, tu le sais bien.

Danaël soupira. Même l’excellent goût de la brioche de Lilia ne parvenait pas à détourner ses pensées de ce qui l’attendait.

— Je peux échanger ma place avec quelqu’un, tu crois ?

— Sois sérieux, Dan. Tout le monde sait qui tu es. Tu dois y aller.

— Je n’ai pas envie d’y laisser ma peau.

— Certains parviennent à revenir…

Danaël laissa s’échapper un rire sans joie.

— Et quelles sont tes sources ? Je travaille au scriptorium, et j’ai épluché une montagne d’archives. Je n’ai jamais vu trace de quelqu’un qui est revenu du Grand Choix vivant. C’est une légende, histoire de nous motiver, de nous faire croire qu’on ne risque rien. C’est du flan.

Axiliam l’observa avec un petit sourire. Il passa la main dans ses cheveux châtains pour le décoiffer.

— Quoi ? pesta Danaël en se dégageant.

— Tu as tes chances. Tu es intelligent et vif d’esprit. Ça joue dans un concours pareil.

Danaël roula des yeux. Depuis tout petit, il avait développé ses facultés intellectuelles pour compenser ce que sa jambe le rendait incapable de faire. Curieux et cultivé, il n’en était pas moins lourd et lent, peu doué pour se défendre malgré l’apprentissage qu’on l’avait forcé à suivre. Certes, il avait une maîtrise de son élément plutôt naturelle et aisée, mais cela ne suffisait pas pour concurrencer les plus grands combattants des Quatre Terres.

— Sauf que je ne veux pas gagner. Je m’en fiche. Je n’ai même pas choisi de vivre là-dedans, dit-il en désignant le Haut Monastère du menton. Je ne suis qu’un orphelin qu’on a ramassé pour passer une vie à prier un dieu paillard.

— Ma famille à moi m’a vendu, et je suis Donneur. Je crois que je ne m’en sors pas mieux que toi.

Danaël observa le profil de son aîné. Axiliam avait quelque chose de triste qu’il ne parvenait jamais à cacher.

— Une fois à la capitale, tu seras plus libre, lui dit-il. Tu pourras aller voir des filles. Ou des garçons. Ou les deux. On passe tout aux sélectionnés du Grand Choix.

Danaël rougit, embarrassé à cette idée. Il n’y avait jamais pensé. Destiné à être au service de Lan pour toute une vie, il avait fait une croix sur les relations charnelles. Lan ne pouvait supporter que ses hommes le trompent.

— Ça fait comment ?

— De coucher ? Si c’est avec Lan, c’est épuisant. Il prend toute l’énergie que j’ai et…

— Si c’est avec quelqu’un d’autre que Lan ? lâcha Danaël.

La houle avait presque couvert ses mots. Il savait qu’Axiliam risquait de ne pas répondre. Ça aurait été avouer qu’il avait trompé son dieu.

— C’est bon quand l’échange est équilibré.

Il se releva et épousseta les pans de sa veste de wu dang. Danaël l’imita mais sa jambe, trop longtemps immobile, le rappela à l’ordre avec violence.

— Je dois y retourner. Essaie de profiter quand même un peu.

Axiliam passa une nouvelle fois la main dans les cheveux de son cadet et rejoignit son dieu. Danaël le regarda partir, en notant comment ses épaules s’étaient affaissées encore un peu plus que la veille.


Texte publié par Codan, 8 avril 2020 à 07h23
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