Avril 2017
Londres
Ça recommence.
Et malgré toute la volonté du monde, je ne peux toujours rien y faire, impuissant comme un être fragile et sans défense face à son prédateur.
Me voila de nouveau emprisonné dans mon propre corps lorsque mon esprit dérive pour me faire revivre ces moments insupportables, alors que je donnerais mon âme et ma vie pour pouvoir les oublier. J'hurle de toute ma voix, à ressentir de la douleur jusque dans mes cordes vocales, pourtant aucun son ne s'échappe de ma bouche. Je tape des poings en vain, tous atterrissant dans le vide alors que je me débats et que je lutte de toutes mes forces pour me réveiller. Je suis pleinement conscient d'être enfermé dans mon propre rêve tel un oiseau dans une cage, mais je ne peux rien y faire à part subir une nouvelle fois. Et je sais que pour sortir de cet enfer, il n'y a qu'une seule chose à faire : Attendre.
Attendre que mon esprit cesse de jongler dans mes souvenirs avec une malice médisante, et attendre que mon corps décide à se réveiller pour me faire sortir de ce perpétuel cauchemar. J'inspire un bon coup lorsque je décide d'arrêter ma lutte inutile, puis je ferme les yeux, refusant de vivre à nouveau cet instant pénible de mon enfance.
J'ai bien peur que mon esprit soit condamné à l'exil pour le reste de mon existence, et j'ignore si je vais pouvoir tenir ainsi encore longtemps.
Je me sens partir et sans même m'en rendre compte, je me réveille en sursaut, le front dégoulinant de sueur et mon cœur battant la chamade sous ma poitrine. Comme à chaque fois, il me faut un long moment avant de remettre le puzzle en ordre et de réaliser que je me trouve chez moi, dans mon lit.
Je me redresse en vitesse et passe mes deux mains moites et glacées sur mon visage bouillonnant et transpirant, puis retire d'un geste brusque des bras inconnus m'enroulant le torse. Ceux d'une jeune femme dormant près de moi, dont le prénom m'échappe encore. Croire qu'une jeune femme pourra apaiser mes nuits et libérer mes tensions est un doux euphémisme, pourtant, je ne peux m'empêcher d'essayer, en vain. Je me lève et me dirige presque instinctivement vers la salle de bain afin de me passer le visage à l'eau claire pour essayer d'enlever ces images de mon esprit tordu. Je passe en vitesse, tentant de fuir volontairement du regard mon reflet dans le miroir, détestant tout simplement l'image qu'il renvoie.
Encore ce rêve. Toujours ce putain de rêve. Ce rêve qui n'est autre que le souvenir atroce, net et précis du basculement de ma vie dans les ténèbres.
Novembre 1990 - Stirling
L'anniversaire des six ans de Darren
— C'est l'anniversaire de qui aujourd'hui... ? murmure alors la mère de Darren en arrivant à tâtons dans la chambre du petit garçon, son visage rayonnant d'un grand sourire aux lèvres.
— C'est le mien, Maman ! Et aujourd'hui j'ai six ans ! lui répond alors le petit garçon, en essayant de reproduire le chiffre six de ses doigts.
— Waouh... qu'est-ce que tu es fort dis donc. Tu grandis si vite... dit-elle, en serrant son fils contre sa poitrine.
— Maman... tu crois que papa pourra venir à mon anniversaire aujourd'hui ?
A cet instant, les yeux de Jenna se baissent instinctivement sur le sol, refusant de croiser le regard bleu marine de son fils, identique à celui de son mari. Car elle sait qu'elle n'arrivera pas à lui mentir si ses yeux plongent dans les siens. Alors elle regarde ses pieds, puis après un bref silence, elle répond :
— Oui. En tout cas, il essaiera, Darren. lui dit-elle finalement en guise de réponse, ce qui s'avère être alors ni une vérité, ni un mensonge.
Sentant le regard triste de son fils se poser sur elle, Jenna se ressaisi aussitôt.
— Nous allons passer la matinée rien que tous les deux, et cette après midi, une fois que tout sera prêt et que tous tes copains seront là, papa viendra avec un énorme gâteau au chocolat et tu souffleras tes bougies !
— Et je mangerai tout le gâteau aussi ! s'écrie alors avec enthousiasme, le petit Darren.
— Tu as raison ! Profite après tout, c'est ton anniversaire, le seul jour où tout est permis ! répond-elle en pinçant le bout du nez de son fils, ce qui les fit sourire à tour de rôle. Allez, champion ! Il est temps de se lever !
— Maman, ça sent bon !
Jenna se retourne une fois arrivée jusqu'à la porte de la chambre du petit garçon, puis lui répond avec un clin d'œil :
— Pancakes d'anniversaire !
Les yeux brillants d'émerveillement, Darren saute de son lit à toute vitesse, et part en courant, jusque dans la cuisine.
— C'n'est pas vrai, c'est un cauchemar ! Il m'a promis qu'il serait là ! Il a plus heure de retard ! Le jour où sa famille passera avant son travail, ça sera un miracle... marmonne sans cesse la mère de Darren, alors que tous les invités commencent sérieusement à s'impatienter dans la salle à manger et que l'ambiance se veut lourde et pesante.
Soudain, un bruit sourd fait taire presque immédiatement les discussions des uns et des autres, et tous les regards se dirigent maintenant vers l'entrée, ce qui fait rapidement comprendre à Jenna que quelqu'un frappe à la porte. Ses joues rougissent à l'idée que son mari ait finalement tenue sa promesse et ses yeux brillent d'une certaine lueur. Elle se hâte jusqu'à la porte d'entrée, en passant par le miroir du couloir, un peu plus loin, afin de vérifier sa coiffure et sa mise en beauté, puis parle à travers la porte fermée, en se dépêchant d'aller ouvrir.
— Richard entre, c'est ouvert ! Darren ! Papa est là !
Mais les secondes passent et aucune réponse ne se fait entendre, ni aucun bruit de porte s'ouvrant. Jenna fronce les sourcils lorsque la joie et l'excitation de retrouver son époux cèdent leur place à l'inquiétude et l'incompréhension. Celle-ci ouvre rapidement la porte d'entrée après que le silence soit tombé dans la maison.
— Non, Madame. Navré, mais nous sommes officiers de police. entend alors Jenna lorsqu'elle voit au même moment les deux policiers habillés de noir, devant la porte d'entrée de sa maison.
Sentant tous les regards fixés sur elle, elle se retourne et balaie la pièce des yeux en vitesse, avec une inquiétude grandissante et palpable.
— Oui... Bonjour. Comment puis-je vous aider ? dit-elle, confuse et effrayée en voyant l'expression des visages des agents de police se tenant devant elle.
— Vous êtes bien Jenna MacMillan ?
— Elle-même... alors qu'elle ferme doucement la porte derrière elle afin d'éviter les regards curieux dans son dos.
Les agents de police se taisent puis se dévisagent tour à tour comme pour savoir lequel des deux devra parler le premier. Enfin, après quelques secondes de silence et d'échanges de regards lourds de sens, l'un d'eux décide enfin de briser la glace.
— Madame, vous devriez peut-être vous assoir...
— Qu'est-ce qu'il se passe ? Mon mari ne devrait plus tarder maintenant. Je vous propose un café peut-être, en attendant ? dit alors la mère de Darren avec la voix tremblante et le regard à l'expression indéchiffrable, à la fois inquiet et surpris.
— Non, Madame. C'est vous que nous voulions voir... Nous apportons une bien triste nouvelle
Les agents n'ont pas besoin d'en dire plus, Jenna l'avait déjà bien compris sans le vouloir dès qu'elle les avait vus sous le porche de la maison. Son cœur emprisonné sous sa poitrine lutte pour sortir tellement ses battements de cœurs se font intenses et ses jambes tremblantes vacillent sous son poids lorsque les deux agents mirent enfin un mot sur le sort funeste de son époux. L'entendre de vive voix est un tel choc qu'elle s'effondre soudain à genoux, comme si le poids de cette révélation était trop lourd à porter pour ses fines épaules, alors qu'elle ne tente même pas de se rattraper, et pousse un hurlement à glacer le sang.
Son époux a tragiquement perdu la vie aujourd'hui, en roulant un peu trop vite sur la route vers son domicile, pour se rendre à l'anniversaire de son seul fils, Darren.
Deux jours plus tard
Jenna est assise prés de la table du salon en compagnie de sa mère. Elle porte les mêmes habits qu'à la fête d'anniversaire de son fils, à l'exception que ceux-ci sont maintenant sales et froissés. Ses cheveux sont mal peignés et commencent sérieusement à devenir gras, quant à l'expression de son visage... Un cadavre aurait sûrement plus de vie que le sien en ce moment même. Son regard est plongé dans la tasse à café fumante devant elle, tournoyant inlassablement la cuillère depuis de longues minutes. Sa mère est assise en face d'elle, la fixant intensément du regard, alors qu'elle commence sérieusement à perdre le peu de patience qu'il lui reste.
— Jenna... Ressaisis-toi, bon Dieu ! s'exprime alors sa mère, en tapant du poing sur la table.
— Non, Maman. Tu ne me comprends pas. Comment dois-je annoncer au petit que son père qu'il aime tant, est mort tout simplement parce que, ce jour là, il est parti plus tôt, pour venir ici ? Comment lui dire qu'il ne le reverra plus jamais ? Je n'en sais rien, et tu n'en sais pas plus. lui répond Jenna, en déviant son regard empreint d'un mélange de haine et de tristesse vers sa propre mère. Un regard, qui en dit long sur sa façon de gérer la situation.
— Il m'a laissé seule avec toutes les responsabilités qui vont avec. Et le petit... dit-elle alors qu'elle laisse échapper un petit rire d'aberration.
— Non, ne parle pas comme ça ! Tu as subis la perte de Richard, c'est vrai, et j'ai, moi-même, connu cette douleur lorsque j'ai perdu ton père, mais tu ne dois pas oublier que tu as un enfant ! Il ne comprend pas la situation, Jenna, ton fils est perdu et toi tu le repousses ! Il a besoin de sa mère aujourd'hui plus que jamais. Reste digne pour lui, je t'en pris.
— Je n'y arriverai pas, Maman. Pas sans lui. Je suis incapable de dire à Darren que son père est mort, et je suis encore moins capable de voir sa réaction, ni même de le consoler. C'est au dessus de mes forces.
Son regard est loin et figé vers un point qu'elle fixe inlassablement, alors que son visage s'habille de grandes cernes grisâtres et que ses yeux sont rouges et enflés d'avoir trop pleurés depuis maintenant deux jours. Jenna se contente de se lever d'un geste presque automatique, faisant tomber sa chaise au passage, et d'aller se réfugier sous le porche de la maison. Quand soudain, un grincement d'ouverture de porte la ramène soudain à la réalité, c'est alors qu'elle réalise que son fils unique, Darren, âgé de six ans seulement, vient tout juste d'assister à toute la scène.
— Et bien voila, Maman. Le petit est au courant maintenant. dit-elle en haussant les épaules, tout en passant devant son fils, ne lui accordant au passage ni regard ni signe d'affection quelconque, et dans l'indifférence la plus totale.
Novembre 2000 - Glasgow
L'anniversaire des seize ans de Darren
— Darren ! Darren ! Où es-tu, espèce de minable petit vaurien ? hurle Jenna sur un ton très agressif, alors qu'elle se trouve en pleine crise d'hystérie, brisant au sol chaque objet se trouvant sur son passage.
— Maman ! Tout va bien... je suis là. Pose ce vase s'il te plaît... Qu'est-ce qu'il se passe ? demande alors son fils, d'un ton calme et posé, en tentant de l'empêcher de casser l'objet qu'elle tient fermement entre ses mains.
Avec le poids des années, Darren a su faire preuve d'un sang froid et d'un contrôle sans faille, jusqu'à devenir l'exact opposé de sa propre mère. Il s'est doté d'un naturel calme et posé, et d'une force de caractère telle, qu'elle fut la clef de sa survie au cours de ces dix dernières années. Il a réussi là où sa mère a échoué, même s'il ignore encore.
— C'est toi ! Avoue ! C'est toi qui as fini ma bouteille ! dit-elle en lui montrant le cadavre d'une bouteille de Whisky bon marché. Alors écoute-moi bien espèce de pourriture, tu as intérêt à sortir m'en acheter une immédiatement, sinon je peux te jurer que plus jamais tu ne mettras les pieds ici ! finit-elle de dire, complètement ivre et ravagée par les dégâts de l'alcool.
— Ok, maman, calme-toi, je t'en pris. Je vais aller chercher ce qu'il te faut. Mais en attendant, essaie de te calmer en t'allongeant un peu. lui dit-il, profitant de ce prétexte pour pouvoir sortir s'évader quelques instants.
— Pour qui te prends-tu pour me dire ce que je dois faire ?!
Elle s'avance doucement vers lui, le regard méprisant pour son propre fils, puis se fige une fois arrivée à sa hauteur. Elle le fixe avec attention en le détaillant dans tous ses traits. Son visage se pare d'une incroyable lueur l'espace d'un tout petit instant, avant de retrouver son mépris initial presque instantanément.
— Tu lui ressembles tellement. lui murmure-t-elle dans un souffle.
A ce moment là, complètement démuni par l'ampleur de la situation, Darren prend l'argent dans une petite boîte de la cuisine et part à la recherche d'une bouteille d'alcool à ramener à sa mère, seul remède à ses crises. En ouvrant la porte, il sursaute aussitôt, et comprend alors qu'il vient d'échapper de justesse au vase se brisant finalement à quelques centimètres de lui.
Darren, complètement anéanti par les années sans son père, et sans amour, ni affection quelconque de sa mère, s'effondre alors un peu plus loin et craque en pleine rue. Trouvant refuge sur un petit bout de trottoir en plein centre ville de Glasgow, il s'assoit un instant afin de laisser exprimer sa peine librement sans retenue aucune et enfouie profondément depuis maintenant trop de temps.
Ce n'est absolument pas la vie dont rêve un adolescent de seize ans, car à cet âge là, tous les gamins ont besoin du soutien et de l'amour de leurs parents. Il est nécessaire et vital afin de commencer sa vie d'adulte sur de bonnes bases, pour tracer son avenir de la meilleure des façons possible. Sinon tout est faussé et le chemin tracé, remplit d'embuches.
— Petit... Eh, petit... Ça va aller ? entend soudain Darren, d'une voix masculine alors que son visage est toujours enfouit dans le creux de ses mains.
En relevant la tête, il aperçoit un homme d'une trentaine d'année, debout juste devant lui, en compagnie de son épouse. Un couple à l'apparence tout à fait normale. Il renifle et essuie ses larmes du revers de sa manche, puis se racle la gorge afin de retrouver un semblant de voix.
— Non, ça ne va pas aller et rien n'ira plus jamais de toute façon...
— Je ne connais pas l'objet de tes tourments mon grand, mais je suis navré pour ce que tu dois endurer, vraiment. lui dit-il avec sincérité, en s'agenouillant pour se mettre à sa hauteur. Par contre, là tu es assis devant la porte d'entrée de mon théâtre et je suis désolé mais nous devons y entrer.
— Pardon. Vous ne me reverrez plus, ne vous inquiétez pas. dit-il en prenant appui sur ses mains pour se relever, en plaçant la capuche sur sa tête afin de disparaître plus qu'il ne l'est déjà.
A l'écoute de cette phrase au ton alarmant, les deux époux échangent alors un regard lourd de sens. Et tous deux, d'une décision commune, décident de lui tendre une main, au sens propre comme au figuré.
— Que dirais-tu d'entrer, de te rafraîchir un peu et d'assister ou de participer, si tu en ressens le besoin, à notre séance d'aujourd'hui ? lui demande la femme accompagnant son époux, d'une voix douce et calme, surprenant alors Darren, n'ayant pas l'habitude d'autant de bienveillance à son égard.
Son visage se pare d'une incompréhension dans un premier temps, puis d'une certaine réflexion. Il hésite, mais après tout, qu'a-t-il à perdre ? Rien. Il a tout à gagner.
Il attrape de sa main tremblante les mains tendues des deux époux, et ensemble, ils l'accompagnent dans le petit théâtre, dans sa nouvelle vie, dans sa deuxième chance, dans son échappatoire.
Darren l'ignore encore, mais à ce moment précis, ce couple vient tout juste de lui sauver la vie.
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