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Le seigneur du domaine des murmures
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« Je crois que jamais un homme n’avait été autorisé à rentrer entre ces murs. J’en étais le premier et le seul. C’est moi qui avais été choisi parmi les membres composant notre délégation. D’ailleurs, les autres faisaient un peu la tête. Je pense qu’ils avaient envie de voir les femmes qui vivaient en ces lieux.

Mes deux guides ne dirent rien, mais suivaient chacun de mes mouvements du regard. Je les comprenais. Elles ne me connaissaient pas, je n’étais qu’un étranger devant rencontrer leur seigneur. J’aurais aimé leur parler, les rassurer, mais mes mots restaient coincés dans ma gorge.

Où que se posassent mes yeux, je ne fais que croiser celui de ces femmes. C’était si étrange. Ici, il y avait des filles de tous les âges.

Je les avais interrogés pour savoir s’il n’y avait vraiment pas d’homme vivant dans ces lieux. Je n’avais obtenu qu’un regard noir pour toute réponse. Il était clair que pour elles, seul comptait ce mystérieux seigneur.

Avaient-elles toutes le statut d’épouse pour lui ? Quel humain avait besoin d’autant de femmes ? Je devais tenter de comprendre comment les choses fonctionnaient ici.

Quand j’avais abordé le sujet de son prédécesseur, j’avais obtenu pour toute réponse un haussement d’épaules. Cela paraissait être une telle évidence pour elle, qu’il leur semblait anodin que je ne sache pas. Il était leur père à toutes. Ce démon avait eu soixante-quatre filles. Toutes vivaient en ce lieu, à son côté. Elles l’entretenaient avec attention.

Les jardins étaient resplendissants. Les fleurs que l’on y trouvait étaient variées, les chemins entretenus avec soin et j’imaginais sans peine des montagnes de fruits poussant sur les arbres en été. Un véritable paradis où personne ne paraissait manquer de rien. Sinon d’hommes…

Il était évident que je ne pouvais m’y attarder. Attendu par le seigneur, je devais presser le pas.

Peu après, on me conduisit dans une vaste pièce. Une table géante y trônait et un homme me tournait le dos. En m’entendant arriver, il ne se retourna pas, mais m’invita d’un geste à m’approcher. Il n’eut ensuite qu’à tendre ses paumes pour que chacune d’entre elles s’accroche à lui. C’était si étrange. Elles m’ignoraient littéralement, et j’avais pu voir leur regard s’illuminer dès l’instant où elles étaient entrées dans la pièce.

Avec prudence, j’avais contourné le siège. En m’approchant, j’avais pris conscience que le couvert avait été mis pour deux seulement. Les jeunes femmes ne partageraient donc pas notre repas. Cette information me chagrina. Même si je voulais l’avouer, j’avais peur de rester seul avec cet homme. Je ne l’avais jamais vu, mais s’il avait réussi à tuer un démon tel que son prédécesseur, il devait être redoutable.

Je finis tout de même par me tourner vers lui. Je ne pouvais pas me montrer impoli. Cela aurait été trop risqué. Beaucoup trop.

Ce que je vis me laissa bouche bée. Outre le fait que les femmes s’étaient précipitées pour terminer sur ses genoux, et se pressaient contre lui, avec délice, ce fut son visage qui me frappa. Je m’étais attendu à beaucoup de choses, mais pas à une telle beauté. C’était si étrange. Ses prunelles et ses iris se confondaient tant ils étaient sombres. De même, ses cheveux tressés avec soin avaient la couleur de l’encre, contrastant avec cette peau pâle presque transparente. Imberbe, il paraissait presque féminin. Mais sa haute taille alliée à sa musculature me rappelait qu’il n’en était rien. Alors qu’il me fixait sans un mot, je voyais un sourire ironique se dessiner sur son visage.

Finalement, il ouvrit la bouche pour me parler, réclamant mes nom et prénom. Je restais figé. Ses canines autant supérieures qu’inférieures se démarquaient, comme celles des animaux, me faisant penser instantanément à un loup.

Je déclinais mon identité dans un murmure, n’obtenant pour seule réponse qu’un hochement de tête. D’un claquement de doigts, il fit disparaître les jeunes femmes qui se pressèrent de partir pour la cuisine.

Toute cette ambiance était malsaine, mais je ne pouvais m’empêcher de le regarder. J’aurais voulu avoir la force de fuir. Mais il me fallait rester pour en apprendre plus. Nous étions là pour nous assurer que les contrats tacites de non-agression qui liaient nos deux domaines seraient respectés. Pourtant, les autres avaient le secret espoir que certaines femmes décident de nous suivre. De ce que j’en avais vu, c’était totalement impossible.

Le seigneur me parla. Sa voix était si douce qu’elle me faisait frissonner. Il avait toujours ce sourire en coin lorsqu’il me regardait, me mettant mal à l’aise. Sans savoir pourquoi, je répondais à chacune de ses questions avec précision.

Le silence ne se fit que lorsque revinrent les jeunes femmes qui avaient d’ailleurs trouvé des renforts. Elles posèrent les plats, avant de se tourner vers le maître du domaine, attendant sans un mot qu’il leur donne ses directives.

Il leur demanda de me servir en premier. Elles me fixèrent, visiblement contrariées par ma présence, mais disposèrent tout de même des mets dans mon assiette. Tout avait l’air succulent. L’odeur de la viande rôtie me fit saliver. Je pensais aux autres qui devaient se contenter du reste des provisions que nous transportions.

Une fois, le repas servi, il tendit la main, et chacune d’elles la prit tour à tour. Il y déposa un baiser, avant qu’elles ne partent. La tristesse se lisait sur leurs visages à l’idée d’être séparés de lui. C’était tellement improbable.

Moi-même, je ressentais l’envie de me lever pour serrer ses longs doigts laiteux entre les miens. Cette idée m’horrifia. C’était pourtant un homme.

Nous terminâmes notre dîner en silence. Avant qu’il ne me propose de dormir dans l’une des nombreuses chambres du manoir. J’aurais dû refuser, mais j’en étais incapable et sautais sur l’occasion.

Il se mit debout brusquement, et j’en fis de même sans savoir pourquoi. Pour voir son visage, il me fallait lever la tête, tant il était grand. Je me sentais comme un enfant face à lui.

Sans que je m’y attende, il passa la main sur ma joue. Ce simple contact m’électrisa, faisant frissonner toute parcelle de mon corps. Aussi rapidement qu’il m’avait touché, ses doigts s’éloignèrent.

Il y avait une pointe d’insolence dans son regard. Sans ne plus me porter aucune attention, il tourna les talons me prouvant sa toute-puissance en ces lieux. Il n’avait même pas à craindre de moi une quelconque attaque. Soit parce qu’il me savait charmé, soit parce que le seigneur se savait capable de triompher en cas de combat.

Jamais je ne m’en serais pris à lui. S’il avait été une femme, je n’aurais pas eu peur de dire que j’étais tombé amoureux de lui…

Alors qu’il disparaissait, mon regard fut attiré par un mouvement proche de ses hanches. Ce que je discernais me laissa pantois. Je mis quelques secondes à comprendre de quoi il s’agissait et que ce que je voyais bouger lui appartenait. La chose qui s’agitait au gré de ses pas n’était autre qu’une queue aussi noire que la nuit, et terminée par une pointe acérée.

Sans savoir pourquoi, je me mis à trembler, avant de me laisser tomber sur la chaise. Alors c’était donc vrai, il n’était pas humain ?

Que m’arrivait-il ? Malgré l’horreur de ce que j’avais vu, je ne parvenais pas à me sentir dégoûté. Je ne repensais qu’au contact de ses doigts sur ma joue. Cette caresse fugace qui me mettait dans tous mes états, éveillant chaque parcelle de mon corps.

Mieux valait que je regagne la chambre qu’on m’avait promise pour m’y enfermer à double tour. Je ne voulais plus penser à rien, sinon la raison de ma présence en ces lieux : veiller à ce que les termes du contrat soient respectés.

Une fille entra. C’était encore une enfant. J’en fus le premier surpris. Mais c’était dans l’ordre des choses. Avec un sourire, elle me prit par la main, pour me mener jusqu’à mon lit. Sortant un trousseau de clés de sa poche, elle ouvrit avant de me remettre le moyen de me couper du monde à ma guise. Je sautais aussitôt sur l’occasion, pour verrouiller la porte.

La pièce était spacieuse. Le feu avait été allumé dans la cheminée, rendant la température acceptable pour cette fin d’automne. Je m’assis sur le lit. Il était de bonne qualité ni trop dur, ni trop moelleux. La douceur des draps me surprit. Nul doute que je dormirais bien.

J’allais m’allonger quand on frappa à ma porte. Malgré le doute qui me saisit, je ne pouvais laisser dehors quelqu’un alors que je n’étais pas chez moi.

Des jeunes femmes attendaient avec des seaux remplis d’eau fumante. Comprenant la raison de leur présence, je me décalais. Je ne m’abaissais pas à proposer de porter les contenants pour qu’elles ne se fatiguent pas. Des filles qui avaient grandi sans hommes ne m’escomptaient sûrement pas que je les aide pour effectuer leurs tâches.

Aussi vite qu’elles étaient apparues, elles disparurent. Je fixais l’eau dans la baignoire métallique, en me demandant si la température n’était pas trop chaude. De la vapeur s’élevait me donnant une idée de ce qu’il en était.

En laissant sortir les servantes, j’avais oublié de refermer la porte à clé. Une voix me le rappela, m’interrogeant sur la chambre. Avec difficulté, je déglutis. Je me trouvais seul avec lui. En me retournant, je pus voir que le battant était à présent clos.

Le seigneur me contemplait sans un mot. Je n’osais bouger. Il était si proche de moi. Je retenais mon souffle. S’il tendait la main, il pouvait me toucher, et je ne savais pas si j’en avais envie ou non.

Brusquement, je sentis le contact de quelque chose de chaud sur mon visage. Je me figeais. Il n’avait esquissé aucun mouvement. Du moins, je le croyais. Avant de prendre conscience qu’il s’agissait de sa queue. J’avais oublié la présence de cet appendice.

Tout en me demandant la raison pour laquelle, je ne profitais pas de son cadeau, il continua ses caresses. Pour mon plus grand désespoir, j’appréciais ça. J’irais même jusqu’à dire que j’en voulais plus.

Je baragouinais pourtant que j’aimais les femmes. Il rit. Ne murmurant qu’une seule et unique phrase « Déshabillez-moi ». Malgré toute la force mentale que je mis, je ne pus résister et je m’avançais avide.

Il ne dit rien quand je défis le nœud de sa cape. Rien non plus lorsque je le débarrassais de son long manteau. Je m’attaquais déjà avec envie aux boutons de sa chemise, quand il parla : « puisque tu ne veux pas de ce bain, c’est moi qui en profiterais ». Il me repoussa, me tournant le dos pour enlever le reste de ses vêtements.

Ces paroles me blessèrent sans que je ne sache pourquoi. À ce moment, j’aurais fait n’importe quoi pour lui. N’importe quoi, pour pouvoir à nouveau le toucher. Je le désirais tant que je m’approchais. D’un regard, il me figea. Il réclamait mon obéissance, et sans même prendre le temps de la réflexion, j’acceptais.

Quoi qu’il demande, je le ferais. Je le savais d’avance.

Un reste de lucidité me poussa à répéter ces mots que j’avais déjà formulés « j’aime les femmes ». Il posa le doigt sur mes lèvres, me faisant taire d’une délicieuse façon. J’adorais ce touché. J’en voulais plus. Beaucoup plus…

Il se pencha vers moi, me murmurant à l’oreille. Je frissonnais sous le contact de son souffle me chatouillant.

« Le corps n’est qu’une vision de l’esprit » tel furent ces mots.

Sur le coup, je ne compris pas. Mais cela n’avait pas d’importance. Seul comptait le fait qu’il prit mes mains dans les siennes, pour les poser sur sa chemise. Je tremblais en l’ouvrant pour la faire tomber. Une fois torse nu, je le fixais surpris avant de m’occuper de son pantalon, désireux d’en voir plus.

Il se laissa faire, tout en me lançant un regard provocateur. Quand le seigneur fut totalement débarrassé de ses vêtements, je compris. Je le contemplais alors qu’il se glisser dans l’eau brûlante sans savoir quoi dire ou quoi faire.

Ses mots se mirent à résonner dans mon esprit. J’obéissais à chacun de ses ordres au mieux, supportant ses punitions quand je me montrais trop empressé, accueillant avec délice ses récompenses lorsque je me montrais à la hauteur de ce qu’il désirait.

J’étais fou. Fou de lui. Chaque minute, chaque seconde qui passait, je réclamais sa présence à mes côtés. Le savoir loin de moi était une torture sans nom. Je me laissais complètement aller, ne mangeant plus, ne bougeant plus, restant dans l’attente de pouvoir le voir. L’ayant compris, il me donnait des ordres à chaque fois qu’il devait partir quelque part sans moi. Penser que je le servais à ma manière, me permettait de supporter l’angoisse de la séparation.

Il m’aimait. J’en étais sûr. Il faisait des choses qu’il n’aurait faites pour personne d’autre que moi. Malgré la présence de toutes ses femmes magnifiques, c’était moi qu’il choisissait pour passer la nuit. Je m’appliquais pour qu’il ne se lasse pas. J’adorais le voir submerger par le plaisir, et savoir que j’en étais la cause.

Je l’aime. Je n’ai pas honte de dire que j’aime ce démon. J’aime Eren de Tiendram. Je mourrais pour lui, sans le moindre doute. C’est pour cette raison que je ne reviendrais pas dans mon pays. Revoir mes proches à moins d’importance que d’être là, pour lui.

Même maintenant, alors que je rédige cette lettre, il se tient à mon côté. Sans doute, ne voudra-t-il pas que je l’envoie ainsi avec tous ces détails. Je peux le comprendre. Je recommencerais le nombre de fois nécessaire.

Déjà, il tend la main, attendant que je lui remette mes notes, ce que je m’empressais de faire. Ce message finira sûrement dans la cheminée, mais cela n’a pas d’importance. J’ai posé par écrit tout ce que je ressentais pour lui, et je recommencerais autant de fois qu’il le faudra.

Je lui donne avec espoir ces mots. Ainsi, il saura. Il saura la force de mon amour pour lui.

Monseigneur, je vous aime, plus que ma vie. Je ne pourrais la vivre sans votre présence. »


Texte publié par Nascana, 2 novembre 2019 à 00h18
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