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Ignemshir, Tome 1 : L'Étincelle Mourante
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tome 1, Chapitre 81 « La Salle du Juste » tome 1, Chapitre 81

Evan rejoignit Keiji qui discutait avec Jeff et Joaquin. Jin les atteignit en même temps que lui. Ils étaient tous tirés à quatre épingles. Keiji l’entraîna légèrement sur le côté en lui demandant à voix basse :

— Alors ?

— Alors ?

— Tu as dansé avec elle une danse de plus que nécessaire. Qu’est-ce que tu as pu en tirer ?

— Eh bien, pas grand-chose, à part ce que l’on sait déjà. Je dirais plutôt que c’est elle qui en a tiré quelque chose.

— Pourquoi avoir dansé alors ?

— Pour me changer les idées.

— Ah… murmura Keiji en lui lançant un regard incertain avant de hausser les épaules et de poser un regard éloquent sur son R-Tatoo en faisant défiler l’écran d’un mouvement du pouce. Rassure-moi que les rumeurs stupides qui cours sont à cent lieues de la réalité. Tu ne serais pas par hasard subjugué par son charme ? ou malade à en mourir parce que tu ne pourras jamais en faire ton amalia ? Ou fou de colère et de jalousie envers ce débile de Gus Steincraft au point de lui donner un méchant coup d’épaule parce qu’il a plus de chance de l’avoir que toi ?

Evan, dubitatif à cause des propos incohérents que tenait son ami, se pencha et vit qu’il était réellement en train de lire des posts sur Keep. Il soupira, ne pouvant s’empêcher de sourire à l’absurdité des allégations que des inconnus étaient en train de tenir à son sujet.

— C’est aussi vrai que le demi-milliard de rumeur qui a couru à ton sujet. Sérieusement, Kei, pourquoi me poser une question dont tu connais la réponse ?

— J’ai un peu de mal à te cerner là pour le coup. Même si dans un sens général j’y arrive mais dans les détails… Pourquoi avoir accepté de faire une trêve ou quoique c’était ?

— Hum…

Keiji lui lança un regard oblique avant avec de dire avec un sourire léger :

— Écoute frangin, si tu te dis que tu fais ça pour me protéger, ou ne pas m’entraîner dans des affaires obscures et hasardeuses, économise ton énergie. Nous ne sommes pas A’shua Meno pour rien. Ce n’est pas un statut qui est là pour faire beau. Quand j’ai prêté ce serment, tu sais comme j’étais sérieux. Alors balance avant que ce truc te bouffe de l’intérieur et que tu commences à commettre un des actes stupides dont toi seul as le secret.

— OK, céda Evan en se grattant pensivement sa crinière d’ébène. Quand je suis allé à l’hôtel de Franz, il m’avait laissé des indices…

Evan lui raconta ses déductions qui s’étaient confirmés en allant à la Bibliothèque d’Ambre et Nora qui était intervenu.

— Ah… fit-il indécis. Elle t’a vraiment sauvé la vie ? Tu avais oublié cette partie ce matin.

— Tu m’aurais demandé ce qu’elle faisait là, et j’aurai dû te dire pour le patch.

— Hum, OK. Donc, elle a un certain code… d’honneur. Enfin, je ne sais pas si on peut voir cela ainsi…

— Elle m’a juste renvoyé l’ascenseur par rapport aux loups. Rien de plus.

— Elle aurait pu te laisser te prendre une balle et te fouiller après. Elle est moins pire que je l’imaginais, à moins que ce soit peut-être…

— Que ce soit quoi ?

— Rien. Une théorie peu pertinente. Mais de toutes les manières, elle est quand même un oshaïnim.

— Oui, je ne suis pas près de l’oublier.

— Alors qu’y avait-il dans le fameux patch.

Evan se plongea dans son palais mental et lui détailla une petite partie des données qu’il avait retenu mais son ami se tendit lorsqu’il mentionna la Guerre du Verre et du Dragon.

— Quelles informations à ce propos ?

— Pourquoi ça t’intéresse ?

Keiji détourna légèrement le regard en se grattant la mâchoire avant de répondre :

— Mon arrière-grand-père a été sauvagement blessé lors de cette guerre par l’un des Seigneurs Blancs. Je m’intéresse à toute information qui s’en rapproche de près ou de loin.

— Bah dès qu’on rentre ce soir, tu pourras te faire plaisir. Il y en a des tonnes. Et de ce que j’ai compris, la Guerre des Deux Soleils y est liée d’une manière ou d’une autre.

— Vraiment ?

— C’est ce que disent les graphes relationnels. Mais tu les lis mieux que moi, alors… mais par contre, essayons de garder Charlie…

— De garder Charlie quoi ? fit une voix dans leur dos.

Evan se retourna en même temps que Keiji, en se disant les filles maniaient l’art d’écouter aux portes ou bien étaient-elles dotées d’une ouïe plus fine que la normale.

— Charlie ! alors tu t’amuses ? S’exclama Keiji, tout sourire, avec un enthousiasme feint.

— Comme une folle !

Elle était accompagnée de Caleigh et des amalia de Jeff, Jin et Joaquin.

— Alors vous parliez de moi ? Demanda-t-elle. A propos de quoi ?

Soudain, une sphère flottante s’arrêta devant la jeune fille. Il en fut de même pour Keiji et lui. Les trois autres alumni qui s’étaient rapprochés y eurent droit également. Evan saisit la sienne en se disant qu’elle tombait à point nommé et un hologramme apparu au-dessus :

Vous êtes conviez à la Salle du Juste.

Merci de vous y rendre immédiatement.

— Vous avez aussi reçu l’invitation pour la Salle du Juste ? Demanda-t-il aux autres.

Keiji hocha la tête avant de laisser repartir sa sphère. Les trois autres hochèrent également la tête, et il en fut de même pour Charlaine. Evan se demanda pourquoi Charlaine et pas les trois autres amalia. Il se sentit brusquement mal. Une soudaine raideur était en train de se propager dans sa poitrine.

— Je reviens, leur dit-il avant de s’éloigner rapidement.

Evan s’enferma dans une des cabines des toilettes. Des frissons douloureux parcouraient chaque centimètre carré de peau. Il avait oublié de prendre ses pilules dans la précipitation. Il étouffa les cris de douleur que les spasmes dans son abdomen et le serrement dans sa poitrine, lui causaient. Il ne sut combien de temps s’écoula mais quand elle finit par passer, ce fût en sueur qu’il sortit de la cabine. Il regarda son visage dans le grand miroir des toilettes. Ses yeux étaient rouges et ses traits défaits.

Les suivantes seraient plus violentes.

Il devait rentrer chez lui. C’était la première fois qu’il oubliait depuis qu’il les prenait. Il reviendrait à temps pour le dîner qui avait normalement lieu dans une vingtaine de minutes. La Sebastian était suffisamment rapide pour qu’il fût dans les temps mais la convocation impromptue à la Salle du Juste rendait les choses plus compliquées.

Étrange…

Il ne se souvenait pas d’un évènement similaire l’année dernière, ni celle d’avant. Evan se passa de l’eau sur le visage, but encore plusieurs gorgées d’eau car il mourrait de soif puis se rafraîchit le visage. Trouvant qu’il avait déjà une meilleure mine, il s’essuya le visage et sortit.

Il remonta un large couloir jusqu’à la salle de bal et nota que Keiji et les autres étaient absents. Il supposa qu’ils s’étaient probablement déjà rendus à la Salle du Juste. Il continua son chemin, traversa un long couloir bordé de colonnes à l’aspect de pierre précieuse, grimpa une longue volée de marches puis prit un autre couloir sur sa droite et arriva enfin devant les grandes portes en BoisFer de la Salle du Juste. Elles étaient gravées du signe soloménique du Temps. Il était rare de le voir celui-là. Il poussa l’un des battants et entra dans ce qui devait être une antichambre.

Elle était plongée dans une lumière tamisée et plusieurs socles à face rectangulaire étaient éclairés par des faisceaux de lumière éthérée. Au-dessus de ces socles, des vases en suspensions légèrement penché d’un côté tournaient lentement sur eux-mêmes. Il se rapprocha de l’un des vases recouverts d’une peinture mouvante représentant Ambre aux Mille Flammes combattant sa dernière Lune Félonne, Luke Capri. Evan traversa ensuite d’un pas rapide la grande antichambre jusqu’à deux battants sur lesquels courait le signe soloménique de l’éternité. A mi-chemin, une sensation de chaleur lui parcouru tout le corps et l’air lui manqua. Cela fut très bref, si rapide qu’il douta de l’avoir ressenti. Il se retourna à la recherche de ce qui avait pu lui donner cette sensation.

Il n’y avait rien. Il crût d’abords que c’était peut-être une autre crise mais lorsqu’il tendit la main, elle rencontra une paroi invisible. Venait-il de la traverser ? Il essaya de la repousser mais elle semblait aussi inamovible qu’un mur de verre.

— Qu’est-ce que…

Il se retourna. Sous le signe de l’éternité était marquée une inscription en solominon qu’il déchiffra aisément : « Les Justes seront toujours victorieux ».

Dans cette vie, ou dans la suivante… Murmura-t-il à voix basse.

Cela était tiré du quatrième livre du Mirkh’anduri, le Livre du Temps. Son père aimait particulièrement cette citation. Evan prit subitement conscience du bruit qui provenait de l’autre côté des battants clos. Des bruits de heurts métalliques très familiers. Il remarqua aussi des éclaboussures qui luisaient sombrement sur le sol. Il s’accroupit, toucha l’une des tâches et se rendit compte en voyant le bout de ses doigts rougis qu’il s’agissait de sang… une poussée d’adrénaline le conduisit à se relever vivement et il repoussa les battants avec empressement.

Ce qu’ils révélèrent le pétrifia.

L’immense salle n’était plus qu’un champ de ruine plongé dans un nuage de fumée grisâtre au reflet bleuté. Le sol de marbre en damier était craquelé et de nombreuses dalles avaient été pulvérisées. Il voyait à peine à trois mètres. Une des colonnes avait été détruite, et plusieurs feux de divers couleurs brûlaient des décombres projetant des lumières diffuses dans la fumée.

Que se passait-il ?

La chaleur était insupportable mais son corps s’autorégulant, il ne la ressentit plus. Des cris de détresse et de colère résonnaient, semblant venir de partout et des hurlements de rages venaient jusqu’à lui mais il n’en voyait pas les auteurs.

— C’est pas vrai, marmonna-t-il se mettant à courir en s’enfonçant plus profondément dans la fumée, ses mitaines enfilées et son neshir alamé au poing

Était-ce les oshaïnims ?

Qui d’autres ?

Il l’avait fait une fois lors de la Pacesia de Sang…

Désormais, ils avaient même une espionne pouvant les renseigner, Nora…

Ils pouvaient le refaire. Evan se rendit compte que la fumée n’était pas celle produit par la combustion de la matière mais celle utilisé dans les armes de dissimulation. Parfaite pour la désorganisation et les attaques par surprise.

Son pied heurta quelque chose et il manqua de trébucher. Alors qu’il se rattrapait et retrouvait son équilibre, un grognement plaintif monta derrière lui. Il se retourna en baissant les yeux et découvrit Lucas, étendu à terre. Il avait une blessure profonde au niveau de l’épaule et une plaie béante à l’estomac. Il saignait abondamment. Evan s’empressa de prendre un mouchoir qu’il pressa sur la plaie à son estomac.

— Lucas… Lucas !

Son regard fiévreux se posa sur lui.

— Que s’est-il passé ?

Il lui saisit brutalement le col et l’attira à lui en disant d’une voix brisée :

— Ils me l’ont prise… Evan. Ils l’ont enlevée.

— Qui ?

— Sauve-la, je t’en prie. Si c’est toi, tu pourras…

La douleur familière revint dans sa poitrine avec une intensité qu’il n’avait jusqu’alors jamais expérimenté. Les mains tremblantes, il balbutia :

— Tessa ? Ne me dis pas que tu parles de Tessa. Qui ? qui l’a enlevé, Lucas ?

— Des nihils… oshaïnims peut-être… Tu dois la retrouv…

Les doigts de Lucas se décrispèrent et son bras retomba mollement sur le sol, les yeux mi-clos, ses pupilles grise immobiles et vides avaient perdus toute vitalité. Evan les doigts tremblants, lui ferma les paupières en déglutissant.

Tessa…

Il poussa un rugissement de rage.

— Tessa… bredouilla-t-il en se levant avant de mettre à courir à l’aveugle dans la brume, le cœur battant à ses tempes.

S’il n’avait pas eu sa crise, il aurait été là. Il aurait pu la protéger. Ses poings serrés tremblaient de colère. Charlaine était forcément avec Keiji, sauve. Il était convaincu qu’il n’avait pas à s’en faire pour elle.

Lucas… Il n’était pas censé mourir… Il l’avait vu… mais sa vision… Elle n’était qu’un mensonge. Et sa mort ne lui apportait aucune satisfaction. Pas la moindre et le fait que ses derniers mots aient été pour Tessa, le remplissait d’une tristesse sans borne.

Si des nihils s’étaient introduits dans l’Aurarquat et qu’ils massacraient les alumni, c’était pour fragiliser les Fédérations mais principalement les Deux-Frances. Les futurs dirigeants de plusieurs Fédérations se trouvaient là. Et il était fort probable qu’ils aient pratiquement tous été exterminé. Lucas était le sextus. Il n’y avait que cinq personnes au-dessus de lui dans le primum agmen de Kiona Paine et peu d’alumni étaient capables de se mesurer à lui dans les autres scholas.

Mais comment cela avait-il pu arriver ? Le magister scientis Rhodes avait raison. Ce qui se passait, était la preuve que la conspiration dont il parlait lors de la réunion des magistri princeps, était réelle. Si jamais il tombait sur Nora, elle allait voir de quel bois il se chauffait. Tout était forcément de sa faute. Cela ne pouvait être que les oshaïnim. Il s’arrêta brusquement car il se rendit compte qu’il n’était tombé sur aucun autre cadavre à part celui de Lucas… Ce n’était pas normal.

Tout à coup, un fourmillement dans sa nuque l’alerta et un épéiste, vêtu d’un long vêtement à capuche dissimulant son visage, jaillit de la brume, son neshir levé. Evan s’écarta vivement, évita sa lame et para deux coups de taille puis un coup d’estoc en se plongeant dans le cirkaem movi avant de le frapper en réalisant un implacable Blue Panther, suivit de l’imprévisible Vent Paisible au Crépuscule et son adversaire s’effondra lourdement sur sol. Il ressentit une brûlure et se rendit alors compte qu’il avait une entaille profonde au niveau de bras droit qui saignait abondamment. Un henshirion. Très doué puisqu’il n’avait pas pu anticiper son momentum. Il continua de marcher à l’aveugle, ses sens aux aguets et remarqua qu’il n’y avait quasiment plus de cri, ni de bruit de neshirs s’entrechoquant.

Pourvu que Keiji… Déchirant ses tympans, une explosion à sa droite le projeta au sol. Il roula dans les débris calcinés et se redressa vivement, un genou à terre, s’appuyant sur Wazushendi à la pointe plantée dans le sol, essayant de comprendre ce qui avait pu provoquer cette explosion. Il perçut alors une présence derrière lui et réalisa instinctivement le 4ème momentum du 3ème aïsma du Lon-Shirkairon, la Lame du Ciel.

Dans une gerbe d’étincelles, sa lame heurta violemment une autre au reflet purpurin. Et il reconnut son nouvel adversaire.

Nora.

C’était bien elle.

Il s’apprêtait à l’attaquer de nouveau mais son expression et l’état dans lequel elle était, l’en empêcha. Elle avait de multiples contusions sur le visage, et des entailles sur les bras de sa veste courte tachée de sang, son chignon était relâché et ses cheveux bouclés châtains partiellement tressée encadraient anarchiquement son visage. Ses yeux ambrés semblaient plus froids que jamais.

Elle posa un doigt sur ses lèvres avant de lui faire signe de le suivre en lui attrapant le bras puis l’entraîna à pas de loup, au milieu de la fumée. Il ne résista pas mais ne baissa pas sa garde pour autant. Ils atteignirent l’un des murs de la salle parcourut de craquelures :

— Ils t’ont attaqué toi-aussi ? lui demanda-t-il alors qu’ils s’accroupissaient derrière les décombres de l’une des colonnes.

— Pourquoi ne l’aurait-il pas fait, répondit-elle en lâchant un soupir en s’adossant, les yeux fermés, glissant ses doigts dans ses cheveux poussiéreux. Saleté. Je ne vois vraiment pas comment me sortir de là. Il ne reste plus personne… Tu aurais mieux fait de rester où tu étais, Evan.

— Que s’est-il passé ?

Cela n’avait aucun sens.

Pourquoi les oshaïnims attaqueraient-ils l’un des leurs ?

— Ils ont débarqué de nulle part. Ils s’en sont d’abord pris aux eretsins.

— Qui ?

— Mais j’en sais rien ! rétorqua-t-elle à voix basse d’un ton rageur. Ils étaient beaucoup plus forts que nous. Ce ne sont pas des magistri mais leur niveau est définitivement au-dessus du nôtre. Il y a sûrement des Écuyers Lignites mais un seul Chevalier Cendré.

Et si Nora était l’une des seules encore debout pour la simple et bonne raison qu’elle était avec l’ennemi ? Ces contusions, elle aurait très bien pu les récolter en se battant contre les alumni ? Contre ses anciens Cereshirs, ceux avec qui elle avait grandi et qu’elle avait choisi de trahir en rejoignant les oshaïnims. La jeune fille leva ses yeux vers lui et l’observa un moment les sourcils légèrement froncés. Dans ses yeux ambrés et intenses brillaient une lueur indéfinissable. Evan n’arrivait pas à déterminer si elle était une alliée ou une ennemie ?

Il était en train de tomber dans un piège. Forcément.

Encore une des matriochkas que son esprit alambiqué cachait. Lui qui avait espéré que ce serait fini…

— Pourquoi me regardes-tu comme ça ? Demanda-t-elle en se relevant lentement, Evan l’imitant.

— Je me pose des questions…

— Vraiment, répondit l’autre d’une voix un peu agressive. Quelles questions, Evan ? Dis-moi.

Evan perçut les émanations de l’atmosphaira de la jeune fille.

— Sais-tu où est Charlie ?

— Faust et le fils Harrow ont tenté de s’interposer, ils n’ont pas été assez rapides. A mon tour. Ou étais-tu, Evan ? Pourquoi n’arrives-tu que maintenant ?

— J’ai dû m’occuper de quelque chose, répondit le jeune homme en faisant un léger pas en arrière. Et Keiji ? Il n’aurait jamais laissé cela arriver.

— Le Shogun n’a rien pu faire. Ils étaient rapides et bien coordonnés. Il s’est retrouvé cerné par trois de ces types comme moi et chacun des Auctoriteons présents. Après qu’ils aient enlevé les eretsins, tout est parti en vrille. Une partie des alumni se sont attaqués à ces types encapuchonnés, une autre a tenté d’aller prévenir les magistri, les Plumes de Terre ou même les Imperators. La brume est sortie de nulle part et nous nous sommes tous perdus de vue. Personne n’a réussi à sortir…

— La barrière à l’entrée ?

— Oui, on ne peut pas la traverser dans l’autre sens. Nous l’avons tous sentit en arrivant. J’ai été stupide.

Elle inspira profondément pour se calmer alors que ses yeux s’humectaient. Elle était si convaincante… Et si tout n’était que dans sa tête.

— J’aurai dû me douter de ce que c’était lorsque Nausicaa me l’a dit. Elle marchait devant moi. Je n’ai vraiment pas assuré... A cause de moi, mes amis sont morts. Ils sont tous morts. Faust, Oz, Nausicaa… Et je ne vais pas tarder à les rejoindre mais je ne me laisserai pas faire.

Elle se tint fermement sur ses appuis en levant la lame de son neshir :

— Où étais-tu réellement, Evan ? Qu’as-tu vu dans le patch de Parker ?

— Quel est le rapport avec maintenant. Tu t’es douté que je te soupçonnais alors tu essayes de me convaincre que tu n’as rien à voir avec cette hécatombe ? Que ce ne sont pas les oshaïnims qui sont derrière tout ça ?

— Je n’ai rien à voir avec ce qui se passe ici, et les Héritiers du Néant non plus. Je n’ai pas envie de me battre avec toi mais s’il le faut, je le ferais. Franz Parker n’est pas celui que tu crois…

— Qui est-il alors ?

— Un traître.

— Un traître à qui.

— A l’Humanité…

— Quoi ?

— Et toi qui es-tu ? Lui demanda-t-elle.

— C’est une blague ? Tu doutes de mon identité ? C’est toi le nihil, pas moi.

— Vraiment ? Comment arrives-tu à faire tout ce que tu fais alors. Le cirkaem versei.

— Le quoi ?

— C’est bien ce que je pensais. Tu ne sais même pas ce que c’est. Tu maîtrise l’Air d’une manière qui a été interdite depuis l’Accalmie, il y a neuf cents ans. Tu ne devrais pas être capable de sortir de l’On’el Kagar sans aide…

Evan ne trouva rien d’autre à dire que :

— Je n’en suis capable que depuis quelque mois…

— Justement… Tu n’es pas normal. Ce n’est pas un hasard si Franz Parker est venu te voir. Et tu as dompté l’un des Yen’doshushim. Mais qui es-tu à la fin ? Qui es-tu vraiment ?

— Je sais ce que tu essayes de faire, Nora. Tu ne rentreras pas dans ma tête. Tu ne m’auras pas !

— Et toi non plus !

Ils s’adonnèrent alors avec furie au Ballet de la Flamme. Leurs atmosphairas cantonnées au Crépuscule guerroyaient pour s’écraser mutuellement et une pluie d’étincelles jaillissaient à chaque fois que leurs lames se rencontraient. La jeune fille infligea deux estafilades, sur la joue et le front, et une coupure profonde au torse qui lui arracha une grimace de douleur. Evan se figea brusquement, alors que son neshir s’apprêtait à transpercer la cuisse et à briser le fémur de son adversaire. La jeune fille bondit hors de portée, prenant conscience qu’elle l’avait échappé belle. S’il n’avait pas interrompu son geste, le duel aurait pris fin à son désavantage. Elle demanda froidement en le dardant d’un regard interrogateur mais féroce :

— Que t’arrive-t-il Empereur déchaîné ? Tu n’as plus envie de me tuer ?

— Ton masque… Tu ne le portes pas… tu n’as même pas cherché à le remettre. Les hommes en capuche, il ne semblait pas en avoir non plus…

— C’est ce que je me tue à te dire, Evan. Les oshaïnims n’ont rien avoir avec ça !

Soudain, il perçu un bruit sur la droite et vit une éruption de flamme mordoré jaillit de la brume, passa entre les deux ignemshirs qui s’étaient écarté à temps et l’explosion projeta Evan en arrière. Il fit des roulé-boulé dans les débris fumants qui volèrent dans tous les sens. Les flammes qu’il avait vues, c’était exactement le même type de flamme qui avait tué Salman. Les flammes d’un neshir incarné. En se redressant, les oreilles sifflantes, il entendit un cri de rage, celui de Nora et il vit à travers la brume deux éclats de lumière différents qui brillèrent, puis un éclat aveuglant qui blanchit la brume.

Il bondit en avant pour lui venir en aide. Une autre explosion s’ensuivit. Il ne fut pas soufflé cette fois-ci, mais plusieurs gravats brûlants lui meurtrirent les mains et le visage. Lorsqu’il arriva là où s’était déroulé le bref affrontement, un homme vêtu d’un manteau à la capuche rabattue cachant son visage, se tenait debout près la jeune fille inerte, étendu dans une mare de sang. Son cœur se brisa à la vue de son regard sans vie, à son visage dont la beauté appartenait désormais à Ishirin’Ral’Eriok, le Dévoreur de Cendres.

Encore un autre mort… Et cette fois-ci, c’était de sa faute. Parce qu’il avait douté d’elle…

Les sentiments qui s’agitaient en lui, comme des entités furieuses trop à l’étroit dans sa poitrine, le faisaient souffrir.

Trop de morts.

Trop de violence.

Il fondit sur le criminel qui venait de briser la lame de la Regina Pourpre en rugissant de colère. L’homme à la capuche ne se laissa pas faire. Et sans savoir pourquoi, il lui parut étrangement familier. Au Crépuscule, il enchaîna le Vent Paisible que son adversaire, probablement au-delà de la Barrière d’On’el Ke’Issin, bloqua aisément avec L’Araignée Rouge, le 3ème momentum du 2ème aïsma du To-Shirkairon. Réalisé avec une fluidité et une dextérité qui trahissaient de longues années de pratique. Il était presque meilleur que celui de Keiji mais Evan ne lui laissa pas un instant de répit et fit pleuvoir sur lui une pluie de momentum. Ils s’enfoncèrent dans la brume. Son adversaire bloquait et déviait chacune de ses attaques, malgré sa fureur et sa férocité. Sur sa droite, une explosion souffla des fragments de marbres, de pierre et de poussière. Dans le nuage de poussière, il se rua à nouveau sur le nihil le forçant à battre en retraite en se déchaînant sur lui.

D’un coup, ils émergèrent de la brume. Evan découvrit la Salle du Juste, ses colonnes peintes et son haut plafond marqué du signe soloménique du temps, ses grandes fenêtres révélant un ciel couvert aux nuages opaques et les quelques alumni qui luttaient toujours. Très peu. Dont Joaquin, en sang, et Keiji, à la veste shirag en lambeau. Deux autres alumni s’écroulèrent et il ne resta plus qu’eux trois. En l’apercevant, malgré son visage recouvert de suie et de sang, il esquissa un sourire à son attention avant d’enchaîner avec des mouvements pleins de grâce et de vitesse deux momentums fulgurants qui lui permirent de vaincre son adversaire qui s’affaissa sur le sol. En voyant que son A’shua Meno allait bien, Evan sentit un poids disparaître de sa poitrine. Tout n’était pas complètement perdu. Il y avait encore de l’espoir. Il fallait qu’ils s’en sortent avec Joaquin. Il le fallait. Et ils retrouveraient tous ensemble Charlaine et les autres…

— Ouvre grand tes yeux Empereur déchu, fit une voix glaciale. Car c’est ce que je voulais que tu voies.

Cette voix. Evan fut envahi d’une profonde angoisse quand son adversaire pointa son neshir sur Keiji. La lame de son neshir argenté, nacré de jaune se mit à miroiter et au milieu d’une lumière éblouissante un brasier de flammes mordorés aux reflets vermeils le dévora. Un neshir incarné. Une éruption de flamme en jaillit et en même temps qu’un deuxième éclair de lumière propagea dans la pièce. Le cœur d’Evan manqua un battement lorsqu’il vit le jet de flamme être dévié par un Brasier de Résurrection qui consumait la lame d’Hozukin. Keiji ! il était parvenu à incarner son neshir.

— Encore, un autre qui l’a incarné ! brailla l’homme à la capuche d’une voix survoltée. Ils avaient raison. La cuvée de cette année est vraiment exceptionnelle !

Evan frappa l’homme avec la Lame du Ciel et l’atteignit à la poitrine ne lui laissant qu’une légère égratignure car il devait se tenir au Brasier mais le jet de flamme s’arrêta. Il quitta brièvement Keiji du regard et frappa Evan d’un coup de pied dans l’estomac si rapide qu’il ne pût anticiper et fut projeté jusqu’au mur et le heurta avec force avant de retomber lourdement à terre. Lorsqu’il leva les yeux, il vit que Keiji en avait profité, et s’était déjà s’élancer dans leur direction. Il avait déjà parcouru la moitié. Une douleur violente lui vrilla l’estomac. Il cracha du sang en voyant Keiji, éviter deux jets de flamme et bondir sur son adversaire à portée de lame, la pointe de son neshir dirigé sur lui mais sans savoir comment ce dernier s’y prit. Il se déplaça si vite que Keiji était encore en l’air quand il fût stoppé net par son adversaire qui une main lui enserrant le coup le plaqua violemment sur le sol qui se fissura dans un nuage de poussière. Le Sang d’Asano voulut le frapper mais ce dernier d’un mouvement rapide, le saisit par le col de sa veste et le projeta dans les airs avec une facilité déconcertante. Alors que son A’shua Meno était encore en l’air, une éruption de flamme mordoré le frappa au niveau de l’estomac et il heurta brutalement le mur dans une explosion de pierre et de poussière. Evan se redressa, les poings tremblant tandis que des larmes recouvrait ses joues. Non, pas Keiji. Il vit alors au milieu de débris, son A’shua Meno, le visage en sang, se redresser, la respiration précipité, Hozukin toujours ardent de feu et de lumière. Evan bondit. Courant comme il n’avait jamais couru et avant que son A’shua Meno n’eût fait le moindre mouvement, une lame le transperça au côté. Puis une autre. Cinq autres ennemis sortis de la brume couraient vers lui, rejoignant les deux qui l’avait déjà planté de leur neshir.

Dans un rugissement de fureur, Keiji de deux coups de lame ardente éjecta les des deux premiers qui s’embrasèrent au contact de son Brasier de Résurrection et leur corps brûlé disparurent dans la brume. Avant qu’il n’eût le temps de réagir, les cinq l’avait atteint et le plantèrent en même temps de leur cinq neshirs. Le sentiment qu’on lui arrachait le cœur après l’avoir réduit en miette lui embrasa sa poitrine lorsque toute lumière s’en fût du regard de Keiji et que l’éclat perçant qui caractérisait Le Shogun aux Regard d’Aigle eût disparu. Son A’shua Meno, le Reflet de sa Lame, recouvert de sang, de brûlure et de poussière, bascula en avant et s’écrasa sur le sol, sans vie...

La symphonie mélancolique de l’orchestre, inaudible jusque-là et qui jouait dans la salle de Bal, ignorant comme le reste des convives la boucherie qui était en train de se produire, résonna plus fort dans la Salle du Juste.

— Quino ! cria-t-il en le cherchant du regard et il le découvrit étendu à terre, inerte.

Ce qui rajouta une autre profondeur au sentiment de perte qui venait de s’installer en lui. Un des hommes à capuche jaillit de la brume, son épée levée et d’un geste fulgurant, Evan lui planta son neshir dans la poitrine et il tomba inerte sur le sol. Des hommes en capuche sortirent de la brume et l’encerclèrent progressivement en lui bloquant l’accès à Keiji. Il perdit de vue le corps sans vie de son A’shua Meno et celui de Joaquin alors qu’il avait l’impression d’asphyxier sous l’assaut d’une ardente détresse, d’une noire tristesse et d’une terrible fureur.

La respiration précipitée, il se retourna vers celui qui était probablement le chef des nihil. Toujours caché par sa capuche, il se tenait en retrait, l’observant avant de lui lancer :

— Alors ? Quel effet cela fait-il de voir mourir un ami devant ses yeux ? Non un frère, il était ton A’shua Meno, n’est-ce pas ? Il est mort parce que tu étais trop faible pour le secourir. La meilleure génération depuis l’Age des Immortels, hein ? Tu es le dernier qui est encore debout. Mais comme les autres, aujourd’hui, tu tomberas. Ils l’ont tous entendu. La symphonie funèbre. Et maintenant, ton tour est venu.

Toutes les fois qu’il avait combattues, Evan l’avait fait pour survivre, avec l’espérance qu’il trouverait la paix, une fois que tout serait fini. Il n’avait été animé que par ce désir de survie et cette volonté de gagner et d’accéder à une certaine quiétude. Persévérer comme le mouvement ininterrompu des étoiles et des astres. Des planètes et des lunes. Il ne l’avait jamais fait animer par autre chose. Toutes les fois qu’il avait été amené à tuer dans une arène. A prendre la vie d’un autre Fils des Cendres. Il ne l’avait jamais fait pour le plaisir. Il ne l’avait jamais voulu. Il avait juste voulu remporter le duel mais parfois les momentums étaient comme des balles de révolver. Une fois que la gâchette était pressée, on ne pouvait plus retenir le projectile. Il avait assumé pleinement sa responsabilité. Il s’était forcé à regarder ces familles brisées, ces mères dévastées et ces pères meurtris sans refroidir son cœur, sans devenir insensible à la douleur d’autrui…

Cette fois-ci, il n’était que pure colère. Il était habité par une haine profonde, absolue. Il s’enfonçait de plus en plus profondément dans les ténèbres. Il le sentait en lui. Il n’y avait plus de lumière pour lui. Elles s’étaient toute éteintes. Et cette soif de destruction. Qu’il avait ressenti dans le cimetière lorsqu’il combattait les loups. Cette entité qui se nourrissait de sa colère et ne désirait que détruire…

Détruire… Simplement détruire…

Se lançant dans un ballet mortel, Evan enchaîna les adversaires qui tombèrent les uns après les autres jusqu’à ce qu’il fît une percée et bondit sur le chef qui para son neshir du sien qui de nouveau avait un aspect normal. Il bloqua les cinq momentum qu’Evan enchaîna et la lame de son adversaire lui traversa la poitrine. Et dans ce dernier mouvement, sa capuche tomba en arrière révélant le regard mélancolique de l’ancien magister magnus, Lancelot Dreiven.

— Tu n’es pas surpris, on dirait, lui dit-il avant de lui donner un coup de pied qui le projeta à terre.

Evan, la poitrine en feu, saignant abondamment, se redressa comme il put, la respiration saccadée.

Erin Mo’ol m’aete gunsher’a kesek ishna !

Encore ces voix… pressantes. Insistantes.

L’abîme m’appelle, à son chant, je réponds !

Oui, il répondait !

Car c’est au fond de moi, que cet abîme se trouve, murmura-t-il à voix basse alors que son atmosphaira se déployait comme elle ne s’était encore jamais déployée et que son Point de l’Être brisait la Barrière d’On’el Ke’Issin comme si elle n’avait jamais existé.

— Qu’est-ce que tu viens de dire ? Demanda Lancelot en ouvrant grand les yeux avant de hurler, comme prit de peur et de fureur : Qu’as-tu dit maudit Yen’doshushimu ?

La lame de Wazushendi s’illumina brusquement au point d’en devenir aveuglante et fut dévoré par les flamme mordoré.

Et Evan s’élança aussi fulgurant qu’un éclair dans le ciel.

Alors que, se mouvant à une vitesse qu’il n’avait encore jamais atteinte, le cœur consumé par une rage et une haine meurtrière, Evan frappa Lancelot Dreiven de son neshir incarné et ce dernier parvint à l’éviter in extremis mais une partie de son visage se recouvrit de brûlures. La lame de son adversaire fût de nouveau consumée par les mêmes flammes que la sienne. Il semblait à bout de force et Evan qui ne lui laissa pas le temps de faire un pas, était déjà sur lui. Il le frappa au niveau de son bras dominant et Evan sentit une résistance anormale avant qu’il ne fût coupé au-dessus de coude en s’embrasant. Il se souvint que l’ancien magister magnus avait perdu un bras et que celui-là était sûrement artificielle. Se jetant à terre pour ramasser son neshir, Lancelot se redressa sur un genou, le bras tendu et une éruption de flamme frappa Evan au niveau de son épaule droite, plus vite qu’il ne pût l’anticiper. Il heurta le mur dans une explosion de débris, son bras gauche le faisant souffrir le martyr.

Les ténèbres l’aspirèrent.

Il se retrouva dans le Mirkh’Ogadoran. Il était déjà au milieu du cyclone et le puzzle de grain de sable multicolore était déjà complet et la fresque représentait un miroir au cadre fait d’un métal artistement travaillé dont les gravures lui parurent très anciennes. Au travers du verre sombre, il percevait un grand pouvoir qui lui donna l’impression d’être aussi ancien que le temps lui-même…

— Tu peux essayer de l’avoir, si tu veux, lui dit une voix enfantine.

Il baissa les yeux et vit le petit garçon à la peau noire, aux yeux couleur de cendres et au crâne rasé. C’est alors qu’il comprit enfin et dit :

Wazushendi… signifie Ne meurs jamais. C’est toi…

— Tu comprends enfin, Azekel. Alors tu le veux ?

— Qu’est-ce qu’il y a derrière ? Je veux dire, c’est un miroir non ? mais il n’y a pas de reflet

— Tu as toujours le choix… Que choisis-tu. Il ne reflète que tes choix. Ce que tu es au-dedans de toi. Veux-tu la vengeance maintenant ou la paix plus tard. Ce que tu choisis, je m’y alignerai mais il n’y aura plus de retour en arrière

Il repensa à Keiji à Charlaine et son cœur s’embrasa de fureur. La surface du miroir ondula puis un symbole soloménique sembla si refléter. Il le reconnut.

Le Chaos.

— Je me disais aussi que c’est ce que tu choisirais. Tu n’as plus qu’à toucher le reflet. Et ce sera à toi.

— Qu’est-ce qui sera à moi ?

— Ce que tu désires. Je te l’ai déjà dit Azekel. Il reflète tes choix. Ce que tu es. Ce que tu choisis d’être.

Des voix résonnèrent alors dans le lointain de sa conscience.

Une fois que l’on prend la décision de se laisser embrasser par la folie des ténèbres,

par la haine, il est difficile d’en revenir, extrêmement difficile.

Papa…

La haine et la colère ne guérissent pas les blessures. Elles te tuent et étouffent toute vie en toi.

Maman…

Ne reprends jamais une parole que tu as donnée, Un serment implique toujours ton honneur et ton honneur mesure ta valeur. Si une tâche ne peut être faite que par toi-seul alors, ton devoir aura toujours été de l’accomplir.

Prince…

Écoute-moi bien attentivement, Zeek. Je veux que tu retiennes ce que je m’apprête à te dire. Il viendra un jour où tu devras faire un choix. Choisir entre d’une part le Chaos et d’autre part l’Ordre et la Lumière. Choisi le bon chemin.

Papa…

Le bon chemin ? Ce qui importait après tout n’était pas comment l’on mourrait mais comment on avait vécu car souvent la fin de notre voyage était à l’image de ce dernier. Voulait-il vivre en n’ayant pour seul but que la vengeance ? Il l’avait vu au cours de ces dix années. La violence n’engendrait que la violence.

Après avoir été trahi par sa dernière Lune, la seule chose qui avait semblé importer à Edward Lukeni, avait été la paix et non la vengeance. Il n’avait pas pensé à lui-même. Si pour que la paix eût demeuré, il avait fallu qu’il demeurât pour toujours sur Sideraleon, il l’aurait volontairement accepté. Ce qui lui avait brisé le cœur n’avait pas été la trahison d’Orion Eldar mais que le travail de son existence entière, ce qui l’avait motivé à devenir l’ignemshir redoutable qu’il était, la paix des hommes, eût été anéanti par la guerre.

Il avait toujours voulu que la Terre fût sans péril…

Brûler afin que les autres eût de la lumière et de la chaleur même si pour cela, il savait que sa fin serait les cendres. Tel était le but d’un véritable Fils des Cendres. Son père… bien qu’il n’eût pas été un ignemshir. Il avait accepté de tout sacrifier pour une cause plus grande que lui. Le projet Odiani. La protection des Trois-Mondes. Contrairement à Edward Lukeni, il n’était pas vu comme un héros et Evan ne pouvait laisser son héritage abandonné dans la poussière.

Ressentant à nouveau le cœur brisé de Lukeni face aux feux de la guerre qui embrasait à nouveau la Terre, il prit une profonde inspiration. Et Keiji. Il avait toujours eu ce cœur. Il lui devait aussi cela. Le signe soloménique se transforma en un autre plus complexe.

— Je suis surpris, dit Wazushendi, j’étais certain que tu… alors là... Mère avait raison. L’ultime création est vraiment fascinante. Donc tu choisis la paix ?

— Oui, répondit Evan en touchant le signe de l’Ordre et de la Lumière qui se reflétait dans le miroir.

— Très bien, alors je pense qu’on va faire les choses dans l’ordre, vu que tu as choisi le futur plutôt que le présent.

— Comment ça ? Demanda Evan au moment où Wazushendi claquait des doigts.

Ils se retrouvèrent dans une salle au mur blanc mat. Au centre de la pièce, un cercle noir était tracé sur le sol. Quatorze éclairs onyx palpitant à égale distance était réparti tout autour.

— Qu’est-ce que c’est ?

— J’ai fini par comprendre la malédiction que ce sorcier a jeté sur nous. Cela n’a pas été simple et je crois que c’est à cause de ton choix que j’ai pu le comprendre. Ou plutôt le déchiffrer. Attrapes-en un ?

— Tu en es sûr ?

Evan percevait de chacun des éclairs une aura comminatoire, une puissance si terrible et un tel sentiment de danger qu’il en avait des frissons.

— Je crois… Enfin, je n’ai pas encore eu le temps de tout déchiffrer mais je crains que ce soit maintenant ou jamais.

Evan prit une profonde inspiration et s’accroupit. Il tendit lentement la main vers l’éclair le plus proche, convaincu que ses doigts seraient déchiquetés à leur contact.

Sa main se referma sur l’éclair onyx.

Evan ouvrit brusquement les yeux. La douleur qui pulsait dans chaque fibre de son corps était insupportable. Il vit Lancelot Dreiven qui était en train de se détourner de lui, se figer au moment où une énergie explosa dans sa poitrine se répandant dans toutes les cellules de son être et il brisa à nouveau la Barrière d’On’el Ke’Issin. Une onde d’énergie sortit de son corps et se répandît dans l’atmosphère. Evan s’accroupit. Lancelot, incarnant son neshir en rugissant et rage et d’incompréhension, s’élança vers lui en même temps que lui-même, Wazushendi consumé par un Brasier de Résurrection, bondissait vers l’ancien magister magnus. Les deux lames ardentes se croisèrent et engendrèrent à leur contact des éclats aveuglants qui submergèrent toute la Salle du Juste et des ondes vibratoires de très haute fréquence qui déchirèrent l’air entaillant le marbre comme s’il s’était s’agit de terre meuble. Ils enchaînèrent une demi-douzaine bottes qui défigurèrent les murs, au milieu des éclats fulgurants, et dans le rugissement de fureur de Lancelot, Evan fut englouti par une rivière de flammes mordorés qui jaillit du Brasier de Résurrection de l’ancien magister magnus qui malgré son bras bionique en moins se révéla supérieur. Evan tenta de résister en déchirant en deux le flot de flamme d’énergie avec sa lame ardente, la peau de ses bras se consumant sous l’assaut de la fournaise mais il fut complètement submergé par la puissance de son adversaire dans une explosion qui déchira le monde.

Dans une longue respiration rauque, Evan reprit connaissance. Il avait le visage humide. Son regard hagard se perdit dans un ciel grisâtre.

Il pleuvait.

À grosse goutte.

La pluie était froide, givrante. Il était allongé. Ses doigts se crispèrent sur ce qui semblait être de l’herbe mouillée et de la terre meuble.

Que faisait-il là ? Il se souvint du duel. L’avait-il remporté ? Il se redressa difficilement, les gestes malhabiles, sa peau calcinée lui faisait souffrir le martyr, les gouttes d’eau froide n’arrangeant rien. Il vit alors à une dizaine de pas, Lancelot Dreiven qui s’avançait, le visage déformé par la colère. Le jeune homme se mit aussi vite qu’il le pu sur ses jambes fébriles, il tenta de ramasser Wazushendi dont la lame était toujours consumée par le Brasier de Résurrection mais fut pris d’une soudaine nausée et vomit. Il constata en se redressant, fiévreux, que le mur du palais était percé d’une grosse brèche, les débris gisants en contrebas. Les vitres et les murs blancs de l’extérieur de la demeure de l’Aurarque étaient recouverts de craquelures et de brèches profondes. Pourquoi ne venait-on pas les secourir ? Il était vrai que l’Aurarque avait dû partir avec le Calisto pour le Conseil de l’Aurore mais tout de même. Que faisaient les Gardes de Terre ? le Grand Intendant ? Et la Garde au Visage Unique ? L’homme n’était plus qu’à un pas. Il revit Keiji qui s’effondrait sur le sol, sans vie. Il eut de nouveau envie de vomir. La vie était trop dure. Trop dure. Elle était et ne serait toujours qu’une tragédie.

Heredogar avait raison…

— Jay, hurla-t-il d’une voix éraillée, les larmes aux yeux, Jay ! Aide-moi… tu m’avais promis…

— Ton existence doit être effacé de la surface de la terre ! lui hurla-t-il avant de lui planter la lame ardent de son neshir dans le torse sans qu’il ne pût rien y faire car il avait atteint ses limites.

Dans un flash, Evan revit Nour et comprit que c’était terminé pour lui alors qu’une douleur déchirante se propageait dans sa poitrine qui se consumait, le faisant hurler à plein gosier

— Maudit Yen’doshushimu ! Meurs ! hurla encore Lancelot Dreiven.

Le supplice insoutenable prit subitement fin.

Le néant.

Il n’était nulle part.

Qui était-il ?

Et ces ténèbres…

Ces ténèbres complètes où résonnaient d’abords lointains, les échos d’une mélodie qui prenait de l’ampleur.

Cette musique complexe et raffinée.

Oui…

Etait-ce un oratorio ?

Une symphonie ?

Non, le timbre était si triste, si poignant.

Si majestueux.

Oui, il le reconnaissait.

Singulier et familier.

C’était un requiem.

Un requiem si déchirant qu’il plantait ses griffes jusque dans les profondeurs de l’être, plongeant dans une torpeur inconsolable…

Son requiem.

Le Requiem de Cendres.


Texte publié par N.K.B, 21 décembre 2019 à 16h52
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