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Ignemshir, Tome 1 : L'Étincelle Mourante
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tome 1, Chapitre 79 « Le Bal de l'Aurarquat » tome 1, Chapitre 79

Plongé dans une profonde torpeur, immobile sur le tapis de son salon, la tête dans ses mains, Evan ressassa les évènements, tentant vainement d’y trouver un sens jusqu’à ce qu’il se souvienne du gala. Il releva vivement la tête, vérifia l’heure et constata que le bal commençait dans trente minutes. Il aurait déjà dû être en chemin pour chercher Charlaine.

Il se précipita dans sa salle de bain, se déshabilla promptement et se doucha. Il retira ensuite les bouts de verre de ses plaies qui peinaient à cicatriser correctement puis banda proprement sa main avec des bandages de guérisons accélérés. Il sortit ensuite de sa penderie un costume shirag beige, aux manches et au col bordés de soie turquoise imprimée de signes soloméniques, une chemise blanche à col shirag à pointe métallique dorée et un nœud grand-duc turquoise, qui avait la forme d’un oiseau aux ailes déployées. Le nœud était doté d’une broche en argent. Il se vêtit rapidement mais ne se donna pas la peine de mettre son nœud grand-duc qu’il fourra dans sa poche.

Son regard se posa alors sur la sphérophone qui traînait sur sa table de chevet. Il repensa aux paroles de Nora, à son expression lorsqu’elle lui en avait parlé et il ne pût s’empêcher de la mettre dans la poche intérieure de sa veste avec l’intention de l’écouter plus tard. Il mit ensuite sa montre en argent, se ceignit de son neshir puis sortit.

Il descendait les escaliers quatre à quatre quand il tomba sur Ella. Elle s’immobilisa, surprise, en le regardant de la tête au pied avec un sourire contemplatif.

— Tu sors ? demanda-t-elle sans cesser de sourire en montant une marche supplémentaire en le fixant avec ses yeux bleus rieurs. Tu es vraiment très élégant.

— Merci. Oui. Je vais au gala de l’Aurarquat…

Elle lui sourit à nouveau avec un éclat maussade dans le regard avant de dire :

— Tu devrais y aller, tu avais l’air assez pressé.

— C’est vrai. Merci Ella, répondit-il en se souvenant qu’il était déjà bien en retard bien qu’intrigué par son regard. A plus tard. Sois sauve et que les cendres te protègent.

— Toi de même, Evan… entendit-il derrière lui.

Le jeune ignemshir ralentit devant la maison de Charlaine en touchant du bout des doigts le tableau de bord lambrissé de son nouvel aérocar. En sortant plus tôt, il ne s’était pas rendu compte qu’à la place de sa vielle jeep au parebrise brisé se trouvait un aérocar flambant neuf. Une Sebastian 8000, cinq places, d’un noir rutilant.

Le cadeau de Jeremiah.

La Sebastian était aussi puissante que la Morinetti de Keiji. Elle avait des courbes gracieuses mais énergiques et un rendu qui mélangeait modernité et classique. Elle lui plaisait beaucoup. Elle était aussi classe et puissante que la Morinetti était belle et sportive.

Lorsque Charlaine sortit de chez elle, Evan fut stupéfait un moment, ne s’attendant pas à la voir aussi joliment apprêtée. Ses cheveux blonds qui ondulaient gracieusement sur ses épaules étaient recouverts d’un châle marqué de symboles turquoise. Elle portait une magnifique robe drapée au rendu aérien d’un joli bleu turquoise recouvertes de signe soloménique blanc. À ses pieds, de très jolis escarpins à bride croisé beiges, qui s’accordaient à sa robe avec élégance.

Voyant qu’elle cherchait visiblement sa vieille jeep, il klaxonna. Elle regarda alors en direction de l’aérocar avec une moue perplexe et s’avança vers lui d’un pas hésitant. Il ouvrit la portière et elle se pencha, surprise de le voir au volant de la voiture de luxe. Elle avait mis un léger fard vert sur ses paupières et du rouge sur ses lèvres.

Les yeux écarquillés, elle lui demanda :

— Elle sort d’où cette voiture ?

— Je te raconte en chemin, dépêche-toi de monter. On est déjà en retard.

Elle s’exécuta toute excitée et la portière se rabattit après qu’elle se fût installée. Elle posa son petit sac à main beige sur ses jambes.

— Par ailleurs, tu es vraiment splendide, Charlie, la complimenta-t-il. Vraiment.

— Merci, répondit-elle avec un de ses jolis sourires, ses yeux verts pétillants. Toi aussi, tu es très élégant, Evan.

Evan sourit et démarra en trombe. La Sebastian bondit en avant, les collants à leur siège, la rue défilant à toute vitesse. Charlaine hoqueta de peur avant de rire aux éclats, imitant son ami qui riait déjà. Alors qu’ils roulaient à travers les rues de la cité prenant les virages sur les chapeaux de roue, Evan lui raconta la venue de Jeremiah et lui montra le pendentif mais il ne parla pas de son escapade dans le Cimetière. Il s’arrangea pour que Charlaine ne remarque pas sa gêne lorsqu’il serrait le volant. Cinq minutes plus tard, la Porte de l’Orient apparût au bout de la grande avenue. L’unique entrée de la muraille de l’Aurarquat qui paraissait toujours plus immense à mesure que l’on s’en approchait. Ils s’arrêtèrent devant le poste de contrôle. Evan montra son R-Tatoo affichant leurs invitations. Les Patrouilleurs les scannèrent puis les laissèrent passer après avoir vérifié leurs identités grâce au neshir de l’un et au clavientis de l’autre.

Le paysage et les constructions étaient différentes à l’intérieur de la ville de l’Aurarque. Des immeubles élégants faits de ver-miroir, de verre, de béton et de BoisFer, se dressaient çà et là au milieu d’îlots de verdure et de bosquets verdoyants aux arbres variés. Des chênes, des saules et des ginkos bordaient les lacs et les larges rues. Vu de l’intérieur, la muraille semblait inexistante car cette dernière était recouverte intégralement d’un mur-écran qui diffusait l’exact aspect du reste de la ville.

Au bout d’un grand boulevard, le palais de l’Aurarque se dressait majestueusement. Une immense demeure au mur d’un blanc immaculé et dont le toit, d’un pourpre profond, avait des airs de temple japonais mais les atlantes et les cariatides à l’effigie des Lunes Héroïques de la Reine au Milles Flammes, mortes lors de la Guerre d’Airain, ainsi que la présence de BoisFer renforçait l’influence noguemienne. Ils se retrouvèrent bientôt dans un cortège de voitures de luxe qui avançait lentement vers la grande entrée de la demeure de Théophilius Mical.

Quand leur tour arriva, Evan descendit de la voiture et un voiturier ouvrit la porte à Charlaine. Evan qui avait configuré la clé de la Sebastian, la donna au voiturier qui lui donna une carte magnétique numérotée qu’il rangea dans la poche intérieure de sa veste beige. Il présenta son bras à Charlaine, qui le prit en souriant et ils entrèrent ensemble dans le grand hall sous les flashs des drones de presse.

Tandis que Charlaine s’extasiait devant les fresques, les colonnes dorées et sculptés, et le sol de marbre noir veiné d’or, lui ne cessait de revoir la mort tragique de Salman et de Nour. Il n’arrivait pas à penser à autre chose et le souvenir du tueur aux yeux dorés le crispait, l’empêchant de profiter du moment. Il avait réussi réprimer ces souvenirs à cause de l’urgence dû à son retard et de la découverte de la Sebastian mais maintenant qu’il était là où il devait être, il n’arrivait plus à penser à autre chose.

Il y avait dans la grande salle de bal, deux longues tables à sustentation dressée avec un banquet foisonnant de mets raffinés, où plusieurs sculptures de glace se dressaient au milieu de fontaines de vin et de nekal. Deux chênes s’élevaient, indomptables, au centre de la salle, des lampions flotteurs coincée dans leurs larges ramures verdoyantes au reflet de bronze.

Des chênes éternels dont les feuilles ne fanaient jamais. Evan ne pût s’empêcher de repenser à une parole de son père :

Le véritable amour est comme le feuillage des chênes éternels, il ne se fane jamais mais s’étend de plus en plus.

Il soupira en repensant à Tessa. Il sentit son cœur se serrer dans sa poitrine. Il ne se souvenait pas de la dernière fois où son âme avait réellement été paisible. Il y avait toujours quelque chose… L’alumnus sortit son R-Tatoo et chercha si on parlait de ce qui s’était produit dans le Cimetière. Son cœur se glaça lorsqu’il vit des photos de l’herboristerie à la devanture calcinée avec en titre : « Explosion dans Cimetière. Les Insoumis suspectés ».

Charlaine se pencha pour voir ce qu’il regardait et lui dit :

— J’en ai entendu parler quand tu m’as appelé pour me dire que tu étais là. Un règlement de compte entre nihil si je me souviens bien.

— Tu crois… murmura Evan sentant monter à nouveau en lui la terreur que lui avait fait ressentir l’être aux yeux dorés.

Un serveur passa avec des amuse-bouche qui changeait de couleur continuellement et la jeune fille s’empressa de le suivre, le regard brillant de gourmandise et de curiosité. Cela arracha un faible sourire à Evan.

Le jeune ma’nkel regarda à nouveau son fil d’actualité et vit un post annonçant que le Conseil de l’Aurore avait pris fin deux heures plus tôt. Il n’avait reçu aucun appel de Princeton. Encore un sujet d’inquiétude. Il espérait qu’il allait bien…

Keiji arriva vers lui avec à son bras une magnifique brune aux yeux bridés et magnétiques, et à la peau d’albâtre, juchée sur des talons rouge foncé, dans une robe évasée noire pourvue de cinq amples bandes de tissus rouge en diagonal recouvert de signe soloménique dont l’une arborait le redoutable loup honorable des Asano. Ses cheveux étaient partiellement tressés formant le symbole soloménique du Sang d’Asano.

— Hey ! Ashua’Meno ! Lui lança son meilleur ami à la cantonade. Nous sommes les deux seuls blaireaux de la soirée à avoir ramené nos sœurs comme cavalières.

— C’est pas plus mal. Sois sauve et que les cendres te protègent, Cal, fit Evan en faisant la bise à la sœur de Keiji.

— Toi de même, Evan. Félicitation pour aujourd’hui, tu as fait un sacré match, lui dit-elle avec admiration. Le moment où tu allais faire ta dernière frappe, quand tu as trébuché, j’ai vraiment cru que j’allais avoir une crise cardiaque. Papa a carrément explosé le verre qu’il avait dans la main. Et penser que tu as quasiment fait un tir parfait malgré tout ça, me laisse sans voix. Tu es vraiment exceptionnel ! J’ai des amies qui m’ont demandé si tu étais un cyborg, rajouta-t-elle en rigolant. Ta côte de popularité a grimpé d’un coup sur Keep. Sur la Maille, ton action est carrément devenue un GIF !

— Cal essaye de respirer un peu, lui lança Keiji taquin. Tu peux lui demander un autographe, je suis sûr qu’il dira oui. En tout cas, moi j’en veux bien un, Evan.

— Va te faire voir Kei… Merci Cal. Tu peux les rassurer et leur dire que je suis humain, répondit-il amusé.

Charlaine revint avec une assiette pleine de son butin aux couleurs changeantes et elle se mit à papoter avec Caleigh de l’architecture surréaliste de l’Aurarquat mais avant de poursuivre la conversation avec l’aspirante scientis, elle fit promettre à Evan de lui donner un autographe pour ses amies.

Keiji se rapprocha d’Evan de sa démarche nonchalante, les mains dans les poches. Le ma’nkel lui dit en souriant :

— Tu aurais pu te trouver n’importe qui, Kei.

— C’est vrai mais j’ai promis à ma sœur, alors je tiens ma promesse. Même si ma mère était franchement dégoûtée d’avoir manqué une occasion en or de me mettre une amalia potentielle dans les bras. Ma sœur devient une vraie tigresse dès qu’il est question d’obtenir ce qui lui est dû. Sur ce point, elle est exactement comme ma mère.

Evan ricana :

— Ouais je sais. C’est toujours quelque chose que de les voir se crêper les chignons.

— M’en parle pas, avec mon père, on s’est enfermé dans son bureau, au sous-sol, et on a fait une partie de Kings of Chaos II le temps qu’elles aient réglés leur compte. C’était sympa même s’il m’a battu trois fois de suite.

Evan rit de plus belle. Le sourire de Keiji disparut lentement, et il l’observa songeur. Il lui demanda alors de but en blanc :

— Tu étais chez l’herboriste, Evan. N’est-ce pas ?

Le rire du jeune orphelin cessa d’exister. Il fixa tristement un point devant lui, hocha la tête puis lui désigna le balcon avant de marcher silencieusement dans sa direction. Keiji lui emboîta le pas. Le grand balcon donnait sur un jardin intérieur luxuriant, creusé dans le sol, d’où remontait des senteurs lourdes et sucrées.

Ils étaient seuls.

Evan lui montra la paume de sa main :

— J’y étais… Écoutes, hier j’ai fait un rêve très étrange. Je sais que c’est difficile à croire mais c’était comme si… comme si je revivais des souvenirs d’Edward Lukeni au commencement de la Guerre de l’Éclipse.

— Ah… rien que ça… mais… à ce moment, n’était-il pas prisonnier sur Sideraleon ?

— Si, attaché à des impedimentas fixé à du BoisFer adamantin capable de résister à une force de quarante Tanakim… J’ai ressenti son désespoir… En me réveillant je ne savais même plus qui j’étais…

Keiji resta pensif en l’observant. Evan s’était attendu à une petite remarque sarcastique sur la haute improbabilité de ses propos mais visiblement, il le croyait.

— Honnêtement, plus rien ne me surprend avec toi. Tu penses que c’est encore le Chuchoteur ? Tu m’avais pourtant dit qu’il ne pourrait plus t’atteindre…

— Non, cette fois-ci c’était différent…

— Et tu pensais que l’herboriste pourrait t’éclairer ? Sur ton songe ?

— Ouais… heureusement que tu n’étais pas là, Kei. Heureusement. Parce que sinon, tu serais mort…

— Et pourquoi ça ? demanda son ami en braquant sur lui son regard d’aigle.

Evan baissa l’intensité de sa voix même si personne d’autre ne pouvait l’entendre :

— Il les a tués. Salman et l’herboriste. Avec un Brasier de Résurrection.

— Quoi ? mais qui ?

— Je… honnêtement, je ne sais pas ce que j’ai vu… balbutia Evan, ses mains moites glissée dans sa crinière d’ébène avant de s’appuyer contre la balustrade en bois vernis du balcon en fixant un point devant lui.

*

Keiji fut surpris de voir un tel trouble dans le regard lointain de son Ashua’Meno. Il n’était pas aisé de le troubler ainsi. D’ailleurs, il ne connaissait pas grand-chose qui pouvait faire peur à cette tête-brûlée. Même face à Jahandar, le Roi Flamboyant, quand il déployait toute sa furie, Evan, contrairement à lui ou Alejandro, n’avait jamais reculé. Et cette histoire de neshir incarné…

— Raconte-moi ce que tu as vu.

— Il était visible, Kei. Il était visible et je ne comprends toujours pas comment c’est possible…

— Qu’est-ce qui était visible ?

— Son atmosphaira.

— Son atmos… mais qu’est-ce que tu racontes ? demanda Keiji, pris de cours.

À part chez les Immortels, il n’avait jamais entendu parler d’une telle chose mais il n’en avait jamais été témoin. Si ce qu’il disait était vrai cela voudrait dire qu’un Immortel avait attaqué l’herboriste et Salman ? C’était impossible, franchement improbable. Cela n’avait aucun sens. Les Immortels étaient tous des haut-gradés du Noguem et dans les Deux-Frances, seul le Coq de Fer avait la réputation d’avoir atteint l’Immaculé… Et un Brasier de Résurrection ? Contre une vieille femme et un adolescent ? C’était comme lâcher une bombe atomique pour tuer un lapin. Cela n’avait absolument aucun sens…

— Je sais, que tout ça paraît absurde mais c’était bien un neshir incarné et un atmosphaira. Je le sais. Il avait les yeux dorés… dorés et si inhumains… il n’y avait pas de vie dans son regard… juste le néant… et comme un spectre, il est subitement apparu. Il les a tués tous les deux. Salman et l’herboriste. Sans dire le moindre mot… ni faire le moindre bruit… Rien…

— Evan…

— Si j’avais été là où Salman se tenait, je serais également mort et je n’aurais même pas vu ma mort arriver. Je… Nous pensons être quelque chose mais nous ne sommes rien du tout, Kei. Je n’avais jamais vraiment pris conscience de ce qu’être puissant signifiait vraiment… Cette entité… elle était l’incarnation d’un pouvoir maléfique que je ne serais quantifié, Kei. Je ne suis rien… rien du tout et j’ai été témoin d’une force et d’un pouvoir qui me dépasse complètement… Je me rends compte que… je ne sais encore rien faire de Wazushendi. Il faut que je dompte la puissance qu’il renferme.

Keiji, le visage dur, écouta en silence son ami avant de lui dire.

— Je l’ai toujours su Evan. Nous ne sommes qu’à nos débuts. Au commencement, du commencement. Si tu étais assez naïf pour penser qu’avec ton niveau, tu valais quelque chose dans le vrai monde, tu t’es lourdement trompé.

Le Sang d’Asano prit Hozukin dans sa main en disant :

— Nous n’avons encore aucune idée de tout le pouvoir que renferment ces épées. Et Nosce et le Periculum sont là pour nous le faire découvrir.

— Il faut que je devienne plus puissant, dit brusquement son ami comme s’il ne l’avait pas écouté. Je ne peux pas rester tel que je suis, je suis trop vulnérable.

— Il faudra être patient.

— Patient…

Un phénomène étrange balaya le balcon quand Evan, du coin de l’œil, braqua brièvement sur Keiji, son regard onyx brûlant de rage et de révolte. Le Sang d’Asano se rendit compte qu’il venait de faire un pas en arrière et d’alamer Hozukin mais Evan ne s’était rendu compte de rien. Il sondait de nouveau de son regard de fauve acculé le grand jardin où voletait des papillons dorés. Il serrait de ses mains tremblantes, la rambarde.

Il grogna :

— Je n’ai pas ce temps, Ashua’Meno. Je suis à cours de temps… le temps est mon ennemi.

Keiji délama son neshir. La lame se vaporisa en une fumée argentée et jaune et il ramena son atmosphaira au Vide.

Quel était l’impression étrange qu’il venait d’avoir ?

Cette brève impression que l’air était devenu électrique. Comme si la réalité, figée sur le moment, se fissurait.

Quelle impression singulière… Une singularité… Keiji se figea alors que les paroles de son grand-père lui revinrent de plein fouet.

La Singularité…

Le monde qui se fractionne…

Fais m’en le serment par l’acier et le sang.

Promets-moi que si jamais il devient une menace, tu mettras toi-même fin à son existence.

Etait-ce donc de cela dont lui parlait son grand-père ? Le monde qui se fractionnait… C’était la première fois qu’il ressentait cela à proximité d’Evan… Se rendait-il même compte de cela ? Qu’il était capable de faire cette chose étrange avec son atmosphaira ? Ce qu’il venait de percevoir, il ignorait ce que c’était mais cela ne signifiait pas forcément qu’Evan était dangereux, juste qu’il n’était pas comme tout le monde… Et qu’il y avait visiblement un lien entre sa particularité et les Seigneurs Blancs… Etait-ce surprenant ? Pas tant que cela si on considérait que les deux Seigneurs Blancs étaient des ignemshirs singuliers dotés d’un pouvoir anormalement vaste et le fait qu’après tout, Evan avait asservi l’un des Yen’doshushim millénaire, l’un des Gémeaux Indomptables.

Supposer qu’il était comme tout le monde revenait à nier l’évidence. Evan était un être à part. Un être qui n’avait jamais foulé le sol des Trois-Mondes depuis l’Aube Grise et la création des neshirs. Même son étrange mal prouvait qu’il était différent. Keiji l’avait toujours su au fond de lui mais il ne l’avait jamais vraiment réalisé.

Soudain, une migraine de frappa et ses yeux le brûlèrent comme si ses nerfs étaient en feu. Il manqua de s’effondrer sous la violence de l’attaque et quand il ouvrit à nouveau les yeux, sa synesthésie était de retour. Il voyait l’aura cramoisi qui entourait Evan. Elle se mua en un chiffre puis ce chiffre se mua en un signe inconnu. Un disque d’un doré ardent de la taille d’une balle de golf duquel partit trois lignes en forme d’éclair et à leur extrémité à chacun, trois cercles se formèrent. Ces derniers semblaient parcourus de pulsation. A chaque pulsation, il passait d’un doré mat à un doré à l’aspect ardent. Qu’est-ce que c’était que ça ? C’était la première fois qu’il voyait une chose pareille… Etait-ce encore Evan qui avait changé ou bien ? Keiji le sut au plus profond de lui-même. Ses yeux. Sa capacité avait évolué. Pourquoi maintenant ? A cause de la Singularité peut-être… Il essaya d’ignorer ce qu’il voyait et demanda en se raclant la gorge en espérant que la vision s’arrêterait s’il n’y prêtait pas trop attention.

— Tu as dit que son atmosphaira était visible ? Visible comment ?

— Oui, comme une brume sombre, un nuage noir où un sentiment de peur et d’angoisse règne et te submerge au point que tu pourrais en perdre connaissance.

— Un Ilqiari, fit une voix qui poussa les deux garçons à se retourner en même temps. Un Faucheur Muet. Un de Ceux qui invoquent l’Abîme si vous préférez.

Ils découvrirent Nora qui se tenait à quelques pas d’eux. Elle portait une splendide robe-pantalon en dentelles bleu foncé, cintrée, pourvu de quatre bandes de soie couleur cuir marquées de signes soloméniques, à l’exception de la première qui arborait le cheval noir ailé et le cimeterre enflammé du Sang de Zal.

Un unique vêtement qui sur la partie supérieure était semblable à une robe et qui se séparait comme un pantalon, étroit au niveau des chevilles, sans discontinuité en dessous de la ceinture. Elle portait par-dessus une veste shirag courte bleu roi satinée et chaussait d’élégants richelieus à talon Chesterfield, noir au centre et marron aux extrémités. Elle avait ramené ses cheveux mi-longs châtains partiellement tressés en un chignon élégants et complexe, que maintenait une baguette dorée. Elle portait des ambres de la même couleur que ses yeux, en pendentif et à ses deux oreilles.

— Un Faucheur Muet, entendit murmurer Keiji. C’est donc à cela qu’ils ressemblent…

Evan avait encore son regard vague qui fixait le sol. La jeune fille, qui observait Evan, intrigué, devait probablement avoir raison car après tout, elle était un oshaïnim. Il était bien possible qu’elle en ait déjà rencontré car qui savait où ses missions au service de cet entité de la Dissidence l’avait mené à travers les mondes.

L’aura entourant Nora était grise comme celle des autres ignemshirs. Elle se mua en plusieurs chiffres qui eux-mêmes se transformèrent en un signe semblable à celui qu’avait Evan si ce n’était qu’il y avait plus de cercles dorés reliés au disque ardent par les lignes en forme d’éclair. Qu’est-ce que cela pouvait bien signifier ? Qu’est-ce que Nora avait de plus qu’Evan ? Il soupira. Il fallait qu’il se calme pour que sa synesthésie s’arrêta…

Le Sang d’Asano détailla Nora du regard. Elle était vraiment une fille d’un charme et d’une rare beauté, encore plus ainsi apprêtée. Il se fit à nouveau la réflexion que la dénoncée serait inutile. Elle rentrait trop parfaitement dans le moule qui lui avait été attribué et elle en respectait tous les codes. À la perfection. Rien chez elle ne laissait supposer qu’elle était en réalité une Héritière du Néant. Une cellule cancéreuse dont il fallait se débarrasser avant qu’elle ne se multipliât. Il devrait donc régler cette affaire par le fil de son neshir. Par la lame d’Hozukin, il allait effacer son souvenir de la surface des Trois-Monde et l’envoyer dans l’Insatiable Abîme qui depuis l’éternité se nourrissaient des êtres vils et méprisables de son acabit…


Texte publié par N.K.B, 19 décembre 2019 à 12h46
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