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Ignemshir, Tome 1 : L'Étincelle Mourante
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tome 1, Chapitre 56 « Un Esprit égaré » tome 1, Chapitre 56

Les sapins-rois. Deux fois plus grands que des sapins normaux, ils étaient apparus une centaine d’année après l’Effondrement des Cieux. L’extrémité de leurs épines étaient argentées et quand venait la nuit, elles luisaient comme une myriade de lucioles. Lorsqu’elle venait camper dans la forêt avec les garçons, Charlaine ne se lassait jamais du magnifique ballet des épines de lumière qui dansaient sous le vent nocturne. Pour le moment, les larges branches enneigées étaient semblables à celles de n’importe quel sapin. Une épaisse couche de neige recouvrait le sol et le vent glacial annulait les bienfaits des rayons de soleil. Elle marcha pendant une vingtaine de minutes sans cesser d’appeler son nom. Elle était convaincue qu’il était là, quelque part. Sa jeep était toujours garée devant chez lui, donc il était parti à pied. Et l’itinéraire qu’il avait emprunté menait tout droit à ici.

— Evan !

Il allait bien finir par répondre. La forêt s’étendait sur plusieurs centaines hectares mais elle ne marchait pas à l’aveugle. Il y avait plus à l’ouest, une clairière où ils avaient l’habitude de camper. En général le Karan et la Niera se formait très rarement au cœur même de la Forêt aux Lucioles, toujours dans sa périphérie. C’était pour cela qu’ils se permettaient de venir camper même si une fois, ils avaient bien failli y rester. Ils avaient échappé à la mort grâce à l’Icare civile que louait Keiji et qu’ils prenaient en général pour venir ici. Ce dernier profitait de l’autorisation dont bénéficiaient ses parents de survoler Paris-la-Nouvelle, ce qui était interdit en temps normal. À sa connaissance, sa mère n’en savait rien.

Charlaine entra dans une zone où les branches et les troncs des sapin-rois étaient noirs comme du charbon. Les effets du Karan. Ces arbres étaient morts. Charlaine se sentit de nouveau observée. Elle se retourna et vit quelque chose disparaître derrière les branches noires des sapins morts. Elle ramena son sac à dos contre elle et en sortie un incapaciteur, il s’agissait d’une arme de poing qui tirait des décharges électriques dont les effets allaient de la paralysie à l’évanouissement en fonction de son intensité. Elle l’avait pris dans l’armurerie de son père. Elle referma le sac à dos et l’enfila. Si jamais elle croisait un loup géant, elle pourrait le mettre K.O avec ça. Normalement. Elle s’avisa que la main qui serrait la crosse du pistolet tremblait. Elle respira profondément puis continua d’avancer. Il ne lui restait normalement encore qu’une quinzaine de minutes de marche avant d’atteindre la clairière. La forêt s’avéra silencieuse. A part le bruit de ses pas s’enfonçant dans l’épais tapis de neige et quelques hululements, elle n’entendait que le bruissement des branches sous le vent glaçant.

Les conifères s’effacèrent brusquement et elle se retrouva dans la clairière. Elle était blanche de neige. Sans tarder, la jeune fille inspecta le sol, à la recherche de traces de pas mais constata qu’il n’y avait aucune. A part des loups, aucun homme n’était venu récemment. Evan n’était donc pas ici. Peut-être le Karan avait tout effacé mais il n’y avait eu aucune chute de neige dernièrement et la texture de la neige de la clairière ne trahissait aucune exposition à Karan qui en aurait fait des blocs de glace sombre et compacte. Était-elle en train de risquer sa peau pour rien ? Et si le Karan se levait, il n’y aurait pas d’échappatoire… Sans compter que tous les arbres entourant la clairière étaient morts. Donc le Karan avait soufflé jusqu’ici dernièrement parce que l’année dernière, ils étaient encore vivants… Charlaine regretta que ne pas avoir laissée la Plume de Terre l’accompagner…

Soudain, un bruit la poussa à faire volte-face. Ses yeux s’écarquillèrent de frayeur et son sang gela dans ses veines. Un loup géant de la taille d’un cheval venait d’apparaître. La créature au pelage épais et blanc comme la neige était dotée d’un large poitrail, de pattes musclées et ses babines retroussées laissaient entrevoir une rangée de crocs tranchants comme du rasoir. Ses articulations blanchirent lorsqu’elle serra la crosse de son pistolet. Il se ramassa sur lui-même, tandis qu’un grondement effrayant remonta de sa gorge. Elle essaya de ralentir sa respiration haletante tandis que son cœur cognait contre sa poitrine et ses tempes.

Les yeux dorés froids et impitoyables du prédateur la fixaient.

Il ne voyait en elle qu’un énorme morceau de chair. Un petit en-cas en attendant le repas du midi. Au moment où il bondit sur elle, elle poussa un cri et se mit à courir maladroitement vers la forêt, gênée par la poudreuse. En deux bonds, il fut sur elle. Elle se jeta à temps sur le côté et entendit un claquement qui la fit frémir jusque dans la moelle de ses os, tandis qu’une brûlure irradia de son bras gauche. Elle roula dans la neige. Ses crocs l’avaient manqué de peu mais ses griffes avaient rattrapé le coup. Elle se rassit précipitamment, toute tremblante, et se pétrifia car le loup lui faisait face, avant d’être pris à nouveau de tremblement. La neige se maculait de son sang. Le froid s’infiltrait par la déchirure. Il était à moins d’un mètre. Il aurait tout aussi bien pu se trouver à un pouce, cela n’aurait rien changé à la frayeur qu’elle ressentait. Une peur si tenace. Étouffante. Les sangs glacés, elle n’arrivait plus à bouger. Ni même à réfléchir, forcée de regarder dans les yeux cette expression de la mort.

Personne ne viendrait à son aide et elle mourrait bêtement ici… Seule. Elle serrait son pistolet dans sa paume sans trouver la force de le lever et de se défendre avec. Où était Evan ? Pourquoi l’avait-il laissée ? Elle lui avait supplié de ne pas abandonner. Pourquoi ? Où était-il ? Elle sentit des larmes lui monter. Le grondement se fit plus terrible et il bondit sur elle la gueule ouverte. La jeune fille serra fortement les paupières, fataliste, acceptant son destin.

C’était terminé.

L’haleine nauséabonde de la créature lui donna un haut-le-cœur. Une douleur explosa sur son front. Puis des bruits de neige écrasés et de glissement retentirent à sa droite. Voyant qu’il ne se passa rien d’autre, elle ouvrit les yeux. Le loup n’était plus devant elle. Tremblante, et se rendit compte qu’il était allongé juste à côté d’elle. La créature ne bougeait plus. Elle se leva maladroitement et se rendit compte qu’un neshir était planté dans la tête du loup. Elle entendit un bruit de pas derrière elle et se retourna précipitamment et son index pressa machinalement la détente en sursautant. Un individu capuchonné grogna avant de s’effondrer dans la neige.

Elle porta une main à ses lèvres en retenant un cri et elle se précipita vers son sauveur. Charlaine reconnut sans peine ce visage agréablement familier et sentit un profond soulagement l’envahir alors qu’elle se laissait aller sur son torse en pleurant à moitié.

— Tu es enfin là, crétin, dit-elle d’une voix enrouée à son ami sonné, en le frappant à plusieurs reprises sur la poitrine. Tu n’es qu’un crétin… Crétin.

Elle renifla et essaya tant bien que mal de ravaler le flot de larmes qui lui venaient et vérifia qu’il respirait toujours. Il portait sa tenue d’entraînement. Un sweat noir à capuche assez large, ouvert sur un tee-shirt marron sans manche et un sarouel également marron. Elle se demandait ce qu’il avait fait ici pendant deux jours parce que visiblement, il n’avait pas campé…

Charlaine détailla son visage paisible, son joli teint bistré, ses cils plutôt longs, son charmant nez épaté, ses lèvres charnues joliment dessiné et sa crinière noir onyx qui encadrait son beau visage. Elle caressa tout doucement sa joue. Sa peau était chaude comme s’il avait une forte fièvre.

— Tu es vraiment un abruti, murmura-t-elle avec douceur sans cesser de lui caresser les cheveux alors que ses joues se mouillaient de larmes. Il ne faut pas disparaître comme ça, Evan. Je deviens quoi si tu n’es plus là ?

Soudain, la jeune fille entendit des bruits de pas derrière elle. Elle se raidit et se retourna à contrecœur en essuyant ses larmes et vit quatre autres loups géants qui sortaient de l’orée de la forêt et se répandait dans la clairière, les encerclant. Des grognements menaçants montaient de leur poitrail puissant.

Elle secoua alors Evan, la peur au ventre.

— Non, non, non, répéta-t-elle. Pas encore… Evan ! Réveille-toi Evan ! S’il te plait ! Je t’en supplie !

Le jeune homme ne réagit pas. Elle avait réglé le pistolet à la puissance maximale.

— Il y en a d’autres ! lui cria-t-elle en le secouant comme un prunier.

Le Fils des Cendres ne reprenait toujours pas conscience. Rassemblant son courage, Charlaine grinça des dents, ramassa lentement le pistolet puis elle le pointa sur l’un des loups blancs géants. Puis elle en visa un autre puis celui d’à côté ne sachant lequel attaquerait en premier. Elle ne savait pas quoi faire, si elle tirait sur l’un des quatre, les autres fondraient sur elle et Evan. Ils les réduiraient en charpie.

Elle n’aurait pas dû venir. Tout ce qu’elle avait réussi à faire c’était mettre la vie d’Evan et la sienne en péril. Ils se ramassèrent sur eux-mêmes, leurs pupilles les dardant comme des flèches glacées, en grognant plus fort.

— Par le fichu sable d’Alexandria ! jura-t-elle en tirant au hasard sur l’un d’entre eux.

Elle le manqua, le coup faisant exploser une gerbe de neige et les quatre prédateurs bondirent en même temps. Dans la même seconde, une forme bleutée jaillit de la forêt et emporta l’un des loups, le plus gros, qui roula dans la neige en combattant, poussant des grognements qui donnaient la chair de poule, et un mouvement se fit derrière elle. L’instant d’après, elle vit une patte, une jambe et deux têtes de loups s’écraser dans la neige autour d’elle alors qu’elle était aspergée du sang chaud des canidés géants.

Elle se retourna juste à temps pour voir Evan, d’un revers foudroyant, trancher la patte du dernier loup et dans le même geste, dévisser sa tête de son cou au milieu des derniers couinements de douleur de l’animal tandis qu’un autre poussait un hurlement avant qu’une énorme créature à la peau tachetée ne lui brise le cou.

Charlaine se redressa précipitamment, manquant de trébucher alors qu’Evan lui faisait face, tenant son épée à la lame d’un argent bleuté veiné de pourpre, maculée de sang. Il était recouvert de tâches pourpres. Un gigantesque léopard des neiges, les babines ensanglantées marchait lentement derrière lui, la regardant avec un air menaçant. D’un geste de la main, Evan le congédia. Oui, c’était cela. Il le congédiait. Et il disparut dans la forêt. Il la fixait de son regard intense, comme s’il ne la reconnaissait pas puis désigna sa main d’un signe de la tête, tout en faisant un pas sur le côté. Un sourire apparut sur ses lèvres.

— Tu voudrais bien baisser ce truc. Ça fait un mal de chien.

Charlaine se rendit compte qu’elle pointait à nouveau son pistolet sur lui. Elle le lâcha et courut vers lui et l’enlaça. Il parut surpris car elle sentit qu’il se crispa légèrement mais il se détendit rapidement en lui rendant son étreinte.

— Je savais que tu viendrais, murmura-t-elle en reniflant. Non issus d’un même sang mais partageant une même âme.

— Car les liens qui nous unis dureront éternellement, compléta Evan de sa voix grave et apaisante.

Elle le lâcha et fit un pas en arrière, le jaugeant de la tête au pied, puis dit :

— Tu as l’air d’aller beaucoup mieux.

— Et toi d’avoir pleuré comme une madeleine. Mais Charlie, qu’est-ce que tu fais ici ? C’était stupide de venir toute seule ici. Pourquoi n’es-tu pas venu avec Keiji à la rigueur ? Il avait un rencart ?

Charlaine hésita un instant avant de dire :

— Il n’est pas là. Son Sha’Sofu est mort. Il a été choisi pour être son Dernier Témoin. Tu n’as pas regardé les infos ? Pourquoi tu ne répondais pas à mes appels ? Tu as fait quoi de ton R-Tatoo ?

Evan fit la moue puis essuya pensivement la lame de son neshir avec l’un des pans de son sweat même si c’était complètement inutile car il le délama. La lame se vaporisa en se muant en fumée grise et pourpre. Il fixa ensuite son neshir à sa corne noire. Cela intrigua la jeune fille. Elle ne l’avait jamais vu faire cela.

— J’avais besoin de calme. De rester un peu seul, tu vois.

— Je comprends, mais tu as manqué le neshirinshi hier et visiblement tu comptais aussi ne pas aller à la schola aujourd’hui. Si tu fais cela, tu leur laisse des possibilités infinies de te nuire. Tu pourrais finir chez les Exécuteurs, Evan !

— Je sais, répondit-il en fixant la tête tranchée d’un des loups. Je les aimais bien…

Charlaine fronça les sourcils, indécise. Elle repensa à la panthère des neiges.

— Qu’est-ce que tu as fait pendant ces deux jours Evan ?

— Je voulais… Commença-t-il l’air pensif. Je voulais m’assurer de quelque chose.

— Tessa est morte d’inquiétude, lâcha-t-elle avant de se rendre compte que ce n’était peut-être pas la chose à dire pour le convaincre de rentrer.

— Elle n’est plus rien pour moi. Ce qu’elle pense est le dernier de mes soucis.

— Si ce n’est pas elle, alors moi j’étais mort d’inquiétude, Evan.

— Je suis désolé… Nous devrions partir d’ici, fit-il brusquement en s’éloignant vers les sapins-rois. Sinon, je vais devoir encore…

Il eut l’air chagriné en regardant de nouveau les loups morts.

— J’ai vu ton aérocar au sud-est… Reprit-il. A la lisière de la forêt. Il faut que tu rentres.

Visiblement, il n’avait pas l’intention de rentrer. Charlaine croisa les bras, les lèvres pincées, essayant de prendre l’air le plus têtu qu’elle pouvait. Elle dit d’un ton sans appel alors que sa blessure l’élança :

— Je ne partirais pas d’ici tant que tu ne m’auras pas promis que tu rentreras avec moi.

Evan s’arrêta et se retourna. Il vit probablement qu’il n’y avait aucun moyen d’argumenter avec elle vu qu’il vint vers elle en marmonnant à voix basse des phrases dont elle perçu quelques bribes, « Têtu comme une mule », « On va le jouer comme ça » …

Avant qu’elle n’ait eu le temps comprendre ce qu’il lui arrivait, elle poussa un cri de surprise et se retrouva sur l’épaule d’Evan qui partit ensuite vers les arbres. Il la traîna sur son dos comme un sac de patates et même si elle lui hurlait de la poser sur le champ, il se contenta de ricaner et la menaça de lui donner une fessée si elle ne faisait pas moins de bruit. Finalement rouge de colère, elle se mura dans un mutisme offensé se demandant comment il pouvait oser la traiter de cette façon. Comme une gamine écervelée qui ne savait pas différencier sa gauche de sa droite.

— Je te déteste, couina-t-elle alors qu’il accélérait le pas à travers les troncs striés des sapins mort, se baissant occasionnellement sous les longues et larges branches.

Elle l’entendit ricaner ce qui la rendit encore plus furieuse. Elle lui pinça très fort les côtes pour qu’il grogne ou au moins réagisse mais elle aurait tout aussi bien pu lui avoir tapoté gentiment le flanc. Après avoir été transportée pendant une vingtaine de minutes sur son épaule, en sortant enfin de la Forêt aux Lucioles, Evan daigna enfin la poser à terre. Dès qu’elle eut ses pieds sur la terre ferme, elle lui donna une gifle à laquelle visiblement, il ne s’était pas attendu.

Il cligna plusieurs fois des yeux, surpris :

— A quoi est-ce que tu t’attendais après m’avoir baladé sur ton dos comme une gamine boudeuse ?

— T’as toujours eu un sale caractère, rétorqua-t-il, avec un sourire forcé, les dents serrées. Aussi longtemps que je me souvienne.

Charlaine constata qu’il n’était même pas essoufflé. Il était vrai qu’elle ne devait rien peser en comparaison à lui. Il était grand et athlétique. Il avait au moins une tête de plus qu’elle.

— Tu n’aurais jamais accepter de me suivre et je ne vais pas te faire cette promesse. Je ne fais plus de promesse. Ça ne sert à rien.

— Mais Evan ! Tu ne peux pas faire ça ! Les Olympeons sont dans moins d’un mois et demi. Tu ne peux tout saborder après avoir travaillé si dur. D’accords, tu as perdu ton titulus, oui c’est une tragédie et c’est injuste, mais tu pourras toujours le regagner. Tu dois juste persévérer.

— Ça ne suffira pas, répondit-il avec gravité en fixant la neige. Non ça ne suffira pas…

Charlaine soupira en s’appuyant contre son aérocar. Ils restèrent silencieux quelques instants puis elle lui demanda :

— Qu’est-ce qui ne va pas Evan ? Qu’est-ce que tu as ? Ce n’est pas uniquement la perte de ton Étincelle ou de ton titulus. Il y a autre chose.

— Désolé, mais c’est trop compliqué et… Rentre simplement chez toi. Reste à l’abri dans la cité et ne me cherche plus, parce que je ne resterais pas ici. Il faut que j’aille plus loin. Oui… Plus loin. Je ne peux pas hésiter plus longtemps.

Une seconde gifle claqua.

Evan fixa Charlaine, les yeux écarquillés :

— Pourquoi est-ce que tu me frappes encore ? demanda-t-il d’une voix presque enfantine.

— Arrête de ne penser qu’à toi, Evan ! J’ai besoin de toi, Keiji a besoin de toi maintenant plus que jamais. Son Sha’Sofu est mort et tu sais comme il l’aimait. Et tu ne peux pas partir comme ça. Ils vont faire de toi un nihil et les Exécuteurs te feront vivre un supplice si jamais ils ne décident pas de t’enfermer directement.

Il baissa les yeux, les poings serrés en disant :

— Si j’y retourne, je mourrai… Je ne peux pas me le permettre…

Charlaine sentit son cœur se serrer. Il pensait réellement ce qu’il disait.

— Donc tu vas fuir ?

— Je ne fuie pas. Je cherche un moyen… Kesek… ishna...

— Pardon ? demanda-t-elle.

Elle n’avait pas compris ses derniers mots. Cela ressemblait à du solominon mais les mots lui était inconnu.

— Rien, répondit-il en se grattant la tête, le regard vague. J’ai beaucoup de chose en tête ces derniers temps…

Charlaine soupira. Il n’y avait rien à faire. Il fallait qu’elle trouve un moyen de le retenir un peu plus longtemps. Le temps qu’elle puisse réfléchir à la situation.

— Tu voudras bien partager un dernier repas avec moi. Si je ne dois plus te revoir avant longtemps, j’aimerai bien…

Evan lui lança un regard soupçonneux probablement surpris par son changement d’attitude. Il se demandait visiblement ce qu’elle avait en tête. Elle lui fit son sourire le plus innocent, et cela fonctionna puisqu’il acquiesça.

— Tu veux que j’aille vérifier mes pièges ? J’en ai posé quelques-uns.

— Non ! s’exclama-t-elle.

Il lui lança un regard interrogateur. Elle ne voulait pas lui donner l’opportunité de filer.

— Non, reprit-elle d’une voix plus posée. J’ai ce qu’il faut. Viens installons-nous dans l’aérocar.

Le jeune homme obtempéra en murmurant :

— Comme tu veux…

Elle déverrouilla son aérocar et les deux portières avant pivotèrent vers le haut. Evan s’assit à côté d’elle et son siège recula automatiquement pour qu’il soit le plus à l’aise possible compte tenu de ses grandes jambes. Les deux portières se refermèrent. Charlaine sortit de son sac à dos deux gamelles réglées à bonne température. Elle en donna une à Evan. Les couverts étaient fixés sur le côté des récipients. La jeune aspirante scientis sortit le thermos à café et le posa sur un porte gobelet. La veille au soir en prévision de sa sortie, elle avait fait des pommes de terre noires, des haricots bleus de Suze et du poulet de Suzaï en sauce. Sa gouvernante avait insisté pour s’en occuper mais elle avait refusé. Cette dernière avait fini par penser que c’était pour Baptiste qu’elle faisait cela alors qu’il n’en était rien. Des volutes de vapeur s’échappèrent et l’odeur appétissante envahit l’habitacle. L’alumnus sourit de contentement en fixant le contenu de sa gamelle avec un regard gourmand.

— Ça sent vraiment bon. Pour le coup, c’était une excellente idée.

— Je sais, j’ai toujours des bonnes idées, répondit-elle en lui tirant la langue.

Il ricana et s’attaqua à sa nourriture avec appétit. Charlaine picora dans sa gamelle, en le regardant pensivement.

— Ta nourriture va vraiment me manquer, dit-il la bouche pleine en mangeant avec appétit.

En moins de dix minutes, il finit sa portion alors qu’elle était conséquente. Voyant que la faim de son ami n’était pas contentée, considérant la manière dont il vida la sauce qu’il restait dans la gamelle, elle lui proposa la sienne. Il fit mine de refuser mais quand elle insista, il accepta un peu trop rapidement pour quelqu’un qui prétendait avoir mangé « pratiquement » à sa faim. Elle lui servit du café dans un des gobelets qu’elle avait ramenés puis s’en servit aussi en mâchonnant une barre énergisante.

— Evan, dit-elle alors qu’il plantait sa fourchette dans le dernier morceau de pomme de terre. Ta première crise remonte à trois mois n’est-ce pas ?

Il se figea, lâcha la fourchette plantée comme si cette seule question lui avait coupé l’appétit. Il regarda la jeune scientis.

— Qu’est-ce qui te fait croire ça ?

— Simple déduction.

— Hum…

— Tu aurais dû m’en parler. Nous en parler, au lieu de le garder pour toi. Écoutes, tu fuis parce que tu veux comprendre ce qui t’arrive. C’est normal que tu veuille savoir pourquoi ton Kar’Cirkaem vieillit si vite et érode tes capacités mais qu’est-ce qui te fait croire que la réponse est ailleurs ?

— Je le sais c’est tout…

— Mais pourtant tout à l’heure, ta vitesse et ta rapidité était meilleure que celles de ces derniers mois.

— Qu’est-ce que tu insinues ? Demanda le garçon, le visage étrangement impassible, le fixant d’un regard intense qui luisait de la froide intimidation commune aux Fils des Cendres.

Elle en dégluti, se sentant brusquement mal à l’aise, avant de lui montrer un sachet contenant des pilules multicolores. Le sachet qu’elle avait trouvé dans la veste d’Evan lors du brunch de Jeff.

— Tu en prends hein ? Tu dois arrêter sinon ça va te tuer.

— Ça fonctionne, dit-il en fixant avec fébrilité ses poings serrés. Je sens que ça fonctionne, mais… Je sens aussi que c’est éphémère. Ça ne me guérira pas, quoique j’ai…

— Tu n’en fais toujours qu’à ta tête et un jour ça va te tuer ! Je ne comprends même pas que tu sois en aussi bonne santé.

— Je t’assure que ça marche. Je l’ai ressenti dans la soirée, après le brunch.

— C’est très étrange, murmura-t-elle en le détaillant subitement du regard avec curiosité. Ce n’est vraiment pas normal que ça ait cet effet sur toi…

Charlaine lui prit délicatement le poing et ouvrit sa main avant de l’analyser sous toutes les coutures. Elle posa deux doigts sur sa carotide, contrôlant son rythme cardiaque puis activa la lampe de son R-Tatoo pour analyser ses pupilles. Elles n’étaient pas dilatées.

Il n’y avait pas de signe indiquant que les pilules étaient néfastes pour son organisme, ni même qu’il y était accro… Comment cela était-il possible ? Dans un organisme neshirien classique cela aurait dû provoquer un empoisonnement aigu mais il n’y avait aucun signe. De plus son rythme cardiaque était beaucoup plus lent que d’habitude, environ vingt-cinq battements par minutes alors qu’il était en général à trente-cinq. Il avait déjà un rythme plus bas que tous ceux de sa promotion. Elle connaissait parfaitement la valeur de ses variables vitales. Vingt-cinq ? Les Immortels étaient à douze, les Aurarques en générale à quinze battements et les Chevaliers Cendrés entre vingt-cinq et trente. Il y avait une corrélation entre la densité du sang d’airain, le niveau de maîtrise de l’Air, l’intensité de l’Étincelle et le rythme cardiaque au repos. Et baisser ainsi son rythme cardiaque normal au repos ne se faisait pas sur commande. Il était clair qu’Evan ne faisait aucun effort particulier pour le maintenir aussi bas, mais alors qu’est-ce que cela voulait-il bien dire ? Elle savait qu’il n’était pas comme tout le monde mais peut-être n’avait-elle encore jamais réalisé à quel point. Après tout, il avait dompté Wazushendi, l’un des Yen’doshushim.

— C’est pour cela, parce que ce n’est que temporaire, que je dois partir….

— Partir où ?

Il la regarda d’un air perdu qui inquiéta la jeune fille. Evan avait toujours le regard intense, brillant d’une rare intelligence et non pas l’air hagard d’un gamin perdu. Il s’ébroua brusquement, son regard se faisant momentanément plus affûté et il dit :

— La Vierge qui me les a données… Je pense que je dois aller… Que je dois…

Il grimaça de douleur en portant une main à sa tempe avant de redresser la tête comme si de rien n’était. Charlaine sentit son cœur se remplir de tristesse. Que lui arrivait-il ?

Il continua :

— Elle sera de retour dans deux semaines. J’ai suffisamment pour tenir jusque-là.

Il se tourna brusquement vers elle avec un sourire candide comme s’il avait appris d’excellente nouvelles.

— Je pense qu’elle sait ce que j’ai. Elle l’a vu dès qu’elle m’a ausculté. Il faudra que je lui demande.

— Oh mondes oubliés ! Lâcha-t-elle alors que des larmes mouillaient ses joues. Evan, mais que t’arrive-t-il ? je ne te reconnais pas…

Était-ce les composés contenus dans les pilules qui troublaient son esprit ? Elle déglutit alors qu’il se mettait à marmonner à voix basse en fixant la forêt. Il parlait si vite qu’elle doutât qu’il s’exprimait encore en français. Était-ce du solominon ? Son corps allait mieux que jamais mais son esprit, c’était une autre histoire…

— Si la vierge a les réponses, pourquoi veux-tu partir loin de la cité puisque visiblement les réponses sont ici ?

— Parce que je dois devenir fort ! rétorqua-t-il agressivement, en fixant un point devant lui, les yeux grands ouverts. Plus fort...

— Evan, tu n’es pas logique. Quelque chose ne va pas chez toi, pas dans ton corps, mais dans ton esprit.

— Non, il faut juste que je devienne plus fort, rétorqua-t-il en posant une main sur la portière.

Il s’apprêtait à s’en aller. A moins de lui tirer dessus avec son incapaciteur, elle ne pourrait pas le retenir de force.

— Evan, s’il te plaît, supplia-t-elle.

— Non ! dit-il plus fort. Non ! je dois devenir plus puissant… détruire… N’essaye pas de m’en empêcher.

— Si la solution était ailleurs, je ne t’en empêcherais pas, tu sais que je ne veux que ton bien, s’écria-t-elle d’une voix forte et enrouée alors que ses larmes gouttaient sur sa doudoune.

— Je dois…

— Tu sais que je t’aime de tout mon cœur Evan. Je ne pourrais jamais vouloir t’empêcher de faire quelque chose qui pourrait te sauver.

— Tu m’aimes ? Mon bien ? Mais je dois…

Soudain, Evan se tut et son regard qui s’était fait lointain jusqu’alors regagna brusquement une profonde lucidité. Il écarquilla les yeux comme s’il venait de comprendre quelque chose.

— Saleté, grogna-t-il soudain.

Il porta une main à sa tempe en grimaçant comme s’il avait brusquement une violente migraine.

— Eva…

— Pars, tout de suite ! gronda-t-il en faisant trembler Charlaine de surprise et de peur.

Elle se recroquevilla dans son siège. Etait-il devenu fou ? Il sortit brusquement de sa voiture. La peur noua encore plus son estomac au point de lui donner des nausées. La peur de le voir s’évanouir à jamais dans la nature. Elle l’imita, les jambes tremblantes, craignant qu’il disparaisse dans les bois, son incapaciteur dans sa main frémissante mais se rendit compte qu’il ne partait pas en direction de la forêt. Il s’était immobilisé et fixait le ciel avec un regard terrible. A croire que le soleil et lui avait des comptes à se rendre…

Soudain, venu du ciel, fendant l’air dans un sifflement aigu et plaintif, un objet s’écrasa violemment dans la neige à une dizaine de mètre, faisant trembler le sol et soulevant des gerbes de terre, de poussière et de glace. La jeune fille se retrouva sur son postérieur.

Au milieu d’un nuage de poussière, une silhouette squelettique de plus de deux mètres cinquante au moins se redressa. Que se passait-il ? Cela ne pouvait être… c’était impossible. Le vent souffla et révéla ce que Charlaine craignait. Un androïde. Elle n’en avait vu que dans les vidéos pédagogiques lors des cours d’initiation à l’armement noguemien. Un Ojin arborant un masque d’olen-shawa noir et rouge, un esprit maléfique issue d’un mélange entre les mythes Sal’Omeni et amérindien. De longues plumes qui semblaient en feu ornait le masque.

Des androïdes de guerre créer pendant l’Âge Sombre et utilisé par les noguemis de la division des Marionnettistes du corps des Plumes Onyx. Le Marionnettiste pouvait se trouver à l’autre bout du monde. Evan alama Wazushendi dont la fumée tourbillonnante se solidifia en une lame réfléchissante. Et il relâcha son atmosphaira. Les émanations qui l’atteignirent menacèrent de la faire perdre connaissance tandis que la chair de poule recouvrait ses avant-bras et ses jambes. Son corps se fit plus lourd. Comme si on essayait de déconnecter son esprit de la réalité et qu’en même temps une main géante essayait de l’écraser.

— Cela fait une éternité depuis la dernière fois, fit l’Ojin à la couleur du bronze et veiné de blanc.


Texte publié par N.K.B, 12 novembre 2019 à 10h00
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