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Ignemshir, Tome 1 : L'Étincelle Mourante
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tome 1, Chapitre 50 « Nostalgie » tome 1, Chapitre 50

Le repas se passa dans une ambiance conviviale. Evan fut surpris de l’apprécier malgré tout. D’autant qu’il n’avait que peu d’affection pour un grand nombre d’ignemshirs présents à table. La table était richement garnie. Il y avait en abondance diverses variétés de pain des Terres d’Alamans, de laitage de Tricassium, de charcuterie de Corsica, de fruits venus des Huit Phœnix dont les bananes-donuts lunaires ou les pommes-papillons de mars, des gigots d’agneau de Persépolis, des rôties, des grillades de bœufs de Moguu, divers plats tous aussi délicieux les uns que les autres, et de nombreuse spécialités de la cité de Yaoundé d’où était originaire la famille de Jeff, dont les noms et la composition n’étaient pas connu d’Evan

*

Tout au long du repas, Charlaine bavarda avec Tessa et d’autres filles parmi lesquelles, Sun, une aspirante scientis, brune aux yeux bleus profonds, aux tâches de rousseur et à la bouche en cœur. Le sujet qui revint régulièrement était les Olympeons. Sun était assise à sa droite et tout le long du repas, Charlaine nota qu’elle coulait régulièrement des regards vers Evan qui se trouvait sur la rangée d’en face, quatre places sur sa droite. Ce dernier parlait calmement, esquissant par moment un de ses charmants sourires plein de chaleur en entendant les propos de ses interlocuteurs.

Keiji assis en face de lui, ne cessait de lancer des regards aguicheurs à l’une des Sangs de Fer avec qui il était arrivé. Enfin, à plus d’une. Il semblait s’amuser de l’effet qu’il leur faisait. Ils lui suffisaient d’échanger quelques mots avec elles pour qu’elles gloussent ou rient aux éclats. Charlaine soupira, blasée par tant de naïveté. Les deux Sangs de Fer étaient sous le charme et elles semblaient convaincues… Non, ce Casanova de Keiji parvenait à leur faire croire qu’elles avaient une chance. Mais, ce dernier était comme un gosse diabétique dans un magasin de bonbons. Il ne ferait que regarder sans se décider à en prendre parce qu’il ne le pouvait tout simplement pas.

Si Keiji n’avait jamais donner son anneau de bois au cours de ces trois dernières années au grand dam de son grand-père et de sa mère, ce n’était pas maintenant qu’il le ferait. A moins qu’il ne tombe sur une fille qui soit capable de le subjuguer complètement. Et pour cela, la seule beauté ne suffirait pas. Charlaine avait vu défiler des amalias potentielles aussi belle que Tessa ou même plus, mais elles n’avaient pas durée plus que les précédentes.

Charlaine se servit un verre de jus pomme-papillon en repensant à Baptiste, un abruti de première à qui elle devait quelques mots. Il se trouvait du même côté de la longue table qu’elle, à une dizaine de place sur sa droite. Elle ne put s’empêcher de se pencher légèrement pour le voir. Ses cheveux blonds et courts, sa mâchoire carrée, son cou solide et ses sourcils broussailleux sous lesquels ses yeux bleus froids et rusés fixaient avec un sourire un rien assuré la Latente Sha’Daigan qui lui parlait et qu’elle connaissait de vue. C’était un beau garçon, enfin, selon ses critères, quant à la fille, une véritable gourde à forte poitrine, maniérée et qui riait bien trop fort. Baptiste la vit et il lui sourit mais elle le foudroya du regard et se redressa sur sa chaise. Il avait voulu qu’elle s’assît à côté de lui mais elle l’avait ignoré. Il ne comprenait rien à rien. Comment pouvait-elle encore éprouver des sentiments pour lui ? Il n’avait aucune parole et la prenait visiblement pour une idiote. Elle se détestait. Charlaine repensa au séjour sur la station Lockwood et soupira. Il s’était révélé radicalement différent de ce qu’elle avait toujours pensé de lui mais au final, ce n’était qu’un masque qu’il avait mis pour la séduire. Elle avait vraiment cru que la distance qu’elle avait senti s’installer entre elle et Evan était dû à cela. À la relation qui commençait à s’établir avec Baptiste. Elle avait été soulagée lorsqu’il s’était avéré qu’il était réellement pris par quelque chose d’important, et pour cause, il s’agissait de découvrir ce qui était arrivé à ses parents.

Comme elle s’était sentie mal pour lui lorsqu’il lui avait raconté son histoire ! Déjà qu’assister à la mort de sa sœur, voir son corps brûlé à un si jeune âge avait dû être particulière traumatisant… Ensuite grandir sous une fausse identité, être forcé de vivre loin de ses parents… Et Tessa qui parlait de faille émotionnelle… Ses parents étaient par ailleurs des sommités dans le Skiantem. Son père, Kani Nakayi était un génie en tout point. Elle aurait tellement aimé le rencontrer, apprendre de lui. Le prisme crépusculaire. Une invention incroyable. Peut-être était-ce d’eux qu’Evan tirait sa grande intelligence. Le fils de Kani leur avait montré les patchs et la vidéo. Keiji, expert en cryptographie à ses heures perdues, avait tenté de le décrypter mais l’algorithme utilisé était de très haut niveau. SK-Solaris-7. Rien d’étonnant. Il s’agissait d’un cryptage de magister scientis de rang supérieur comme ses propres parents et le père de Keiji. C’était la première fois qu’elle en voyait en dehors des cours de cryptographie du magister scientis Vasco. Difficile à mettre en œuvre. Elle regarda son ami en se demandant ce que cela faisait de prétendre être quelqu’un que l’on n’était pas pendant si longtemps. Si on faisait abstraction de ses peintures, il s’en sortait vraiment bien et cela la rendait fière.

Le regard de Charlaine fut attiré par l’écran du R-Tatoo de Sun. Des images familières défilaient. Des photos de championnat de neshirinshi des années précédentes. L’air songeur, le menton dans la main, le coude sur la table, la jeune fille faisait défilée des images d’un doigt nonchalant. Soudain, Sun passa sur une photo de quatre jeunes gens qui riaient. Le cœur de Charlaine se serra. Sun resta longtemps dessus et agrandit d’un mouvement de l’index et du pouce contre l’écran. Charlaine ressentit une profonde nostalgie.

Sept mois plus tôt…

La grande arène de la cité de Mexico, l’Arena Mayor bourdonnait comme une ruche. Les quelques cent mille spectateurs étaient venus assister à la dernière phase du tournois mixte des Huit Phœnix réservés aux alumni de première et deuxième année, le Bourgeon Enflammé. Charlaine regarda derrière le magnifique rideau de soie lunaire en peinture mouvante dépeignant Aki Asano, qui traversait la très redoutée Forêt des Esprits après s’être échappé de Nihilo Amun, l’une des Sept Prisons Inviolables. Le rideau donnait sur l’étroit couloir qui menait au sable de l’arène où ses amis à tour de rôle devraient combattre. Elle n’était pas inquiète de leur duel face aux autres ignemshirs, mais plutôt de ceux où ils seraient les uns contre les autres, ce qui arriverait probablement en finale ou en demi-finale. Même s’ils étaient comme les doigts de la main, ils devenaient sans pitié dès que leur pied foulait le sol des arènes, comme s’ils enfermaient leur cœur dans une boîte avant chaque duel. Et ils n’étaient jamais plus féroces que lorsqu’ils étaient les uns face aux autres.

Mais elle avait une autre inquiétude depuis quelques temps.

L’épreuve de fin d’année qui se déroulerait dans l’Himalaya en plein pendant la saison des Karans.

— Je ne suis pas venu pour faire des photos ridicules, lança la voix grave et agacée d’Evan. Mais pour gagner ce tournoi ! Toi aussi n’est-ce pas ?

— Oh arrête, lui répondit Jahandar de sa voix harmonieuse et assurée. Essaye un peu de jouer le jeu.

Charlaine se retourna. Elle se trouvait dans la grande salle de préparation à haut plafond réservée aux compétiteurs du Phœnix Pourpre. De grandes colonnades en marbre noir veiné d’or se dressaient en quart de cercle sur un sol bleu lustré et nacré. Des fauteuils capitonnés blancs, des divans mauves bardés de coussins épais étaient disposés autour de tables en bois ornés de motifs floraux plaqués en or, de pourpre et d’argent surmonté de corbeilles pleine de fruits et de pains aurins riches en molécule des aurores et qui luisaient comme recouvert de paillettes dorées et argentées. Dans des récipients transparents et chauffant des brochettes de viande, des abats et de la volaille étaient également à disposition.

Des corbeilles flottantes en osier pleines de fruit ou de powerup traversaient paresseusement la salle et des ignemshirs se reposaient en attendant que leur numéro soit appelé ou s’entraînaient encore dans les locus mitoyens auxquels on accédait par des portes coulissantes en verre gravé du signe soloménique du Crépuscule. Il y avait également des carafes de cristal remplis de nekal et de diverses boissons et des verres à disposition sur de magnifiques plateaux en métal flottant gravés de signes soloméniques.

Devant un mur où une fresque mouvante majestueuse représentant plusieurs épisodes de l’Aube Grise, avant le début de l’Âge des Immortels, dont la Rédemption de Savai’i par Edward Lukeni, Jahandar essayait de convaincre Evan de rester pour les photos. Elles avaient été réclamées par un des magazines les plus plébiscités du monde, Anonymous Seven, et le magister magnus de la schola s’était empressé d’accepter car cela ne pouvait que renforcer la notoriété de son institution. Malgré cela, il était clair que le jeune orphelin n’était pas disposé à rester derrière un objectif. L’actuel primus de Kiona Paine, Jahandar était un peu plus grand qu’Evan, le teint mat, les yeux clairs, les cheveux et sa barbe naissante étaient lisses et noires comme du jais. L’attitude d’Evan semblait l’amusé comme s’il essayait de convaincre un petit frère ronchon de prendre son bain.

Charlaine sourit alors que le journaliste barbu et bedonnant, chaussés de bottes noires, d’un pantalon bariolé, bretelle rouge, chemise blanche et coiffé d’un chapeau marron à long bord, à la mode sur la côte pacifique de la Fédération de Mexico, manifestait des signes d’impatience. Debout juste à côté des deux garçons, Alejandro se tenait droit, les bras croisés, immobile comme une statue, attendant visiblement que les photos soient faites. Il était probablement aussi enthousiaste qu’Evan mais il prenait sur lui comme toujours. Il portait la tenue d’extérieure réglementaire des aspirants noguemis des Scholas, à l’instar de tous les alumni présents, une élégante veste shirag noir brodé au niveau du cœur en fil pourpre du Cercle de l’Univers, aux manches bordés d’une bande de soie noire et d’un sarouel de la même couleur.

— Tu devrais simplement obéir et faire comme Alex, fit Jahandar en essayant de tirer son ami vers le Monarque Invincible qui attendait dignement.

— Je refuse de passer pour une espèce de starlette à deux balles et de les voir faire avec du marketing sur mon dos. Je suis un guerrier ! Et je suis ici pour me battre !

Jahandar soupira en haussant les épaules et échangea un regard impuissant avec Charlaine qui ne put s’empêcher de sourire de nouveau.

— Tess, fit-il à la jeune fille vêtue d’une jolie robe d’été fleurie bleue et jaune et de coquets escarpins bleu ciel, se tenait prêt du photographe avec Erin Bajulaye, l’amalia de Jahandar, une jolie fille aux pommettes hautes, aux grands yeux marron foncé observateur, à la peau brune et au teint mat, coiffé de tresses agrémentés d’anneaux d’or et d’argent,

Tessa s’avança vers Evan de sa démarche fluide du haut de ses talons, avec la douceur d’une brise et commença à lui parler à voix basse, et le regard du Fils des Cendres s’adoucit en même temps qu’elle se séparait brièvement de sa placidité habituelle. L’air grognon, Evan semblait se laisser gagner face aux arguments de la jeune fille. Alors qu’elle lui parlait, elle caressait les cheveux courts du secundus de Kiona Paine dont le regard était si intense et la présence si forte que son aura semblait égaler la dominance qui émanait de Jahandar, le Roi Flamboyant.

— Kei, tu ramènes tes fesses s’il te plaît ? Lança ce dernier au dernier des Quatre Souverains qui parlait avec une belle brune aux grands yeux verts que Charlaine n’avait jamais vu.

Keiji répondit par un geste vague de la main, tout en continuant à flirter avec la fille. La jeune blonde soupira en se disant qu’il faudrait qu’elle se charge de lui. Jahandar en la voyant s’avancer vers Keiji, lui fit un signe de tête reconnaissant. Il était toujours là à essayer de gérer leurs trois caractères. Car même Alejandro avait ses moments où il devenait particulièrement têtu mais c’était pour des raisons en général bien différente des deux autres.

— Aller, viens Kei. On sait tous les deux que tu auras oublié son nom et son visage dans moins d’une heure. Sans vouloir t’offenser, rajouta Charlaine sans vraiment le penser à l’attention de la fille qui la foudroya du regard.

— Ne dis pas des choses comme celle-là Charlie. Rina que voici, pourrait réellement penser que tu dis vrai.

— Elle devrait, rétorqua Charlaine en le prenant par les bras et essayant de l’entraîner, mais elle aurait tout aussi bien pu vouloir déplacer l’une des colonnes de marbre de la salle, le résultat aurait été le même.

A force d’insister, elle réussit à l’attirer légèrement vers les autres, plus parce qu’il avait pitié d’elle que parce qu’elle s’était découverte une force hors du commun.

— Kei ! s’exclama la voix soudainement autoritaire de Jahandar.

Charlaine sentit les muscles du jeune asiatique se tendre sous sa veste shirag d’un beau noir. Keiji lança un regard mauvais à Jahandar par-dessus son épaule et marmonna à voix basse avant de s’excuser auprès de la Rina en lui promettant qu’il reprendrait leur conversation plus tard. Elle revint vers Jahandar accrochée au bras de Keiji et elle le lâcha lorsqu’elle fut au niveau de Tessa, d’Erin et du photographe.

— C’est quoi cette tronche Evan ? Lança Keiji avec un grand sourire espiègle. Souris un peu nom d’une Bête Ancestrale. Et toi Jahan, inutile de crier. Je serais venu. Oh, vous avez vu ça ? Un sculpteur a eu la bonté de nous livrer une statue d’Alex grandeur nature ! Je dois dire qu’elle paraît plus vivante que l’original.

Jahandar et Evan ricanèrent tandis qu’Alejandro fusillait Keiji du regard mais l’ombre d’un sourire était apparu sur ses lèvres et c’est à ce moment qu’elle entendit Tessa murmurer au photographe avec son autorité naturelle :

— Si vous voulez les saisir au naturelle, montrer à la fois leur unité, les contrastes des personnalités et les forces de caractère, prenez-là tout de suite.

L’homme au chapeau de cow-boy comprenant qu’elle avait probablement raison, s’exécuta sans que les quatre ne s’en soit rendu compte. Keiji se remit à raconter des bêtises comme à son habitude et cette fois même Alejandro finit par se dérider complètement. Soudain Charlaine s’avisa que quelqu’un se tenait près d’elle. Elle ne l’avait pas entendu approchée. C’était une femme, vêtu d’une veste courte bleue à bouton dorée ouverte sur une élégante robe rose plissé, son visage était caché par les rebords larges de la capeline blanche dont elle était coiffée. Elle se tenait à trois pas d’elle, tenant de ses deux mains délicates à la belle peau bistrée un petit sac à main bleu. Elle était plutôt grande et chaussait avec grâce des talons noirs. Charlaine supposa qu’elle était intéressée par les garçons dans la mesure où ils avaient une véritable notoriété donc se concentra de nouveau sur eux quand elle entendit :

— Ils ont l’air heureux.

La voix était douce et clair comme un cours d’eau coulant entre des rochers dans le cœur d’une forêt abreuvée de la lumière du soleil et des chants des oiseaux. Cette voix avait quelque chose de profondément apaisant. Elle se mit à penser que la jeune femme devait avoir un sourire magnifique, sans vraiment savoir pourquoi. Charlaine se tourna vers la femme mais ne vit pas son visage toujours caché par les bords de la capeline.

— Je dirais qu’il s’en sorte très bien, étant donnée… leur statut.

— S’il est heureux, c’est une bonne chose. Je n’ai peut-être pas eu tort alors.

— Pardon ? Demanda Charlaine perplexe en fixant le bord de la capeline.

La femme n’avait toujours pas daigné la regarder.

— Je compte sur toi pour veiller sur lui jusqu’à ce que le moment soit venu...

La femme à la capeline se détourna sans tourner un seul instant son visage vers elle et s’éloigna vers la sortit de la grande salle de préparation. Charlaine hésita à la suivre puis alors qu’elle s’apprêtait à lui courir après, elle se ravisa.

Tout cela n’avait aucun sens.

De qui parlait-elle ?

Ils étaient quatre et pourtant, elle avait parlé comme s’il n’y en avait qu’un seul et sans même se donner la peine de préciser. Mais dans le fond, cela n’aurait rien changé. Elle ferait toujours tout son possible pour veiller sur ces quatre garçons. Son regard s’arrêta sur Evan sans qu’elle ne sache pourquoi et elle le fixa tandis que son regard était braqué sur l’objectif avec le plus grand sérieux, à l’instar des trois autres.

Ils semblaient tous là sans vraiment l’être, pensant déjà aux duels qui les attendaient…


Texte publié par N.K.B, 2 novembre 2019 à 10h58
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