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Ignemshir, Tome 1 : L'Étincelle Mourante
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tome 1, Chapitre 46 « Les Pilules » tome 1, Chapitre 46

Venant du hall du manoir, Salman qui était assis en compagnie de Sara, vit Tessa entrer dans le salon. Sara, la jeune aspirante scientis Sha’Genji lui racontait comment elle avait découvert une autre méthode de résolution de la Loi d’Instabilité des arkas, posé par le magister scientis Vasco. Il l’écoutait d’une oreille distraite sachant pertinemment que la jeune fille espérait qu’il en ferait le sujet d’un article, chose qui n’arriverait jamais, bien entendu.

Ce genre de sujet n’intéresserait que les scientis, tout au plus. Lorsque l’on écrivait un article, le sujet devait par définition captiver le plus grand nombre. Apporter des réponses à des questions que tous se posaient, même sans s’en rendre compte. La chute de l’étoile Kupenda avait de quoi captivé mais il n’y avait pas que cela. La fin d’une idylle qui avait en un sens fait trembler toute la société ignemshir par son incongruité appartenait au sujet de premier choix qu’il s’était choisi. Même l’amalia du Roi Flamboyant, feu Jahandar Raav ne venait pas d’une Famille Ancienne aussi puissante que les Harlec car ces derniers appartenaient aux Douze Familles Pacificatrices. Les descendants de ceux qui avaient installé la Grande Paix au côté des Sept Premiers Immortels menés par Edward Lukeni.

Son attention était focalisée sur Tessa Alana Harlec, la fille du Shedim de Remorum. Bien entendu, elle était tout autant le sujet de son article qu’Evan. On ne pouvait évoquer l’Empereur Déchainé sans parler de la magnifique fille de Rayn Harlec qui avait été deux années durant son amalia. Il coula un regard à Evan, et vit qu’il la regardait tandis qu’elle était accueillie par une demi-douzaine de jeunes filles. Elle était populaire et très appréciée.

Salman esquissa un sourire malicieux.

Quel était le mystère derrière la rupture de la promesse qu’ils avaient partagée ? Pour quelle raison Evan avait choisi de se séparer d’une fille pareille. Belle, intelligente, de l’une des Familles Pacificatrices. Une chance inespérée pour un ma’nkel comme lui.

Oui, pourquoi ?

Lucas se leva de son siège, dans son élégante veste shirag marron et rouge foncé en tweed, avec sa barbe éparse, ses yeux gris et ses cheveux coiffés au gel, il avait de l’allure.

Il perçu une certaine crispation chez le ma’nkel lorsque Lucas eut rejoint celle qui serait d’après les rumeurs bientôt son amalia. Ils échangèrent quelques mots, des regards complices et des petits sourires jusqu’à ce que le regard bleu clair de la jeune fille se posât sur son ancien amalia. Le dernier sourire qu’elle fit à Lucas parût bien fade.

Cette situation lui rappela ce qu’il avait appris en interrogeant quelques élèves de la schola qui avait été dans l’Institut des Trois-Ordres de Paris-la-Nouvelle, le même par lequel était passé la plupart des membres du primum agmen de Kiona Paine. Il semblerait qu’à l’origine, Lucas, était celui qui voulait faire de Tessa son amalia, il avait même interdit à Evan de tenter quoi que ce soit.

Mais Evan n’avait pas courbé l’échine, comme à son habitude. Quelques jours avant que la Cérémonie de la Promesse eût lieu, des rumeurs annoncèrent qu’Evan avait rencontré le père de Tessa pour avoir son aval. Et à la surprise général, le Faucheur de Vie avait accepté de repoussé d’un an, le choix de l’amalia de sa fille. Il voulait mettre à l’épreuve tous les prétendants sérieux afin de consolidé sa décision. L’année suivante, celle de leur quinzième années, Evan avait obtenu le titulus d’Empereur Déchainé, et le Faucheur de Vie lui avait donnée son accord. Cela avait défié toutes les statistiques car Evan était un ma’nkel et que de nombreux prétendants Sha’Daigan, dont des membres des Douze Familles, avaient déjà été éconduits au cours de cette fameuse année.

Pour tout le monde, l’Empereur Déchainé avait réalisé un véritable tour de force. Mais en même temps, il était à l’époque en première position dans le classement dans l’Institut des Trois-Ordres, ayant brièvement surpassé Jahandar Raav. Il était également un des rares détenteurs de Neshirs Impériaux et de surcroît un Pulsar, un individu au sang d’airain d’une rare densité donc doté d’une Compatibilité parmi les plus hautes des Huit Phœnix. Depuis lors, Lucas l’avait haï comme personne. Même si dans le fond, il semblerait qu’il l’ait toujours détesté.

*

Evan fixa sans pouvoir s’en empêcher, les cheveux bruns lissés de la belle métisse qui cascadaient sur ses épaules et les mèches tressées qui formaient un symbole complexe. Ses magnifiques yeux bleu clair qui semblaient gris, à la fois glaçants et hypnotiques, avaient leurs éclats intensifiés par son magnifique teint brun clair. Elle le fixa simplement d’un regard froid et Lucas la quitta et vint se rasseoir, Il ne manqua pas de lui lancer un sourire moqueur.

Evan se força à ne pas le regarder alors qu’il continuait de sourire malgré son casque de réalité virtuelle posé sur le nez.

Il lui fallait juste un peu de temps pour que son âme s’habitue à cette vision et intériorise l’idée qu’elle ne lui était plus promise. Ou la réintègre à nouveau. Le baiser qu’elle lui avait donné l’avait plus perturbé qu’il ne l’aurait cru. Et c’était clairement l’effet qu’elle avait recherché. Cette fille était vraiment pire que tout. A croire que toutes les filles qu’il côtoyait ces jours-ci n’étaient en réalité que des sorcières perfides à l’esprit tordu. Heureusement que Charlaine était là pour remonter le niveau d’intégrité.

Evan soupira en se grattant distraitement la nuque, fournis de sa chevelure épaisse. C’était sa décision. Et elle avait été mûrement réfléchie même si dans le fond, cela lui faisait quand même toujours bien mal. Sa gorge devint brusquement sèche, alors qu’il détournait son regard de son ancienne amalia, qui toujours debout, discutait avec les filles venues l’accueillir comme on accueillait une hôte de marque.

Le jeune orphelin caressa distraitement son menton imberbe. Il repensa aux dernières paroles du Second Maître de Fort Laurent. Identique à celles que lui avait dites le Shedim Harlec.

« Sache que si je trouve une occasion de te détruire, je la saisirai »

C’était à ce vieux Harlec qu’il devait le traitement spécial et le zèle malsain dont avait fait preuve les Corneilles de Fer du fort à son égard. Avoir le Faucheur de Vie pour ennemi. Ce n’était que maintenant que d’une certaine façon il saisissait ce que cela signifiait. Si sa vie avait été une partie de Go… Il n’aurait su dire s’il avait une chance d’inversé la situation désavantageuse qui était désormais la sienne et de récupérer les territoires perdus qui restreignaient ses mouvements.

Evan soupira et ferma les yeux. Deux vers remontèrent alors dans son esprit. Comme bien souvent.

Fils des Cendres, Fils des Cendres,

De la terre naquit ton corps, par le feu fut forgée ton âme et par l’acier fut créée ta volonté…

L’institution de l’Amalia ess Ta’arki avaient ses règles et il n’avait enfreint aucune d’entre elles. Il ne lui avait pas pris sa virginité. Il n’avait pas eu de comportement déplacé à son égard. Il n’avait rien à se reprocher.

Le Faucheur de Vie avait été insulté par sa décision de rompre la promesse. Il savait pertinemment qu’en allant lui annoncer sa décision, il y avait des chances pour que ce dernier l’exécute mais un ignemshir assumait toujours ses responsabilités.

Comme tout Sha’Daigan, Rayn Harlec avait l’habitude que tout le monde se plie à son bon vouloir et lui lèche les bottes en mendiant quelques secondes de son attention. Alors refuser sa fille était impensable tant elle était désirée et parfaite aux yeux de tous.

Tessa s’assit avec les autres filles et fit comme s’il n’existait pas.

Il n’en demandait pas plus.

Il n’avait plus qu’une seule envie.

Rentrer chez lui.

— Bon, marmonna-t-il en se levant et boutonnant sa veste shirag en tweed marron et bleu foncé. J’ai des photos qui m’attendent.

Il revit le magister Marshal, son regard écrasant et son neshir à la lame argentée...

La première fois qu’il avait eu sa crise avait été quatre mois plus tôt. Il avait directement compris que ce ne serait pas la dernière. Pris de convulsion, sur le sol de son locus, ne voyant plus les lumières immaculées du plafond pyramidal, il avait senti pesé sur lui le spectre d’une condamnation. La marque indélébile d’un processus qui venait de s’enclencher et qui aurait sa mort pour fin indubitable.

La mort de Jahandar l’avait secoué plus qu’il ne l’aurait jamais cru, surtout ce sentiment de culpabilité et d’impuissance qui l’étreignait le cœur régulièrement. Moins maintenant mais au début, cela avait été un véritable calvaire. Il se réveillait toutes les nuits, et rêvait toujours de ce moment fatidique où en se retrouvant coupé des autres, parce que lui, avait voulu accélérer la cadence, ils avaient entendu le hurlement du Karan. Ce moment où ils avaient tous compris, Joaquin, Keiji, Jahandar, Alejandro et lui, que leur chance d’atteindre le refuge venait de baisser drastiquement. Il se rappelait encore ce que Jahandar avait simplement demandé à Keiji...

— Kei, quelles sont nos chances ?

— Nous devons accélérer la cadence, comme jamais et nous y arriverons avec un peu de chance.

— Kei… Réponds-moi.

— Tu ne peux pas faire ce que tu as en tête, Jahan.

— Tu es trop intelligent pour ton propre bien, Sang d’Asano. Réponds !

— Cinq pourcents, probablement moins.

— Bien.

Il se souvenait clairement du moment où Jahandar avait été englouti par le ravin au milieu des blocs de roches et de glaces sombres avant que le Karan ne recouvre tout.

Jahandar l’avait tant aidé à s’affirmer, il avait été un modèle qui l’avait encouragé à persévérer malgré les obstacles que son identité de ma’nkel avait pu constituer. Il était comme un frère pour lui. Les liens qu’il partageait n’étaient pas aussi forts que ceux qu’il partageait avec Keiji mais ils étaient véritables et profonds. Même Alex avait lâché des larmes la nuit qui avait suivi la disparition du grand Roi Flamboyant sur les pentes de l’Everest. Il avait entendu Joaquin pleurer dans son lit pendant pratiquement toute la nuit.

Il s’était rendu compte qu’il n’était pas aussi fort qu’il le pensait et que malgré la force qu’il avait acquis au cours de toutes ses années, pour respecter la promesse faite à sa sœur, il n’avait rien pu faire pour sauver une des rares personnes qu’il avait porté tendrement dans son cœur depuis la mort de Sue.

La force n’était rien, elle non plus.

Que pouvait-elle face à la mort ?

Rien du tout.

De fait, l’envers de tout ce qu’il avait bâti au cours de ces neuf années s’était révélé à lui dans toute leur vacuité. L’inanité de son travail et de ses efforts l’avaient complètement détruit. Et lorsqu’il avait eu sa première crise, il avait compris qu’il ne serait plus capable de se maintenir au niveau qu’il avait.

D’où sa décision vis-à-vis de Tessa. Il n’avait pas envie d’être un fardeau. Il l’imaginait devoir faire face au regard impitoyable de son père. Il ne voulait pas qu’elle finisse par être pleine d’amertume. Et puis, elle choisirait toujours sa famille. Rien ne pourrait la détourner de ses principes.

Seule la pensée du ciel est une limite, pas le ciel lui-même.

C’était leur devise. Pour eux, il n’y avait aucune limite à l’extension de leur pouvoir, de leur richesse et de leur influence. Et il avait fait du chef de cette famille, un de ses ennemis.

L’Existant avait dans sa souveraineté permis que cela lui arrive.

Mais qui pouvait lutter contre le Seigneur des Mondes ? Contre le Vénérable et l’Immortel ?

S’il devait disparaître comme un éclair qui n’eut luit que quelques instants avant de s’évanouir, rappelé au néant, qu’il en fût ainsi.

Si c’était le destin qui l’attendait... Non, il espérait que l’Existant lui accorderait une autre chance. Qu’une fois de plus, il puisse surgir des cendres en lesquelles se transformaient son corps à cause du feu mystérieux qui le consumait de l’intérieur.

Il avait eu trois crises au cours de la même journée, ce qui ne s’était encore jamais produit. Depuis, il avait cette appréhension constante qu’une attaque le saisisse à tout moment. Il le sentait en lui. De plus en plus. Comme si le vieillissement de son Kar’Cirkaem s’accélérait. Il n’aurait su dire comment, mais maintenant qu’il savait que son Cercle Intérieur était défaillant, il avait l’impression de l’entendre s’effriter, se fissurer un peu plus à chaque fois qu’il maîtrisait l’Air et se plongeait dans le cirkaem movi.

Tout avait commencé un peu après la mort de Jahandar. La perte de puissance de son Étincelle. Il n’y avait probablement aucun lien, mais le hasard avait un humour douteux. Ou peut-être était-ce Shorun. Il savait faire preuve d’une sombre ironie… Shorun, l’allégorie des interactions et des chaînes de cause-conséquence. Tiré d’un vieux conte Sal’Omeni. Selon ce dernier, Shorun venait de l’Existant et puisait sa force dans les réminiscences du vent du libre arbitre qui soufflait en chacun des eretsins. C’était une forme de superstition sans vraiment l’être…

Evan partit dans l’une des cuisines du manoir, échangea des hochements de tête et des sourires polis avec quelques élèves de sa schola, des connaissances qui en sortaient bouteilles de mourch ou de soda à la main et il se retrouva seul dans la grande pièce. Il prit un des verres parmi ceux à disposition sur l’un des trois plateaux d’une structure en rotation autour d’un cylindre. Le verre était d’excellente facture et marqué de la panthère rouge du Sang de Samba. Evan le remplit d’eau puis le posa en face de lui. Il le fixa quelque seconde puis sortit un petit sac en plastique à fermeture à pression qui contenait quatre des gélules que l’herboriste lui avait donné.

Cela équivalait à une semaine de prise.

Un tous les deux jours.

C’était ce qu’elle lui avait dit.

Il ne savait pas ce qu’elles contenaient mais c’était peut-être là son seul espoir.

Après y avoir longuement repensé assis sur son lit, apprêté pour le brunch, Evan avait bien compris que cette pathologie soi-disant inconnue, ne l’était pas pour l’herboriste qui avait tout de suite deviné ce qu’il avait :

Je n’aurais jamais pensé voir cela un jour mais c’est intéressant d’en observer un, une fois dans sa vie.

Elle savait clairement ce que c’était. Elle avait dit également qu’elle n’avait pas exactement de solution mais il était évident que les gélules pouvaient résoudre une partie du problème et sûrement atténuer certains de ses symptômes…

Pourquoi sa gorge était-elle si sèche ? Il vida son verre et le remplit à nouveau avant de le reposer devant lui.

Il s’écartait du fil de ses pensées…

Donc si l’herboriste savait ce qu’il avait, ce n’était pas une pathologie inconnue… Une lueur d’espoir…

Brève, néanmoins…

Il était passé chez elle la veille, pour en savoir un peu plus sur la composition des pilules. Il y était allé après avoir survécu au Jeu du Gladiateur accompagné de Keiji qui lui avait fait promettre de ne plus jamais partir dans le Cimetière sans lui, et qui avait accepté à contrecœur de l’accompagné bien qu’il trouvât cela inutile à cause de ses préjugés à l’égard des herboristes. Ils n’avaient trouvé personne. Un petit écriteau annonçait, à son grand désarroi, qu’elle serait absente pour un moment. Lui qui avait tant de questions... Il enrageait encore plus de son absence désormais.

A défaut d’avoir trouvé des réponses chez la Vierge, Keiji avait déjà demander à Charlaine de les analyser. Elle aurait sûrement les résultats aujourd’hui comme elle l’avait dit dans son message. Mais savoir ce qu’il y avait dedans ne répondrait pas à la véritable question. C’est-à-dire, est-ce que cela pourrait marcher ? Si même des magistri scientis considéraient qu’il n’y avait aucun espoir, Charlaine en viendrait sûrement aux mêmes conclusions.

Il avait besoin d’être sûr.

De le vérifier par lui-même.

Après une brève inspiration, il ouvrit le sachet et prit l’une des gélules. Il ne prenait de toutes les manières que des décisions idiotes mais il était hors de question qu’à cause de la peur, il laisse passer une occasion de se sortir de l’enfer dans lequel il se trouvait.

Il fallait qu’il guérisse.

A tout prix.

Les images de ses cauchemars mêlés à aux souvenirs des derniers évènements apparurent dans ses pensées comme pour appuyer sa décision.

Il avait besoin d’être fort…

Fort…

D’être puissant.

Et après tout, l’herboriste était membres des Vierges donc tout ce qu’elle lui avait dit était forcément la vérité. Mais que lui avait-elle dit exactement ? Elle ne lui avait pas dit que ça le guérirait…

Mais qu’elle et lui avait des amis communs…

Du bout des doigts, il toucha la coupure que lui avait laissée le magister Marshal. Elle était pratiquement déjà cicatrisée. Elle disparaîtrait d’ici le lendemain.

Il était possible de ne dire que des paroles véridiques sans pour autant dire toute la vérité.

Une demi-vérité était-elle un mensonge ?

Qu’était une demi-vérité ?

Et ce Chuchoteur, cet ami commun, qui revenait régulièrement dont il devait tantôt se méfier, et à qui il devait tantôt accorder sa confiance. Il remit le sachet dans la poche intérieure sa veste.

Il allait avaler la petite capsule jaune quand quelqu’un entra dans la cuisine. Il se figea, cachant la gélule au creux de sa paume.

Tessa venait d’entrer dans la cuisine, vêtue de sa magnifique robe-polo bleu-gris brodé de l’emblème de sa famille, un ciel bleu clairsemé de nuages blancs pourfendus d’une lance noire, d’une paire de bas marron en coton et de bottines blanche. Elle le regarda à peine alors qu’elle ouvrait l’énorme frigo et prenait deux bouteilles de mourch.

Même toi, j’ai dû te laisser partir, parce que je ne suis plus assez fort...

Il avait eu raison. Il était condamné, pourquoi donc damnerait-il quelqu’un d’autre avec lui. Comme lui avait dit son père, son sang souillé et sa chair abject… Ils ne lui auraient apporter que du malheur.

Elle sembla hésiter en se tournant vers lui, ses yeux fixant le sol. Ce fût à ce moment que Kara entra en jetant un bref coup d’œil à Evan mais l’ignorant pour le reste et Tessa lui dit :

— Allons-y Kara.

Elle sortit sans un mot supplémentaire, ni un regard. Il resta immobile, fixant l’encadrement de la porte, le cœur lourd avant de serrer les poings et de s’ébrouer. Il se frotta les yeux, las et s’appuya sur le comptoir des deux mains. Peut-être ne réfléchissait-il pas clairement. Et s’il se trompait à propos de ses déductions concernant l’herboriste… Son intellect n’avait pas pu s’empêcher de disséquer ses souvenirs à la recherche d’une solution. Et si Keiji avait raison ?

Les comprimés étaient peut-être dangereux. Il n’avait qu’à attendre le compte-rendu de Charlaine. C’était la chose à faire. C’était plus sage.

Evan hocha plusieurs fois la tête avant de s’immobiliser et de fixer le verre. Finalement, il mit la gélule dans sa bouche et s’empressa de vider le verre d’eau. Il patienta quelques secondes, s’attendant à se sentir mal mais rien ne se produisit. Il souffla et posa le verre sur le comptoir de la cuisine quand il ressentit un élancement dans sa poitrine. Puis un deuxième en même temps qu’il eut le sentiment que la pièce se réchauffait et devenait un véritable enfer. Il suffoquait. L’air semblait être devenu une sorte de mélasse. Il tomba à genou, cherchant à aspirer de l’air. Il se frappa plusieurs fois la poitrine le poing serré, sentant à chaque coup que ses forces le quittaient progressivement. En dernier recourt, il se plongea dans le cirkaem movi en accélérant volontairement le Rythme de Chatoiement suivant une fréquence particulière pour amplifier ses capacités de régénération. Ce n’était pas recommandé à cause du contrecoup mais c’était cela ou la mort. Il eut à nouveau cette impression d’entendre son Kar’Cirkaem craqueler un peu plus. La douleur était insupportable. Au Crépuscule, son calvaire prit brusquement fin en même temps qu’il put de nouveau respirer. Il supprima l’Air en redescendant au vide avec un sentiment de fragilité, qu’il ressentait jusque dans la moelle de ses os.

Mais qu’est-ce qu’il y avait dans ces pilules ? Il aurait définitivement dû attendre Charlaine. Il était décidément un idiot jusqu’au bout… Il se redressa et s’appuya contre le comptoir, la respiration de plus en plus lente. Il inspira profondément et déglutit. Son corps se remplit progressivement de force à mesure que les seconde passaient. Sa capacité de régénération venait de ramener son corps à son état normal et détruisant les substances mortelles qu’il venait d’ingérer. En théorie, mais il ressentait comme une gêne. Ce n’était pas encore le contrecoup, qui serait violent probablement, c’était autre chose.

Evan se resservit un autre verre d’eau avant de sortir de la cuisine.

Dans le fond, il doutait que Charlaine fît une quelconque découverte qui pourrait le sortir de sa situation. Il était trop réaliste pour le coup... Il avait besoin de calme et de solitude. Et il se sentait d’humeur à peindre. Il pensa à ses pellicules qui attendaient d’être développés dans son laboratoire. Le ciel était dégagé pour la première fois depuis plusieurs semaines et la lumière du soleil d’hiver, annoncé pour l’après midi serait parfaite. Il s’imaginait déjà assis sur la terrasse de son penthouse, un mourch frais à proximité et le poids rassurant et apaisant de son appareil photo autour du cou, loin de tout. Soudain, il se rendit compte qu’il marmonnait à voix basse :

— Imprégné à jamais, leurs échos résonnent encore, tant d’années après, dans le brouillard et la fumée…

— Le Chuchoteur, fit une voix près de lui.


Texte publié par N.K.B, 26 octobre 2019 à 13h27
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