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Ignemshir, Tome 1 : L'Étincelle Mourante
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tome 1, Chapitre 24 « Le Reflet de ma Lame » tome 1, Chapitre 24

L’estomac d’Evan fut heurté violemment. Quand il ouvrit les yeux, il se rendit compte qu’il s’était endormi. En levant les yeux, son regard tomba sur la Corneille de Fer qui le jaugeait du regard.

— Princeton est là ? marmonna-t-il.

— Non, mais on repart pour un tour.

L’estomac d’Evan se noua d’effroi, et il fut pris d’une terrible nausée. Une autre séance de flagellation ? En avait-il même le droit ? La seule pensée de se prendre un seul coup de fouet, le terrorisait. Il avait tellement mal…

— Allez, debout ! Ordonna-t-il en lui enfonçant la pointe de ses bottes dans l’estomac. Sinon, c’est moi qui vais te trainer à la salle d’interrogatoire. Tu vas détester. Je peux te l’assurer.

Tout tremblant, il parvint à se lever. Garul Jen sourit, visiblement satisfait du spectacle qu’il offrait et d’un geste ample de la main, l’invita à sortir de sa cellule. Il s’exécuta. Comme un condamné à mort que l’on emmenait à la potence, il marchait à contrecœur dans la direction vers laquelle le poussait la Plume de Fer.

Lorsqu’il n’avançait pas assez vite à son goût, il lui donnait un coup de pied dans le derrière, ce qui se concluait invariablement par sa chute. Et il peinait à se relever mais il finissait toujours par se remettre en route sous les moqueries de son tortionnaire, la mâchoire serrée. Il entra dans la salle d’interrogatoire dont la porte était déjà ouverte. Il aperçut dans la pénombre hors du faisceau lumineux, celui qui tenait le fouet. A mesure qu’il se rapprochait de la chaîne noire aux maillons épais et sales qui semblait n’attendre que lui, son cœur battait de plus en plus vite. Tout cela, uniquement parce qu’il avait dit le fond de sa pensée ? Parce que tous ces Sha’Daigan et Sha’Genji le détestaient… Parce que le Noguem le détestait.

— Ne serait-ce pas de la peur que je vois dans tes yeux ? Quand on doit repartir pour un deuxième tour, on fait tout de suite moins le malin, hein ?

Son rire méchant résonna en écho dans la salle d’interrogatoire.

— On va voir jusqu’à quand tu arriveras à nous priver de tes jolis petits cris.

Il lui prit un bras sans ménagement et l’attacha à la chaîne puis fit de même avec l’autre. Quelqu’un, sûrement le véritablement tortionnaire, activa un mécanisme et la chaîne le tira vers le haut jusqu’à ce que ses pieds ne touchassent plus le sol. Il suffoquait.

— Quel joli visage. Comme c’est poétique. Une telle détresse. Je pense que tout le monde est prêt. Eh bien, ne traînons pas !

Trois ans et demi plus tôt

Paris-la-Nouvelle s’étendait en contrebas comme une peinture aux lumières criardes et bigarrées. La cité bouillonnait de la vie de centaines de milliers d’âmes, telle une nébuleuse perdue dans les ténèbres du grand vide interstellaire. Des rafales de vent soufflaient, menaçaient de le pousser dans le vide. A une telle hauteur, au sommet de la Tour de la Nuit, le plus haut gratte-ciel de Paris-la-Nouvelle, il était évident qu’il n’en réchapperait pas. Néanmoins, Evan n’avait pas peur. Keiji à côté de lui, marchant sur les mains, longeait le rebord du gratte-ciel. Il leur avait fallu une petite heure pour l’escalader et ils n’étaient pas déçus du voyage.

— Eh le trompe-la-mort ! lui cria Evan en souriant. Arrête de te la péter.

Keiji se remit agilement sur ses pieds et remonta le petit muret de béton jusqu’à lui. Il poussa un cri qui se perdit dans le vent. Evan l’imita. Ils jouèrent à celui qui crie le plus fort jusqu’à ce que l’un et l’autre aient la gorge endolorie sans qu’aucun des deux ne puisse déterminer un gagnant. Ils s’assirent sur le muret, les pieds pendant dans le vide. Keiji dit :

— Tu as fait fort quand même pour que le Faucheur de Vie t’accepte comme gendre. C’est juste le coup du siècle. Comment t’as fait ?

Evan haussa les épaules et répondit :

— Je crois que Tessa avait déjà préparé le terrain. Je crois qu’il aime sa fille plus que tout le vieux Harlec. Je suis tellement excité : je serais un jour, membre de la famille du Faucheur de Vie ! Les Harlec sont une famille puissante et Rayn Harlec a dit que je serais comme un fils pour lui si je contribuais à apporter gloire et renommée à sa famille. Samuel est un chic type, il me considère déjà comme son frère. Enfin, c’est ce qu’il m’a dit.

Keiji hocha la tête avec un sourire mais le cœur n’y était pas. Evan le remarqua et lui dit :

— T’es un peu bizarre ces temps-ci, je trouve… Tu n’as toujours pas choisi d’amalia ?

Il secoua la tête et répondit :

— Nan ! pas envie. Ma mère m’a arrangé plusieurs rencontres mais elles sont toute stupides. Aucune n’arrive à tenir deux minutes contre moi au jeu de Go.

— Tu es un peu exigeant là non ? Il n’y a pas grand monde qui puisse te battre, fit Evan en riant. A part ton père…

— …et toi.

— Oui.

Ils restèrent silencieux quelques minutes puis Keiji se mit debout sur le muret et écarta les bras.

— Tu as des envies suicidaires ?

— Non, j’ai trop de devoir envers ma famille et mon nom pour gaspiller ainsi ma vie. Et puis, Hokein’aki serait plus honorable qu’être transformé en une bouilli immonde répandue sur de l’asphalte.

— Pas faux. Mais je pense que le plus important n’est pas comment tu meurs mais plutôt comment tu as vécu. Tu ne penses pas ?

— Toujours aussi sage, lui répondit l’autre. Qui t’as dit ça ?

C’était des paroles de son père mais il ne pouvait pas le dire. Il n’était pas censé avoir connu son père. Juste Malia et Princeton.

— Mon… Je l’ai entendu quelque part.

— Bah celui qui l’a dit était vraiment sage.

— Oui.

Evan eut un sourire béat alors qu’il pensait à Tessa.

— Elle est vraiment trop belle, fit-il à Keiji. J’ai trop de chance.

— C’est vrai qu’elle est super mignonne, confirma Keiji. Un peu froide mais quand elle se lâche un peu. C’est un vrai feu d’artifice.

— Ouais, c’est ce que j’aime chez elle. Sa capacité à faire la part de chose. Un jour je serais comme toi, j’aurai un nom prestigieux et une famille envers qui j’aurai des devoirs.

Keiji redescendit et le regarda légèrement perplexe avant de dire :

— Mais tu as un nom et une famille Evan.

— Non, tu te trompes, je n’ai rien de tout ça. Juste Princeton. C’est déjà beaucoup mais je veux plus que ça…

Le jeune Sha’Daigan contempla l’immense cité, pensivement avant de dire :

— En attendant que tu ais ta nouvelle famille, soyons frère. Comme ça, tu m’auras toujours moi.

— Tu es déjà un frère pour moi, Kei, répondit Evan amusé.

Les cheveux noir corbeau de son ami ondulait au vent. Il remonta sur le muret et lui dit :

— Lève-toi à côté de moi.

Il l’imita.

— Je veux dire des véritables frères. Uni par un lien authentique et que personne ne pourra jamais remettre en cause.

— Comment tu veux faire ça ?

— A’shua Meno

Evan le regarda surprise :

— Tu veux vraiment le faire comme ça ?

— Tu doutes de moi ? s’enquit Keiji, un éclat malicieux dans le regard.

— Non tu sais bien que s’il y a une personne à qui je confierai ma vie c’est bien toi.

— Pareillement. Ma vie et mon avenir.

— Alors devenons mutuellement le reflet de nos lames, des A’shua Meno. Si j’échoue au test d’entrée à Kiona Paine. Tu échoueras même si tu réussis.

— Pareillement. Et vu que l’épreuve peut être mortelle, toutes les conditions seront réunies. Et si tu y meurs, je me ferais Hokein’aki pour te rejoindre et inversement.

— Bienvenue dans ma famille petit frère, lui dit Evan avec un sourire espiègle.

— Hey, c’est moi le grand frère ! petit frère Evan !

*

Le regard d’aigle de Keiji lançait des éclairs tandis qu’il serrait la poignée de son neshir au point que ses articulations blanchissent. Charlaine ne se souvenait pas de l’avoir déjà vu dans une telle colère. Elle-même était d’une humeur maussade. Elle était inquiète. Très inquiète. Ils se tenaient devant l’entrée de Fort Laurent, la prison de Paris-la-Nouvelle, qui se trouvait dans le 9ème arrondissement, sur la petite île Laurent formé après l’Effondrement des Cieux.

La lourde porte s’ouvrit finalement – ils attendaient depuis une vingtaine de minutes – et une Plume de Fer en sortit. Il portait la tenue shirag grise avec la corneille barré d’une épée écarlate. Il était grand et athlétique. Ses yeux étaient si froids qu’elle se demanda étrangement si elle avait affaire à un homme ou à un animal sauvage. Il dominait Keiji d’une tête mais entre les deux, Keiji, même s’il ne portait qu’une simple veste en cuir, un jeans et des Chesterfield, avait une aura plus écrasante. Il n’était pas venu seul, à ses côtés se tenaient son magister primigenius, Daisuke Akamatsu. Il avait les cheveux longs et noirs attachés en queue de cheval, une petite barbichette et une fine moustache. Il avait les traits sévères et semblait n’avoir jamais souri de sa vie. Daisuke Akamatsu était une Plume Onyx, de la division des Marcheurs Pourpres. Il était vêtu de noir, sur sa veste shirag, une silhouette purpurine encapuchonnée en mouvement qui tenait une faux mauve à deux mains. Le magister faisait la même taille que la Plume de Fer qui venait de sortir.

— Que la Terre soit sans péril à vous Fils des Cendres, et à vous également jeune demoiselle. Que puis-je faire pour vous ? Je suis Malory Camelot, Second Maître de Fort Laurent et Corneille de Fer au service du Prince de l’Aurore.

— Que les cendres de l’Immortel vous protègent, répondit Keiji. Je me nomme Keiji Endo et voici mon magister Daisu…

— Oh mais je sais qui est Daisuke Akamatsu, l’Empereur Ivre. C’est un honneur, coupa la Corneille de Fer d’une voix mielleuse avec un sourire obséquieux qui ne se communiqua pas à ses yeux. Mais que puis-je pour vous Sha’ Endo, petit-fils du Mikado Noir, 2ème Imperator de la Fédération d’Edo, et Gardien du Sang d’Asano ?

— Je recherche un ami. Il serait entre vos murs depuis vendredi soir. Nous sommes samedi aujourd’hui. Je suis venu le chercher. Menez-moi à lui. Exigea Keiji d’une voix qui ne tolérait aucun refus.

La Corneille se rembrunit, ses yeux gris se plissèrent. Il caressa distraitement son menton imberbe et demanda :

— Comment s’appelle-t-il ?

— Evan Jameson Kupenda.

— Oh, je vois. Oui en effet. Mais je crains que nous n’en ayons pas fini avec lui. Vous devriez repasser ce soir.

— Je repars avec lui, immédiatement ! tonna Keiji d’une voix glaciale.

— Second Maître, j’espère que vous savez que même les Corneilles de Fer sont tenues de respecter le Codex Shirin, prévint le magister primigenius Akamatsu. Donnez des châtiments sortant ou excédant le cadre déterminé pourrait vous coûter très cher.

— Bien entendu. Nous veillons toujours à respecter le Codex. Malheureusement, je ne peux rien pour vous. Le ma’nkel est bien ici. La Corneille de Fer ayant déterminé son châtiment est en train de s’en occuper. Il aura sûrement bientôt fini.

— Je doute fort, que vous ayez attendu une journée pour châtier le ma’nkel, fit Daisuke de sa voix rocailleuse. Si vous ne nous faites pas entrer et ne nous permettez pas de le récupérer. Son tuteur en entendra parler. S’il s’avère que vous avez outrepassé vos droits, le Tueur de Dragons Noirs n’aura de cesse de vous pourchassez jusqu’à ce qu’il ait obtenu justice. C’est-à-dire votre tête au bout d’une pique.

— Pourquoi défends-tu le maudit protégé d’un homme que tu exècres depuis plus de vingt ans, Daisuke ? cracha Malory Camelot.

Charlaine lança un regard interrogateur à Keiji qui haussa les épaules. Il ne voyait pas de quoi la Corneille de Fer voulait parler.

— Ce que vous dites est inexacte. N’eut égard à nos différents, j’ai toujours un profond respect pour Princeton Jones. Ne cherchez pas à gagner plus de temps, Camelot. Ouvrez-nous. Maintenant.

La Corneille de Fer poussa un profond soupir et la lourde porte en BoisFer s’ouvrit un peu plus, et ils purent pénétrer dans la cour pierreuse du fort dont les murs gris de béton s’élevaient à une quinzaine de mètres du sol. Il régnait un silence de mort dans la prison. Il n’y avait pas âme qui vive aux barreaux des fenêtres des cellules se trouvant aux étages supérieurs. A croire que tous les prisonniers étaient morts. L’atmosphère était inquiétante presque lugubre. Il leur indiqua un escalier qu’ils descendirent. Ils croisèrent une autre Corneille qui était à peine plus âgé que Charlaine et Keiji. Le Second Maître Malory lui ordonna d’aller chercher le prisonnier qui se trouvait avec un certain Garul Jen. Il acquiesça silencieusement et partit au pas de course. Ils remontèrent un couloir sombre et froid. Ils passèrent devant une série de cellules vides. Malory s’arrêta soudain devant une cellule aussi vide que les précédentes. Charlaine devina une tâche de sang qui semblait fraiche. Elle remarqua une bouteille remplit d’un liquide sombre près des barreaux. Le sang… Était-ce le sang d’Evan ? Dans quel état était-il ? Le Second Maître d’un regard, comprit ce qu’elle était en train de se dire, et elle vit un éclat jubilatoire dans son regard de bête. Charlaine ne comprit pas la raison d’une telle cruauté de la part de cet homme qui ne la connaissait même pas. Comme s’il se nourrissait de la souffrance des autres. Il n’y avait rien d’étonnant à ce que personne ne veuille côtoyer les Plumes de Fer. Ils étaient tellement sinistres.

— Ah… petite précision, seuls les membres de la famille sont autorisés à repartir avec les alumni incarcérés. Les amis n’ont droit qu’à une visite.

— C’est une blague ? grogna sombrement Keiji.

— Vous m’avez bien entendu, répondit la Corneille avec un sourire sadique, ses yeux brillants d’une joie mauvaise. Je vous accorde de le voir même si son châtiment n’était probablement pas terminé mais nous reprendrons après votre départ. Il ne devrait pas tarder.

— De quel droit… maugréa Keiji.

— A moins que le Tueur de Dragons Noirs ne vienne en personne, personne en dehors d’un membre de sa famille ne pourra le ramener avec lui. Il devra donc rester ici. Avec nous. Mais ça tombe bien, on commençait à se sentir un peu seul dernièrement…

— Mais vous n’avez pas le droit ! s’insurgea Charlaine au bord des larmes.

*

Au même moment, ils virent des silhouettes remonter le couloir. Celle qui marchait devant semblait à constamment sur le point de trébucher. Lorsqu’ils furent suffisamment près, Keiji reconnut Evan qui était méconnaissable. Son visage était terne et déformé par une expression de vive douleur. Il relâcha son atmosphaira sans s’en rendre compte alors que son cœur brûlait de rage.

— Restez calme, Sha’ Endo ou vous finirez vous-même dans l’une de ces cellules, le prévint Daisuke de son visage de pierre. Il faut faire les choses dans les règles.

Keiji revint au Vide après un hochement de tête. En se rendant compte que c’était lui, le visage de son ami tenta de former un sourire qui n’arriva jamais à maturité. La douleur qu’il éprouvait l’effaça aussi vite qu’il était apparu. Keiji entendit Charlaine qui sanglotait à côté de lui, une main sur la bouche, les joues ruisselantes de larmes. Quand il arriva à son niveau, Evan tendit la main pour le toucher mais le Second Maître lui empoigna le bras, et le jeta sans ménagement dans la cellule. Il s’y effondra. L’homme avec qui il était venu était une Corneille de Fer avec une face de serpent et le même regard dénué d’humanité. Le Second Maître Malory déclara en fermant la cellule.

— La visite est terminée, repassez demain, puis se tournant vers son collègue, il demanda. Alors ?

L’autre parut dégouté et répondit :

— Une troisième séance sera nécessaire.

— Vous enfreignez le codex… Sur quelle base déterminez-vous ce châtiment ? protesta Keiji, ulcéré. Qu’a t’il fait qui puisse nécessiter une punition si extrême ? Vous n’avez pas le droit. Vous...

— Tais-toi gamin, le coupa le Second Maître d’un regard glacé. Tu n’as aucun droit de poser cette question. Lorsque le tuteur viendra. S’il vient… Même si j’en doute sachant où il se trouve actuellement… Eh bien. Nous serons ravis de lui répondre.

*

Charlaine, les deux mains sur la bouche, les yeux écarquillés d’horreur, considéra le dos de son ami, qui n’était plus que des lambeaux de chair à vif et ensanglanté. Elle dût prendre sur elle pour cesser de sangloter. Cela faisait trop plaisir au Second Maitre. Elle sentait son regard sur elle. Il se nourrissait de son désarroi. Cette Plume de Fer était un être abject ! Il méritait d’être derrière les barreaux de cette cellule et non Evan. Elle s’accrocha au barreau :

— Evan, fit-elle. Evan ?

— Laissez-le, il s’est sûrement endormi, fit la face de serpent. Il aura besoin d’énergie pour la phase trois.

Soudain un rire s’éleva. Ils échangèrent tous un regard, intrigué, jusqu’à ce qu’ils se rendent compte que c’était de la cellule que venait le rire. D’Evan qui avait la tête baissée mais dont les épaules tressautaient au rythme de son rire. Il leva son visage qui exprimait surtout de la douleur mais il riait bien.

— Vous aurez beau me fouetter, je ne vous accorderai jamais ce plaisir, fit-il avec un rictus haineux et voix rauque. Jamais.

— Evan ? murmura Charlaine qui avait du mal à le reconnaître. Est-ce que ça…

— Oui, Evan, fit Keiji d’une voix sombre en posant une main sur son neshir. Ils n’auront pas ce plaisir. Je ne le permettrais pas…

Le Second Maître gratifia l’alumnus d’un sourire moqueur jusqu’à ce qu’il vît que le magister était également prêt à intervenir si nécessaire.

— Si jamais tu fais cela, tu finiras de l’autre côté, le prévint Malory.

— Ouvrez-moi cette grille tout de suite, ordonna-t-il.

— Est-ce que tu es sourd ? Lança le Second Maître. Il faut que…

— Le reflet de ma lame, dit-il.

— Pardon ? demanda Malory. Je ne…

— Il est le reflet de ma lame, répéta-t-il d’un ton menaçant. Mon A’shua Meno, c’est un lien aussi légitime que s’il était mon frère, né du même sang et des mêmes parents que moi. J’ai autant de droit que son tuteur Princeton.

— Tu ne vas pas me faire croire que toi, un héritier de l’une des Familles Anciennes les plus puissante des Trois-Monde a fait de ce… ma’nkel ton A’shua Meno…

— Ce que vous croyez m’importe peu, rétorqua Keiji parlant de plus en plus lentement et froidement. Ouvrez-moi cette cellule. Tout de suite. Ou sinon je vous assure que je vous règlerai vos comptes à tous les deux et tous les oiseaux de malheur qui se mettront sur mon chemin. Car vous me refusez mon droit le plus légitime. Ce faisant vous enfreignez le Code des Cendres. Vous êtes donc des hors-la-loi. Des nihils. Je suis donc en droit d’exercer la justice, selon ma conscience et pour le bien du plus grand nombre. En l’occurrence celui de mon frère.

Keiji alama Hozukin, son neshir. La lame argentée veiné de jaune issue de la fumée grise et jaune s’était solidifiée, et chatoyait à la lumière blafarde du couloir. L’Empereur Ivre l’imita.

— Je vous conseille d’obéir et de faire ce que Sha’ Endo vient de vous ordonner, fit le magister primigenius de son visage sans d’émotion mais qui dégageait une aura comminatoire. Un coup d’œil à son dossier sur la base des Reflets confirmera ses dires.

Le Second Maître eut une moue de profond dédain en les dardant de son regard haineux et il vint ouvrir la cellule. Charlaine voulut s’empresser de venir l’aider mais Evan, d’une main levée, l’arrêta. Il se dressa fébrilement de toute sa hauteur et toisa le Second Maître avec un sourire provoquant. A part sa respiration saccadée, et son visage en sueur, Charlaine ne voyait plus aucune trace de la douleur qu’il avait manifesté plus tôt. Il s’avança, un pas après l’autre jusqu’à lui. S’arrêtant en face de lui, il murmura d’une voix autoritaire qui ne trembla pas :

— Mon neshir, Corneille de Fer. Tout de suite.

Les narines gonflées, le Second Maître bouillonnait intérieurement. Il empoigna son propre neshir mais Evan ne recula pas.

— Il semblerait qu’il refuse de me rendre mon neshir, fit Evan. En face de suffisamment de témoins pour corroborer les faits. Que dit le Codex à ce propos, A’shua Meno ?

Evan regarda Keiji et le Shogun au Regard d’Aigle relâcha son atmosphaira suivi par l’Empereur Ivre. Charlaine s’écarta précipitamment, manquant de trébucher en courant presque à reculons pour se tenir hors de l’influence des atmosphaira écrasantes, ébahi qu’Evan dans son état, sans avoir son neshir à proximité, parvenait à tenir debout et à le supporter. Elle remarqua néanmoins que son poing serré tremblait. Le visage de Malory se décomposa et il fit un pas en arrière avant de dire :

— Garul, ramène-lui ses affaires.

Garul s’en alla promptement et disparut dans le fond du couloir laissant le Second Maître, seul. Ce dernier, de nouveau froid comme l’acier, arborait un visage dénué d’émotion. La Corneille de Fer revint moins de cinq minutes plus tard et lui fourra ses affaires dans les bras sans ménagement. Evan le gratifia d’un sourire satisfait et dit :

— Allons-y.

Il sortit de la cellule et avec précaution, marcha vers le fond du couloir, son dos ensanglanté luisant sombrement à la lumière blafarde des plafonniers.

*

Quand ils furent hors de Fort Laurent, Evan qui avait fait tout le trajet seul, refusant l’aide de Charlaine même lorsqu’il s’était mis à tituber dangereusement, se retourna vers les deux Corneilles de Fer.

— Ce n’est pas terminé, lui cracha Garul Jen avant de s’en aller, furieux.

Le Second Maître le jaugea du regard et dit :

— Tu ferais sûrement un excellent Exécuteur, une fois brisée.

Evan se rapprocha de lui, montrant bien qu’il ne le craignait pas. Ni lui, ni aucun de tous ceux qu’il représentait.

— Je ne serais jamais l’un des vôtres. Vous ne briserez jamais.

Son interlocuteur eut un sourire méphistophélique et lui chuchota suffisamment bas pour qu’il soit le seul à l’entendre :

— « Sache que si je trouve une occasion de te détruire, je la saisirai. ».

Evan se figea reconnaissant les paroles déjà entendu de la bouche d’un autre. Satisfait de son petit effet le Second Maître s’en alla et la lourde porte en BoisFer se ferma sur lui. Le jeune homme eut la gorge serrée. Il se tourna vers ses amis. Daisuke Akamatsu l’observait avec intérêt, malgré son visage minéral. Un pâle sourire se forma sur le visage du jeune homme et il dit, alors qu’il tournait de l’œil et que le monde s’assombrissait :

— Merci, petit frè…

Son ami le rattrapa avant qu’il ne s’effondre sur le sol, inconscient, et souriant à son tour, il rétorqua :

— C’est toi le petit frère, idiot.


Texte publié par N.K.B, 3 octobre 2019 à 12h14
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