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Ignemshir, Tome 1 : L'Étincelle Mourante
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tome 1, Chapitre 15 « La survie du plus apte » tome 1, Chapitre 15

Au bout deux heures de duels le magister princeps mit fin à l’entraînement. Du haut de son discVol, il voyait en contrebas les cinquante arènes entourant la plus grande, l’arène Superbus. De son point de vue, toutes ces arènes avec leurs nombreux couloirs et dédales qui les connectaient, ressemblait beaucoup à ceux d’une Fourmilière d’où le nom que l’on donnait à ce gigantesque complexe en souterrain battit sous le gymnase de la schola.

Il vola vers la plateforme en sustentation sur laquelle il avait débouché en venant du locus. Le magister Vasco et ses aspirants finissaient de travailler sur les données récoltées. Ils manipulaient avec les mains des hologrammes de courbes, tout en faisant des simulations.

Il manquait six aspirants. Ils avaient été dépêchés dans la Fourmilière pour coordonner les soins à prodiguer aux alumni par les aspirants salomens de dernière année. Car cette journée comme bien d’autre avant, et beaucoup d’autre après, avait eu son lot de blessés graves.

— Le Tri continue, murmura-t-il à voix basse pour lui-même. Inéluctable et primordiale…

Il descendit agilement de son discVol, le plia et le rangea avec les autres. Avant de reprendre l’escalier qui menait au locus, il eut un léger hochement de tête pour Vasco qui lui répondit par un mouvement des sourcils, le temps d’un bref regard.

Evan courait aussi vite qu’il le pouvait. Les blessures qui recouvraient son corps, infligé au cours des vingt duels qu’il avait mené, pulsaient douloureusement, rendant chaque mouvement plus pénible que le précédent. L’un des pansements de guérisons accélérées s’arracha de son flanc droit. Il grimaça et sentit un liquide chaud couler sur sa peau. Le sol derrière lui s’effondrait révélant un vide ténébreux. Il ne voulait pas finir dans les Puits. Vaincre Damian, le treizième lui avait pris plus de temps que prévu et le magister avait lancé le compte à rebours dès le début de son dernier duel. La respiration saccadée, il aperçut enfin l’escalier. Il accéléra, les poumons et le corps en feu. Le vide se rapprochait également de plus en plus vite. Bientôt la semelle de ses chaussures toucherait à peine le sol. Il se voyait déjà tomber et imaginait son corps sombré dans le néant avant de s’écraser violemment dans l’eau sombre, glacée et pestilentielle des Puits. Il grimpa quatre à quatre les escaliers en poussant des grognements de douleur, et se jeta dans l’ouverture in extremis au moment où la porte se refermait rudement derrière lui annonçant ainsi la fin du compte à rebours. Après un roulé-boulé sur les tatamis, il s’immobilisa sur le dos, à bout de souffle.

— Le dernier et pas le moindre ! s’écria quelqu’un.

— Je te jette mon chapeau Evan. Courir aussi vite dans cette état… dit un autre.

Il ouvrit les yeux et se redressa en grognant, la respiration saccadée. Joaquin recouvert comme lui de poussière et de sang était assis dans la position du lotus à proximité. Visiblement, il était là depuis un moment.

— Je ne pensais pas que tu y arriverais, avoua-t-il d’une voix soulagée.

Evan déglutit. Pour un premier jour, le magister Tambwe démarrait sur les chapeaux de roues.

— Je suis le dernier ? Demanda-t-il alors que sa respiration et son rythme cardiaque redevenait normal.

— Oui. En même temps tu as jailli du tunnel, comme un olen de l’Urne d’Ishar, une seconde avant la fin du compte à rebours.

— C’est vrai… Kei ? Il est où ?

— Juste ici, lui répondit son ami dans son dos en lui tendant sa main pour l’aider à se relever avec un large sourire.

Lui aussi était maculé de poussière et de sang. Ses cheveux désormais décoiffés avaient perdu leur éclat habituel.

— Je savais que tu t’en sortirais.

Le magister Tambwe entra alors dans le locus. Il regarda la trentaine d’alumni présent, impassible.

— Je vois que plus de la moitié d’entre vous est tombé dans les Puits. Comme c’est dommage. Ils vont y passer encore une petite heure avant de réussir à remonter. Pour vous autre, vous pouvez disposer.

Les alumni saluèrent leur magister et disparurent progressivement dans les vestiaires en discutant et se chahutant. Keiji se dépêcha d’aller se doucher. Si Evan s’en souvenait bien, il avait un rendez-vous arrangé par sa mère dans la soirée. Avec la fille de Horace Charleroy, le gouverneur de Paris-la-Nouvelle. Cela faisait partie de ses obligations de Sha’Daigan étant donné qu’il n’avait toujours pas d’amalia.

Bien qu’il se soumît à ces rencontres arrangées par sa mère, les relations naissantes n’arrivaient jamais à maturité comme elles le devraient au bout de huit semaines. Rachel était le dernier exemple en date. Keiji ne donnait jamais l’anneau de bois frappé des armoiries de son Sang, qui était censé faire de la jeune fille son amalia. Comme si la simple idée de s’engager lui donnait des urticaires, au grand dam de sa mère. D’autant que pour la plupart des filles, sans exagérer, Keiji était comme le soleil. Le meilleur parti dont elle pouvait rêver.

Il était issu d’une Famille Ancienne, et pas n’importe laquelle, car il était le descendant d’un des Sept Précurseurs, Le légendaire Shogun au Soleil Noir, Aki Asano. En plus de cela, il était membre du primum agmen, le secundus pour être plus précis. Son père était milliardaire. Il était le PDG de la multinationale aéronautique, Uchu. Pour couronner le tout, le dernier détail mais pas des moindre, c’était un beau ténébreux, comme elles en rêvaient toutes.

Evan retira le brassard brodé d’un cinq qu’il portait. Il avait perdu sa troisième place en faveur de Jin. Après le duel contre Alejandro, il avait été bien amoché. Il n’avait pas pu tenir le coup comme il l’aurait fait quelques mois plus tôt. Il n’était donc plus le tertius, mais le quintus désormais. Une défaite face à Jin valait mieux que face à Lucas, Baptiste ou Jordan. Il n’aurait pas supporté de perdre face à l’un d’entre eux. Fort heureusement, il pouvait encore leur tenir tête.

Evan vit justement Jin, qui le dépassa, l’air contrarié. Joaquin croisa son regard alors qu’ils marchaient côte à côte et lui dit :

— Le Tri fait des ravages et ne pardonne pas.

— Que s’est-il passé ?

— Jin a laissé Léo dans un sale état après leur duel. Il est convaincu qu’il ne se battait pas à fond. Visiblement, il était distrait, des problèmes avec son amalia je crois…

— Je vois…

— Ça l’énerve parce qu’il est convaincu qu’il avait, enfin, a beaucoup de talent… Tout dépend de s’il arrive à revenir…

— Ouais… Et il y’en a d’autre qui… ?

— Yann et Mike, les seize et dix-septième par Baptiste et Lucas, ils les ont détruits. Herbert et Pierre, le onzième et le decimus, Alex les a réduits à rien. Shana a écrasé Yuri.

— Vous étiez convaincu que mon duel contre Alex serait mon dernier, hein ?

— Un peu, oui. Mais je suis content que tu t’en sois sorti. Comme Keiji l’a dit : Brûles de toutes ta force, jusqu’à ce qu’il ne reste plus que de la cendre…

— Alors peut-être renaîtras-tu…

— Ouais, on ne les laissera pas nous briser.

— Non, confirma Evan.

Joaquin lui donna une bourrade en esquissant son sourire solaire avant d’accélérer et de disparaître dans les vestiaires. Evan repensa aux sept qui avaient peu de chance de revenir. A ce rythme, il ne resterait plus personne lors du Raaek’a Daedalis. Et même avant lors des Olympeons…

Il fallait juste qu’il tienne le coup jusque-là. Encore deux mois jusqu’aux Olympeons. Il entrait dans les vestiaires quand il fut brusquement empoigné, bras contre la gorge et qu’on le plaqua rudement contre le mur. Les yeux gris de Lucas le fixaient avec hargne.

— Qu’est-ce que tu me veux encore ? Lui demanda Evan d’une voix calme.

— Tu crois que tu vas bénéficier de la même impunité que ces dernières années ? On va te remettre à ta place espèce de ma’nkel de mes deux.

Il lui donna une droite dans l’estomac, Evan grimaça de douleur et alors qu’il allait répliquer, Ses deux bras furent immobilisés par Jordan et Baptiste. Ils étaient aussi athlétiques que lui. Leurs regards méchants brillaient de sadisme. Evan se rendit alors compte qu’ils étaient seuls. Tous les autres étaient dans les douches.

— Vous n’êtes qu’une belle bande de lâches, leur dit Evan avec un sourire moqueur. Trois contre un. Pas mal… Vous vous targuez d’être supérieur mais en réalité vous n’êtes que des fillettes shooter à la testostérone.

Lucas lui donna une autre droite. Evan eut envie de vomir.

— Non, c’est l’ordre des choses, lui dit Baptiste avec mépris. Nous sommes des Sangs d’Acier et nous nous soutenons entre nous, toi tu n’es qu’une vermine que l’on doit éliminer. Tu n’es plus un élément prometteur, tu n’es plus qu’un ex-espoir déchu trahi par sa vraie nature. Celle d’un ma’nkel, fils de ma’nkel depuis des générations de Latent. Tu n’es même plus lié à la famille Harlec, tu n’as plus rien.

Lucas lui donna une droite puis une autre dans la mâchoire. Evan retenait les cris de douleur qui naissaient dans sa gorge et les étouffaient en des grognements bestiaux.

— Lucas ! fit une voix impérieuse.

Le poing ensanglanté de Lucas se figea dans les airs. A la porte des douches, Alejandro du haut de son mètre quatre-vingt-douze, une serviette de douche autour de la taille les fixait avec son regard bleu turquoise où brillait clairement la promesse de représailles en cas de désobéissance.

Baptiste et Jordan le lâchèrent et Lucas fit un pas en arrière. Evan mit une droite à Lucas qui s’effondra. Baptiste et Jordan se mirent à alors à le frapper, il tomba, puis ils le rouèrent de coups. Il ne put protéger que sa tête avec ses bras.

Il se sentait si fatigué.

— Espèce de petites raclures ! Entendit-il vers les douches.

— Non, Kei, arrête ! Laisse Alex régler ça…

— Arrêtez-vous, tout de suite ! Gronda Alex.

Les deux Sangs d’Acier cessèrent de le frapper. Evan ouvrit les yeux. Il avait les bras et la mâchoire endolorie. Une grosse migraine et une légère nausée. Plusieurs de ses pansements s’étaient arrachés et plusieurs des blessures qu’il avait niveau de l’abdomen s’étaient rouvertes. Les agrafes avaient sauté. Il se rendit compte que la plupart des alumni étaient revenu dans les vestiaires. Il vit Keiji rouge de colère, qui était retenu fermement par Jin, et Alejandro qui s’était rapproché.

— Dégagez, dit-il à ses deux agresseurs.

Ils firent mine de lui tenir tête mais s’éloignèrent après avoir aidé Lucas à se relever, en passant derrière la foule d’alumni athlétiques en serviette de bain.

Alex vint vers lui et lui tendit la main. Evan observa la main qu’il lui tendait, hésita puis la saisit. Il le tira vers lui et l’aida à se remettre debout, la poigne solide. Les autres se mirent à s’habiller comme si de rien n’était. Jin lâcha enfin Keiji et se dernier le repoussa furieux.

— Si tu m’empêches à nouveau d’intervenir, je t’assure que tu le regretteras, lui promit-il en le pointant d’un doigt menaçant.

Alejandro fixa Evan sans le lâcher et lui murmura d’une voix glacée en essayant de lui broyer la main :

— Si jamais je t’entends encore parler de nous comme si nous étions des petits êtres fragiles au destin tragique, je te promets que je te réglerai moi-même ton compte.

Evan soutint son regard et sans laisser transparaître la moindre émotion. Alex esquissa un sourire mais son regard resta toujours aussi intimidant. Il conclut :

— Tu parles ainsi parce que tu es devenu faible, mon pauvre ami.

Il lui lâcha la main et s’éloigna vers son casier. Evan déglutit en fermant puis ouvrant plusieurs fois sa main endolori. Il avait vraiment mal à la tête. Il reconnaissait qu’une menace de la part d’Alejandro n’était pas à prendre à la légère. Il ne lui faisait pas peur contrairement à la plupart des alumni qui le voyait presque comme un dieu vivant mais il allait avoir pas mal de problèmes désormais. Il était inutile d’ajouter à ses ennemis l’alumnus, reconnu comme étant le plus puissant du continent.

— Ça va ? Lui demanda Keiji la mine soucieuse et renfrognée. T’as vraiment une sale tête. Je suis désolé de ne pas avoir été là pour les en empêcher. J’aurais dû me douter que…

Evan esquissa un sourire.

— Pas grave, Kei, coupa-t-il. Ils continueront de parier contre moi, mais tant que tu parieras en ma faveur, je n’aurai besoin du soutien de personne d’autre.

Il lui donna une petite tape sur l’épaule et parti en boitillant un peu vers son casier pour se dévêtir avant d’aller dans la douche.

Il n’y avait pas d’eau chaude dans les vestiaires qui n’étaient pas non plus chauffés, volontairement. Quelque fût la saison, ils étaient obligés de se doucher à l’eau froide voir glacée comme aujourd’hui et de subir les températures extérieures. Cela faisait partie de la rigueur de leur entrainement journalier. D’autant que les Fils des Cendres ne pouvaient pas tomber malade à cause de leur extraordinaire immunité et qu’ils supportaient bien les températures extrêmes.

Revigoré après une douche glacée qu’il avait trouvée agréable, Evan posa de nouveaux pansements de guérison accélérée récupérés dans la pharmacie du vestiaire après avoir refermé les plaies les plus grosses à coup d’agrafe résorbable. En sortant de la douche, il trouva Keiji habillé, les cheveux brillants et coiffé impeccablement qui l’attendait, adossé contre le mur près de la sortie :

— Tu n’avais pas un rencart ?

— Je l’ai repoussé. Je vais rester avec toi, un moment.

Evan sourit et s’habilla. Il avait mal partout. Chaque geste lui causait des douleurs plus ou moins intenses. Oui, la césure était bel et bien finie. Il s’assit sur l’un des bancs, laça ses bottes l’une après l’autre en repensant à Lucas et sa bande. Cela le mit de mauvaise humeur. Lorsqu’il se redressa, il saisit au vol un powerup que Keiji lui lança. Il avait récupéré la barre énergisante dans un panier plein à craquer, se trouvant à la sortie des douches. Ils étaient spécialement élaborés pour les ignemshirs. Le goût n’était pas mauvais.

— Mange. Ça te fera du bien.

— C’est sympa de m’attendre, mais tu ne devrais pas t’en faire pour moi. Tu dois te dégoter au plus vite une fiancée avant la fête des Ta’arki. Je ne voudrais pas être celui qui t’aura empêché d’accorder à ce monde un noble rejeton Sha’Daigan solide et vigoureux.

Keiji éclata de rire et rétorqua :

— Ne t’en fais pas pour ça, ça ne presse pas.

— Si seulement c’était vrai.

Evan mordit dans le powerup. Tout à coup, ses mains se mirent à trembler. La barre énergisante glissa entre ses doigts et tomba sur le sol. Il fût frappé de vertiges d’une telle violence qu’il ne comprit pas lorsque son épaule heurta rudement le sol. Keiji se précipita vers lui. Il lui parlait d’une voix précipitée mais Evan ne comprenait rien de ce qu’il lui disait. Il avait froid, pourquoi avait-il si froid ? Son corps avait déjà élevé sa température d’équilibre. Il ne ressentait jamais le froid très longtemps mais là, c’était trop intense, anormal. Cela lui rappela l’époque où il pouvait encore tomber malade. L’époque où Sue était encore de ce monde… Lorsque Malia restait auprès de lui et le bordait jusqu’à ce qu’il s’endorme malgré la fièvre. Des frissons lui parcouraient tout le corps comme des décharges électriques. Il avait l’impression qu’on essayait le lui traverser le crâne avec une perceuse.

Soudain, on l’empoigna et l’emmena au niveau de l’un des lavabos. Juste à temps pour qu’il vomît tripes et boyaux. Petit à petit la migraine et les nausées s’estompèrent, le monde autour de lui reprit petit à petit du sens. Son reflet dans le miroir était à faire peur. Son front était humide, sa peau bistrée était terne et ses yeux étaient humectés et rougis.

Il mit ses mains sous le robinet et se rinça la bouche. Sa gorge était douloureuse mais cela ne dura pas.

— Qu’est-ce que c’était que ça ? Lui demanda Keiji, choqué.

Evan ne répondit pas et se rinça à nouveau. L’odeur âcre et le goût amer persistait. Il laissa couler dans sa main une solution antibiotique parfumée et se lava les mains, juste pour faire disparaître l’odeur. Il but ensuite plusieurs gorgées d’eau avant de se redresser complètement en fermant les yeux. Il avait encore un peu le vertige. Evan prit une profonde inspiration puis expira :

— Aucune idée.

— Sérieusement ? Jusqu’à preuve du contraire, on ne peut pas tomber malade, Evan. Alors qu’est-ce que c’était ?

— Je l’ignore, répondit-il d’une voix plus forte, agacé.

— C’est la première fois ?

— Non.

— C’était quand la première ?

— Il y a trois mois…

— Trois mois ? Attend c’est pour ça que…

— Keiji, le coupa-t-il en lui faisant face. Oublie, laisse tomber.

Son ami l’observa, silencieusement.

— Il faut que tu en parles à Princeton, lui dit-il, la mine sombre.

— Pour qu’il me traite de femmelette ? Non ça ira.

— Evan…

— Le truc c’est que…

Il hésita puis continua en disant :

— Je crois que… que mon neshir dysfonctionne, avoua-t-il en posant une main tremblante sur la poignée de Wazushendi. Il a toujours été bizarre et puis…

— Evan, les neshirs ne peuvent être défaillants… Et même s’il y avait un dysfonctionnement, ils se réparent tout seul. Les produits de la Matrice Immortelle évoluent et surmonte tout défaut de conception.

Evan détourna le regard, fixant le sol avant de dire :

— Oui, tu as raison… Ce n’est pas possible…

— Mais tu dois quand même en parler…

— Non, je ne ferais pas ça, Kei. Alors on arrête d’en parler, s’il te plait, dit-il d’un ton sans appel.

Keiji acquiesça, silencieux. Evan ouvrit son casier. Les aspirants noguemis laissaient leur tenue dans un bac à linge sale. Le lendemain, chacun récupérait une tenue neuve pliée et repassée dans son casier. Ils repartaient uniquement avec leur neshir et corne, mitaines et brassard.

Evan remarqua en sortant sa besace, deux cartes dans le fond de son casier, près de ses bottes. Elles avaient la dimension de cartes de tarot. Le jeune homme, perplexe, les prit. La première estampe représentait une clé de style ancien, massive, comme celles qui ouvraient les coffres au trésor et l’autre, un ciel bleu irisé par endroit de fins nuages blancs. Les estampes donnaient l’impression d’avoir été peinte à la main. Il regarda au verso de l’une des cartes et vit un symbole qu’il reconnut immédiatement.

Les contours noirs d’un pion d’échec dans une couronne mauve en ellipse.

Le jeu du Roi-Pion.

— C’est à toi ? demanda-t-il à Keiji qui fixait le sol, la mine sombre.

Il lui lança un regard interrogateur en secouant la tête.

— Qu’est-ce que c’est ? demanda-t-il.

— Ce sont des cartes du jeu du Roi-Pion.

— Jeu du Roi-Pion, tu dis ? Non je n’y joue plus depuis une éternité…

— Hum… Ces cartes n’étaient pas là tout à l’heure, et je n’y joue pas non plus…

— Intéressant, fit-il alors qu’un sourire espiègle apparaissait sur ses lèvres. Une admiratrice ?

— Admiratrice ? répéta Evan, perplexe. Je ne pense pas, je ne connais personne qui glisserait ce genre de carte dans un casier pour déclarer sa flamme.

— La seule fille que tu connaisses dans ce domaine est Tessa. Alors c’est sûr que tu ne peux pas te douter des autres tendances qui existent…

— Des autres tendances… ?

— Juste pour dire : ne sous-estime jamais les aspirantes scientis, une fois j’ai eu droit à une dizaine d’énigmes imprimé sur du papier coloré et agréablement parfumé. La solution de l’énigme était le nom de la fille. Elle a été impressionnée quand je suis allé la voir le lendemain. Je n’ai jamais vu un tel respect brillé dans le regard de l’un des semblables à Charlie. C’était… très satisfaisant.

— Attends tu parles des énigmes bizarres que tu m’as refilé il y a cinq mois ?

Keiji esquissa un sourire légèrement gêné.

— Bon c’est vrai que tu m’as bien aidé mais bon tu ne vas pas non plus m’en vouloir pour ne pas t’avoir cité quand même.

— Non, c’est clair que je m’en fiche.

— C’est bien pour ça que j’ai jugé inutile de te parler de l’origine des…

— OK, je vois… Et alors, en supposant que c’est le cas, qu’a-t-elle voulu dire selon toi ?

Evan lui montra les deux cartes, Keiji se leva et les prit :

— Tu es la clé de mon ciel ? Tenta-t-il en lui faisant un clin d’œil.

Evan ne put s’empêcher d’éclater de rire :

— On va s’arrêter là, dit-il en rangeant les cartes dans la poche intérieur de sa veste shirag. T’es incapable d’être sérieux deux minutes. Allons-nous-en.

— Ta tête ressemblerait à un vrai patchwork si les pansements ne prenaient pas la couleur de ta peau.

— Ouais, je sais. Je me suis dit pareil.


Texte publié par N.K.B, 25 septembre 2019 à 12h00
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