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Ignemshir, Tome 1 : L'Étincelle Mourante
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tome 1, Chapitre 14 « La Fourmilière » tome 1, Chapitre 14

Avec une rigueur militaire, ils se tinrent tous droit sur leurs deux jambes, le dos droit, les mains derrière le dos. Soudain, l’un des miroirs qui leur faisait face pivota et le magister scientis Vasco aux sourcils tressautant suivit d’une dizaine d’aspirant scientis, en sortirent. En plus d’être chaudement vêtu, ils portaient tous la blouse à moitié noire et blanche, avec imprimé dessus dans des couleurs opposées, deux femmes identiques en toge romaine tenant un livre d’une main levée, mais le bras tendu était opposé. Parmi eux, derrière Killian, Evan vit Charlaine. Elle lui fit un grand sourire. Elle était elle-même suivit de Tessa, qui le fixa d’un air égal.

— Bien, maintenant que le magister scientis Vasco et ses apprentis du jour sont là, nous allons pouvoir passer à la deuxième partie de la session d’entrainement. Mais bien entendu, je ne vous dirais pas à l’avance ce qui vous attend, précisa-t-il avec un sourire presque sadique. Vous allez recevoir vos dernières statistiques sur vos montres. Ensuite, tous à la Fourmilière.

Le magister princeps disparut derrière une porte coulissante en compagnie du magister scientis Vasco et de certains aspirants scientis, laissant les alumni dans l’immense locus. Charlaine et Tessa vinrent vers lui. Sa montre en argent sonna comme celle de tous les alumni du locus et il appuya sur la surface. Un hologramme apparut juste au-dessus. Il regarda les courbes et les chiffres. Un véritable désastre.

Keiji lança d’une voix grandiloquente, les bras levés, à la vue de ses propres statistiques :

— Tel l’aigle qui s’envole ! je n’ai que le ciel pour limite !

Charlaine vint vers lui en secouant la tête après un regard à Keiji. Elle était suivie de son ancienne amalia.

— Le magister Tambwe a été clément de ne pas t’envoyer dans les Puits, dit-elle en lui touchant l’épaule de la main. Je suis contente que tout ça n’ait pas dégénéré.

— Je ne suis pas sûr que ce soit vraiment de la clémence, mais oui. Ça aurait pu être pire. Tu as revu Dorcas ?

— Non, elle a été absente tout le reste de la matinée.

— Je vois.

Tessa regarda ses chiffres, pensivement puis lui dit tout bas, en se rapprochant de lui :

— Je pourrais… je pourrais réfléchir à un programme si tu veux. Pour t’aider à améliorer tes résultats. Après tout ce sont des prévisions d’évolution. Il est toujours possible de les améliorer. Ce n’est pas encore trop grave.

Encore ce nœud à l’estomac. Evan fit disparaître l’hologramme en murmurant :

— Tessa…

— Tu ne devrais pas cracher sur une main tendue, coupa-t-elle.

— Tu ne comprends vraiment pas.

Elle lui demanda encore plus bas en se rapprochant un peu plus :

— C’est une fille, c’est ça ?

— Non, répondit-il, lasse, avec une pointe de contrariété dans la voix, tout en s’écartant un peu d’elle, mal à l’aise à cause de sa proximité.

Il baignait dans le parfum capiteux qu’elle avait toujours porté depuis qu’il la connaissait.

Souvenirs perdus.

— Pourquoi est-ce que tu insistes ? murmura-t-il.

— Parce que je ne te comprends pas. Je déteste ne pas comprendre. Et tu le sais bien.

Sur ces mots, elle se détourna et s’éloigna vers la porte coulissante. Soudain, les miroirs opaques pivotèrent révélant une centaine d’entrées qui donnait sur un escalier descendant dans un tunnel plongé dans la lumière tamisée de torches enflammées.

— Ça va commencer, dit Charlaine, la moue soucieuse. Faites attention à vous, s’il vous plait.

Keiji lui fit un clin d’œil. Evan hocha de nouveau la tête, la mine sombre, alors qu’elle s’éloignait vers la porte que Tessa avait prise avant elle.

Certains alumni échangèrent des regards nerveux, d’autres esquissèrent des sourires carnassiers. Evan croisa le regard bleu de Joaquin. Il lui fit un signe de la tête qu’il lui rendit. Il était visiblement un peu nerveux. Qui ne l’était pas ? Aucun des alumni n’avait encore choisi par quels escaliers il descendrait :

— Qu’est-ce que tu penses que ce sera cette fois ? marmonna-t-il après l’avoir rejoint. Un duel ou un combat à mort avec une bête ?

— Honnêtement, il est imprévisible. Il fait tout pour l’être…

— Ouais… Le cobra géant des Pics des Ténèbres. C’était un véritable cauchemar. Ce magister est cruel. A croire qu’il veut vraiment qu’on crève tous.

— Le Tri est inéluctable et primordial, dit simplement Evan, avec amertume. A n’importe quel prix.

On lui donna une tape énergique sur l’épaule :

— Mais vous allez arrêter de pleurnicher, oui ? lança Keiji en s’appuyant nonchalamment sur son épaule. On se détend, d’accords ? Tant que nous sommes ensemble, rien ne peut nous vaincre. On l’a déjà prouvé plus d’une fois. On lui a réglé son compte au cobra.

— Après qu’il ait tué deux d’entre nous, précisa Evan.

— Et nous ne sommes pas toujours en équipe, Kei, rajouta Joaquin.

— C’est vrai. Alors dans ce cas, comme le dit mon grand-père : brûle de toute ta force, jusqu’à ce qu’il ne reste plus que de la cendre, alors peut-être renaîtras-tu...

— Oui, peut-être renaîtrons-nous, confirma Jin, un brun à la coupe au bol qui venait de les rejoindre.

Il avait un visage juvénile, lui donnant l’air d’avoir quatorze ans mais la même corpulence que la plupart. Son teint était jaunâtre et ses yeux bridés étaient sombres et mélancolique, mais marqué de la froideur des ignemshirs. Il était accompagné d’un alumnus aux dreadlocks et au teint foncé. Ses yeux bruns intimidant associés à ses pommettes saillantes et son menton carré évoquaient un fauve toujours sur ses gardes.

Il dit de sa voix indolente :

— Il va falloir y aller. J’ai tendance à me dire que plus on traine, plus ça empire.

— Tu as raison, confirma Keiji en se redressant.

Sans grande surprise, Alejandro descendit le premier. Sans dire le moindre mot, ils se séparèrent et choisirent chacun une entrée. En descendant seul les marches de pierre poussiéreuses dans l’atmosphère feutrée du tunnel, Evan sentit la température déjà glaciale dans le locus, baisser davantage. Il planait dans l’air une odeur de terre et d’humidité.

Evan n’éprouvait pas vraiment de la peur. Ou du moins, comme de nombreux autres alumni, il avait appris à vivre avec. A dompter l’angoisse lors de ses premières années, une angoisse qui commençait dès le réveil et ne disparaissait jamais, jusqu’à ce qu’il se soit endormi. Encore que souvent, elle le poursuivait dans son sommeil sous la forme d’effroyables cauchemars.

Quoiqu’il en fût, il était déterminé. Il était encore en vie et ferait en sorte de le rester. La mort faisait partie de la vie, comme la vie de la mort.

Fils des Cendres,

Fils des Cendres,

De la terre naquit ton corps, par le feu fut forgée ton âme et par l’acier fut créée ta volonté,

Une volonté faite de l’aurore, créatrice de lumière dans les ténèbres…

Il s’agissait s’il se souvenait bien des quelques vers qui se trouvaient dans la préface du Codex Shirin. Le Codex renfermant les règles et les lois auxquels les ignemshirs devaient se soumettre sur les Trois-Mondes.

Il espérait qu’il ne ferait pas face à une bête trop exotique. Les loups géants ou les panthères des neiges passaient encore mais ils n’avaient rien avoir avec les cobras des Pics des Ténèbres. Le couloir se divisa brusquement en deux. Il crut entendre un bruit derrière lui et se retourna brusquement, une main sur la poignée de Wazushendi.

Personne.

Il avait perçu une présence. Sans savoir pourquoi, il se rappela la silhouette qu’il avait cru discerner dans la dimension obscure où Dorcas l’avait transporté par ses psalmodies. Quel genre de pouvoir était-ce là ? De la magie ? Peu probable, les magiciens, cela n’existait pas ou plutôt, il n’avait jamais été témoins d’un phénomène pouvant être qualifié de magique. Tout était explicable et répondait à des règles et des principes établis dans la nature, dans le visible comme dans l’invisible. L’Ark, l’énergie primitive qui courrait dans le tous les éléments de l’univers, permettait de faire des choses inexplicables. Mais, les salomens pouvaient-ils le maîtriser à ce point… En fait, il n’avait jamais entendu parler d’une telle chose. A part leur capacité à interagir avec le Fleuve du Temps, d’une manière aléatoire et incontrôlée, il n’avait jamais entendu parler d’un contrôle plus accrût… Seul les ignemshirs pouvaient manier l’Ark et ce, grâce à leur neshir… Mais en même temps, le Sagolem gardait tellement de secret… C’était leur point fort… Il y avait des choses que seuls les salomens savaient.

Tout ce qui concernait les origines de la Matrice Immortelle par exemple, car les scientifiques à l’origine de la matrice appartenaient à un peuple ancien, les Sal’Omeni. Ils étaient les premiers serviteurs l’Existant et les récipiendaires de la première des Prophéties Suprêmes, celle qui avait annoncé l’Ashayshin, plus de trois mille ans avant qu’il ne se produisît. Ils avaient construit les Arches, des gigantesques bunkers souterrains qui avaient servi d’abri à une petite portion de l’humanité quand les cieux s’étaient finalement effondrés sur la Terre.

Sous une partie de Paris-la-Nouvelle, se trouvait l’un de ces gigantesques bunker, l’Arche des Élysées Françaises. C’était ainsi que se nommait ce territoire sous le règne de l’empereur malfaisant Edelweiss. Les salomens étaient les gardiens de l’héritage inestimable laissé par ce peuple. Malgré la puissance du Noguem, le Sagolem était indispensable et son pouvoir véritable.

Evan regarda pensivement l’une des torches dont la lumière se répandait sur les gros blocs de pierre composants les murs du tunnel, choisit la voie de gauche et continua son chemin. La température continuait de baisser. L’air sentait maintenant l’odeur familière de la terre sablonneuse des arènes qui lui rappelait toujours celle du sang.

Il déboucha dans une grande arène en pierre au sol de terre ocre et sableux. D’une trentaine de mètres de diamètre, elle était dotée de quatre rangées de gradins pouvant contenir une centaine de personnes chacune. En levant les yeux, il voyait à une cinquantaine de mètre au-dessus de lui, un cercle de ciel gris et nuageux. Il vit le magister princeps passé au-dessus de son arène sur un disque de sustentation appelé un discVol. Un simple disque d’à peine cinq centimètre d’épaisseur, ultraléger et pourvu d’un réacteur sur lequel il tenait en équilibre et qu’il dirigeait en déplaçant légèrement son centre de gravité. Il avait ses mains croisées dans son dos et le pilotait avec aise.

Evan était seul dans l’arène. Aucune cage en vue. Donc il s’agissait d’un duel. Il prit ses mitaines accrochées à la ceinture de sa corne noire et les enfila. Une tête de lion flamboyante de profil, gueule ouverte, au milieu de deux cercles concentriques dorées était brodé sur le dos. Lucas surgit à l’autre bout de l’arène. Ses yeux gris le fixaient alors qu’il marchait vers lui de sa démarche assurée presque hautaine. Il s’arrêta à cinq mètres de lui.

— Vous en avez mis du temps, résonna la voix caverneuse du magister princeps dans toute les arènes. Pauvre de petites choses ! C’est là que je vois que les membres du primum agmen méritent leur place. Donc pas de méchantes et effrayantes créatures, cette fois-ci mais une brochette de duels. Ce ne seront pas de simple duel entraînement, bien que les entraînements que je vous donne ne sont jamais simple, vous en conviendrez, mais des duels d’honneur. Celui qui gagne prend la place de l’autre. J’ai veillé à respecter la règle des dix places d’écart en redirigeant la sortie des différents tunnels. Et sachez qu’à chaque instant, votre avenir est en jeu, et bien entendu, vos vies.

Evan posa une main sur le pommeau de son neshir.

— J’espère que tu es prêt Empereur, lui lança Lucas avec un sourire moqueur. Parce que je suis venu te prendre ta couronne.

— J’aimerai bien voir ça, lui répondit Evan d’une voix calme.

— Tu fais comme si de rien n’était, tu feins l’assurance mais tu ne trompes personne, j’ai vu tes stats. Ce n’est qu’une question de temps avant que tu perdes ta troisième place et que tu ne sois plus membre des Dix. Il est clair que ton Étincelle est morte.

— Tu ignores tes fondamentaux, Lucas.

Lucas haussa les épaules avant de répondre avec morgue et mépris :

— Quoi ? Les trois jours de dissipation ? Arrête Evan. C’est clair comme de l’eau de roche. Tu es juste un fichu ma’nkel un peu plus coriace que la moyenne, c’est tout. Enfin bon, tout cela importe peu et tu sais pourquoi ?

— Dis toujours…

— Parce que je t’achèverai ici-même. C’est l’acte le plus miséricordieux que l’on puisse faire à un animal mourant. Mettre fin à ses souffrances.

Evan serra le manche entouré de cuir noire de son neshir.

— Essaye toujours, Sha’Daigan, lui répondit-il sèchement. Essaye toujours.

Lucas fronça le nez, soudain remplit de colère.

— Sale ma’nkel ! Tu mérites vraiment qu’on te remette à ta place, cracha-t-il méprisant. On m’a raconté ton petit discours sur les pauvres petits ignemshirs tristes et maltraités. Il n’y a qu’un ma’nkel pour sortir de telles bêtises. Fais-toi Hokein’aki, si ta vie est si dure mais arrête, oui arrête de déshonorer les Fils des Cendres. J’ai été élevé pour vaincre. Tous les Sangs d’Acier sont comme moi. Élevé pour vaincre, pour régner et sauver l’humanité. Nous sommes leur seul espoir, c’est pourquoi nous leur sommes supérieurs. Nous sommes plus que des hommes, nous sommes des ignemshirs, et même plus qu’un ignemshir, je suis un Sha’Daigan, mon sang est d’acier et ma volonté de fer.

Le visage de Lucas se durcit et ses yeux gris se firent beaucoup plus froids et plus intimidants.

— Je vais te déchiqueter, sale ma’nkel.

Le regard d’Evan noir comme une nuit sans étoile se fit plus intense :

— De mes cendres je surgirai toujours, déclara-t-il simplement en faisant solennellement les trois signes.

— De mes cendres je surgirais toujours, répondit Lucas en répétant la même gestuelle.

— Essaye donc pour voir, marmonna Evan entre ses dents.

Il prit la posture du Lion et Lucas celle du Faucon de son école de neshirinshi, l’École Silencieuse. Un faucon rouge aux ailes déployées, bec et serres ouverts, dans un disque immaculé, était brodé sur ses mitaines.

Au même instant, la poignée de leur neshir respectif relâcha un tourbillon de fumée. Il se solidifia en une lame alors qu’ils quittaient le Vide et pour s’élever vers le Crépuscule, fondant l’un sur l’autre. Et dans une pluie d’étincelles, la lame argentée et pourpre d’Evan bloqua celle noire veinée de blanc de Lucas.


Texte publié par N.K.B, 24 septembre 2019 à 21h22
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