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Ignemshir, Tome 1 : L'Étincelle Mourante
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tome 1, Chapitre 11 « Crime et Châtiment » tome 1, Chapitre 11

Evan, assis à même le sol, contre le mur de la salle sens dessus dessous, avait les yeux dans le vague. Tous les élèves s’étaient empressés de sortir, après les mots de Nœud-Pap, désirant mettre le plus de distance possible entre eux et lui. Pourtant, il n’y était pour rien. Keiji et Charlaine avaient demandé à rester, mais le professeur n’avait permis qu’à Charlaine, car elle arrivait à calmer Dorcas. Keiji n’avait eu d’autre choix que de s’en aller à contrecœur, après avoir tenté de persuader Delaruelle, mais sans succès. Le professeur Delaruelle s’était montré intransigeant. Il ne l’avait jamais vu aussi contrarié.

Quelqu’un entra dans la salle de classe. Il n’eut pas à lever les yeux pour savoir que c’était un salomen. Il l’avait simplement senti. Sûrement le magister salomen Rhodes.

— Dorcas ? Fit la voix légèrement aigüe et nasillarde du magister salomen Rhodes. Que t’est-il encore arrivé ?

Evan leva la tête et le vit qui regardait la jeune fille d’un air mécontent. Xavier Delaruelle se rapprocha et dit :

— Merci, d’être venu, elle a eu…

— Ce que vous appelez un exorde, compléta Charlaine sans lâcher la jeune fille qui ne pipa mot et garda la tête baissée.

Le magister Rhodes dont la tête faisait penser à celle d’un rat avec ses grandes oreilles, son nez proéminent et ses grosses dents de devant, lança un regard contrarié à Charlaine puis au professeur Delaruelle. Evan n’avait jamais pu supporter ce magister. Il était toujours condescendant et s’irritait pour un rien.

— Ça ne se peut pas, dit-il tout simplement. Et tu es ?

— Charlaine Mitchel, aspirante scientis spécialisée en Mécanique Arkarienne, répondit-elle.

— Une apprentie scientis, murmura-t-il d’un ton méprisant, puis moqueur, il ajouta : qui vous a raconté un pareil mensonge ? Elle ?

Il désigna la pauvre Dorcas qui se tassa sur elle-même.

— Non, répondit-elle en serrant un peu plus Dorcas contre elle d’un geste protecteur, gratifiant le magister d’un regard glacial. On en a été témoin.

Le professeur Delaruelle lui-même se rembrunit, n’appréciant ni le ton ni l’attitude de Rhodes.

— Les scientis pensent tout savoir sur tout, mais ignorent qu’en réalité, ils ne savent rien de rien, dit-il avec dédain.

— Si vous ne gardiez pas aussi jalousement vos écrits, rétorqua sèchement la jeune fille. Peut-être que nous en saurions plus sur…

— Du calme, Charlaine, fit le professeur Delaruelle d’une voix lasse. Je ne comprends pas, alors, qu’est-ce que c’était ?

— Je n’en sais rien, répondit nonchalamment le salomen. Commencez par me raconter ce qui s’est passé au lieu de m’abrutir avec vos sornettes et vos théories loufoques.

De bonne grâce, Charlaine lui raconta tout ce qui s’était produit sans rien omettre. Le magister salomen se rendit alors compte de sa présence. Il le jaugea avec ses petits yeux sombres scrutateurs avant de décréter :

— Ce n’était sûrement pas un exorde comme vous dites, le dernier exorde avéré et répertorié remonte à plus de deux siècles, il annonçait la venue du premier Fléau, Kai Yosuke. Celui d’avant e eu lieu un peu après la Chute des Dix Dômes, il a annoncé l’épidémie de fièvre rouge. Vous l’ignorez sûrement, mais ce n’est pas n’importe quels salomens qui peuvent être sujet à un exorde, seul les Sentinelles le peuvent. Et puis, un exorde est censé annoncé une catastrophe très imminente contrairement aux prophéties, qui peuvent annoncer divers types d’évènements, plusieurs centaines d’années à l’avance. Et à mon sens, ânonner un fragment du Conte du Roi-Pion ressemble à tout sauf à un exorde. A moins que vous pensiez réellement que le Chuchoteur sortira de la Vallée des Pleurs et déferlera sur Paris-la-Nouvelle ? Qu’en penses-tu Dorcas ? Fichtre… Encore là à vouloir faire ton intéressante !

— Vous voulez dire qu’il n’y a pas la plus petite chance pour que ce soit authentique ? Insista Charlaine

Le magister leva les yeux au ciel.

— Vous me fatiguez, mademoiselle Mitchel. Même si elle n’est clairement pas une Sentinelle, une possibilité subsiste, pour peu que l’on considère que ce qu’elle disait avait un sens.

— Et c’est ?

— Un catalyseur capable de perturber brièvement l’équilibre de l’Ul’Cirkaem lui-même à l’échelle des Trois-Monde. Car vous l’ignorez sans doute, mais les salomens sont naturellement réceptifs au Fleuve du Temps car ils ont tous en eux le Brin des Siècles.

Xavier Delaruelle l’observa comme si le magister Rhodes lui disait qu’il était un extraterrestre venu sur terre en ami.

— Vous pouvez répéter ? J’ai cru comprendre que…

Rhodes leva les yeux au ciel et dit :

— Laisser tomber, les incrédules dans votre genre me font perdre mon temps. Et d’ailleurs…

— Qu’est-ce qu’un catalyseur exactement ? Dans le sens que vous l’entendez ? demanda Charlaine, curieuse.

— Eh bien, ils peuvent prendre plusieurs formes et il n’y en a bien évidemment pas dans cette salle. Par exemple, la Matrice Immortelle est un catalyseur. Les Repousses-Tempêtes dont les Obélisques du Cyclone en particulier, sont des catalyseurs, le Cœur également.

— Donc des objets capables canaliser une énorme quantité d’Ark.

— En simplifiant un peu, je dirais oui.

Le magister salomen posa finalement son regard impitoyable sur Evan et lança :

— J’ai toujours su que celui-là était intrinsèquement mauvais. J’enverrai le maudit dans les Puits, histoire de lui apprendre à répandre son atmosphaira en plein milieu d’un cours. Hum… Les ignemshirs, c’est une autre paire de manches, rajouta-t-il avec son dédain habituel.

— Je…

— Taisez-vous et soyez reconnaissant que l’on ne vous ait pas immédiatement tranché la tête lorsque vous êtes sorti de la Caverne aux Épées avec Wazushendi, le maudit.

Après lui avoir promis qu’il passerait une semaine complète dans les Puits de la Fourmilière, sans eau ni nourriture, le magister scientis Rhodes amena Evan dans le bureau du magister Tambwe. Son bureau se trouvait au quatrième étage du corps de logis. Ce faisant, il avait ordonné à Dorcas de disparaître de sa vue en lui promettant de la punir sévèrement pour lui avoir fait perdre son temps. Il somma ensuite Keiji, qui avait attendu que l’entretien se termine, et Charlaine d’aller où ils se devaient d’être s’ils ne voulaient pas recevoir également une punition pour avoir séché les cours.

C’était non sans une moue méprisante pour le salomen, que Charlaine avait abdiquée, car elle rechignait autant que Keiji à l’abandonner seul entre les mains de Rhodes. Evan dut reconnaître que les savoir à ses côtés avait été rassurant. Mais dans le fond, le salomen ne pourrait rien lui faire de pire que ce qu’il expérimentait habituellement dans la Fourmilière.

Le bureau du magister Tambwe était sobre pour ce qui était de la décoration. Un ballon ovale, une balle de garoway, trônait sur un socle posé sur un petit meuble à tiroir. Les murs nus étaient peints en vert bouteille. Sur son bureau incurvé en BoisFer, d’un marron foncé au reflet violacé, veiné d’argent, un R-Tatoo-Tab et un projecteur holographique trônaient. Le magister Tambwe qui à leur entrée, était debout, contre le bord de son bureau, les bras croisés, accueillit la nouvelle des évènements avec une impassibilité surprenante. Evan resta néanmoins crispé. Après que Rhodes lui eut dit qu’il recommandait une semaine aux Puits, il le regarda de travers en disant :

— Mais qu’est-ce que tu me racontes là, Célestin ? Ce serait un cadeau que de lui accorder une semaine de répit. Il fera le Felk ess Ha’ul pendant trois heures et ensuite, il ira manger.

— Mais Marcellus, c’est trop…

— Merci pour tout Célestin, coupa le magister princeps d’un air excédé.

Evan ne put s’empêcher d’esquisser un sourire. Le salomen le remarqua et le fusilla de son regard de fouine avant de disparaître, son manteau écarlate balayant bruyamment le sol. Le magister Tambwe posa alors sur lui son regard de fauve et Evan se sentit brusquement tout petit.

— Bien, je vois que tu es encore plus stupide que tu en as l’air, Evan. Ça ne s’arrange pas du tout.

Il retira sa veste shirag et retroussa les manches de son haut noir cintré à capuche avant d’ouvrir une porte. Elle donnait sur un petit locus aux murs nus et au sol recouvert de tatamis dans lequel il invita Evan d’un geste de la tête.

— Trois heures. Si jamais tu poses le pied au sol avant moi, le prévint le magister. Tu seras renvoyé de la schola et finira ta formation chez les Plumes de Fer. Tu n’auras plus jamais le loisir de pouvoir rentrer chez toi tous les soirs, de pouvoir aller t’amuser en soirée, ni de passer du temps avec ton amalia.

— Je n’ai plus d’amalia, cru bon de préciser Evan.

La tradition des Amalia ess Ta’arki s’était perpétuée au sein du Noguem depuis la fin de l’Âge Sombre, quand le Tri avait été mis en place afin de reproduire des guerriers de la trempe de ceux de l’Âge des Immortels.

Les Familles Ancienne avaient instauré la Cérémonie de la Promesse le jour de la fête des Ta’arki (Miroirs). On la célébrait tous les ans depuis plusieurs siècles pour honorer l’un des noyaux de la société qu’était la famille, souligner son importance, encourager les couples à être plus soudés pour offrir à leurs enfants un environnement idéal ; une terre fertile où se développer et grandir.

Au cours de la fête, les Fils et Fille des Cendres choisissaient, lors de leur quatorzième anniversaire un partenaire qui serait tout d’abord un ami, un fiancé dont ils feraient connaissance avec pour but de se marier avec quatre ans plus tard. Lors de la fête des Ta’arki qui se déroulait toujours un mois avant le Raaek'a Daedalis, la Dernière Montagne.

La plus terrible épreuve que devait traverser les aspirant noguemis. La dernière du Périculum. Un présent digne des noces d’un ignemshir : Une épreuve mortelle dont il n’était pas sûr de revenir alors que désormais, il avait une épouse et potentiellement, un enfant à naître.

— Ah oui… fit le Général Marcellus Tambwe avant de secouer lentement la tête. Eh bien, décidément. Tu es, mais alors, encore plus stupide que je le pensais.

Sans un mot supplémentaire, il se mit agilement sur la main droite, les jambes tendues vers le plafond. Evan l’imita.

Au bout d’une heure trente, Evan se rendit compte que le magister s’était mis sur l’extrémité de ses doigts. Lui ne pouvait pas aller jusque-là. Une heure plus tard, alors qu’il se sentait faiblir, il dût lutter pour conserver son équilibre et y parvint tant bien que mal. Quand trois heures se furent enfin écoulées, le magister ne broncha pas. Il était si immobile qu’il peinait à croire que c’était avec un être humain qu’il réalisait cet exercice. Trois heures trente après le début de la punition, Evan sentit des élancements remonter le long de son bras. Il devait tenir le coup. Il était hors de question qu’il atterrît chez les Plumes de Fer.

Plutôt mourir que de se retrouver avec des sinistres Exécuteurs pour magistri et pour seules débouchés que de devenir Exécuteur, Corneille de Fer ou Gardien. Les Plumes de Fer avaient une sinistre réputation. À tel point que certaines personnes ne faisaient aucune de distinction entre les Faucheurs Muets, les croquemitaines des Ruines et les Exécuteurs… Ce qui en disait long sur eux.

Par ailleurs, les Plumes de Fer étaient perçues comme des fanatiques châtiant sans pitié quiconque enfreignait le Codex Shirin. Elles étaient autant dénuées de compassion que la lame d’une épée, et aussi aveugles que la justice. Quant aux Inquisiteurs, ils étaient tous formés à la Cité-Royaume d’Ulzayan, fief du Roi de l’Aurore. On racontait que lorsque l’on entrait au sein de ce corps d’armée, on n’en ressortait pas le même homme. On passait par un lavage de cerveau. Quand on acceptait le Fer, c’était pour la vie.

Au bout de quatre heures, le magister princeps retomba souplement sur ses pieds. Evan avec moins d’élégance, s’écrasa sur les tatamis, le bras endolori, pataugeant dans sa sueur. Il soupira de soulagement.

Pas le Fer.

Tout, mais pas le Fer.

Le magister Tambwe se releva sans que ne transparaisse la trace du moindre effort. Evan se dit que cet homme était un véritable monstre. Il lui dit alors d’un air surpris :

— Je pensais que tu ne tiendrais pas au-delà de trois heures, mais tu en as tenu quatre. Tu es stupide, mais déterminé. Tu arriveras peut-être à survivre au Tri malgré tes piètres statistiques. Les alumni bornés sont ceux qui nous réservent le plus de surprise. Allez, disparaît de ma vue.

Evan remit piteusement sur ses jambes, en disant :

— Puissiez-vous renaître de vos cendres, magister.

— Puisses-tu brûler de toute ta force, alumnus, répondit-il en se détournant et marchant pensivement vers le fond du locus.

Épuisé, Evan pressa hors du bureau.


Texte publié par N.K.B, 18 septembre 2019 à 09h14
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