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Ignemshir, Tome 1 : L'Étincelle Mourante
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tome 1, Chapitre 6 « La Cité-Mère de Paris-la-Nouvelle » tome 1, Chapitre 6

Une fille, probablement du même âge que lui ou peut-être un an de plus, l’air un peu ensommeillé, traversa l’appartement un bol de céréales dans la main. En l’apercevant, elle sursauta, renversant un peu de lait sur le carrelage. Elle jura entre ses dents en reculant ses pieds nus puis le regarda de la tête au pied d’un air légèrement ahuri. Elle se demandait sûrement qui il était et ce qu’il faisait ainsi debout, à regarder à l’intérieur de son appartement, à supposer que c’était le sien. La jeune fille, rousse, les cheveux réunis en un chignon négligé, les yeux bleus, était plutôt mignonne. Il ne la connaissait pas. Même pas de vue alors qu’il avait déjà croisé au moins une fois chacun des locataires de son immeuble. Elle avait dû emménager pendant la césure hivernale. Il avait été absent quelques jours. Les anciens locataires étaient les Baulieu, un couple avec deux enfants en bas âge. Et maintenant qu’il y pensait, il était vrai que le mari lui avait dit qu’il comptait bientôt déménager.

— Je... commença Evan, sachant qu’il devait avoir l’air suspect, ainsi immobile devant la porte. Le bruit ! finit-il par crier en pointant son oreille de l’index. Il faudrait diminuer ! rajouta-t-il avant de s’en aller sans un mot supplémentaire.

Les décibels diminuèrent à un niveau plus que raisonnable.

— Désolé, lança-t-elle en sortant précipitamment dans le couloir. Je suis sûr que c’est cet idiot de Kevin, il est sorti, il y a cinq minutes. Il n’a pas pensé à refermer la porte. J’avais désactivé la fermeture automatique.

— Je vois, dit-il sans s’arrêter.

— J'ai dû mettre la musique à fond pour qu'ils se réveillent et dégagent tous… Tu habites au-dessus, c’est ça ? J’espère que l’on ne t’a pas trop dérangé cette nuit, continua-t-elle. Et ce matin aussi…

— Oui, j'habite au-dessus. Et, non, ça va, répondit-il alors qu’il était déjà devant l’escalier, un faible sourire apparaissant sur ses lèvres. Mon appart est différent des autres et il est très bien insonorisé. On pourrait égorger un cochon juste devant sans que j’entende le moindre cri. Et pourtant ce sont des animaux sacrément bruyants quand on les…

— Égorger… murmura la nouvelle locataire d’une voix mal assurée en fronçant les sourcils.

— Je ne dis pas que j’ai déjà essayer, reprit-il d’une voix mal assurée. C’est une simple conviction… Plutôt une conjecture… enfin…

La jeune fille eut un ricanement nerveux qui ne le surpris pas.

Il racontait vraiment n’importe quoi… Parler d’un acte aussi sordide avec autant de nonchalance. De si bon matin... Non pas qu’il y ait une période de la journée plus indiquée pour parler d’égorgement de porcins…

— Chacun son hobby. Je ne juge pas. Surtout si c’est si bien isolé… dit-elle d’une voix hésitante, avec une expression qu’il ne sut déchiffrer.

— Ce n’est pas un hobby. Je veux dire, je ne tue pas des animaux sur le pas de ma porte pour tester mon isolation phonique. Je ne suis pas ce genre d’individu … Je ne suis pas bizarre…

— Plus tu le dis, plus tu as l’air bizarre, tu sais… répliqua-t-elle alors que l’ombre d’un sourire passa sur ses lèvres.

Décidemment, il passait trop de temps seul avec lui-même… Une voix de jeune fille qui marqua Evan par sa tessiture particulière, à la fois suave et chaude, interpella la rousse de l’intérieur de l’appartement :

— Ella, tu n’aurais pas vu quelque part mes runnings rouges ! Ah ! Je déteste cette musique !

Donc, il existait quand même des personnes censées dans cet appartement…

— Elles sont près du fauteuil ! lui répondit-elle en tournant légèrement la tête sans cesser de le regarder, mais un petit sourire lutin venait pour de bon de fleurir sur ses lèvres.

— Je ne les trouve pas ! Je ne trouve vraiment rien dans ce foutoir ! Oh ! je crois qu’Arnold est enfermé dans ton buffet.

Il l’entendit rire du couloir. Son rire était chaleureux comme une journée d’été. Il avait quelque chose de profondément pur et apaisant. La rouquine qui se prénommait visiblement Ella, continuait de le fixer. Elle sourit à nouveau, cette fois franchement amusée par ce qu’elle voyait. Il devait avoir un truc sur le visage peut-être… il était pourtant certain de s’être bien lavé.

— Sois sauve et que le cendres te protègent, salua Evan en penchant légèrement la tête, avant de se mettre à descendre les escaliers. Il s’était suffisamment tourné en ridicule. Ah ! tu recevras sûrement la visite de madame Chèvrechoux, rajouta-t-il.

— Madame Chèvrechoux ?

— La voisine d’en bas, répondit Evan en s’arrêtant. Elle est très… hum… Tu le verras par toi-même.

Ella se rapprocha de la balustrade :

— Merci de m’avoir prévenue pour madame Choux, Égorgeur de cochon.

— Je ne suis pas un… commença Evan.

Au même moment, une fille, les cheveux mi-longs châtains et bouclés, sortit en courant de l’appartement en lançant un « que les cendres te protègent ! » à la rouquine avant de passer agilement à côté d’Evan sans le toucher, alors qu’il était au milieu de l’escalier et de le dévaler quatre à quatre, en disparaissant dans les étages inférieurs. Une véritable bourrasque. Il avait à peine pu voir son visage derrière sa chevelure sauvage. Son parfum flottait encore autour de lui. Il le reconnût. Souvenirs perdus des parfums Pourpre. La fragrance la plus ancienne de la marque et la plus populaire. Ce parfum était également très onéreux. L'équivalent de deux loyers pour un appartement comme celui de la rouquine dans cette partie de la cité. Comme la plupart des élèves de sa schola était issu de familles aisées, il connaissait bien cette fragrance. La question à mille écu-Arlington était sûrement : qu'est-ce qu'une fille de riche faisaient dans l'un des arrondissements les plus pauvre de la cité ? juste après le Cimetière de Verre et de Métal où s'amassaient les citoyens les plus démunis et les rébus de la société.

— Euh… Elle ne s’appelle pas Choux, continua Evan après un temps d’arrêt, perturbé par le parfum, la voix distraite en fixant le bas de l’escalier où il n’y avait plus personne. Mais Chèvrechoux…

— Je ne comprends pas, fit la jeune fille. C'est Pachoux quoi ?

— Peu importe… se dit-il à lui-même en descendant les escaliers alors qu’elle le dévisageait toujours avec curiosité et amusement en mâchouillant ses céréales.

Hors de son immeuble, derrière le portail de la cour, Evan monta dans sa petite jeep garée à cheval sur le trottoir. Il aurait pu prendre le bus aéronef, l’arrêt était à une dizaine de minutes à pied mais il espérait que conduire l’empêcherait de trop penser. De toutes les manières, Il préférait la solitude que lui procurait l’habitacle de son vieux 4x4. Le thermomètre annonçait moins dix degrés. Le froid mordait, mais il s’y habituait déjà. Il n’alluma pas le chauffage. Cela n’aurait aucun sens. Dans la rue, les trottoirs comptaient quelques piétons matinaux emmitouflés dans leurs vêtements d’hiver.

La circulation fluide lui permit de traverser rapidement l’arrondissement du Moulin qui défila avec constance autour de lui et le 9e arrondissement lui succéda. Au total, onze anneaux administratifs entouraient le centre de la cité. Ils n’avaient plus rien à voir avec les arrondissements d’antan. Il passa par le quartier du Coq du 9e, célèbre pour ses bars et ses restaurants. Il dépassa un tram aéronef qui venait de s’arrêter. Le véhicule, sans conducteur, était long et fusiforme. Il flottait à plusieurs centimètres du sol.

À mesure que traversant les arrondissements, il se rapprochait du centre de Paris-la-Nouvelle, la route et les trottoirs étaient mieux entretenus et plus bondés. La circulation se faisait plus lente. Son R-Tatoo vibra dans sa veste. Il vit sur l’écran un message de son meilleur ami, Keiji, au milieu de divers notifications. Une sur l’actualité sportive aiguisa sa curiosité. Il regarda les résultats des huitièmes de finale du championnat international de garoway. La Fédération des Indes et du Bengale en était cette fois l’organisateur. Les Deux-Frances avait remporté le match contre Oulan-Bator comme attendu.

Evan sourit satisfait. Il n’avait pas pu suivre la rencontre mais ce n’était pas une surprise. Les Deux-Frances devrait au moins parvenir en demi-finale. Le jeune homme nota que comme chaque mois, parmi les notifications, il y en avait toujours au moins une sur un reportage exclusif sur une des Familles Anciennes. Les non-initiés, n’appartenant pas au cercle restreint de cette noblesse d’épée, ne pouvait s’empêcher d’être fasciné par elle. Ainsi, ces reportages étaient très plébiscités. Cette fois-ci, c'était un portrait élogieux des Endo, la famille de Keiji, justement. Evan ne savait même plus combien de fois ils avaient eu droit à ce genre de chronique. Le système de propagande établi et bien huilé tirait parti des jeunes Sangs d'Acier et de leur popularité. Ils étaient issus de riches familles. Ils étaient jeunes, beaux et très populaires car ils étaient en très grande majorité très talentueux. Ils remportaient assez régulièrement les tournois internationaux de l'art ancien du neshirinshi. Plus largement, tous les aspirants noguemis talentueux se retrouvait sous le feu des projecteurs à un moment où à un autre de leur parcours.

Et le Noguem qui dirigeait les Trois-Monde depuis près d'un millénaire, ne se gênait pas pour les mettre en avant. Ce qui leur permettait d'idéaliser et de sublimer l'image des noguemis et donc du Noguem, dans les consciences réceptives de la jeunesse et finalement de toute la population. Les deux activités culturelles les plus populaires depuis plusieurs centaines d'années étaient les tournois de neshirinshi, et les championnats de garoway, un sport qui était pratiqué en grande majorité par les jeunes ignemshirs aspirants avant leur entrée permanente au sein du Noguem. Ces deux catégories d’événements culturels étaient capables de remplir des stades de plusieurs centaines de milliers de personnes.

Tu viens ou tu vas jouer au fantôme de Michel-Ange et nous peindre encore une de tes horreurs ? Lui demandait Keiji.

Evan sourit et répondit par l’intermédiaire de son neshir qui, en se connectant à son R-Tatoo écrivit ce qu’il pensait et l’envoya sans qu’il n’ait rien à faire d’autre que de le vouloir. Keiji était un abruti mais il l’aimait comme un frère.

Les gratte-ciels longeant la route diffusaient sur toutes leurs façades des publicités pour des produits de luxe et autres produits de consommation. Une publicité pour le parfum Souvenirs perdus exhibait une magnifique jeune fille vêtue d’une robe de soie rouge. Elle marchait pieds-nus dans le sable d’une dune sous un ciel crépusculaire. Ce regard ambré et ces yeux en amande ne lui étaient pas inconnus bien que cela faisait un moment qu’il ne les avait pas revus. Cet air absent qu’elle arborait, il l’avait toujours intrigué bien qu’il ignora pourquoi. Ses traits avaient perdu les rondeurs de l’enfance et affichait plus de maturité.

Il eut un rictus amer avant de marmonner en secouant la tête :

— Les Sha'Daigan, décidément…

Sur sa droite, vers l’est de la cité, derrière les gratte-ciels, se dressait la muraille de l’Aurarquat. Le domaine du dirigeant des Deux-Frances et administrateur de la cité-mère de Paris-la-Nouvelle, capitale de la Fédération. L’Aurarquat était une ville dans la ville, une zone réservée aux familles des membres de sa légion personnelle qui pouvait compter jusqu’à dix mille hommes. Au cours de son existence, Evan n’avait pénétré dans son enceinte qu’à deux occasions… Il renfermait également le Cœur. Un Concentrateur de l'énergie primitive appelé Ark, qui se trouvait sous le Palais Purpurin. Le Cœur était la source d’énergie qui alimentait les machines les plus énergivore de la cité. Chaque bâtiment et chaque foyer disposaient de prises électriques alimentées par le Cœur. Ce dernier était lui-même alimenté régulièrement par le neshir de l’Aurarque. Les matériels de faible consommation énergétique étaient pour la plupart solaire. Construite à l’aide des Grands Bâtisseurs, d’immenses imprimantes 4D humanoïdes, la muraille entourant l'Aurarquat arborait une fresque de BoisFer en relief représentant le redoutable Précurseur Ambre Eulalie Laurent. Elle était assise sur le Trône du Phœnix et tenait le Sceptre des Cendres d’une main ferme. Elle avait été la première Aurarque des Deux-Frances.

Evan arriva dans le 1er arrondissement où s’alignaient le long des larges allées, des grandes demeures de style noguemi avec porches et colonnades. Des domestiques s’affairaient dans les grandes allées, nettoyant les fenêtres et les façades des bâtisses rivalisant en beauté et en raffinement les unes avec les autres. Ces grandes maisons abritaient les populations les plus privilégiées de la cité-mère dont les familles des puissants des Trois-Ordres.

Dans le centre, la tour Eiffel, reconstruite à l’identique pour la septième fois de son histoire, pointait fièrement vers le ciel. Elle avait été détruite pour la sixième fois six cents ans plus tôt. Juste à côté, l’un des Six Obélisques du Cyclone se dressait. Un édifice cylindrique sombre, de la taille de la tour, recouvert de signes anciens de type soloménique. Il n’était plus utilisé depuis la fin de l’Âge Sombre. Durant l’Âge des Immortels et une grande partie de l’âge suivant, il avait protégé Paris-la-Nouvelle des monstres climatiques et des Bêtes Ancestrales. A cette époque, la cité de Paris-la-Nouvelle était alors trois fois plus vaste. Et Lorsque Malakel, le neshir suprême d'Ambre Laurent, était entré en sommeil plusieurs centaines d’années après la mort de celle-ci, l’obélisque avait cessé de fonctionner et n’avait plus jamais été remis en marche.

Désormais dans le centre, Evan s’engagea sur la place du Roi au Sang d’Airain, un large carrefour giratoire considéré comme le point central de la cité-mère. La Citadelle pourpre du Noguem français, le quartier général des noguemis des Deux-Frances, se dressait en face de la grande esplanade. Il prit l’avenue des ambres, un magnifique boulevard bordé de chênes et de saules-pleureur aux branches nues recouvertes de neige. Des ambassades et de grandes résidences entourées de somptueux jardins de dressaient de part et d’autre.

Lorsqu’il y était venu pour la première fois, il avait été choqué par la largeur des rues, par le luxe et l’ostentation qui se dégageaient des édifices. Il s’était dit que s’ils avaient fait les routes moins larges et les bâtiments un peu moins gros, peut-être y’aurait-il eu plus de place dans l’arrondissement du Moulin où il vivait. Mais a posteriori, il avait compris que les deux faits n’étaient pas liés. D’autant que Princeton et Malia avaient volontairement choisi le Moulin, car ils avaient voulu que Sue et lui fussent conscients des réalités de la société dans laquelle ils vivaient. Selon Princeton, il était facile d'oublier les souffrances des plus démunis si elles ne s'imposaient pas d'elles-mêmes à nous. Ils auraient très bien pu acheter une de ces demeures dotées d’un magnifique jardin avec des domestiques, car Princeton en avait les moyens, mais il avait opté pour le penthouse avec une magnifique vue sur le Cimetière de Verre et de Métal et les Ruines… Du Princeton tout cracher.


Texte publié par N.K.B, 11 septembre 2019 à 09h29
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