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tome 1, Chapitre 2 « Insouciance » tome 1, Chapitre 2

3 ans plus tôt

— Gagné !

Le fer à cheval venait de butter contre le piquet, venant s'empiler sur ses deux répliques précédents.

— Maman t'as vu ? J'ai réussi une triplette !

— C'est bien mon ange ! Tu te sens prêt à essayer les fléchettes ?

Du haut de ses treize ans, Jaysun Praacjes était un jeune garçon de taille moyenne et plutôt malingre. Il était vêtu d'une tunique en tissu beige et d'un pantalon en toile bleue azur. Ses cheveux châtain clair tirant sur le blond tombaient sur des traits un peu émaciés, un nez trop petit et un menton un peu fuyant. Mais son visage n'était que joie et bonne humeur. Il adorait quand sa mère le mettait au défi. Cela le faisait se sentir plus fort.

Pour lui, elle était la meilleure maman du monde. Une femme forte portant une chevelure auburn tombant en cascade sur ses épaules et encadrant un visage un peu rude mais qui s'adoucissait chaque fois qu'elle souriait. Elle était un peu corpulente mais malgré cela, elle semblait fragile et délicate . Elle répétait souvent en rigolant que c'était ses « réserves d'hiver ». Aussi son mari l'appelait affectueusement son « petit pot de miel ».

Le père de Jaysun, lui, pouvait passer pour un homme parfaitement quelconque avec sa taille moyenne et ses cheveux bruns rasés. Il portait un épais monocle sur un œil bleu glacier. L'air constamment songeur comme s'il réfléchissait à un problème dans sa tête. Habillé d'une veste brune sur un pourpoint beige ainsi que d'un bas en soie grise, il restait une image paternelle forte pour son fils.

La rue où cette famille se trouvait était très animé. Normal, il s'agissait de la grande foire Yudaïchenoise, une kermesse qui à lieu tous les ans en août. Il y avait des jeux, des commerces, du crottin de cheval et des bruits à tout va. De plus, la douceur du crépuscule d'été naissant rendait la balade en ville des plus agréables bien que les cris et la foule transformaient l'espace en four à pain fatigué.

Jaysun répondit.

— les fléchettes c'est quand même compliqué.

En effet, Jaysun n'était pas très adroit comme garçon, s'il venait de gagner aux fers à cheval, c'est bien parce que le plot n'était pas très loin et que les projectiles pouvaient entrer facilement. Toutefois il se sentait fanfaron en ce jour d'agitation. Alors il entraîna sa mère par la main dans le bâtiment le plus proche. Un édifice avec une armature en bois et bâtie en pierre lisse et brune avec des petits rectangles de terre cuite en guise de toit. Cette architecture était la base de toutes les villes du Wondan quoique sujette à des variations selon la disposition géographique.

Cette bâtisse était en réalité une taverne, un genre de construction qu'on peut trouver à chaque coin de rue dans Yudaïchen. Y amener ses enfants n'avait rien de choquant puisque ici, taverne ne signifie pas forcément boisson. De plus, elles font aussi office d'auberge pour les voyageurs.

Très peu de tables étaient vides, énormément d'hommes et de femmes se désaltéraient au bar quand ils ne commandaient pas de phül rôti. La petite famille serpenta entre les tablées pour rejoindre le mur du fond. Là, plusieurs hommes s'adonnaient aux fléchettes sur une cible en bois. Avec quelques excuses, la famille s’immisça entre eux et saisirent cinq fléchettes.

Jaysun tremblait d'excitation, il prit les projectiles dans sa main droite. La cible était à quelques mètres de distance. Son bois était usé par les minuscules trous causés par des années de fléchettes. Deux ronds rouges grossiers délimitaient la zone des points. Avec une inspiration, Jaysun passa un trait dans sa main gauche et visa. En expirant, il lança.

Manquant de force, le projectile vint s'écraser par terre à quelques centimètres de son but. Des légères moqueries très vite réprimées. Le tireur en herbe affaissa ses épaules de découragement alors que son père venait le rassurer et le guider. Aussi il prit un autre projectile en écoutant ses conseils.

Le trait se planta sur le cercle le plus à l'extérieur. C'était un début. Jaysun rosit de joie, il lança ses trois autres fléchettes avec des résultats plus ou moins similaires. Le meilleur lancer fut lorsque la fléchette toucha le bord extérieur du second cercle blanc. Toute la famille était heureuse et s'installa pour dîner.

Par miracle une table s'était libérée. Les anciens occupants, quatre hommes enivrés par le vin et la sauce, titubèrent jusqu'à la sortie. Les trois personnes prirent place et commandèrent un ragoût de phül. Jaysun se sentait heureux, il était avec ses parents et il s'amusait. Que demander de mieux à la vie ? Il mangea avec appétit sa portion qu'il accompagna de pain, sous le regard attendri de ses parents.

*

Ainsi passaient les jours, dans le bonheur et l'insouciance, sans s'occuper des complots des trahisons et de la folie des hommes.

La famille Praacjes habitait une paisible maison de modeste taille dans le quartier sud de Yudaïchen. La demeure disposait d'un rez-de-chaussé avec cuisine, séjour, salle pour se laver et d'un étage avec trois chambres : celle de Jaysun, celle de ses parents et une chambre d'ami. Le jeune garçon adorait y jouer à cache-cache avec ses voisins. La maison était peu décorée, seules quelques timides tapisseries en laine de mouton et des petites sculptures réalisés par Fäuridl, la mère de Jaysun, égayaient le séjour et les chambres.

Qu'importe, le garçon s'y sentait bien. Le matin alors que les coqs chantaient, il respirait l'odeur des tapisseries détrempées par l'humidité du matin. Le midi, il aimait chiper les bouts de raisin utilisés pour le repas et sentir les vapeurs divines du pain qu'avait préparé sa mère en train de cuire. Le soir il se plaisait à sauter dans les bras de son père qui rentrait alors lassé de sa journée de travail. Il goûtait aux parfums de poussière et de renfermé, laissés par ses mains.

Monsieur Glërt Praacjes était bibliothécaire. Son lieu de travail, la grande bibliothèque yudaïchenoise, se trouvait dans le secteur est de la ville. Toute la journée il restait assis sur une chaise à tamponner les manuscrits empruntés et à parcourir les rayonnages en bois verni couverts de livres. Ceux-ci étaient tantôt passionnants comme les romans d'aventure de Plîktar Voohal, tantôt ennuyeux comme les épopées classiques de Rjöht Ydul. Parfois, Glërt ramenait des exemplaires à Jaysun. Son fils les lisait avec beaucoup de plaisir.

Quant à sa mère, elle était une des rares femmes à travailler. Alors que la majorité d'entre-elles se contentaient des travaux ménagers et de loisirs partagés avec leurs amies. Fäuridl tenait aussi à ramener sa part d'argent dans le foyer. Certes elle ne pouvait pas beaucoup le faire à cause de la maison qui exigeait qu'on s'occupe bien d'elle. Chaque soir, au retour de son mari, elle allait pourtant dans l'ouest pour un service vétérinaire auprès des chevaux. Une passion qu'elle a toujours eu.

Jaysun allait à l'école, elle aussi située à l'est. Son père l'amenait en même temps qu'il partait pour son travail. Il s'agissait d'une grande construction de même style que la taverne, seul un écriteau en bois accroché juste au-dessus de la porte annonçait « ÉCOLE ». Les murs étaient faits en bois rouge plutôt qu'en pierre. Là, il apprenait à compter, lire, écrire. On lui enseignait aussi un art au choix. Il avait choisi la tapisserie. Avec la bénédiction de Gröobd, le Dieu des Arts de la mythologie drakhonienne, il s'était lancé dans la réalisation de pièces qui, malgré son jeune âge, n'avaient rien à envier aux grandes.

Le jeune garçon avait peu d'amis. À l'école il se contentait de suivre distraitement les cours en rêvassant un peu. Pendant les récréations, il restait appuyé contre un arbre maladif, pensant à diverses choses qui occupent généralement l'esprit un garçon de treize ans. Il avait toutefois un copain. Un jeune de son âge se nommant Enkoïml. Il était rêveur, plus que Jaysun, souvent ils discutaient près de cet arbre maigrelet. Ils parlaient surtout des cours et de leur futur.

— Qu'est-ce que tu te vois faire quand tu seras grand Enkoïml ?

— Je l'ignore encore... éludait ce dernier, songeur, je voudrais être artiste ça c'est sûr ! Dans quoi je ne sais pas... et toi ?

À dire vrai, Jaysun ignorait complètement ce qu'il ferait plus tard, il se souvenait de sa fascination face au marchands du quartier ouest. Il n'était pourtant pas encore tout à fait décidé à en faire partie.

— Je ne sais pas encore non plus... peut-être marchand.

— Tu obtiens pourtant de bons résultats non ? Je te verrais bien occuper une belle fonction comme ingénieur ou trésorier.

— Je ne veux pas choisir en fonction de mes résultats ! Le métier qui me plaira sera choisi par le cœur.

— Belles paroles ! Cependant quand on est de condition modeste comme moi, on souhaiterait plutôt s'en sortir... donc d'abord le choix de la raison et après le métier du cœur.

— C'est toi le futur artiste qui me dit cela ?! Tu ne perds pas ton humour au moins...

Et ils continuèrent à palabrer comme ça jusqu'à l'appel.

Ce qu'ils ignoraient, c'est que l'avenir réserve parfois des surprises, mauvaises comme bonnes...

Toutes les fins de semaines, la famille de Jaysun allait se promener dans les rues. La température était alors idéale pour une balade revigorante. Autour, les volets commençaient à se clore et le silence remplaçait peu à peu les bruits habituels d'une journée dans la capitale. Oh le silence n'était pas total, loin de là, mais l'agitation des rues se réduisait en un bruit de fond résonnant autant qu'un chœur murmurant.

Si ce calme était apaisant, il était aussi inquiétant. Une grande ville n'arrête jamais totalement ses rumeurs, même aux heures les plus improbables. Cette absence de bruits transformait la ville souriante en ville grimaçante.

Mais cela ne faisait rien. La famille Praacjes adorait se promener dans ces rues enfin débarrassées d'une journée de cris, de hennissements, de plaintes, de rires, de disputes. Du reste, ils ne restaient jamais bien longtemps dehors. Ils souhaitaient simplement un apaisement, comme on refroidit les chevaux de trait avec un seau d'eau fraîche.

Aussi, ils partirent une énième fois. Ils l'avaient fait des milliers de fois et ne voyaient pas pourquoi ils s'arrêteraient maintenant.


Texte publié par canard, 31 août 2019 à 14h23
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