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Le Premier Cercle - I - Un Echo Impromptu
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tome 1, Chapitre 9 « Chapitre II - Des nuées à l'horizon (2) » tome 1, Chapitre 9

La lumière du jour, filtrée par la grisaille bleutée qui envahissait le ciel, prêtait un air désolé au salon austère et chichement meublé. Perdu dans les méandres d’amères réflexions, l’homme assis devant sa table de travail leva à peine les yeux quand son serviteur frappa timidement à la porte.

« Entrez », lâcha-t-il sèchement.

Le valet au visage mélancolique lança un regard surpris vers son maître, qui n’avait guère pour habitude d’être encore en robe de chambre à cette heure du jour. Sagement, il se garda de toute remarque.

« Deux plis pour vous, Monsieur. »

Lassair Athalin releva enfin la tête et le vrilla de son froid regard bleu.

« Pose-les sur la table. »

Le domestique s’exécuta et disparut aussitôt, comme une ombre falote. Athalin saisit les missives et les contempla gravement. Ses lèvres minces se tordirent d’un pli dur quand il découvrit que la première venait de Derrilun. Avec mauvaise humeur, il la jeta dans la corbeille à ses pieds sans même daigner l’ouvrir. Il repoussa nerveusement de son visage quelques mèches platine et examina la seconde.

Le jeune officier haussa un sourcil perplexe à la vue du sceau qui fermait le courrier : l’aigle royal perché, les ailes étendues, sur les nuées du ciel ; il fendit l’enveloppe d’un coup de son coupe-papier. Ses traits se crispèrent quand il reconnut l’écriture vigoureuse qui couvrait la page. Il parcourut rapidement les quelques phrases abruptes :

«… Il est à présent certain que nous partirons incessamment en mission. Je suis convoqué ce matin à l’Amirauté, où l’amiral Matven m’éclairera sur la teneur des opérations. Venez dès que possible sur le Ferragon et veillez à ce que tout soit en ordre. »

« Des nouvelles intéressantes… à défaut d’être bonnes ? »

Athalin se retourna d’un bloc : debout derrière lui, une jeune femme dont les longs cheveux mordorés pendaient libres jusqu’à la taille finissait de nouer la ceinture d’un déshabillé de dentelle.

« Mon supérieur », lâcha-t-il d’un ton maussade.

Elle esquissa un sourire sarcastique. Ses yeux fureteurs se posèrent sur la lettre au fond de la corbeille à papier, dont la provenance restait clairement lisible :

« Toujours en froid avec ta famille ? »

Elle pencha la tête sur le côté, avec cet air de discernement qui donnait toujours à Lassair le désagréable sentiment qu’il ne pouvait rien lui cacher.

« Tu n’as même pas ouvert, poursuivit-elle avec malice. Cela n’a rien à voir avec le fait que ton père a réduit la rente qu’il te versait, n’est-ce pas ? Peut-être n’as-tu pas su lui expliquer qu’il était difficile de tenir son rang à Orebrune avec un simple traitement de lieutenant… »

Elle contourna le bureau et s’appuya en face de lui, le regardant droit dans les yeux :

« À moins, reprit-elle, que tu n’apprennes à vivre dans l’ascétisme et l’austérité, en fuyant la société. J’ai ouï dire, justement, que ton supérieur semblait naturellement appliquer ces principes. Peut-être pourrais-tu lui demander de t’apprendre… »

Lassair releva brusquement les yeux, les mâchoires serrées. S’il appréciait habituellement l’esprit caustique de la jeune femme, il n’était pas disposé à en devenir la cible. Il se leva avec lenteur et pivota vers elle ; son regard pâle avait pris une dureté glaciale :

« Karlina, dit-il sèchement, il est grand temps que tu partes. Songe à ta réputation »

Surprise, elle recula de quelques pas et ramena autour d’elle les pans de dentelles de sa robe d’intérieur. Après un instant d’hésitation, elle se dirigea vers la porte de la chambre, mais s’arrêta juste avant de la franchir pour lancer un regard confus en direction de son amant. Lassair ne l’avait pas quittée des yeux, sans tenter de cacher l’irritation qui crispait ses traits étroits et arrogants. Il attendit qu’elle ait disparu derrière le battant pour se rasseoir.

Issue de la grande bourgeoisie d’Orebrune, au sein de laquelle elle s’efforçait de présenter une image vertueuse, Karlina Garaudis était dotée d’une ambition aussi féroce que celle de Lassair, ce qui faisait d’elle une partenaire compréhensive et peu exigeante. Leur liaison durait depuis la fin de la guerre et la jeune femme commençait à la considérer comme un dû, ce dont témoignait son insolence. Il était temps de prendre quelques distances.

Le lieutenant reporta son attention la missive, froissant le papier bleu pâle entre ses doigts : la perspective d’un départ en mission n’était pas pour lui déplaire, même si les deux années passées comme second sur le Ferragon lui avaient laissé un sentiment de frustration. Certes, le mondrad était brillant : un tacticien, un combattant, un meneur d’hommes… tout cela était vrai. Mais il n’en demeurait pas moins l’un de ces chiots de race issus de ces nobles lignées à qui tout semblait gagné d’avance.

Lassair n’avait pas le choix. S’il voulait obtenir un jour son propre commandement, il se devait d’assurer au mieux son devoir, en espérant que l’engouement suscité par les exploits du Ferragon auprès de la population civile comme de l’armée finirait par rejaillir sur lui. Il repoussa sa chaise et s’apprêtait à se lever quand son regard se posa, presque par hasard, sur la lettre au fond de la corbeille. Avec un soupir d’agacement, il se pencha pour la ramasser et l’ouvrit d’un mouvement rageur.

Karlina avait vu juste. Une fois de plus, son père expliquait longuement sa décision, en affirmant qu’elle n’avait rien de personnel. Il restait persuadé qu’un jour, Lassair éprouverait la reconnaissance attendue envers lui pour avoir su respecter la vocation de son fils. Sa réussite faisait sa fierté, mais elle devait se suffire à elle-même ; rien ne justifiait un train de vie aussi dispendieux que celui auquel il prétendait…

Sans plus continuer, Lassair déchira la lettre en multiples fragments qu’il renvoya dans la corbeille. Son père n’était qu’un marchand et raisonnait comme tel. Jamais son esprit ne s’élevait plus haut que ses livres de compte. Il se leva avec raideur et gagna sa chambre pour enfiler son uniforme.


Texte publié par Beatrix, 4 février 2022 à 23h00
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