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Un silence de plomb tombe dans le salon. Son père s’est tut et Océane n’a pas envie d’ouvrir les yeux. Elle a peur de découvrir ce qui provoque un tel silence. Le temps passe, les poings serrés, elle finit par faire face à la situation.

Sa mère la dévisage, les pupilles écarquillées, la main devant sa bouche. Le sourire goguenard de son frère a disparu et son regard va de la table à elle avec stupéfaction. Son père, enfin. Il se contente de fixer l’eau qui goûte de la nappe à présent détrempée. Elle sait que ce n’est pas ce qui le dérange. Les Guéranes est une famille qui maîtrise l’élément aqueux depuis des générations, ce n’est pas la première fois que la maison en subit les conséquences. Non, ce qui l’interpelle, c’est l’amas brûlé qui trône au centre. Les vestiges du gâteau d’anniversaire d’Océane.

Elle déglutit. Elle vient de craquer, de dévoiler son secret. L’angoisse lui noue l’estomac et elle regarde son père avec terreur. Va-t-il la rejeter ? Pour une faute commise par sa mère ?

— Tu t’expliques, Océane ?

La voix caverneuse de son père contraste avec les hurlements qu’il poussait quelques minutes plus tôt. En général, elle ne se disputait qu’avec sa mère, son père et son frère restait toujours en dehors de leurs conflits. Mais aujourd’hui, ils se sont ligués contre elle. Il voulait lui faire entendre raison, lui expliquer combien son attitude était inexcusable. Cela l’a mise hors d’elle de les voir la protéger ainsi. Bien sûr, ils ignoraient la vérité, mais à présent ils vont devoir s’y confronter. Elle a pourtant tout fait pour l’éviter. Malheureusement, si l’eau est attisée par la peur, la pyrokinésie est amplifiée par la colère et elle n’en manquait pas quelques minutes plus tôt.

— Je maîtrise le feu.

Ce n’est qu’un murmure. Océane fixe le sol, incapable de regarder son père dans les yeux. Après quelques secondes de silence, Marvin, son frère, retrouve ses esprits.

— Mais… comment c’est possible !

Si Océane ne peut faire face à son père, pour sa mère, c’est une autre histoire. Tout est de sa faute. Devant à l’agressivité de sa fille, Morgane fronce les sourcils.

— Qu’est-ce qu’il y ?

— Tu ne vois pas ?

Son père est le premier à saisir la triste vérité.

— Tu m’as trompé ?

— Quoi ? Marius ! Comment tu peux croire ça ?

— Comment expliques-tu qu’Océane puisse maîtriser le feu ?

— Je… n’en sais rien.

Marvin choisit cet instant pour donner son propre avis.

— Elle a peut-être été échangée à la naissance.

Océane y a songé. Ça fait cinq ans qu’elle a découvert son talent, elle a eu le temps de réfléchir à de nombreuses hypothèses. Onze ans, c’est jeune pour apprendre à utiliser la pyrokinésie. Elle a cherché à y donner un autre sens qu’une coucherie hors mariage. Mais si l’échange était réel, comment expliquer que ses yeux ont la même teinte violine que ceux de son frère. Ou la peau pâle et les taches de rousseurs héritées de sa mère, tout comme sa masse de cheveux sombres… Le seul avec lequel, elle n’a jamais trouvé de points de ressemblances, c’est son père.

Morgane devient soudain songeuse.

— Est-ce que... Je ne sais pas trop… Je ne…

C’en est trop pour la jeune fille. Elle quitte la pièce sans laisser le temps à qui que ce soit de la rattraper. Sa mère l’appelle, mais elle se refuse d’y répondre. Quatre à quatre, elle monte les escaliers et s'enferme dans sa chambre. Quelqu’un se précipite à sa suite. Océane pose la main sur la serrure. Sa peau devenant aussi brûlante que la lave, le métal fond en quelques secondes pour rendre son sanctuaire inviolable.

Son père frappe plusieurs fois à la porte et lui supplie d’ouvrir. L’adolescente se blottit dans un coin de la pièce, les mains sur ses oreilles pour ne plus rien entendre. Les larmes coulent enfin. Le moment de la révélation lui faisait peur depuis si longtemps. Imaginer ce que ça va impliquer pour elle et sa famille, lui noue l’estomac. Malgré la colère qu’elle éprouve pour sa mère, elle aime son père et son frère aussi pénible qu’il puisse être parfois.

Le réveil est difficile le lendemain. Les émotions fortes et la vague de pouvoir l’ont épuisée la veille et elle a sombré sans le réaliser. Océane fixe le plafond un moment avant de comprendre qu’elle est dans son lit. Elle n’a pas souvenir de s’y être couchée. Alors qu’elle se redresse, Marius sursaute.

— Tu es réveillée !

Un peu déboussolée, elle dévisage son père qui a installé une chaise pour la veiller, semble-t-il. Indifférent à son silence, il poursuit :

— Tu nous as tous surpris hier, on ne s’attendait pas à ça.

— Je peux toujours t’appeler Papa ?

— Pardon ?

— Je peux toujours t’appeler Papa ?

— Mais évidemment !

— Mais, Ma… je…

— Je ne comprends pas moi-même, mais je ne pense pas que ta mère m’ait trompé. Elle me l’a juré et je la crois. Ne t’inquiète pas, nous allons tirer ça au clair.

Océane ne dit rien, effrayée par les réponses qu’ils vont trouver. De nouveau, les larmes lui échappent. Si elle a raison, que va-t-il se passer ? Elle n’est pas sûre que son père se montre aussi compréhensif. Il semble ressentir ses doutes, car il s’assoit près d’elle pour la prendre dans ses bras.

— Quoi qu’il en soit, quoi qu’il se passe, tu resteras toujours ma fille, tu m’entends ?

Elle se contente de le serrer contre elle et il lui rend son étreinte. Après de longues minutes nécessaires pour se calmer et sécher ses larmes, elle interroge son père avec curiosité.

— Comment tu es entré ?

Il sourit et fait apparaître un pic de glace à bout de ses doigts. Lorsqu’elle inspecte sa porte, elle réalise que la serrure n’est qu’un lointain souvenir.

— Le métal que tu as fondu est devenu friable, ajoute-t-il, mais j’ai vraiment eu peur de te réveiller. Et si tu venais manger ? Ta mère a préparé des crêpes !

Océane baisse les yeux. Elle ne sait pas comment faire face à sa famille. Consciente qu’elle ne pourra pas rester éternellement dans sa chambre, elle finit par hocher la tête. Avec crainte, elle descend dans la cuisine sur les traces de son père. La nappe a changé. Sa mère, plutôt pâle, l’accueille d’un sourire timide. Son frère ne semble pas beaucoup plus à l’aise. Elle s’assoit sans un mot. Marius lui ébouriffe les cheveux avant d’aller chercher l’eau nécessaire à son thé.

Le spécialiste remonte ses lunettes et détaille les documents apportés par ses parents.

— Intéressant. Donc vous êtes pyrokinésiste ?

Pour seule réponse, elle fait apparaître une flamme dans le creux de sa main.

— Intéressant, répéte-t-il. Et vous êtes issues d’une dynastie aqueuse ? Pas d’exception ?

Son père secoue la tête.

— Pas que je sache.

— Moi, non plus, ajoute sa mère.

— Et pourtant, le test de paternité est formel. C’est fascinant !

Morgane agite les doigts avec impatience.

— Vous avez une idée de ce qui a pu se passer ?

— Oui et non ! J’ai des théories, mais aucune certitude. Nous savons que les gènes liés aux éléments sont assez proches les uns des autres. Certains émettent même l’hypothèse qu’ils auraient un seul ancêtre commun. Peut-être que votre fille a subi une altération génétique spontanée. Je n’ai pas rencontré de cas, mais ça me semble possible. Si vous le permettez, je vais proposer son dossier à certains de mes collègues.

Morgane et Marius se tournent vers elle. Océane acquiesce en silence, impressionnée par l’homme et troublée parce qu’il vient de dire. Elle trouve le courage de prendre la parole.

— Et donc, il n’y a rien à craindre ? Je ne suis pas malade ? Je veux dire, c’est une anomalie, alors peut-être qu’il y a un risque.

— Non ! En tout cas, rien ne le laisse penser. Vous devez apprendre à utiliser votre don, comme tout mutant, mais je n’ai rien de particulier à préconiser dans votre cas.

Elle pousse un long soupir et s’enfonce dans le fauteuil. Pour la première fois depuis plusieurs jours, elle se permet un franc sourire. Alors que ses parents finissent de s’occuper de l’administratif, elle se laisse envahir par le soulagement et espère que tout va pouvoir reprendre son cours normal. Elle a l’impression d’avoir mis ses émotions et son existence entre parenthèses durant cinq ans au nom de son secret. À présent qu’elle en est libérée, qu’elle a des réponses, bien que partielles, elle se sent incroyablement légère.

Sa mère lui presse la main et elle en fait de même.


Texte publié par Sizel, 14 avril 2019 à 08h36
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