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tome 1, Chapitre 7 tome 1, Chapitre 7

J'étais morte, moi aussi. Et j'étais incapable de l'oublier. Elle avait été mon tout, ma perfection, l'âme qui entrait en résonnance avec la mienne. Elle avait été la moitié de mon être.

Je fis comme si de rien n'était. J'acceptai la demande en mariage d'un homme qui me promit de me laisser reprendre le commerce de ma mère à sa mort, et tenu sa promesse. Il dut avoir de la patience pour que je le laisse me toucher sans en être dégoûtée, et la première fois, je dus vomir avant même que ce soit terminé tellement l'acte, si naturel avec Aleya, me semblait sale et impur avec lui.

Mais je le fis tout de même. Cet homme m'a aimée, et je crois que moi aussi, à ma manière, même si l'ombre de mon âme sœur disparue planait sur nous. J'avais fini par avoir de l'affection pour lui. Beaucoup d'affection. Si bien que je lui donnai un fils.

Pendant les neuf mois de grossesse, j'étais effrayée à l'idée qu'il s'agisse d'une fille et que ma lignée se perpétue. Oui, je voulais que mon pouvoir destructeur disparaisse avec moi. Non, je ne voulais pas qu'un tel fardeau pèse sur les épaules de ma descendance. Je voulais être la dernière. Et, sitôt que mon fils naquit, je commençai à prendre des décoctions pour m'empêcher d'être de nouveau enceinte. Avoir un fils était un soulagement, et mon époux, qui voulait absolument un héritier mâle, n'en fut pas fâché. Sincèrement amoureux de moi, il voulut me faire d'autres enfants et fut déçu à chacune de mes fausses couches, blessé je crois même. Mais il ne pouvait pas savoir que j'étais incapable de lui donner la famille nombreuse qu'il désirait tant.

Il mourut dans sa trente-troisième année, victime de la chute d'un arbre — il était bûcheron. Mon fils alors âgé de huit ans en fut traumatisé. Je l'élevai seule, refusant de prendre un autre époux et endossant mon veuvage pendant les années qu'il me restait à vivre, entièrement consacrée à ce fils qui était tout ce qui me tenait en vie.

Mais ce fils, comme chacun à Nebol en connaît la rumeur, me tourna le dos. Une sombre affaire de poisons, lorsque j'atteignis l'âge vénérable de cinquante-cinq ans, secoua Nebol. Étant la guérisseuse du village depuis des années, ayant un savoir surpassant celui de tout autre, et pour cause, je fus tout de suite accusée d'en être l'instigatrice. Et mon fils, âgé alors de trente-trois ans, l'âge de son propre père à sa mort, ne me défendit pas. Me laissa seule face au reste du monde. Son ingratitude se comprenait : je pense qu'il avait compris depuis longtemps ce que j'étais et qu'il a sincèrement cru aux rumeurs.

Avant que je ne sois arrêtée et brûlée, je me retirai dans la forêt, au cœur de celle-ci à plusieurs jours de marches. D'une bicoque abandonnée je fis ma nouvelle demeure, et j'entourai mon nouveau chez-moi de protection le rendant invisible à quiconque n'ayant pas été autorisé.

Bien sûr, c'est également plus tard que j'appris qui était l'instigateur de cette affaire des poisons. Et qu'elle n'était dirigée qu'à m'éloigner de Nebol.

Extrait du journal d'Iwona, année soixante-huit, onzième lune, septième jour.

***

Le sang de Hansel ne fit qu'un tour et sa main alla se fixer sur l'arbrier de l'arbalète, dans l'intention de la tirer de son carcan, mais des doigts rugueux et puissants immobilisèrent son poignet rien qu'en se serrant autour.

— Ce n'est pas une bonne façon de remercier notre hôte, Hansel.

Il connaissait cette voix et pourtant ne l'avait jamais entendue. Le jeune homme tourna le cou pour voir qui s'adressait à lui et croisa des yeux verts, flambant sous une masse de cheveux d'un noir profond. Non, il n'avait jamais vu cet homme, et pourtant...

— Gretel, ne fais pas l'idiot non plus, et pose ce chat, soupira une autre voix.

Le blond serra ses doigts autour du chat en porcelaine qu'il avait attrapé comme une arme de dernier recours et s'exclama :

— Vous ! Je vous ai vu chez Peon ! Olovoska !

Le nouveau venu n'était ni plus ni moins que l'homme en noir, toujours flanqué derrière le protecteur, et avec qui il avait échangé quelques mots le lendemain de leur arrivée à la petite cabane. Reconnaissable entre mille par ses cheveux si particuliers, semés de mèches grises malgré le jeune âge apparent de son visage sur lequel deux yeux dorés brillaient comme deux lunes. L'homme en noir éclata de rire, suivi par la grand-mère et sa petite fille, tandis que son acolyte, tenant toujours Hansel en respect, décocha un mince sourire.

— Pas seulement, petit Gretel. Mon nom entier est Sery Olovoska. Beaucoup considèrent Peon comme mon maître mais lui-même se dit mon ami. Et lui, c'est Predan.

Hansel reconsidéra son gardien sous des yeux étonnés. S'il fut le premier à entamer la réflexion à propos de ce qu'on venait de leur avouer, ce fut Gretel qui prit la parole.

— Vous avez ensorcelé ces gâteaux pour nous rendre fous.

D'un coup rageur, il lança son bras sur le dessus de cheminée et envoya balader tous les bibelots fragiles qui s'y trouvaient et qui s'écrasèrent sur le plancher. Plus personne ne rit, et Hansel avala difficilement sa salive, sachant très bien que la colère de son ami n'était pas de celle qu'il pouvait arrêter. Non, elle devait se calmer toute seule. Gretel continua, avec un ton qu'il s'efforçait de maîtriser :

— Nous avons fait un long chemin dans le but de ramener votre tête sur la table du seigneur, madame. J'aimerais que l'on m'explique pourquoi il m'est interdit de le faire.

Il fixait la vieille aveugle sans cligner des yeux, comme s'il était en train d'échanger un long regard avec elle. Mais ce fut Sery qui prit la parole, derrière :

— Gretel, nous allons t'expliquer, pas la peine de...

— Laisse, l'interrompit la grand-mère en levant la main.

Ses longs doigts tordus par l'arthrite se murent imperceptiblement, et la porcelaine se recomposa sur le sol, reprenant la forme de petits animaux de ferme qui retrouvèrent leur place sur les napperons en dentelle de la cheminée. Gretel et Hansel la regardèrent avec un mélange d'incrédulité et d'effroi. Calme, elle s'adressa à Predan et lui demanda de relâcher Hansel, ce qu'il fit. Le jeune homme se massa le poignet avant de poser la main sur l'épaule de Gretel, en soutien. Le geste sembla apaiser le blond.

— Sachez que j'ai beau être incapable de bouger de ce fauteuil, je pourrais vous mettre dehors sans aucune difficulté, déclara Iwona d'un ton paisible. Mais le pouvoir que j'ai ne s'applique malheureusement plus qu'ici, dans un espace délimité par l'enchantement que j'ai posé et qui m'abrite du monde. Je suis dans l'incapacité d'être l'autrice des crimes dont on m'accuse.

— Que faisons-nous ici ? l'interrompit Gretel.

— Et le respect, on te l'a enseigné ? tonna Agnieszka, érigée en protectrice derrière le fauteuil de sa grand-mère.

La main levée de sa grand-mère la fit se taire.

— Vous avez servi de couverture pour que ces deux loups, si bien connus de tous et surtout de nos ennemis, puissent circuler en toute tranquillité et venir me mettre au courant de la situation, répondit simplement la vieille sorcière. Parce que oui, ce sont des loups capables de prendre forme humaine, et Peon le sait depuis des années.

Sa main alla de Sery, qui inclina poliment la tête, à Predan, immobile, comme si elle pouvait les distinguer malgré sa cécité. Gretel allait répliquer, mais de sa bouche grande ouverte, aucun son ne sortit. Il lança un regard plein de peur à Hansel. Le même regard qu'il lui avait lancé, des années auparavant, dans la forêt. Le même regard que l'autre jour, au puits. Le chien blessé n'arrivait plus à se défendre. Il ne comprenait rien, et n'était plus capable de donner le change tout seul. Hansel renforça sa prise apaisante sur la maigre épaule du blond et prit la relève. La tempête s'était calmée : à lui de jouer à présent.

— Tout ce que vous êtes en train de nous dire manque de clarté, madame, dit-il avec un calme de diplomate. Nous n'avons pas toutes les cartes en main pour juger de la situation dans laquelle nous sommes. Avant de vous faire confiance, nous devons avoir les détails de cette histoire.

Le ton qu'il employa sembla apaiser les tensions. Agnieszka fut la première à détendre la rigueur de sa posture et le regard qu'elle posa sur lui se fit presque doux.

— Alors, asseyez-vous, jeunes hommes, répondit Iwona. J'ai besoin de calme pour vous raconter cette histoire. Ne vous gênez pas pour vous servir en pain d'épices, vous devez mourir de faim, et l'histoire est longue.

***

Hansel et Gretel s'étaient assis face à Iwona, et la vieille dame se mit à raconter son histoire au coin du feu alors que, dehors, la neige s'était mise à tomber. À l'abri dans la demeure chaude et douillette, tout le monde s'était réuni autour de la sorcière qui faisait son récit à la manière d'une ancienne chargée de la veillée nocturne.

Elle raconta qu'aux premiers temps de Nebol, une amitié existait entre les hommes et les loups, un conte que tous ceux qui habitaient cette bourgade connaissaient. Elle raconta la manière dont les loups avaient de se cacher parmi les hommes une fois qu'ils furent ennemis, puis bientôt l'histoire de Peon et ses efforts depuis des années pour que les deux communautés se comprennent à nouveau.

Et puis, bientôt, elle raconta sa propre histoire. Son enfance dans ce village qu'elle aimait de tout son cœur, puis les services qu'elle procurait à ses comparses en leur fournissant remèdes, potions, et sorts. Les rumeurs dont elle avait été victime, une dizaine d'années plus tôt alors qu'un nouveau seigneur s'installait sur ses nouvelles terres, la menace d'un bûcher si elle ne disparaissait pas au plus vite. Elle qui était guérisseuse, magicienne, Iwona-aux-doigts-d'or, fut chassée par les villageois eux-mêmes, devenant cette « sorcière ». Alors, elle s'était installée ici, à l'abri de tous, protégée par un sort qu'elle avait elle-même conçu.

Elle fit un bond dans le temps, pour remonter à quelques mois. Alors que sa petite-fille, celle qui portait son sang et qui avait hérité de ses pouvoirs, était venue la voir, apeurée, soupçonnée par son sang d'être ce que les habitants appelaient « la sorcière ». Iwona avait alors pris Agnieska sous son aile, la protégeant alors que même son propre fils, à Nebol, l'avait reniée et la pensait coupable. Elle n'aurait rien fait d'autre pour ce village qui l'avait banni sans aucun remords et qui accusait sa petite-fille innocente si Peon Krasny n'était pas venu la trouver. Peon, le protecteur, qui l'avait défendue dix ans plus tôt, la voix sage qui lui avait gagné un temps précieux pour lui permettre de fuir. À lui, elle voulait bien ouvrir sa porte. Elle lui avait envoyé Agnieszka et l'avait accueilli ici, comme elle venait de le faire pour ses invités.

Elle raconta leur discussion, longue. Le dernier des Krasny avait un esprit agile, et développait déjà ses théories. Il savait que ce n'était pas Iwona la coupable, et qu'elle était la victime d'un coup monté. Alors, ensemble, ils avaient imaginé un stratagème pour pouvoir attraper le véritable tueur. Peon ferait son enquête et ils avaient convenu que lorsqu'il aurait des indices, il enverrait ses loups lui porter le message. Ainsi qu'un volontaire, qu'il aurait entraîné préalablement, pour d'une part faire en sorte que ses loups aient une couverture. Il savait que Predan et Sery étaient reconnaissables, et que ses ennemis, s'ils les voyaient se balader seuls en forêt, se douteraient de quelque chose. Et d'autre part, le volontaire pourrait aussi leur servir pour attraper le vrai coupable.

— Vous savez tout, conclut la vieille femme. Voilà la véritable affaire dans laquelle vous vous êtes embarqués.

— Pas tout, non.

Hansel se redressa du fauteuil où il s'était enfoncé.

— Quel était le message que Sery et Predan vous ont apporté ?

— Peon pense avoir trouvé le coupable, répondit laconiquement Predan.

— Mais ça ne sera pas facile de l'attraper, compléta Sery. La coupable, puisqu'il s'agit d'une femme, dispose de sérieux appuis.

— Qui est-ce ?

Les deux loups échangèrent un regard.

— La mère de notre seigneur, selon ce que Peon a découvert.

— La vieille Sofia ? Vous devez vous tromper, elle ne ferait pas de mal à une mouche.

— Détrompe-toi, mon petit, rit presque Iwona. Elle est très douée pour jouer des apparences. Maintenant Agnieszka, montre leurs chambres à nos invités.

Iwona n'en ajouta pas plus, et dans ses yeux blancs le feu ardent se refléta.

***

Elle avait peur. Alors que le sortilège s'était rompu, lui faisant retrouver sa chambre richement décorée, Sofia s'était inquiétée de sa jambe. Certes, le loup n'avait mordu que son image, son empreinte, celle qu'elle envoyait au-delà d'elle-même par un sort compliqué qui permettait à son corps de rester là, allongé dans son lit, paisible comme la vieille dame qu'elle était censée être. Mais il y avait toujours un lien entre ce reflet et son corps même, si bien qu'en se relevant, elle s'était rendue compte que sa jambe ensanglantée avait trempé ses draps. Elle avait pesté en langue ancienne et maudit l'animal.

Elle avait commis une erreur en s'en prenant au chasseur. Elle avait vu, dans le sourire qu'il avait eu la veille, dans ce ton si défiant, une preuve qu'il savait qui elle était et ce qu'elle faisait. Elle avait vu une menace. Il avait fallu l'éradiquer.

Et la voilà maintenant, boiteuse, essayant de masquer la difficulté de sa jambe par une sévère arthrose. Elle savait que le chasseur ne serait pas dupe et verrait clair derrière son jeu. Sofia avait peu de temps : elle devait compter sur les hommes qu'elle avait envoyés et qui suivaient les protégés du protecteur depuis leur départ. Si Iwona n'était pas prévenue, elle avait une chance de s'en sortir. Si les renforts du protecteur n'arrivaient pas, Sofia savait qu'elle pourrait le supprimer en temps voulu. Patience...

Son regard tomba sur un miroir dans le couloir où elle passa. Du temps... Elle en manquait cruellement pour accomplir ses projets. Elle ferma les yeux, mimant une fatigue de vieille femme, et se projeta en esprit dans la forêt. À l'endroit où, enfant, elle se réfugiait si souvent. Comme d'habitude, elle ne vit rien, mais elle sentit une énergie puissante s'y concentrer. Iwona. Elle envoya la sienne, brutalement, et un arbre tomba dans la clairière, frappé par une foudre invisible. Satisfaite, elle rouvrit les yeux, et le miroir lui renvoya un visage où quelques rides de plus s'étaient formées. Elle fronça les sourcils, s'apprêta à le briser de sa simple volonté, mais le passage d'une domestique la retint à temps. Son visage se para d'un sourire bienveillant alors que la jeune femme saluait sa maîtresse.

***

Gretel sursauta, et regarda par la fenêtre. Un arbre venait de tomber, sans raison apparente, à quelques mètres de la maison. Il entendit Agnieska jurer dans une langue qu'il ne comprenait pas, et sortit de sa chambre où il tentait de se reposer. Hansel le devançait de quelques pas.

— Qu'est-ce que c'était ? demanda-t-il en rejoignant l'âtre, duquel Iwona n'avait pas bougé.

— Sofia, comme elle se fait appeler. Elle sait que je sais qui elle est. Que je l'ai retrouvée.

Agniezska se retenait autant qu'elle le pouvait d'aller dehors pour aller injurier leur ennemie, parce que sa grand-mère le lui avait interdit, mais se tenait près de la fenêtre avec des airs de chat furieux, toutes griffes dehors. Hansel s'accroupit près de la vieille dame.

— Comment fait-elle cela ?

Iwona eut un rire, comme si la candeur du jeune homme l'étonnait.

— C'est une sorcière, mon petit, tout comme moi. Nous sommes capables de grandes choses rien qu'en maniant nos esprits, mais cela nous arrache une grande force qui, à nos âges, est difficilement retrouvable... Hormis en prenant certaines dispositions extrêmes pavant un chemin qu'elle semble avoir pris.

Ce sous-entendu glaça Gretel. Il n'avait vu Sofia que très peu de fois, et s'imaginait mal la vieille dame faire ce genre de... démonerie. S'adonner à des bains de sang pareils. Sery, en qui il avait confiance malgré la tromperie dont il avait été l'objet, lui avait intimé de les laisser faire. Que Peon et Iwona étaient les plus qualifiés pour faire face à ce danger. Et même s'il n'aimait pas le fait d'avoir été utilisé, qu'on ait utilisé Hansel, il devait se rendre compte que les deux garçons qu'ils étaient ne pouvaient pas faire grand-chose contre la magie noire d'une sorcière.

— Comment l'arrêter ? demanda Hansel.

Si Gretel, comme d'habitude, se sentait incapable de faire quoique ce soit et laissait les personnes plus compétentes s'en charger, Hansel brillait de cette volonté féroce de changer les choses, à son échelle. Encore quelque chose de laquelle Gretel était complètement amoureux.

— Je vais te montrer, petit.

Pour la première fois depuis leur venue, ils virent la vieille dame se lever de son fauteuil, non sans difficultés, appuyée à sa cane en se cassant le dos. Même aveugle, elle parvenait à trouver son chemin entre les meubles remplis de bibelots sans en casser un seul — Hansel en avait déjà envoyé deux par terre simplement en les effleurant, et ça ne faisait que quelques heures qu'ils étaient ici. Iwona, d'un pas assuré malgré son âge et sa cécité, les emmena à la cuisine où mijotait une soupe de légumes provenant de son petit jardinet. Elle ne s'y arrêta pas, et continua jusqu'à la porte du fond, qui s'ouvrit sur une verrière baignée par la chaude lumière de l'après-midi. De belles fleurs colorées et exotiques s'épanouissaient nonchalamment, défiant les règles élémentaires des saisons, des lianes grimpaient le long des tiges de fer soutenant l'édifice à quelques mètres du sol et, dans le plafond végétal qu'elles formaient dans un petit recoin, un couple d'oiseaux avait installé son nid pour l'hiver. En pleine lumière, un chaudron, à côté d'un vaste plan de travail derrière lequel une gigantesque bibliothèque obèse de livres et de grimoires s'étalait. Gretel constata qu'on était loin, très loin des clichés de la vieille sorcière recluse dans un coin d'ombre et de poussière. La canne eut un bruit étouffé en foulant le sol de terre battue alors qu'Iwona les menait à son chaudron. Les deux jeunes hommes se regardèrent, puis regardèrent le contenu : alors qu'on aurait pu croire à un mélange de couleur et de texture étrange et aux effluves repoussantes, ils trouvèrent un liquide lilas et sirupeux comme du miel, au parfum délicat comme une fleur, reflétant la lumière du jour comme un joyau. Gretel eut envie d'y plonger les doigts et, alors qu'il amorçait un mouvement pour le faire, Iwona l'arrêta en attrapa son bras.

— Les apparences sont trompeuses, tu devrais être le premier à le savoir, l'avertit-elle de sa voix râpeuse.

Elle arracha une feuille d'une rose qui trônait sur son établi et la lâcha dans la potion. Elle marmonna quelques mots que Gretel ne comprit pas, mais un recoin de sa conscience lui indiqua qu'il s'agissait de la langue ancienne, cette langue connue de tous les peuples, née avec les premiers hommes et aujourd'hui disparue, puis la feuille s'enflamma dans le chaudron. Les yeux fixés sur les flammes, Gretel les regarda dévorer et décomposer le morceau de végétal sans aucune pitié.

— Grâce aux indications du chasseur et de ces deux loups, j'ai reproduit à l'identique le parfum préféré du bain de Sofia. Et j'ai ajouté quelques petites choses de mon cru. Pas encore tout à fait prête, il faut attendre encore quelques semaines pour qu'elle atteigne une efficacité parfaite sur un corps humain, et qui plus est aussi rempli de magie que le sien.

Gretel n'avait pas détaché ses yeux du chaudron, dont le liquide était redevenu aussi calme que la surface d'un lac de montagne. Effrayé mais, comme si les flammes avaient déclenché quelque chose chez lui, il prit alors la parole pour demander :

— Et nous, en quoi pouvons-nous vous être utiles ?

Iwona eut un large sourire, comme si elle avait réussi à mettre en difficulté son adversaire derrière l'échiquier. Derrière le blanc laiteux de ses yeux se reflétait une féroce lueur d'intelligence.

— Ne vous inquiétez pas pour ça. Vous allez l'être, et grandement.


Texte publié par Codan, 7 juillet 2019 à 06h19
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