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tome 1, Chapitre 2 tome 1, Chapitre 2

Je ne mis finalement pas longtemps à dompter l'enfant sauvage qu'elle était. Rapidement, les rires d'Aleya furent plus nombreux, et nous devînmes les meilleures amies du monde. En elle se cachait une nature joyeuse, constamment étonnée de tout. Il était facile pour moi, riche d'un héritage millénaire, de lui montrer tout ce que j'étais en mesure de faire. Ma mère m'avait poussée à le faire : c'était mon rôle d'apprendre à Aleya qu'elle aussi était capable de certaines choses.

Une après-midi alors que maman travaillait sur une longue et difficile décoction qui alourdissait l'atmosphère d'une chaleur pesante, elle nous avait envoyées prendre l'air à l'extérieur. De santé fragile, Aleya toussait à cause des épices chaudes du mélange, et devait s'aérer. J'avais donc été chargée de l'accompagner.

Nous avions marché, et nous nous étions retrouvées à l'orée de la forêt. À l'époque, les loups y régnaient encore, et les Krasny, chasseurs de génération en génération, veillaient sur Nebol en les combattant. Bien que je fusse en mesure de repousser les bêtes, mon amie, effrayée, m'avait suppliée de ne pas aller plus loin. Déjà à ce moment, j'étais capable de faire absolument tout ce qu'elle me demandait. Alors, nous nous étions assises à même le sol, dans l'herbe fraîche de l'été, sous le soleil chaud qui caressait nos peaux. Je me souviens que la chevelure d'Aleya, aussi blonde que la mienne était rousse, brillait, peut-être un peu trop. J'avais décidé de profiter de ce temps inopiné pour lui montrer de petits tours.

— Tu reconnais cette fleur ?

— Bellis perennis, récita mon amie avec fierté, ou pâquerette vivace.

J'avais souri comme une sœur fière de sa cadette. Ce n'était pas grand-chose, mais j'étais beaucoup trop contente de voir son teint pâle rougir de satisfaction.

— Regarde.

J'actionnai alors l'index et le majeur, la paume tournée vers le haut, et docilement, la pâquerette avait grandi, grandi, grandi jusqu'à atteindre un peu plus de trois pouces de hauteur. Les yeux bleus d'Aleya s'étaient arrondis.

— Qu'est-ce... Tu es...

— Essaie, lui soufflai-je avant qu'elle n'exprime son dégoût.

Elle dut voir l'espoir dans mes yeux, qui risquait de se muer en tristesse infinie si elle me rejetait. Si elle rejetait sa nature, identique à la mienne, et qu'elle me dénonçait.

— Tu crois... ?

— J'en suis sûre, répondis-je à la question qu'elle n'avait pas formulée.

Elle regarda la fleur, réfléchissant, puis chuchota :

— Ce sera notre secret, alors ?

Mon cœur avait bondi de joie.

— Notre secret, scellai-je du même ton.

Et, les doigts un peu tremblants, elle reproduit mon geste, hésitante, sur la fleur voisine de la mienne. Rien ne vint pendant les cinq premières secondes où j'avais eu le cœur au bord des lèvres, où j'avais eu la peur incroyable d'avoir eu tort, où j'avais craint le pire rejet de ma vie venant de celle qui avait déjà pris une part trop importante dans ma vie. Puis, enfin, la pâquerette grandit à son tour, de deux bons pouces. J'eus un glapissement de joie en serrant ma compagne, incrédule devant le miracle qu'elle venait d'accomplir.

— Tu as réussi ! Tu es comme moi !

— Comment... ?

— Tu es la septième fille d'une septième fille, maman m'a dit, lui expliquai-je. Avec toi commence une nouvelle lignée de... enfin, tu vois.

Je me refusais de prononcer le mot interdit, qui nous définissait pourtant, mais qui pouvait nous attirer des ennuis mortels.

— Moi, ma lignée est très ancienne. Ma mère l'est, ma grand-mère, et ainsi de suite jusqu'à venir à la septième fille d'une septième fille qui a fondé notre famille.

— Que des femmes ? demanda-t-elle.

— Oui. Les hommes n'héritent pas du pouvoir. Certains si, mais ils sont rares, et ne peuvent pas l'exercer. Ce sera leur fille qui pourra le faire, mais c'est arrivé très rarement d'après maman.

Elle me regarda et ses yeux, déjà preuves d'une intelligence rare, me fixèrent. Elle finit par dire :

— C'est un pouvoir que seules les femmes ont alors ?

Dans le monde patriarcal qui nous avait vues naître, ce don était méprisé car appartenant à des femmes, et il était surtout terrifiant pour ceux qui ne pouvaient le contrôler. Les hommes, ayant déjà le monde entre leurs mains, ne pouvaient tolérer que des femmes puissent les renverser et dressaient de nous des portraits horrifiants. Au mieux, la société nous mettait au ban, au pire, nous étions brûlées. Alors, nous vivions dans la clandestinité. Mon propre père, comme beaucoup d'époux, était maintenu dans le mensonge, par précaution.

— Oui, confirmai-je avec un sourire. Nous seules.

Je n'avais pas conscience à cette époque que je venais d'envoyer la première allumette dans le brasier de sa colère.

Extrait du journal d'Iwona, année soixante-huit, huitième lune, quinzième jour.

***

— Hansel, arrête !

Hansel n'écouta pas son ami, pas plus qu'il ne baissa la main. Le front haut, il croisa le regard de l'homme en rouge, qui s'attarda sur lui. Peon Krasny se fraya facilement un chemin dans la foule pour venir près du jeune homme. Les yeux noirs du protecteur affrontèrent presque ceux d'Hansel, qui ne les baissa pas, demeurant figé dans une attitude de défi. Il faisait presque une tête de plus que Peon, mais celui-ci n'en restait pas moins imposant par son charisme. L'homme lui attrapa le bras, l'amena sur scène d'un pas vif et demanda d'une voix forte à la masse humaine à leurs pieds :

— Pas d'autre volontaire ?

Tandis que les hommes étaient trop occupés à éviter le regard scrutateur de leur protecteur, Hansel chercha Gretel dans la foule et le trouva. Ses prunelles vertes reflétaient une terreur sans nom qui semblait le secouer tout entier. Hansel lui lança un sourire rassurant, avant que Peon ne disperse les badauds et ne le prenne à l'écart. Il allait chercher cette sorcière, la ramener, empocher les trois mille livres et payer la Grusha. Ensuite, il n'en savait encore trop rien. Prendre Gretel sous le bras et partir loin, certainement.

— Ton nom ?

La voix de Peon, dure, fit revenir Hansel de ses songes. L'homme le jaugeait d'un regard aiguisé, et Hansel se sentit soudainement trop petit. Il tenta d'un bras de couvrir sa poitrine encore nue, et répondit le plus assurément qu'il put :

— Hansel.

— Hansel comment ?

Son nom, il l'avait oublié. Il l'avait volontairement oublié.

— Juste Hansel.

Peon haussa un sourcil intrigué, mais ne fit aucune remarque. Il échangea un rapide regard avec son acolyte, qui le suivait comme une ombre.

— Très bien, Hansel, je te donne rendez-vous demain, à la lisière de la forêt sur le chemin des loups. On commencera ton entraînement.

Alors que le protecteur se retournait pour partir, Hansel le retint :

— Mon entraînement ?

Peon eut un rire étonné, presque moqueur, qu'il partagea avec son compagnon.

— Eh bien oui... Tu crois que tu vas pouvoir partir à la chasse à la sorcière sans savoir tenir un arc ?

Sans attendre de réponse, Peon Krasny le quitta en faisait virevolter sa cape rouge derrière lui. Ce n'est qu'à ce moment qu'Hansel se demanda s'il avait bien pris la bonne décision.

***

Gretel n'en pouvait plus. Il ne savait vraiment pas comment il était revenu jusqu'au cabaret de la Grusha, accroché au sac à provisions comme si sa vie en dépendait. Dans un état second, il ne pensait qu'à Hansel, qu'à son geste tellement fou, il n'avait que la voix de Peon Krasny en boucle dans la tête, relayée par les images toujours vives de cette pauvre fille complètement défigurée et lacérée. Impossible pour lui de faire autre chose, et la Grusha l'avait bien compris. Exaspérée par son manque d'attention, elle lui avait interdit de travailler et ordonné de s'aérer la tête, ce qui ne s'avérait pas très facile. Au gré de ses errances, il avait fini par revenir à l'atelier de Fyodor, et attendait devant l'entrée, assis sur un muret. Tordant ses mains l'une contre l'autre, il resta insensible au froid mordant qui tombait avec la nuit et continua de patienter, jusqu'à ce que les premiers employés du forgeron sortent. Vint le tour d'Hansel, qui discutait avec son voisin, insouciant comme à son habitude. Lorsque ses yeux tombèrent sur Gretel, il s'excusa pour rejoindre son ami.

— Qu'est-ce que tu fais là ? Tu ne travailles pas ce soir ?

Gretel plongea dans la douce couleur chocolat des prunelles d'Hansel et y chercha le calme qu'il y trouva habituellement, sans succès. Une forte envie de se réfugier entre les bras puissants du jeune homme se fit ressentir, mais il la combattit.

— Je... J'agaçais la Grusha, elle a fini par me laisser la soirée...

— C'est vrai ? C'est rare, dis donc !

Hansel passa un bras autour des épaules de son ami tandis qu'ils rentraient au cabaret. Son attitude était tellement normale que Gretel, sur les nerfs pendant toute la journée, ne la comprit pas du tout.

— Peon Krasny va commencer mon entraînement demain. J'ai prévenu Fyodor que je ne reviendrais pas avant longtemps, il m'a traité de fou furieux !

— Ton... entraînement ?

— Bah oui, pour... enfin tu vois...

Gretel serra les lèvres l'une contre l'autre pour s'empêcher de crier. C'était un cauchemar. Un pur cauchemar.

Ils continuèrent d'avancer, traversèrent la ville alors qu'Hansel parlait. Gretel ne l'écoutait que distraitement, trop perturbé par l'angoisse qui bourdonnait à ses oreilles et qui s'était emparé de tout son être. Le gai papotage du grand brun finit par avoir raison de lui. Il céda à la colère qui grondait dans sa poitrine.

— T'es complètement dingue, articula-t-il difficilement.

Hansel, interrompu au milieu d'une phrase, souffla :

— Quoi ?

— T'es même pas conscient de ce que tu fais, hein ? continua Gretel.

Il tourna la tête pour regarder son ami, qui lui fit tout pour l'éviter. Gretel se débarrassa de son bras pour s'éloigner de quelques pas.

— T'es au courant que ce qui habite là-bas n'est même pas humain ? Que tu vas finir en charpie ?

Laissant la colère se mêler à l'angoisse, il lança ses mains pour attraper le visage d'Hansel et le forcer à le regarder. Pendant un long moment, ils se fixèrent immobiles et silencieux. Gretel ne parvint pas à lire ce qu'il vit dans les prunelles de son ami, ce qui acheva de l'énerver. Hansel lui cachait volontairement ce qu'il ressentait. Il le lâcha.

— Alors tu vas partir, comme ça ? Et tu vas me laisser ?

De tout ce qu'il éprouvait, c'était sans doute la peur d'être abandonné qui le secouait le plus.

— Gretel, arrête de dramatiser, je...

— Dramatiser ? Est-ce que tu as vu ce qu'elle a fait aux filles, Hans ? Est-ce que tu l'as vu ?

Hansel soupira.

— Oui, mais...

— Alors comment peux-tu aller là-bas serein ? Comment tu peux y aller alors que tu risques d'y rester, et...

— J'y vais pour toi, Gret. J'y vais pour toi.

Les moulinets que le blond faisait avec ses bras se stoppèrent.

— Si je réussis, j'aurais trois mille livres. Si je réussis, tu pourras arrêter tout ça. On pourra partir ailleurs.

Dans les yeux d'Hansel ne brillait que la détermination, une détermination presque effrayante. La voix de Gretel trembla lorsqu'il répondit :

— Je ne t'ai pas demandé ça. Jamais.

— Je sais, mais tu comprends...

— Ce que je comprends c'est que c'est dangereux. Et que ça ne vaut pas la peine que tu partes, surtout pas pour moi. Tu m'as promis.

— Je sais, répéta Hansel.

— Tu m'as promis !

Gretel se tordit les mains, avant de tourner les talons et d'avancer presque furieusement dans la rue. Un peu plus et il aurait cédé aux larmes.

— Eh, où tu vas ?

— Je rentre ! Fais ce que tu veux !

Le jeune homme essuya son visage d'un revers de manche et accéléra le pas. Il lui fallait un bain brûlant dans lequel il pourrait noyer tout ce qui s'emparait de son esprit.

***

En rentrant chez la Grusha, par-derrière, Hansel avait espéré de pas se faire remarquer. Les filles se préparaient pour la soirée, et voir de jeunes femmes en plein habillage dans les couloirs lui était gênant, surtout lorsque les rencontres étaient ponctuées de gestes exagérément inviteurs. Mais il avait surtout espéré croiser Gretel, ce qui ne fut pas le cas. Même sa chambre, qu'il avait osé pénétrer, était vide. Sans doute était-il sorti prendre l'air et se changer les idées... Il détestait le savoir dehors, mais il savait également que s'il essayait de le retrouver, Gretel allait le renvoyer en lui criant dessus comme une poissonnière.

Hansel soupira, désemparé, puis monta sous les combles, dans sa propre chambre. Il déverrouilla la porte, puis avec surprise trouva son ami recroquevillé sur son lit, ses bras serrés autour de lui. Le cœur d'Hansel se fissura, et sa mémoire lui fit revoir le petit garçon d'il y a dix ans.

— Eh...

Gretel ne réagit pas. Hansel se pencha sur lui, retira le voile de cheveux blonds qui masquait son visage et remarqua que son ami avait pleuré. Ses mains tenaient fermement l'oreiller contre lui, les phalanges blanches de trop le serrer. Hansel caressa sa joue, puis s'allongea derrière lui en passant son bras sur ses hanches. Il pensa simplement que la forme de Gretel s'accorda parfaitement avec la sienne avant de s'endormir.

***

La chaleur. Une douce chaleur qui l'enveloppait et qui le faisait se sentir chez lui. Une sensation de bien-être qui envahissait son corps tout entier et berçait son cœur. Gretel savait que ça ne pouvait dire que d'une chose.

Le bras d'Hansel passé autour de ses hanches reposait tranquillement. Gretel sourit presque malgré lui et, persuadé du sommeil de son ami, joua à se faire entremêler leurs doigts. Ce qu'il était bien... Il adorait le sentir près de lui, contre lui. Il l'aimait. Depuis le premier jour où ils s'étaient croisés, il en était tombé follement amoureux et ne parvenait même plus à s'en défaire.

Il se retourna avec précaution pour regarder son visage. Hansel avait toujours cet air paisible quand il dormait qui semblait le rajeunir. Gretel passa ses doigts sur sa joue, soupira d'aise puis retint sa respiration pour sentir le souffle lourd d'Hansel s'échouer sur ses lèvres. Lorsque la tentation fut trop grande, lorsqu'il se sentit prêt à céder, il s'écarta aussi doucement qu'il put et descendit les étages pour retrouver sa propre chambre, les jambes tremblantes et le cœur battant.

***

Au réveil, Hansel ne trouva plus trace de son ami. Il se frotta le visage vigoureusement, essayant de s'arracher au sommeil et machinalement reprit la routine qu'il avait depuis toujours. Il mangea seul ce matin-là : malgré l'étreinte de la nuit, Gretel lui en voulait encore. Ce ne fut qu'une fois sur la route de chez Fyodor qu'il se rendit compte de son changement de programme : il devait se rendre sur le chemin des loups où Peon Krasny l'attendait.

L'homme en rouge était là, accompagné de trois loups dont l'un ne décollait pas de sa cuisse. Un autre, grand et massif, le regarda arriver avec un œil méfiant tandis que le troisième, d'un blanc hivernal, restait couché aux pieds de Peon. Impressionné par le tableau, Hansel s'arrêta à quelques mètres. Le chasseur ne s'aperçut de sa présence qu'après plusieurs minutes, occupé à flatter la fourrure de son animal.

— Hansel, approche. N'aie pas peur de Predan, il ne te fera rien.

Le jeune homme avança, surveilla ledit Predan du regard.

— Il va falloir que tu t'habitues à eux, ils vont t'accompagner durant ton voyage. Du moins Predan et Sery, Bely est incapable de faire de longues distances.

— Pou... Pourquoi ?

— Tu ne crois tout de même pas que je vais envoyer un garçon fringant comme toi seul dans la forêt ? Ils te protégeront, j'ai entièrement confiance en eux. À moins que tu aies un problème à faire route avec des loups ?

Peon lui lança alors un regard glacial, et Hansel secoua la tête. Il n'avait jamais approché des bêtes, mais il savait qu'il ne fallait pas l'avouer au protecteur.

— Bien. Maintenant, suis-moi.

Peon s'enfonça dans la forêt, talonné de près de ses trois loups. Hansel fut un moment ébloui par la longue cape rouge qui suivait les mouvements du protecteur.

— Il n'est pas là, l'homme d'hier qui était avec vous ?

Peon eut un sourire qu'Hansel ne parvint pas à interpéter Ils s'arrêtèrent au milieu d'une clairière et le chasseur lui ficha une arbalète dans les bras.

— Je vais t'apprendre à te servir de ça. C'est assez facile quand on a de la force et un peu d'expérience.

Hansel faillit lâcher l'arme par terre tellement il était surpris. Il avait plutôt pensé à une épée ! L'arbalète ne ressemblait pas vraiment à une arme de héros. Peon lui lança un regard amusé, en lui expliquant que c'était un outil très utile pour chasser le gibier. Il lui montra le mécanisme, décochant un carreau qui alla se loger dans l'écorce d'un arbre à une quinzaine de mètres, puis lui demanda de faire la même chose. Hansel découvrit qu'il fallait une force réelle et mesurée pour pouvoir ne serait-ce que placer le carreau, puis déclencher le mécanisme. Son premier carreau partit se perdre dans un fourré et Hansel rentra la tête dans les épaules de honte. À côté de lui, Peon éclata d'un rire franc, lui tapa dans le dos en lui disant :

— Nous avons beaucoup de travail !

***

S'échapper une journée de l'emprise de la Grusha était incroyable. Manquer deux jours de suite tenait du miracle. Gretel avait suivi son ami, tôt, passant par la porte de derrière en évitant les yeux scrutateurs de sa patronne. Il était là, caché dans un fourré, et regardait Hansel enchaîner les carreaux avec de plus en plus de dextérité. Immobile, incapable de faire autre chose que de regarder, il avait peur. Il avait tellement peur que cette angoisse lui serrait le cœur et le faisait trembler.

Hansel apprenait à manier une arme. C'était une tout autre chose que de les fabriquer.

Alors que l'un des loups du protecteur s'approcha dangereusement du fourré où il était caché, il se leva brusquement et se mit à courir en direction du village.

***

Predan revint vers eux et se rangea à côté de Peon qui le caressa derrière l'oreille.

— Un problème ? demanda Hansel.

— Certainement quelqu'un qui nous regardait. Predan est très sûr. Tu ne serais pas pour une pause, dis-moi ?

Hansel hocha la tête, fatigué. Il commençait à maîtriser l'arbalète, mais à quel prix ! Les muscles de ses bras lui faisaient souffrir le martyre, de l'épaule jusqu'au poignet. Il massa son omoplate douloureuse, tandis que Peon ramassa les carreaux restants et ouvrit la marche plus loin encore dans la forêt. Hansel le suivit avec un petit temps de retard.

— Pour survivre, il faut savoir où trouver de la nourriture, de l'eau, savoir où dormir.

Peon était un maître exigeant qui demandait de son élève une grande mémoire. Tout le reste de la journée, ils la passèrent de cette manière. Hansel en apprit beaucoup plus sur toutes les plantes et la vie dans la nature qu'il ne l'avait jamais cru possible. L'homme en rouge était une encyclopédie à lui tout seul, qui en disait rarement sur lui. Le lien qu'il avait avec ses loups était une chose assez étrange, comme si chaque caresse, chaque regard qu'ils avaient étaient un dialogue. Les bêtes avaientdes yeux pleins d'intelligence, et cela déstabilisait beaucoup Hansel.

À la fin de la journée, Peon le libéra en lui donnant rendez-vous pour le lendemain. Une semaine s'écoula ainsi, malmenant ses muscles et ses neurones, mais Hansel se dit que le jeu en valait bien la chandelle. Il se sentait comme grandi.

Quant à Gretel, il ne le croisa pas : le jeune homme s'acharnait à l'éviter avec méticulosité. Et pourtant, il faisait tout ça pour lui... Il espérait tous les soirs le retrouver dans sa chambre, endormi sur son lit, le nez dans son oreiller, mais Gretel ne revint pas, et ce soir-là ne serait certainement pas une exception. Il pensait à ses nouveaux apprentissages, en se demandant quand est-ce qu'il allait pouvoir relaxer ses muscles endoloris dans un bon bain quand il entendit crier.

Ce n'était pas n'importe quelle voix : c'était celle de Gretel.

Il fonça tête baissée sans se poser de question.

***

Elle avait besoin de force. Toujours plus de force. La sienne s'amenuisait de jour en jour, et elle était de moins en moins capable de mobiliser sa magie. Son corps débile perdait de sa souplesse, de sa vitesse, de sa grâce, de sa beauté. Mais pire que tout : cela commençait à atteindre ses capacités mentales. Elle qui a toujours eu l'esprit vivace se sentait de plus en plus freinée dans sa réflexion par le poids de la vieillesse. Et elle refusait ça.

Tant pis si ce n'était pas la pleine lune, elle avait besoin de force. Encore. Qu'elle allait puiser dans une autre ravissante jeune femme, à qui elle volerait la beauté. D'une nature jalouse, elle détestait les voir si jeunes, si belles, si rayonnantes, se pavaner comme si elles avaient toute la vie devant elles. Elle allait être le juge qui en déciderait autrement, la main qui allait faucher leur jeunesse, la bouche qui allait s'emparer de leur âme.

Sa prochaine victime, délicieuse, était en train de tirer l'eau du puits, dans une robe affriolante qui la seyait tellement bien que c'en était indécent. Elle allait la punir d'être aussi jolie. Elle s'approcha à pas de loup, dans son dos.

***

La Grusha n'avait pas du tout aimé les deux jours de congés qu'elle avait dû donner à Gretel. Mais alors pas du tout. Et elle lui faisait comprendre : pas de représentation de Galya pour le mois. Néanmoins, la Grusha l'avait forcée à s'habiller, et Gretel se baladait dans la salle en regardant ses collègues faire leur numéo et enchaîner les clients. Bien sûr qu'il avait aussi des clients, mais beaucoup moins. Et puis, la Grusha aimait bien l'envoyer aller laver les nombreux verres, en cuisine, histoire de bien tremper sa tenue et faire couler son maquillage.

En robe et jupons, Gretel alla chercher de l'eau sur la place du village. Le froid de la nuit lui mordit le corps mais la colère décuplait ses forces. Un jour, il serait libre, un jour, il partirait de ce trou et irait n'importe où où la vie pouvait être meilleure. Un jour, il ferait payer à cette femme sa méchanceté.

Alors qu'il actionnait la manivelle pour remonter son premier seau, Gretel sentit une présence dans son dos. Il n'y fit pas attention : sans doute un homme qui aurait reconnu sa provenance et qui cherchait un peu de chaleur féminine. Gretel n'interrompit sa manœuvre qu'une fois qu'il sentit un bras se glisser autour de ses hanches.

— Bon ça suff...

En se retournant, une main l'avait bâillonné. Une main ridée aux doigts longs terminés par des ongles qui n'en finissaient pas. Il entrevit, sous le capuchon sombre qui masquait à demi le visage de son agresseur, un sourire carnassier. Un frisson tomba le long de son échine, le glaça tout entier, avant qu'un coup d'adrénaline ne se décharge dans ses membres et ne lui fasse retrouver ses mouvements. Ses dents se plantèrent dans la main qui le maintenait muet, il lança sa jambe dans le ventre de son agresseur en déchirant sa jolie robe et partit, courant et hurlant.

Sans savoir comment, il se retrouva dans entre des bras qu'il connaissait par cœur, ses poumons s'emplissant d'une odeur chérie.

— Qu'est-ce qu'il se passe, Gretel ?

Ses yeux trouvèrent ceux d'Hansel, et ce ne fut qu'à ce moment qu'il se rendit compte que son corps tremblait. Et pas uniquement à cause de la fraîcheur de la soirée.

— La sorcière... Je crois que je l'ai vue...

Il sentit Hansel se tendre.

— Tu crois, ou tu l'as vraiment vue ?

— Je sais pas ! J'ai vu une vieille encapuchonnée qui a essayé de... de...

Gretel eut un long frisson, ne parvenant même pas à mettre en mots l'horreur dont il a failli être victime. Soudainement, Hansel se sépara de lui, empoigna sa main et le tira avec force vers l'établissement de la Grusha.

— Hé !

— Pourquoi tu te balades comme ça ? La sorcière attaque les femmes ! Pas étonnant qu'elle t'aie pris pour cible ! Tu la cherchais, ou quoi ?

Hansel se mettait très rarement en colère. Gretel pouvait voir sa mâchoire se tendre et sa poigne lui faisait presque mal aux doigts.

— J'y suis pour rien, c'est la Grusha qui m'a donné des ordres ! Et lâche-moi, tu me fais m...

Hansel arrêta leur course, et abaissa son visage à hauteur du sien. La lueur de ses prunelles était presque sauvage, et pour la première fois Gretel eut peur de lui.

— Je vais aller tuer cette sorcière, que tu le veuilles ou non.

Son ton n'acceptait aucune discussion, mais de toute façon Gretel ne trouva pas sa voix pour ça.


Texte publié par Codan, 24 mars 2019 à 08h29
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