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tome 1, Chapitre 29 tome 1, Chapitre 29

– Mon Dieu, Cléandre, tu es vivant et en pleine forme !

Sans lui laisser le temps de réagir, je lui saute au cou... et recule aussitôt. Pas à cause de sa quasi-nudité, ce point aurait plutôt tendance à provoquer l'effet contraire, mais à cause de la température de sa peau. Bien trop chaude.

– Tu es resté sous une couette de plumes d'oie pendant des heures ou t'as de la fièvre ?

– Un peu des deux, je dirais...

Sa voix éraillée, ses yeux rougis et cernés ainsi que son souffle court en témoignent : mon amoureux est malade. En écho aux gestes de ma mère lorsque j'étais petit, je pose ma main sur son front, puis sur sa nuque. C'est ce que je redoutais : il est brûlant.

– Qu'est-ce qui te prend de débarquer comme ça ?

– Tu répondais pas à mes messages !

– Je dormais... ta petite séance de photo m'a collé la crève.

– Je vois ça, tu as au moins 39 !

– Je sais pas, j'ai pas vérifié. Maintenant, si ça te gêne pas, je vais retourner me... Nathéo, où sont tes béquilles ?

Très bonne question, à laquelle je n'ai pas de réponse. Dans les escaliers, sans doute ? Un soupir lui échappe. Il m'ordonne d'aller m'asseoir avant de sortir dans le hall, chancelant. Lorsque je fais mine de le suivre, son regard fatigué et sévère me cloue sur place. Mauvaise idée. Avant de rebrousser chemin, je lui propose mon manteau. Je ne voudrais pas que le courant d'air de la cage d'escalier aggrave son état, puis, les épaules voûtées, je gagne sa chambre.

Quel soulagement quand la pression sur ma cheville s'atténue enfin ! Dans le feu de l'action et de l'inquiétude, je ne m'étais pas aperçu qu'elle me faisait si mal. À présent qu'elle repose sur le couvre-lit, elle me semble pulser et la douleur irradie jusqu'à ma hanche. Bien sûr, je n'ai pas d'antalgiques sur moi ; je n'en ai plus besoin depuis plusieurs jours, alors ils restent sur ma table de chevet.

La porte claque. Des pieds nus sur le carrelage aussi, puis Cléandre fait irruption dans la chambre, mes béquilles à la main. Il semble encore plus mal qu'avant, pourtant, il ne vient pas s'allonger. Après avoir posé les fabriques à ampoules de mains contre son mur, il disparaît dans le couloir, pour revenir avec deux verres.

– On trinque à l'ibuprofène ?

Cléandre, l'homme providentiel.

– Si tu te prépares pour jouer les garde-vieillards pour nos vieux jours, tu fais ça très bien !

Il lève les yeux au ciel sans parvenir à cacher son amusement et vide son verre avant de s'allonger. Un demi-sourire aux lèvres, je l'imite. Le temps que je repose mon verre, il s'est déjà endormi. Les sourcils froncés, la bouche entrouverte, il ronfle légèrement. Son corps frissonne. Avec tout ça, j'ai oublié de lui faire prendre sa température.

Alors, je fomente des plans pour tenter de réparer mon erreur sans bouger et sans le réveiller. Rien de concluant ne ressort de cette tempête de cerveau en solo et, en désespoir de cause, j'appelle la seule personne capable de me tirer de ce « mauvais pas » : ma mère.

Sitôt qu'elle décroche, elle me râle dessus : elle est au travail et je devrais être en cours. Elle espère que j'ai une sacrée bonne raison de la déranger. Même si je me sens un peu idiot, je lui expose la situation. Elle soupire, me conseille de tout simplement coincer le thermomètre sous l'aisselle de Cléandre, sans oublier d'ajouter 0,5 degré au résultat, puis me prie de bien vouloir lui envoyer un texto pour la tenir au courant de l'état de mon amoureux.

Avant de me lancer dans la folle aventure de la température, j'attends que le médicament agisse. Sitôt que la pulsation douloureuse disparaît, je me jette à corps perdu dans la recherche du thermomètre. En réalité : je retourne ses deux salles de bains sans rien trouver jusqu'à réaliser que je ne cherche pas le bon format de thermomètre. J'en cherchais un classique, le sien est, d'après le nom sur la boîte, un thermomètre auriculaire. Bien, ça me facilitera la tâche.

C'est ce que je croyais en tout cas jusqu'à devoir me contorsionner pour introduire l'embout dans son oreille sans le tirer du sommeil. Je dois m'y reprendre à trois reprises, puis comparer avec l'autre côté pour être sûr du résultat. J'en ai des sueurs froides. Mon amoureux a presque quarante de température.

Commence alors une surveillance aiguë du malade. Toutes les dix minutes, je dois vérifier son état, puis faire un rapport détaillé à ma mère. Au début, tout va bien, l'ibuprofène fait effet. Mais très vite, les choses se gâtent. Le thermomètre s'affole de nouveau. Cléandre alterne entre les phases de réveil, me regarde apathique pendant quelques secondes, reste parfois éveillé quelques minutes, puis replonge dans son état semi-comateux.

À midi, ma mère débarque à l'appartement ; elle a pris son après-midi et compte bien s'occuper de son « gendre ». Si elle commence à se montrer belle-mère poule, on est pas sorti de l'auberge. Impérieuse, elle fait irruption dans la chambre et prend d'autorité la place au chevet de Cléandre.

– Mon pauvre petit chou, tu as l'air bien mal en point !

– Euh... bonjour ?

– Oh, et ta voix mon pauvre chéri! Tu as des médicaments? Tu as vu un médecin? Tes parents sont au courant ? On va s'occuper de toi! Nathéo, fais chauffer de l'eau, cherche des tisanes, du miel, je vais vérifier l'armoire à pharmacie de ton amoureux !

En moins d'un quart d'heure, elle a visité tout l'appartement, lui a préparé une soupe, a voulu téléphoner à un docteur — il est miraculeusement parvenu à l'en empêcher —, lui a redonné des cachets et fait avaler une tisane. Lui, il m'a lancé des regards un peu affolés, l'air de se demander ce qu'il lui arrivait. Moi? J'ai juste esquissé des sourires désolés en attendant qu'elle se calme : ma mère peut rivaliser sans peine avec les tornades lorsqu'elle joue les gardes-malades.

Ce tourbillon incessant ne nous abandonne qu'en fin d'après-midi, après avoir passé plus d'une heure au téléphone avec... Gladys, et obtenu d'elle qu'elle vienne passer la nuit chez elle. Au cas où l'état de son fils empirerait. Avant de partir, ma mère a encore tenu à vérifier sa température et à me transmettre les conseils de base : ne pas trop le couvrir, veillez à le faire boire régulièrement, ne pas surdoser les médicaments. Elle ne consent à vider les lieux que lorsqu'elle est sûre qu'il dort paisiblement.

Mais sitôt la porte d'entrée fermée, Cléandre se redresse. Il plisse les yeux et me fixe un long moment d'un air un peu vide avant d'esquisser un sourire las.

– Ta mère m'a vidé.

– D'habitude, c'est mon job, ça, ricané-je, fier de ma blague graveleuse.

Sa bouche se pince, mais ne parvient pas à cacher son amusement.

– Elle ne serait pas un peu envahissante, quand même, ta mère ?

– Ha, non, là, elle s'est retenue ! Comment t'as fait pour éviter le toubib ? Si par malheur je suis dans ton état, elle fait directement venir le médecin traitant. Une fois, elle l'a même menacé d'appeler le samu s'il venait pas au plus vite !

– Et tu avais quoi ?

– Une simple otite, pas de quoi fouetter un chat même si la fièvre est impressionnante. Dis... tu as pris froid à cause de moi ? À cause de la séance photo sous la pluie ?

– Non, ce n'est pas de ta faute. On fait souvent des bronchites dans la famille, il suffit que l'air soit un peu trop pollué et qu'un microbe croise notre route et ça nous terrasse. C'est l'affaire de quelque jour, t'en fais pas.

Il m'attrape par la nuque, en douceur, m'attire contre lui avant de m'installer entre ses jambes, dos contre torse et de nouer ses bras autour de ma taille. Sa chaleur se répand aussitôt dans mon corps. Son souffle chaud me chatouille le cou. Je ne devrais pas trouver ça si agréable, et pourtant, je soupire d'aise.

– Tu fais un peu bouillotte humaine en ce moment.

– On a eu un chat qui s'appelait Bouillotte, tiens. Il était magnifique, tout noir avec seulement les pattes blanches. Ah, et il avait aussi une tache blanche sur le nez. Capucine l'avait reçu pour son anniversaire, elle s'en est jamais occupée. Les animaux comme cadeaux, c'est vraiment pas la meilleure des idées.

– Tiens, en parlant d'anniversaire, c'est bientôt celui de Jared ! Il va avoir dix-huit ans et veut faire une fête.

Lorsqu'il parle, sa voix vibre jusqu'au creux de mes os.

– Dix-huit ? Il a sauté une classe ?

– Non, il a juste commencé en moyenne section parce que sa mère est prof et qu'il connaissait déjà le programme de petite section.

Je me dégage doucement de son étreinte pour lui faire face. Ses yeux se plissent, interrogateurs.

– Tu veux me demander quelque chose ?

– Oui, je... voudrais qu'on aille à cette soirée tous les deux. En tant que couple.

Ses paupières se ferment, son visage se crispe. Je m'empresse de préciser que la soirée sera plutôt privée. Très peu d'invités, que des gens sûrs, des gens ouverts d'esprit — après tout, je suis bisexuel, Jared veille toujours à me protéger. Mais ça ne suffit pas.

De sa voix éraillée, d'un ton à peine audible, Cléandre m'assène un « Hors de question ». La raison ? Contre toute attente, ce n'est pas sa sexualité ; il déteste juste les anniversaires.


Texte publié par Carazachiel, 28 mai 2020 à 22h51
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