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tome 1, Chapitre 25 tome 1, Chapitre 25

Les sourcils froncés, Cléandre dépose ses clefs dans un petit panier noir trônant sur une commode moderne.

– Tu es bien silencieux depuis que nous sommes partis de l'hôpital. Même là-bas, tu l'étais. Il était trop tôt ?

– Non, mais ça fait beaucoup d'un coup. En plus, je découvre une facette totalement inconnue de toi, je veux dire, t'es ouvertement gay et heureux de l'être avec eux, j'aurais jamais soupçonné ça. Ça me met un peu mal à l'aise.

Ses mains attrapent les miennes, m'attirent à lui pour un tendre baiser.

– Pourquoi ça ?

– Sarah m'en avait parlé aussi. Enfin, elle a évoqué ce problème.

– Quel problème ?

Sa voix douce, exempte de jugement ou d'agressivité m'incite à poursuivre. Soudain, la sensation que je ne le mérite pas m'étreint. Il se montre d'une telle patience quand moi, je ne lui offre que mes caprices.

Soudain, je n'ai plus envie de poursuivre la conversation. Je sais d'avance que je vais passer pour un gamin capricieux, ce qui n'aura rien d'agréable.

– Nathéo ? Tu peux tout me dire, tu sais. Je ne te jugerai pas. Jamais.

– Pourquoi tu es si gentil avec moi ? Je suis un sale gosse !

Ses yeux se voilent de tristesse. Il ne répond pas, mais déglutit. Je l'imite avant de débiter aussi vite que je le peux :

– Ne m'interromps pas, OK ?

Il hoche la tête tandis que je poursuis.

– Je me suis tellement focalisé sur moi-même que je te connais à peine. Je savais que tu étais out auprès de tes parents, mais jamais j'ai imaginé que toute ta famille pouvait savoir ! Clarenz, Ava, tes grands-parents et même ton arrière-grand-mère ! Et aussi, je croyais que tu mentais, pour ton arrière-grand-mère. Je t'ai fait une scène alors qu'elle est vraiment malade, je savais pas que tu attendais les résultats de son opération et...

– À ce propos, tu as eu raison de râler. J'aurais dû te dire que j'attendais ce SMS, tu ne pouvais pas deviner. Seulement, je restais méfiant vis-à-vis de toi, trop méfiant. Trop peur de souffrir encore. Sortir de ma zone de confort, c'était aussi effrayant que compliqué, alors j'ai préféré faire comme si je n'avais pas besoin de te parler. Comme si tu n'en avais pas besoin.. J'avais tort, garder mes secrets ne signifie pas que je dois tout te taire. Je te promets de faire un effort là-dessus.

– Ça veut dire que certains de tes secrets resteront... à jamais secrets ?

Ses doigts caressent ma joue. Ses lèvres rejoignent une fois encore les miennes, puis il chuchote :

– J'en ai bien peur. Mais concernant mon histoire avec Kaname... je te le dirai. Quand je serai prêt.

Mon cœur manque de se figer. C'est la première fois qu'il me parle de lui-même de Kaname. Il remue, ferme les yeux. Sa mâchoire se crispe, puis il expire lentement. Me parler est compliqué pour lui, ça ne fait aucun doute.

– Mais je peux déjà te dire que c'est à cause de lui que j'ai voulu qu'on aille faire le test du VIH. Il était séropositif, il l'a découvert après que nous ayons eu... un rapport non protégé. Ma première fois.

Mes yeux s'écarquillent : j'étais loin de me douter d'une telle histoire ! Et son utilisation du passé...

Malgré une alarme tonitruante dans un coin de ma tête, je pose la question qui me brûle les lèvres. Au pire, il refusera de répondre.

– Il était ? Il est mort du Sida ?

La douleur remplace la tristesse dans ses yeux. Pourtant, à ma grande surprise, il secoue la tête ; grâce à ses traitements, le virus ne s'est jamais développé, son ancien amant n'a donc jamais été au stade du SIDA. Je ne comprends pas tout, pour ne pas dire rien. Mais pour une fois, je demeure muet. J'irai chercher des informations sur noddle plus tard.

Toute la portée de ses mots m'atteint soudain.

– Attends, Cléandre... ça veut dire que tu es peut-être...

– Non. Pas du tout. J'ai eu de la chance, je n'ai pas été infecté. Mais je tiens quand même à faire ce test avant qu'on se passe de capote.

Il se penche sur moi, mordille mon oreille.

– Et j'ai vraiment hâte, le glissement est bien plus jouissif sans latex.

Son front se pose sur mon épaule. Un gloussement gêné lui échappe.

– Je n'ai pas parlé comme ça depuis mes seize ans, je crois, je me sens à la fois détendu et ridicule, c'est horrible.

– Ainsi donc, il y a un vrai humain sous la croûte Cléandresque, me moqué-je.

– Un humain ? Va savoir, je suis peut-être une fée, comme Ava !

Je lève les yeux au ciel.

– Les fées n'existent pas !

– Un Elfe alors ?

Malgré moi, je jette un œil à ses oreilles. Il a le visage si fin que ça ne m'aurait pas étonné de voir des pointes apparaître ! Évidemment : il n'en est rien.

– Non plus, mais c'est dommage ; je fantasmais sur l'Elfe du Seigneur des Anneaux quand j'étais ado.

Un rire joyeux lui échappe. La lueur de tristesse s'éclipse de ses yeux.

– Une dryade peut-être ?

– Certainement pas !

– Une demi-dryade alors !

L'imaginer courir nu dans la forêt et enlacer les arbres me donne une irrépressible envie de ricaner. Lorsque notre fou rire se calme, Cléandre m'entraîne dans la cuisine et prépare du café ; sa mère va arriver d'un moment à l'autre, il veut que tout soit parfait pour notre première rencontre.

Alors que nous nous installons pour l'attendre, je remercie Cléandre. Sur le coup, il ne comprend pas pourquoi. Pourtant, les efforts qu'il a faits pour s'ouvrir à moi aujourd'hui me semblent considérables. Lorsque je le lui fais remarquer, il détourne le regard avant de m'avouer qu'il se sent un peu coupable de m'avoir forcé la main pour notre réconciliation. La moindre des choses était ensuite de se montrer de bonne volonté. Puis, à mi-voix, les joues adorablement rouges, il me murmure :

– Tu en vaux la peine, Nath. Je crois vraiment qu'on peut aller quelque part tous les deux. Juste... lentement.

Je suis peut-être idiot et lent à la détente, mais ça ressemble fort à une déclaration d'amour ! Avec la sensation d'avoir des étoiles plein les yeux, je me penche par dessus la table, charmeur. Ma bouche s'ouvre pour lui susurrer à mon tour de magnifiques mots d'amour. Au lieu de ça, je glapis et sursaute en entendant la porte d'entrée claquer.

Elle arrive ! Sa mère arrive !

Je me lève aussitôt, tourne sur moi-même, me rassois. Mon ventre se noue, mes paumes deviennent moites. D'une voix angoissée, je prie Cléandre de me rappeler le prénom de sa mère : impossible de le retrouver !

Le comble ? Alors que je m'attends à le voir me calmer et me rassurer, je me retrouve face à un jeune homme aux yeux exorbités, le front brillant, les mains tortureuses de mèches de cheveux. Il ne parvient qu'à baragouiner une réponse incompréhensible. Bien, son état d'angoisse s'avère pire que le mien. Nous voilà bien barrés.

Tels des lapins devant les phares d'une voiture lancée à pleine vitesse, nous lorgnons vers la porte, figés.

Ses pas approchent. Nos mains s'agrippent. Ensemble dans l'adversité.

Enfin, sa main se pose sur le chambranle. Une main fine, comme celle de son fils. Une main manucurée avec soin, aussitôt suivi par une jeune femme pimpante, tatouée, couverte de piercings et dont les cheveux courts verts fluo sont rasés sur le côté droit.

– Euh... c'est elle, ta mère ?

Elle lève l'index pour me faire taire, gagne la table d'un pas traînant.

– Longue journée. Un café, on parle après.

Cléandre lui tend une tasse. Elle s'affale sur une chaise et plonge le nez dans sa boisson. Aucun doute, c'est bien sa mère. Ce nez fin, ses yeux lavande... cette manie de ne pas être opérationnel sans café. Toute angoisse me quitte devant cette scène aussi attendrissante qu'hilarante. La mère et le fils, les traits fatigués, captivés par leur café, se regardent en chien de faïence. Je les imagine rester ainsi des heures sans peine.

Néanmoins, mon amoureux craque au bout de quelques minutes. Lui qui avait pu tenir tête à ma mère si longtemps ne supporte pas le regard de la sienne.

– Gladys, dis quelque chose bon sang ! Tu me tortures, là !

Gladys ? Il appelle sa mère par son prénom ? Comme c'est étrange. Les yeux de celle-ci toisent son fils par-dessus la tasse. Avec une lenteur insoutenable, elle la pose, puis se tourne vers moi pour me faire subir un examen visuel approfondi. Elle me scrute tant que ma nervosité revient au galop.

– Euh, Madame... Gladys, Cléandre a raison, dites quelque chose, c'est gênant là !

– Il faut que je dise quelque chose ?

- Oui ! crions-nous presque de concert.

– N'importe quoi ?

– Oui, tant que tu parles, soupire Cléandre. Il n'y a rien de plus stressant que de présenter son petit ami à ses parents ! Enfin tu connais ça ! La rencontre, l'étude, l'attente de l'approbation...

Elle balaie sa phrase d'un geste avant de déclarer avec joie que l'approbation, c'est surfait. Elle n'a eu celle de ses parents pour aucune de ses fréquentations. C'est bien simple, elle ne leur a présenté personne depuis plus de quinze ans.

Lui ai-je fait si mauvaise impression qu'elle nous refuse sa bénédiction ? J'aimerais croire que j'interprète encore, sauf que le visage de Cléandre se décompose. Il replace ses mèches de cheveux derrière ses oreilles, ses yeux s'embuent. J'en conclus qu'il a compris la même chose que moi.

– Maman, s'il te plaît...

– Mon Cléandre. Tu n'as pas besoin de mon approbation, tu ne t'en es jamais encombré, avant.

Elle se lève, se glisse derrière lui gracieusement, l'enlace.

– Tu avais tellement confiance en toi. Tu croquais la vie à pleines dents, tu sortais, tu faisais les marches des fiertés, tu arborais des habits arc-en-ciel. Après ce qu'il s'est passé...

Mon estomac se serre. Sans nul doute possible je suis en présence d'une personne qui connaît la cause exacte de cette douleur dans les yeux de mon cher et tendre. Une personne qui connaît toute son histoire. Les questions me brûlent déjà les lèvres, et j'ai beau tourner sept fois la langue dans ma bouche, je sais déjà que je ne pourrais pas les retenir.

–... tu es devenu terne. Morne, et je n'attendais plus qu'une chose : que tu recommences enfin à vivre. Approbation, bénédiction, bien sûr que tu les as. Je veux ton bonheur, Cléandre ! Tu avais mis la barre tellement haut avec Kaname que je me demandais qui pourrait bien se montrer digne de mon fils, mais ce petit humain est adorable ! Entre nous, je croyais que tu passerais la fin de ta vie à pleurer, ça m'inquiétait ! Mais ton père avait foi en toi et ta capacité à surmonter les épreuves. Tu as toujours su t'adapter !

– Mais qu'est-ce qu'il s'est passé au juste avec ce Kaname pour que Cléandre tombe au fond du gouffre comme ça ! Il ne peut pas s'agir d'une simple rupture !

Après un coup d'œil à mon amant, lequel vient de s'immobiliser sur son siège comme s'il n'en croyait pas ses oreilles, elle se ressert un café, puis s'éclaircit la gorge.

– Je ne sais pas si tu sais, mais il y a quelques années, Cléandre s'est fait agr...

Malgré moi, je me penche en avant. Je me sens fébrile. Je vais enfin tout savoir de l'homme que j'aime ! Cet instant, je l'attends depuis des mois ! Je vais interroger cette femme jusqu'à découvrir absolument tout de Cléandre, et tant pis si ça ne lui plaît pas. Après tout, il m'a déjà appris plein de choses aujourd'hui ! Un peu plus un peu moins...

– Gladys, arrête !

Sa voix s'étrangle. Je n'y prête pas garde. L'instant s'avère trop important !

–... gresser, c'était le jour de son anniversaire, poursuit Gladys comme si son fils n'avait jamais parlé. Il était heureux comme tout, Kaname venait de lui faire son deuxième tatouage...

– Maman ! Stop !

Cléandre s'est levé d'un bond. Il tremble de tous ses membres. Ses yeux débordent. Toute couleur a déserté son visage. Il nous lance à tous deux des regards suppliants... paniqués même. Il me donne l'impression de tomber en miettes, comme si son cœur et son âme se disloquaient sous nos yeux.

Je me sens mal, j'ai eu tort de poser la question. Tort de penser que l'avis de Cléandre ne comptait pas. Tort de ne pas écouter l'avertissement de Sarah quant à sa dépression latente.

–... tu sais, celui qu'il a sur les côtes ! Mais quand Cléandre est sorti dans la ruelle, il y avait ces types, et Kaname a...

– Attendez ! Ne dites rien de plus ! je suis désolé, ce n'est pas à vous de me dire, ça, c'est à lui...

Cléandre s'effondre sur sa chaise, je clopine vers lui pour l'enlacer. Mes lèvres embrassent ses tempes, ma bouche lui murmure des mots apaisants et des excuses. Je m'attends presque à ce qu'il me repousse, je l'aurais mérité ! Mais ses mains viennent capturer les miennes et les serrent avec force. Son corps tremble toujours. La cascade sur ses joues ne tarit pas.

– Tu en as mis du temps pour m'interrompre, jeune homme ! J'ai vraiment cru que tu ferais passer ta curiosité avant son bien-être ! Si ça avait été le cas, je t'aurais fichu dehors. Et je ne t'aurais rien révélé, bien sûr. Désolée pour ce petit test, Cléandre, je sais que ça a dû être dur à gérer pour toi. Mais maintenant, tu sais que tu peux compter sur ton Nathéo. Allez donc vous remettre de vos émotions dans la chambre pendant que je me prépare ! Je vous emmène dîner ce soir, on fera vraiment connaissance !

Un test, tout ça n'était qu'un test. Que j'ai bien failli louper à cause de mon égoïsme !

Tandis que je soutiens un Cléandre chancelant jusqu'à sa chambre — et tant pis pour ma cheville, le plâtre est en place depuis assez longtemps pour que je marche —, je réitère mes excuses, mortifié :

– Pardon, je n'avais pas réalisé. Je refusais de réaliser... Ce secret, ton secret... il ne vaut pas tout ce que je te fais subir. J'ai compris la leçon, je ne te poserai plus jamais de questions à ce sujet. Je ne veux pas te revoir dans cet état. Jamais.


Texte publié par Carazachiel, 18 janvier 2020 à 10h47
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