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tome 1, Chapitre 22 tome 1, Chapitre 22

Rien ne vaut une bonne douche !

Voilà ce que je pensais jusqu'à me retrouver dans cette salle de bain exiguë, devant une baignoire sabot où je dois grimper seul pour me laver tout aussi seul et me dépêtrer avec mon plâtre puisque dans ce studio, Clarenz n'a trouvé aucun sac plastique. Tout ça parce que mon ex, avec qui je voulais me réconcilier, a eu la brillante idée de me vomir dessus. Pour les vêtements souillés, je décide tout simplement de les laisser en tas quelque part. Me balader nu ne me dérange pas plus que ça, j'aviserai demain.

Depuis l'autre pièce, Clarenz me crie de ne pas hésiter à l'appeler si besoin. Je n'en fais rien : plutôt galérer que de me faire aider par ce garçon bizarre. Sa tête ne me revient pas. Son comportement ne me revient pas. Sa complicité avec Cléandre me dérange. Qui mon beau blondinet a-t-il choisi pour l'amener ici après m'avoir vomi dessus ? Le cousin, spontanément. Certes, avec mes béquilles, je n'aurais pas été d'une grande aide, certes, j'étais couvert de vomi, mais qu'il ne manifeste pas la moindre hésitation m'a pour le moins vexé.

Et puis, l'impassibilité de ce bouclé de malheur me fait froid dans le dos. Il a le regard des dangereux psychopathes. Il parle d'un ton monotone. Sans âme. Sans émotion. Sans sentiment. Non, décidément, il ne me revient pas. Je sentais que ça ne passerait pas entre nous. Depuis le début, je le sais. Il envoie trop de textos à Cléandre, une telle relation entre cousins est louche. Peut-être même malsaine.

Le seul intérêt de ce garçon ? Il est plutôt mignon, si on aime les bouclés à l'air vide, mais surtout, comme il semble être le confident de Cléandre : il connaît tout ce qu'il faut connaître sur l'homme mystère. Même si l'idée d'enquête de Jared me laisse encore mitigé ; je n'ai plus rien à perdre actuellement. ma mère est bien gentille avec ses compromis ; encore faut-il avoir une raison de les faire, ces compromis. Et pour avoir une raison, il me faut enquêter un minimum.

De retour au salon, je le surprends penché sur Cléandre, comme s'il l'embrassait. Je ne peux que crier un « Hey » menaçant. Le temps de les rejoindre auprès du canapé, il s'est déjà relevé. Le bel endormi ronfle doucement, la joue gauche collée au matelas, un bras pendant dans le vide. J'observe ses lèvres avec suspicion. Elles ne paraissent pas humides.

– Qu'est-ce que tu lui as fait ?

– Il a une mèche de cheveux qui rebique. J'essaie de la remettre mais ça veut pas. Je vais chercher du gel. Ou de la laque.

– Tu l'as pas embrassé ?

– Je reviens, on continue de parler après. Je dois aller chercher de la laque.

Estomaqué, je le regarde disparaître dans la salle de bain avant de reporter mon attention sur Cléandre. En effet, une de ses mèches de cheveux joue les rebelles. Du bout de la langue, j'humidifie mes doigts pour tenter de la dompter ; elle me résiste. Je ne persiste pas. Pourtant, mon index continue sa course. Il court sur l'arrête de son nez, rejoint la mâchoire, explore la peau râpeuse de sa cicatrice.

Ses paupières s'ouvrent soudain, sa main capture la mienne. Ses yeux s'agrandissent de surprise, il murmure mon prénom. Puis, sans prévenir, il me serre contre lui. D'abord surpris, je lui rends très vite son étreinte. Je respire son cou. Il n'a pas son odeur habituelle. D'ordinaire, il utilise un shampoing à la pomme, alors qu'aujourd'hui, sa peau diffuse une douce odeur de lavande.

Il s'écarte tout à coup, prend mon visage en coupe. Pendant un instant, je crois qu'il va m'embrasser. Cependant, il s'arrête à un centimètre à peine de mes lèvres avant de reculer, l'air un peu perdu.

– Pardon, je m'emporte. Je... tu n'es pas un rêve, n'est-ce pas ?

Ses paupières battent trop vite. Il remet nerveusement ses mèches derrière ses oreilles. Sarah a tort, je ne me suis pas uniquement intéressé aux fesses de Cléandre. J'ai réussi à déterminer certaines choses d'après son comportement. Alors, pourquoi me suis-je arrêté de l'observer au profit de cette enquête ridicule ?

– Tu ne rêves pas. Je suis...

– J'ai rien trouvé, je vais en chercher chez la voisine.

Clarenz choisit ce moment pour sortir de la salle de bain. Éberlués, nous le regardons quitter le studio sans plus de cérémonie.

– Euh... d'accord. Qu'est-ce que j'allais dire déjà... Ha oui ! Je suis venu au Del'Asève av...

– Au Del'Asève ?

– Oui, Avec Sarah et...

Je m'interromps. Dois-je lui dire que je voulais le tester ?

– Tu voulais voir si je te ferais entrer.

Pris de court, je hoche la tête. Comment fait-il pour lire en moi avec tant de facilité à chaque fois ?

– Je suis désolé, Cléandre. Je ne voulais pas te prendre à défaut ou t'obliger à faire quelque chose, je...

Il se frictionne le visage.

– Te fatigue pas, je reconnais là l'œuvre de Sarah. Mais du coup... comment es-tu entré ? Je suis certain que ce n'est pas grâce à moi.

L'aveu me brise le cœur. Il ne m'aurait pas fait entrer... Du bout des lèvres, je lâche le prénom de son cousin, puis je me redresse, bien décidé à partir. Je voulais une réponse, je l'ai eue. Sauf que cette fois, ses doigts enserrent mon poignet.

– Tu ne vas pas encore partir sans avoir ta réponse, si ?

Je me dégage avec humeur.

– Je viens de l'avoir, ma réponse. Je t'aime, je ne peux pas supporter que ce ne soit pas réciproque. Je venais pour qu'on parle, pour qu'on voie si on pouvait se remettre... non, se mettre ensemble, mais c'est sans espoir ! Tu...

– Tu crois que je me suis bourré la gueule par plaisir, Nathéo ?

Ma bouche s'ouvre, se ferme. Il vient de me prendre de cours. Lorsqu'il tapote la place à côté de lui, je me rassois sans faire d'histoire.

– Non. Mais j'ai peur de te poser la question. J'ai peur de souffrir de la réponse.

– Crois-moi, ces questions me font peur, et les réponses encore plus.

Il chasse de nouveau les mèches de son visage. Je remarque avec amusement que celle qui semble ennuyer Clarenz se rebelle toujours, puis les mots de Sarah me reviennent en tête.

– Tu as peur des mots « je t'aime », c'est ça ? J'aurais pas dû te les dire. Pas comme ça.

– Oui, tu n'aurais pas dû.

– Mais, toi, tu n'aurais pas dû me répondre que j'étais juste un sex friend ! Ou alors... c'est le cas ? C'est pour ça que tu ne m'as pas fait entrer.

– Je t'arrête tout de suite, grogne-t-il. Je ne t'ai pas fait entrer parce que personne ne m'a demandé de te faire entrer. Je dansais à poil sur une table, tu crois vraiment que les vigiles allaient me dire que tu attendais dehors ? Ils sont allés directement vers Clarenz. Je n'ai même pas imaginé un instant qu'il pourrait s'agir de toi. Je pensais que...

Il se tait, les yeux clos. Je l'encourage à continuer. D'une voix tremblante, il me confie avoir pensé que je ne voudrais plus jamais lui parler après notre conversation des toilettes. Il essayait justement de se faire à cette idée, et sa mauvaise habitude de se noyer dans l'alcool a resurgi. J'exige qu'il m'explique pourquoi il s'est montré si froid dans les toilettes pour se mettre dans cet état ensuite.

Ses doigts glissent sur mes joues. Un sourire affreusement triste étire ses lèvres.

– Tu étais malheureux, Nathéo. Profondément malheureux. Je voulais te retenir, mais...

Quel bonheur de l'entendre dire qu'il voulait me retenir ! Reste à savoir pourquoi il ne l'a pas fait.

– Mais ?

– J'avais besoin de réfléchir.

– À quoi ?

– À ce que j'étais capable de t'offrir pour que tu ne sois pas malheureux. À ce moment-là, dans les toilettes, j'ai juste réussi à penser que je n'étais personne pour te retenir, pour te supplier de ne pas rompre. Je n'en avais pas le droit. Je n'en ai toujours pas le droit.

– Le plus important n'est pas de savoir si tu en as le droit, mais si tu en as envie.

La sagesse de ma réponse me surprend. Elle le surprend aussi ; il me dévisage, les yeux ronds... et ne dit rien. J'apprends de mes leçons ; je ne dois tirer aucune conclusion de ses silences. Mais quel supplice ! Je finis par me tortiller sur place, espérant qu'il se décide au plus vite à répondre à cette si simple question.

– J'en ai...

– La voisine en avait !

La porte, ouverte à la volée, claque sur le mur. Cléande n'y prête que peu d'attention alors que le cousin nous approche. Déjà, mon blondinet reprend la parole : d'un point de vue strictement égoïste et sans prendre en considération son passé, le mien et ses questionnements, il a terriblement envie de se remettre avec moi. Notre rupture — car il estime que rupture il y a eut et s'excuse même pour sa remarque déplacée à propos de nos activités sexuelles — l'a dévastée.

Mon regard passe d'un cousin à l'autre. Derrière Cléandre, Clarenz tente tant bien que mal d'atteindre la mèche rebelle, laquelle bouge au rythme des paroles de mon blondinet. Celui-ci semble parvenir à faire une totale abstraction du rôdeur. Moi, son manège m'agace. J'ai envie de le chasser comme on chasserait des mites ou des moustiques.

Finalement, mon futur amoureux se fige, puis se retourne.

- Clary ? Tu peux arrêter de me tourner autour ?

Pas de réponse, mais nouvelle tentative de domptage sauvage.

– Clarenz ?

Ce bouclé un peu timbré entend-il seulement son cousin ? Toujours impassible, il se contente de cligner des yeux très vite, ceux-ci rivés sur le haut du crâne blond, la bombe de laque dans la main. Cléandre claque alors des doigts pour attirer son attention.

– Clary, focus ! Dis-moi ce qu'il t'arrive ? Qu'est-ce que tu veux faire avec cette laque ?

– Ta mèche. Elle rebique. Sur ta tête.

Après lui avoir permis, enfin, d'écraser l'insolente mèche rouge, Cléandre va installer son cousin sur une chaise. Clarenz vérifie encore la chevelure de l'homme que j'aime plusieurs fois avant d'en détourner les yeux. Il s'avachit alors sur la chaise. J'ai l'impression d'observer un ballon gonflable qui se dégonflerait. Comme si toute tension le quittait tout à coup.

Sitôt que Cléandre me rejoint sur la banquette, je le questionne à propos de l'étrange comportement et le manque de réaction faciale de son cousin, que je trouve un peu effrayant par moment. Il me rassure : Clarenz souffre de légers troubles du spectre autistique, sans pour autant être diagnostiqué comme tel. La plupart du temps, il vit comme tout le monde, mais parfois, des obsessions —comme celle de la mèche de cheveux ; le désordre dans les chevelures des personnes qu'il aime le perturbe particulièrement — le terrassent. Dans ces moments-là, il n'y a pas grand-chose à faire. Juste résoudre son souci ou répondre à sa pulsion. Quant à son impassibilité, il ne sait juste pas montrer ses émotions, ce qui ne l'empêche pas de les ressentir.

Lorsqu'il est sûr que son cousin s'est calmé — Clarenz a enfoui la tête dans ses bras —, Cléandre se tourne vers moi.

– Du coup... on sort de nouveau ensemble ?

Si je m'écoutais, je lui hurlerais un grand oui et l'embrasserais sur-le-champ ! Mais ce ne serait pas sérieux. A présent, je dois lui parler compromis, ça m'effraie un peu. Il pourrait très bien me dire qu'il ne veut pas en faire, et tout s'arrêterait là.

– Pas tout à fait. Avant, on va devoir parler compromis. Parce que si on reprend comme avant, on va droit dans le mur. On doit tous les deux changer des trucs.

Après un court silence pendant lequel mon cœur menace de s'arrêter, il hoche la tête :

– Je suis d'accord. D'accord pour faire des efforts, pour rencontrer tes parents en tant que couple, donner un peu plus de consistances à notre couple. Mais je n'ai pas envie d'attendre pour me remettre avec toi. On l'aura, notre vraie grande discussion, on parlera des compromis à faire, mais demain. Là, ma capacité de concentration après l'excès d'alcool est à sa limite. Et puis, je veux une réconciliation sur l'oreiller.

Mes lèvres se pincent. Je ne voyais pas les choses comme ça.

– Je ne suis pas tellement d'accord, cette conversation doit m'aider à savoir si je supporterais de me remettre avec toi ou pas.

– À toi de voir. Mais si nous ne sommes pas ensemble, je ne suis pas sûr d'arriver à me faire violence pour te parler. C'est compliqué pour moi, de faire confiance. De me forcer à parler, même de choses anodines. Tu n'imagines pas à quel point l'idée de me livrer pour rien est traumatisante pour moi.

L'argument me touche en plein cœur. Même si mon avis est tout aussi pertinent que le sien, je ne peux nier qu'il a plus besoin que moi de repères pour se confier.

– D'accord. Alors, nous sommes de nouveau ensemble.


Texte publié par Carazachiel, 20 novembre 2019 à 14h46
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