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tome 1, Chapitre 20 tome 1, Chapitre 20

– Il faut qu'on parle.

Sans douceur, je m'installe aux côtés de la jolie brune avec la ferme intention de l'interroger. Je dois savoir si Cléandre a menti à ma mère ou non. Et s'il n'a pas menti, je compte bien mettre ses secrets à nu avant de me lancer dans quoi que ce soit avec lui, n'en déplaise à ma mère. Ma personnalité m'empêcherait d'être heureux avec un homme trop mystérieux.

Mes béquilles dévalent l'escalier de l'amphithéâtre. Peu importe ; le visage de Sarah focalise mon attention. Les traits défaits, les yeux rougis, le maquillage mal appliqué et les cheveux en bataille. Je l'ai assez observée pour reconnaître quand elle ne va pas bien. Aujourd'hui : elle ne va pas bien. Je me sens soudain un peu piteux. Nul besoin de lui parler pour avoir la réponse à ma question : son bel amoureux a bien rompu avec elle.

– Nathéo... tu es bien la dernière personne à qui j'ai envie de parler aujourd'hui.

– Pourquoi donc ?

Un soupir lui échappe. Ses doigts glissent dans ses cheveux dans une tentative infructueuse de les discipliner.

– Je n'ai quasiment pas dormi, j'ai cherché des solutions, je n'en ai pas trouvé.

Face à mon air aussi idiot qu'interrogatif, elle poursuit :

– Cléandre m'a quitté pour toi, je pensais qu'il te l'aurait dit. Que vous l'auriez fêté, même !

– J'avais rompu av... pardon ? Comment ça pour toi ?

– Tu veux vraiment qu'on parle de ça ? Tu trouves pas ça un peu... déplacé ?

Ma bouche s'ouvre, puis se ferme : elle a raison. Je suis un être ignoble. Je fais primer mon besoin de me rassurer sur son bien-être. Alors, je bredouille des excuses, je lui promets de la laisser tranquille et de chercher mes réponses seul. Elle soupire encore avant de m'ébouriffer les cheveux, presque avec tendresse. Puis, sans prévenir, elle range ses affaires, se lève du banc, fait de même avec les miennes puis me demande de me lever. Je lui obéis, sans un mot. Mes mains attrapent les béquilles qu'elle a ramassées. Quand elle m'invite à la suivre hors de l'amphithéâtre, je la suis sans savoir pourquoi. Nous marchons en silence dans les couloirs, sortons de la faculté pour aller nous installer à un café situé en face du bâtiment Lettres.

Pendant que nous attendons — elle un thé à la bergamote, moi un café — je lui fais part de mon incompréhension : pourquoi me traîner ici si elle trouve mon comportement déplacé ? Si elle m'estime responsable de sa rupture ? Va-t-elle me hurler dessus ? Elle me rassure aussitôt : elle ne m'en veut pas. Elle savait depuis le début que leur relation ne menait nulle part, que les intérêts de Cléandre se dirigeaient vers les garçons. Elle a préféré ne rien dire, s'installer dans cette confortable routine. Après tout, Cléandre s'est toujours montré gentleman avec elle. Elle a fini par tomber amoureuse, lui non. Elle n'a jamais eu le courage de rompre. Au fond, elle gardait l'espoir de devenir numéro un dans son cœur.

Cette fille m'impressionne : elle a su tenir pendant presque un an une relation qui m'a rendu fou en quelques semaines.

Une serveuse au sourire figé dépose notre commande avant de disparaître dans le café. Des milliers de questions me brûlent les lèvres. Après avoir avalé une longue gorgée de liquide tiédasse, je me décide pour l'une d'elles :

– Comment tu as fait pour tenir si longtemps ? Je sais que c'est déplacé, mais moi, en quelques semaines, j'en pouvais déjà plus...

Elle me dévisage un long moment, sa tasse chaude dans les mains avant de soupirer.

– Tu ne peux pas comparer nos situations, aussi similaires semblent-elles.

– Parce que tu es une fille ? grincé-je.

– Non, parce que la psychiatre que Cléandre voyait, c'est ma mère.

– La quoi ?

– Qu'est-ce qui te surprend ? Tu sais déjà qu'il a fait une dépression, tu aurais pu en déduire qu'il avait suivi une thérapie !

J'aurais pu, en effet. Je dois être trop stupide pour ça ; ça ne m'a pas traversé l'esprit une seule seconde.

– C'est pour ça que ta mère le défend...

– Elle sait pourquoi il se comporte de cette manière. Elle connaît la raison...

– De cette tristesse dans son regard. Et toi aussi.

Je lui adresse un regard plein d'espoir : je veux savoir, et tant pis si ma mère trouve que c'est une erreur d'enquêter. Elle n'a jamais été dans ma situation. Elle ne sait pas de quoi elle parle.

Sarah lève les yeux au ciel.

– J'allais juste dire : la raison de son étrange comportement. Je ne trouve pas ses yeux tristes. Au début, il pleurait beaucoup, souvent dans des situations inattendues.

– Qu'est-ce qu'il lui est arrivé ?

– Aucune idée.

La déception m'envahit. Je n'aurais rien récolté d'intéressant alors... Encore une piste qui s'achève en impasse.

– Je ne sais que ce que Cléandre a bien voulu me dire. En gros : pas grand-chose. Juste que tout ça concerne son ex, Kaname. Le secret médical, tu connais ? Ma mère n'est pas psychologue, elle est psychiatre. Elle n'a pas lâché un mot ! Pourtant, j'ai bien essayé de la faire cracher le morceau, mais rien à faire. Elle m'a juste mise en garde contre cette relation qui n'aurait pas d'issue heureuse pour moi.

Ses yeux s'embuent, mais elle poursuit malgré tout. Même si je meurs d'envie de l'interrompre, je reste muet.

– Elle m'a aussi mise en garde contre le fait de sortir avec une personne dépressive. Et tu devras y penser aussi, si tu veux réellement être avec lui. Chaque geste, chaque mot, chaque situation, tout risque potentiellement de lui rappeler son traumatisme et de le faire replonger.

– Il est guéri.

– Bien sûr que non. Il s'aveugle et veut se faire croire qu'il est guéri, il a cessé de prendre ses médicaments, de voir ma mère, mais il est toujours en dépression. Par contre, oui, il va mieux qu'avant.

– Il est guéri, je te dis ! Il l'a dit hier, il a fait une grave dépression. Ça sous-entend que c'est terminé.

Elle souffle et m'offre un regard désabusé.

– C'est tellement terminé qu'il est aussi pimpant et fringant qu'avant. Il met de nouveau ses chemises bariolées, ses T-shirts à paillettes et ses pantalons moulants, sans oublier ses badges arc-en-ciel.

Je bondis presque sur mon siège, je vais peut-être quand même obtenir un scoop !

– Attends, tu l'as connu avant ses pulls informes ?

Ses yeux se plissent. Elle avale encore un peu de thé, puis repose sa tasse presque pleine.

– Oui et non.

J'ai l'impression de devoir lui arracher chaque information, c'est frustrant !

– Arrête de faire des mystères et dis-moi ce que tu sais, enfin !

Sa langue claque de réprobation.

– Nathéo. Le garçon dont on parle vient de me plaquer. Pour toi, au cas où tu l'aurais oublié et même si tu ne sembles pas le comprendre. La seule raison qui me pousse à te parler, c'est que tu l'as rendu profondément malheureux hier. Assez malheureux pour vouloir briser un de ses points de repère : notre couple. Il ne va pas bien, et je sais que tu peux l'aider, contrairement à moi. C'est uniquement pour ça que je te parle. Pour autant, je n'ai pas envie de t'apprendre quelque chose que Cléandre réprouverait, alors, je réfléchis à chaque fois à ce que je peux te dire ou pas. Donc, sois mignon et tais-toi le temps que je réfléchisse.

Un brin vexé, je ravale une remarque acerbe ; elle a raison et je le sais. Je n'ose imaginer la force qu'il lui faut pour venir me parler dans ce contexte. À sa place, je crois que j'aurais essayé de lui pourrir la vie.

– Tu l'aimes vraiment, murmuré-je.

– Oui. Et j'ai toujours su qu'il me quitterait pour un garçon. Je sentais que ce serait toi, il te regardait différemment. Il se montrait plus distant. Il a couché deux trois fois avec d'autres pendant notre relation... juste pour le sexe.

Ses mots me font plus mal qu'un uppercut. Juste pour le sexe. Exactement ce qu'a dit Cléandre à mon propos hier. La principale raison de notre rupture. Sarah se trompe, je ne suis pas différent de ses autres aventures sexuelles. Soudain, mes glandes lacrymales se rappellent à moi. Je les pensais vides depuis hier, mais non.

La main de Sarah se pose sur la mienne, en douceur. Ses doigts caressent les miens. Elle ne parle plus, se contente de m'observer, de me laisser pleurer en silence. Je sens bien que quelque chose la chiffonne et la contrarie, mais mon chagrin m'enveloppe trop pour y prêter vraiment attention.

Après quelques minutes, sa paume claque sur ma peau : elle veut que j'arrête de me morfondre. Elle veut que j'aille parler avec Cléandre pour dissiper autant de malentendus que possible et, dans le cas où nous voudrions nous mettre ensemble, pour réfléchir à des compromis. Voilà que l'ex de mon ex me donne les mêmes conseils que ma mère. Si la situation n'était pas aussi déprimante, je la trouverais cocasse.

– Sarah... je n'irai pas. J'ai bien lu ses messages, écouté ses appels, il n'a jamais dit qu'il me rendait mes sentiments. Il ne s'est jamais excusé de m'avoir relégué au rang de « bite ».

– Tu exagères.

– Tu trouves ? Il m'a balancé devant plein de monde que j'étais juste bon pour le cul !

– La première fois que je lui ai dit « je t'aime », il m'a dit que je n'avais pas une assez grosse bite pour lui. Après ça, il s'est figé, est devenu tout rouge, s'est mis à pleurer, puis s'est enfui. Alors pardon, mais tu n'es pas le plus à plaindre. Surtout que tu lui as balancé « je t'aime » juste pour m'emmerder. Tu t'attendais à quoi ?

– À ce qu'il me réponde, au moins en privé.

– Si tu avais prêté attention à autre chose que son cul, tu saurais que certains mots le font paniquer, m'assène-t-elle sans la moindre pitié. Et qu'il n'a probablement pas pris ta provocation au sérieux.

Pour elle, toute la faute me revient. Elle protège son Cléandre mieux qu'une lionne son petit et lui trouve toutes les excuses du monde. Je me renfrogne : il ne faut pas exagérer non plus. J'ai certes loupé ma grande déclaration d'amour, mais je ne suis pas fautif. Pas entièrement. Pas seulement ? Peut-être bien que la faute est partagée. Peut-être bien que l'incompréhension a joué en notre défaveur. Peut-être bien que je devrais aller lui parler, au final.

Sarah hèle la serveuse pour payer nos consommations. J'avale la fin de mon café en silence et ne reprends la parole que lorsque nous quittons les lieux.

– Nathéo, je vois bien que tu doutes, mais Cléandre t'aime, crois-moi. Le problème, c'est que...

Elle s'arrête, hésitante.

– C'est que quoi ? la pressé-je.

– C'est que depuis Kaname, il a fermé son cœur. Il s'est persuadé qu'il ne pourrait jamais retomber amoureux. Il pense ne pas en avoir le droit, j'ignore pourquoi. Qu'il sorte avec toi, même en secret, est une grosse avancée pour lui ! Tu ne te rends vraiment pas compte des efforts qu'il a dû faire...

La honte me saisit : j'avais oublié ce détail. Tout à mon bonheur, j'ai oublié que Cléandre n'était pas prêt à se remettre en couple. Tout à mes délires de découvrir ses secrets, j'en ai oublié que ceux-ci le faisaient souffrir. Je me suis comporté comme un gamin pourri gâté, à tout vouloir tout de suite sans même lui demander ce que lui voulait.

Comme il a dû me trouver insupportable ! Le connard, ce n'est pas lui. C'est moi. Sarah a raison. Ma mère aussi, je dois parler à Cléandre.

– Mais comment je peux être sûr qu'il m'aime si même lui ne s'en aperçoit pas ?

Je fais taire la petite voix qui voudrait me culpabiliser d'interroger ainsi l'ex de mon crush.

– Fie-toi à son comportement !

– Tu sais, Sarah, je suis un mec franchement détestable. Je me connais, à moins d'avoir une preuve irréfutable, genre un truc qu'il ferait que pour moi et personne d'autre, même pas pour toi, bah j'y croirais pas.

Elle m'observe de la tête aux pieds, plusieurs fois, puis un sourire illumine son visage fatigué.

– Tu connais le Club Del'Asève ?

Ce club de karaoké est réputé pour n'ouvrir ses portes qu'à une clientèle triée sur le volet. La rumeur court que certains de ses clients pourraient même influer sur la liste des invités ! Je hoche la tête d'un air interrogateur : où veut-elle en venir ?

– Et si je te disais que Cléandre y a ses entrées ? Que c'est là qu'il passe tous ses vendredis et samedis soirs de libre, en présence de son cousin ?

– Tu déconnes ?

– Pas du tout. Et si en plus je te disais qu'il suffirait d'un mot de lui ou de Clarenz pour te faire entrer à ton tour ?

– Et en quoi ça me ferait une preuve ?

– Il ne l'a jamais fait pour personne. J'ai eu beau le supplier, il a toujours refusé de me faire entrer. Je n'irai pas jusqu'à dire qu'il le fera pour toi, au fond, j'en sais rien. Mais s'il le faisait, ce serait une jolie preuve, non ?


Texte publié par Carazachiel, 4 novembre 2019 à 09h50
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