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tome 1, Chapitre 19 tome 1, Chapitre 19

– Tu pleures ?

– Fous-moi la paix.

Ses bras se glissent sur mes hanches, son menton s'invite dans le creux de mon épaule. Mon corps se fige, mes mains essuient mes joues avec rage, mon regard le fusille via le miroir. Apparemment, le message n'est pas assez clair : il ne bouge pas.

– Nath... pour tout à l'heure, je suis désolé. Vraiment désolé. Ça m'a échappé.

Pendant une seconde, mon cœur s'affole. J'espère qu'il continue sa phrase, qu'il précise les choses. Qu'il me montre que ses mots n'étaient qu'une grossière erreur, une énorme maladresse. Ça m'a échappé, mais je ne le pensais pas, promis ! Ça m'a échappé, je suis le pire des idiots ! Ça m'a échappé, je n'aurais pas dû...

Hélas, il n'ajoute rien. Mon cœur se ferme. Ses lèvres laissent une empreinte humide dans mon cou. Pas du tout du Cléandre tout craché : nous sommes dans les toilettes de la fac, soit en public. D'ordinaire, j'aurais été aux anges. Aujourd'hui et à cause de son ignoble réaction de tout à l'heure, je ne rêve que de me débarrasser de lui.

– Tu crois que ça change quelque chose ? Fous-moi la paix. En plus, y a un mec dans les chiottes.

Hormis un frémissement, sans doute incontrôlé, il n'esquisse pas le moindre geste. Son regard cherche le mien dans le miroir, je baisse les yeux. Je n'ai pas du tout envie de faiblir, pas envie de me laisser attendrir par ces iris qui me chavirent.

– Tu n'aurais jamais dû me dire « Je t'aime » en premier lieu. Mais qu'est-ce qui t'a pris ?

Je n'aurais certes pas dû lui déclarer que je l'aimais devant Sarah et Jared par pure provocation. Je sentais bien, lorsque ces trois petits mots m'ont échappé, que ce n'était pas une bonne idée, mais elle venait de nous balancer qu'elle savait pour nous deux ! Et lui n'a pas daigné réagir autrement qu'avec un Ah... le lubrifiant. Je l'imaginais me rire au nez, ou bien m'ignorer. Jamais au grand jamais je n'aurais pensé qu'il me rabaisserait tout simplement à un sex friend : Nathéo, arrête tes conneries, y a rien d'autre que du physique entre nous.

– Je pensais ce que je t'ai dit. Je le pense depuis notre première fois. Et toi ? Tu les pensais, tes paroles ?

L'appréhension me noue l'estomac. Je crois n'avoir jamais espéré aussi fort qu'on me réponde non. S'il ne le fait pas, je n'ai plus rien à espérer de cette relation. Elle me fait trop mal. S'il ne le dit pas, j'arrête tout. D'amant secret, je deviens poupée gonflable pour soulager les besoins sexuels ? Hors de question.

– J'ai paniqué, ça arrive à tout le monde ! Dis-moi comment me faire pardonner ?

Il ne l'a pas dit, l'ignoble enfoiré. Croit-il vraiment s'en tirer avec une pirouette ?

– Et si tu commençais par dégager ? Va retrouver ta pouffe et lâche-moi, sérieux. Lâche-moi définitivement !

Cette fois, il me lâche avant de reculer. J'en profite pour l'observer et mesurer l'impact de mes paroles : son visage ne montre que de l'interrogation. Pas de peine, pas d'agacement, d'énervement, rien.

– T'as compris ce que je t'ai dit ? lui craché-je. Ou alors t'as décidé d'être aussi lourd que moi ?

– Tu veux que je dégage...

– Ouais.

– Définitivement ?

Malgré sa voix un brin tremblante, il reste impassible. Allez, Cléandre, fais-moi changer d'avis. Montre-moi que ça t'atteint, même un peu. Replace tes cheveux derrière tes oreilles, joue avec ta boucle d'oreille, offre-moi ce regard mi-blessé mi-blasé, comme quand je dis des âneries plus grosses que moi !

Rien.

– Ouais.

Je me retourne pour le dévisager en face. Ses yeux ne trahissent rien d'autre que l'habituelle douleur, celle qui est destinée à l'autre. Celle que je n'aurais jamais pu chasser de toute façon. Il recule d'un pas, ouvre la bouche, la referme sans dire un mot.

L'envie de le secouer me prend. De le frapper aussi, ou de lui hurler dessus pour lui tirer une réaction, n'importe laquelle. Si je tenais debout sur mes deux jambes, je l'aurais fait.

– Tu ne vas rien dire ? grincé-je avec amertume. Tu t'en fous, en fait ? Oui, évidemment...

– Non, je ne vais rien dire. Je n'ai pas d'argument contre cette rupture...

– Une rupture ? Mais Cléandre, je ne romps pas ! Nous n'avons jamais été ensemble ! Y a jamais eu que du cul entre nous, n'est-ce pas ? Les potes de Sarah avaient raison. Tu n'es qu'un connard. Et tant que j'y suis, démerde-toi pour l'exposé d'anglais. J'en ai rien à battre de me taper une bulle.

J'aimerais faire une sortie théâtrale ! Hélas, ramasser mes béquilles et passer en clopinant devant lui n'a rien de majestueux, ni même d'impressionnant. Ça a juste le mérite de lui laisser le temps de me stopper ou de me retenir. Ce qu'il ne fait pas. Pire que ça, il m'ouvre la porte et la maintient ouverte pour me laisser passer. Sans un mot. De quoi achever de me briser le cœur.

Plutôt que de rejoindre ma salle de classe, je gagne l'arrêt de bus le plus proche. Une fois n'est pas coutume, je vais sécher les cours pour aller me morfondre sous ma couette. Et dès que ma mère rentrera, je lui demanderai mon repas spécial peine de cœur. Un hamburger maison, des potatoes maison et un smoothie à la banane avec supplément de chantilly sans oublier les billes de sucres colorées. Tout ça en plateau télé devant un film qui finit mal, de préférence, histoire de pouvoir pleurer sans honte.

C'est l'avantage d'avoir une relation mère-fils fusionnelle : elle me connaît par cœur et sera toujours une oreille attentive pour mes déboires amoureux. Elle n'émet pas d'avis, ne tente pas de psychologie de comptoir. Non, elle me fait juste un bon repas, puis reste à mes côtés à éponger mes larmes.

Le petit plus ? Elle me couvre toujours si je désire sécher les cours. Je sens que je ferai appel à ce joker pour la fin de la semaine ; je ne me sens pas d'affronter Jared et le couple maléfique demain et vendredi !

C'est compter sans l'insatiable curiosité de mon meilleur ami. À peine suis-je assis dans le bus que mon téléphone commence à vibrer. Rejeter ses appels ne l'arrête pas, il me harcèle de textos. Comment lui répondre sans mentir ? Il se réjouirait de la situation — Cléandre ne lui revient pas — et je n'ai vraiment pas besoin de ça. Je finis par lui servir un demi-mensonge sur ma tristesse à cause de mes sentiments non partagés. Il ne peut s'empêcher de me conseiller de rompre avant de souffrir encore plus et me rappelle à quoi point Capuche est louche. Ce qui le rend infréquentable, selon Jared. Je lui raccroche au nez et décide d'abandonner l'appareil au fin fond de ma sacoche, sourd aux appels et textos qui ne tardent pas à pointer le bout de leur nez. Chacun d'eux menace de faire céder les vannes de ma tristesse. Je résiste. Je déteste pleurer dans les transports publics, ça attire toujours la pitié et la condescendance.

Sitôt arrivé à la maison, j'abandonne ma sacoche dans le vestibule pour aller m'avachir dans le canapé. Le plâtre tire sur ma cheville, c'est inconfortable. Je devrais changer de position ; au lieu de ça, j'enfouis la tête dans un coussin en velours. Mes joues peuvent devenir humides à présent, plus personne ne me jugera.

Une délicieuse odeur d'oignons frits me pousse à relever le nez. Première surprise, ma mère dépose un plateau sur la table basse. Deuxième surprise, mon père lit son journal à l'autre bout du canapé. Troisième surprise, la box internet indique 19 H 50.

– Hamburger façon campagnarde, tes préférés mon lapin ! Avec un grand soda et une grosse portion de frites ! J'ai oublié de racheter des patates, j'ai fait avec les restes du congel.

Ma mère, cet ange. Sitôt qu'elle s'assoit à côté de moi, je la serre dans mes bras... pour fondre en larmes l'instant d'après. Elle me cajole, me caresse les cheveux. Mon père, lui, nous couve de ce regard mi-attendri mi-réprobateur. Pour lui, nous sommes un brin trop proche pour avoir une relation 100 % saine. Pour moi, il est juste jaloux.

Après avoir englouti le repas, nous allumons la télé. Ma mère choisit un film dont le héros principal, un garçonnet, va décéder du cancer. Un film propice aux grandes eaux, selon elle. Exactement ce qu'il me faut : renifler et dégouliner devant un bambin mourant !

Au générique de fin, je suis épuisé, vidé, mais je me sens mieux. J'ai passé presque une heure à râler contre Cléandre, à l'insulter, à me plaindre, à geindre. Mes parents connaissent la situation dans ses moindres détails, je ne leur ai rien épargné. Pas même la posture lubrique de Cléandre, la nuit où je l'ai surpris en train de se masturber.

Le silence plane un moment sur la pièce. Mon père se lève pour éteindre la télévision tandis que ma mère m'apporte mes béquilles. Je vais pouvoir dormir un peu, libéré de toute cette lourdeur. Plus je parlais, plus je m'apercevais que cette situation me pesait. Elle me rongeait même ! À présent, je me sens mieux. Triste, mais serein ; j'ai pris la bonne décision.

– Peut-être que tu ne devrais pas être si sûr de toi, mon lapin.

Je dévisage ma mère avec des yeux ronds.

– Tu as toujours été impulsif, mon Nathéo. Tu fonces tête baissée, sans réfléchir. Parfois, ça marche, d'autre fois non. Pour ta relation avec Cléandre, tu aurais dû prendre plus de recul et penser à ce que tu étais capable de supporter. Du coup, ça n'a pas marché. Pas pour cette première tentative en tout cas. La prochaine fois, il va falloir que vous fassiez tous les deux de sacrés compromis !

Je me crispe. Ma mère ne m'a pas habitué à ce genre de discours. Elle n'est pas censée me juger ni me conseiller, rien ! Elle doit juste m'écouter sans faiblir, c'est son rôle de mère ! Un peu vexé qu'en plus, elle ne prenne pas mon parti, je rétorque :

– La prochaine fois ? Il n'y aura pas de prochaine fois !

– Oh, je suis certaine que si. Comme tu ne réponds pas à ses appels, ton cher et tendre est passé pendant que tu dormais. Je ne pense pas que ce soit l'œuvre d'un connard qui n'en a rien à battre, pour reprendre tes vilains mots.

Les bras m'en tombent. Cléandre ? Ici ? Chez moi ? Impossible, il se fichait éperdument que je le largue !

– Je... quoi ?

– Cléandre est passé à la maison, confirme mon père. Il a tenté de nous embrouiller avec votre exposé d'anglais, il a fini par admettre qu'il voulait juste te voir. Ta mère se montre redoutable quand elle le veut.

Soudain, mon cœur s'emballe. Serait-il possible que mes sentiments soient réciproques, en fin de compte ?

– Il rendait Nathéo malheureux, il fallait bien le remettre à sa place !

Elle savait donc pour notre relation pas si secrète. J'en viens à me demander si, au fond, tout le monde n'est pas déjà au courant. Si Cléandre n'était pas le seul à refuser de l'admettre ! Je m'ébroue. Non, sois fort Nathéo ! Il sort avec Sarah et ça ne me conviendra jamais.

– Ça change rien, maman. Juste coucher avec lui, c'était sympa au début, mais j'ai pas envie d'une relation comme ça. Je veux pas être le deuxième ad vi... truc etertruc.

– Il a laissé un mot pour toi.

– Je m'en fiche, je veux passer à autre chose !

– Je l'ai lu, tu me pardonneras mon lapin.

Elle ne m'écoute pas...

– Je me fiche de ce mot et de Cléandre !

– Pourtant, d'après ce que j'ai compris, il a quitté cette Sarah cet après-midi !


Texte publié par Carazachiel, 25 octobre 2019 à 13h38
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