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tome 1, Chapitre 17 tome 1, Chapitre 17

Mes doigts courent sur son dos nu, ils se perdent sur les arabesques du scorpion, remontent sur sa nuque, se mêlent à ses cheveux. Goûter à sa peau satinée pendant qu'il dort devient, je crois, mon activité favorite. Plus encore que lui faire l'amour : nos moments coquins sont toujours interrompus par des petits détails qui empêchent de profiter pleinement de l'étreinte.

Un élancement dans la cheville, un appel de ma mère, un texto de ce foutu Clarenz. Cette nuit, Cléandre a été jusqu'à me faire l'affront d'y répondre ! Je le tenais par les hanches avec fermeté, sur le point de jouir, quand le satané téléphone a sonné. Dire que je m'en suis trouvé frustré serait un doux euphémisme, et d'ailleurs, je compte bien reparler de ça dès son réveil ; je prévoyais déjà de lui parler de Clarenz à un moment où un autre, il m'offre l'occasion idéale.

Alors, oui, caresser sa peau parfaite surpasse nos ébats.

Elle est fascinante. Hormis la cicatrice de son visage, mes doigts n'ont pas trouvé la moindre aspérité. Une peau de pêche douce et lisse. Le truc improbable pour un jeune homme de vingt ans ! Hélas, impossible de percer ce secret de beauté — j'en aurais pourtant besoin, mes boutons ne semblent pas comprendre qu'ils ne sont pas les bienvenus —, quand je le questionne à ce sujet, il se contente de hausser les épaules. Selon lui, ça doit venir de son hygiène de vie. Pourtant, s'enfiler des litres de sodas — s'il n'en a plus il sort en acheter sur-le-champ —, sortir tous quinze jours avec — toujours — Clarenz jusqu'à pas d'heure et s'enfiler des canettes de bière n'est pas exactement la définition d'une parfaite hygiène de vie.

Malgré une intense frustration, je n'ai pas insisté. Ou plus exactement, après deux réponses évasives et des froncements de sourcils réprobateurs, j'ai cessé d'insister. En sa présence, j'apprends à me taire par la force des choses. Chaque fois que je crois faire un pas en avant pour le déchiffrer, il m'abandonne avec une demi-explication. Comme pour son agression.

Il y a quelques années — il n'a pas cru bon de préciser quand —, trois hommes l'ont agressé. Il n'a pas cru bon de préciser pourquoi non plus. Il en a récolté les deux cicatrices de son visage ainsi qu'une sur l'épaule, à laquelle je n'avais pas prêté attention. Impossible d'en apprendre davantage sans le braquer ; les sourcils réprobateurs que je commence à bien connaître avaient fait leur apparition, il avait ramené nerveusement ses mèches de devant derrière ses oreilles. Un peu courtes, elles n'y restaient pas, mais il s'acharnait — au fil des jours, j'ai constaté que ce geste ressort toujours lorsqu'il tente de calmer son énervement — mais surtout, son regard s'était embué et voilé.

Lorsque j'ai tenté de lui parler de son ex — que son prénom soit tatoué sur sa peau m'intrigue et me rend jaloux —, son comportement fut similaire. Crispation, regard humide, frénésie capillaire. Sujet tabou.

Mon but, en plus de le faire tomber amoureux de moi, est de faire disparaître la tristesse de son regard, pas de la provoquer ! Sans doute devrais-je me répéter ça comme un mantra quand je dépasse les bornes ? Ou plutôt, avant de le faire ?

Depuis presque trois semaines, l'immobilisation forcée due à ma fracture m'a donné l'occasion de réfléchir. Mon comportement se révèle à l'opposé de mes intentions. Je rêve de le rendre heureux, de le faire sourire, de le faire rire. Néanmoins, la plupart du temps, mon insistance ne fait que l'énerver, le crisper, le contrarier.

Parfois, je me dis que je me suis lancé un défi irréalisable. Que ma volonté s'essoufflera, sur la distance. J'ai beau être optimiste, quand je le vois dans les bras de Sarah à la fac, je perds espoir. Voudra-t-il seulement faire son coming out un jour ? Sans parler de tous les secrets qui l'entourent. Pour un adepte de la franchise tel que moi, la situation s'avère intenable. Je bous chaque minute à ses côtés.

J'ai même fini par rejoindre Jared sur son enquête ! Bien sûr, nous n'avons rien trouvé sur Cléandre Terrasève, seul son profil Facebook ressort de la recherche. Chose assez inutile puisque je le connais déjà. Une fouille méthodique de sa chambre a été réalisée pendant un après-midi studieux ou nous étions censés travailler l'exposé sur Parada. Outre le fait étonnant, d'après Jared, de ne trouver aucun guide de jardinage et de posséder des plantes en si bonne santé, nous avons fait une surprenante découverte : une boîte à moitié vide d'antidépresseurs. J'ai bataillé sévère contre moi-même pour me taire. Pas Jared, il a aussitôt mis les pieds dans le plat en exigeant de connaître la cause de ce traitement. À ma grande surprise, Cléandre s'est juste tourné vers moi, puis vers mon ami avant de murmurer qu'il avait aussi été sous anxiolytique. Il n'a pas été plus loquace que ça. Pour moi, c'est une des conséquences de son agression. Jared, lui, voudrait en être certain et refuse de s'arrêter à des présomptions.

En désespoir de cause, mon meilleur ami a décidé d'utiliser sa mère. Professeur remplaçante, elle a déjà parcouru tous les lycées de la région, ou presque. Avec un peu — beaucoup — de chance, elle aura déjà croisé Cléandre ? Elle a aussitôt anéanti nos espoirs. La description ne lui dit rien du tout. Il nous reste deux cartes à abattre : questionner Sarah, et en savoir plus sur ce fameux Clarenz. Si la première tâche a été confiée à Jared, celui-ci m'a attribué la seconde. Jusqu'à cette nuit, j'ignorais comment m'y prendre. Ne me reste qu'à attendre son réveil.

Hélas, mon blondinet semble opter pour une grasse matinée. Après vingt bonnes minutes, je me décide à m'extirper des draps. D'une part, je m'ennuie, d'autre part, ma vessie me torture. Des yeux, je cherche mes béquilles. En général, Cléandre les pose sur la gauche du lit — « mon » côté — pour s'éviter des chutes nocturnes.

Alors que mes mains attrapent les poignées de plastique, un sourire niais étire mes lèvres. D'accord, nous n'avons pas d'existence officielle, d'accord, il se montre plus mystérieux que de raison, mais je ne peux nier une chose : dès la porte de son appartement franchie, il se transforme en homme parfait. Attentionné, tendre, prévenant.

Il ne manque jamais une occasion de me faire un café, avec deux sucres, comme je les aime. Il va acheter des croissants chaque fois que je dors chez lui — ce qui arrive plutôt souvent, merci l'exposé d'anglais ! — et prépare des desserts maison quand nous partageons un repas. Après nos séances de travail pour l'exposé, et sitôt Jared parti, il vient se lover entre mes jambes, entremêle nos doigts, puis met un film d'action ; mes préférés. Est-ce dû à ma cheville cassée ? J'aime à penser que non. Au niveau sexuel, je n'ai pas à me plaindre non plus ! Dire que Sarah claironne qu'il n'aime pas le sexe ! Elle ne peut pas être plus éloignée de la réalité. Il aime ça, oh oui ! Et pas qu'un peu ! Et par un merveilleux coup du destin, nos envies se trouvent aussi être compatibles, même si nous avons failli subir une crise au début.

La cause ? Mon utilisation malheureuse des termes « actif » et « passif ». Ça n'a pas du tout plu à Cléandre. Avec le recul, je dois admettre que j'avais une vision très étriquée du sexe : chacun dans son rôle, un dominé, un dominant. Voilà pourquoi notre première fois m'avait laissé mitigé. Comme je me trompais !

« Même si tu préfères me prendre, ce qui m'arrange au passage, l'amour se fait à deux, Nath. En fonction des couples, l'un de deux peut préférer faire l'étoile de mer, c'est sûr, mais ça n'a rien à voir avec sa position. Ceux que tu appelles « actif » peuvent se montrer bien passifs. Attends voir, je vais te prouver ce que j'avance. »

Et il l'a fait, bien sûr. Impossible pour moi désormais de parler de dominé, de soumis, de passif. Il avait raison : le sexe n'a rien à voir avec ça. Pas entre nous en tout cas ! Et puis, l'ingéniosité de Cléandre pimente nos expériences. Il me fait tester tout un tas de choses qui me transporte de plaisir alors que je n'aurais jamais cru ça possible : sex toys, huiles comestibles, jeux de dés, et bientôt, les menottes ! Dire que j'avais proposé de l'attacher par pure provocation, qu'elle ne fut pas ma surprise de l'entendre me répondre, un sourire un brin vicieux aux lèvres : ça tombe bien, les barreaux de mon lit commençaient à s'ennuyer.

Malgré moi, je jette un regard aux dits barreaux. Mes joues cuisent aussitôt tandis qu'une idée machiavélique me vient. Si je l'attache vraiment la prochaine fois, il ne pourra plus répondre à ses textos. Un ricanement m'échappe : oh que voilà un plan parfait !

– Pourquoi tu glousses ?

Le visage ensommeillé et les cheveux en bataille, mon amant secret se dresse sur son séant. Un bâillement ne tarde pas à lui décrocher la mâchoire.

– J'ai trouvé le moyen parfait pour t'empêcher de répondre à Clarenz pendant que je te fais l'amour. Mais il faudra passer au sex-shop pour ça.

Ennuyé, il se passe une main sur le visage.

– On parle de ça plus tard, tu veux ?

– Tu ne vas pas t'en tirer comme ça !

– Café. Boulangerie. Parler, après.

Bien sûr, son fameux rituel matinal. D'ordinaire, il ne peut aligner deux pensées cohérentes sans avoir avalé une tasse de café noir sans sucre. Après ça, il accepte de papoter le temps de s'habiller, puis il se rend à la boulangerie pour acheter deux croissants. De retour, il se prépare un deuxième café, sucré cette fois, m'en prépare un avant de s'installer à table avec son croissant et un bol de céréales.

Buté, je le dévisage. Cette fois, je ne le laisserai pas faire. Nous allons parler, et maintenant. Il pourrait facilement fuir, néanmoins, lorsque je lui fais remarquer qu'il m'a blessé, il s'assoit sur le bord de son lit. J'en profite pour essayer de lui tirer les vers du nez : je veux savoir qui est vraiment ce Clarenz. Il se frotte le nez plusieurs fois, cligne des yeux, bâille encore. Sa première tentative pour parler se solde par une phrase incompréhensible. Il bâille une nouvelle fois, puis, au prix de ce qui semble être un effort intense, énonce enfin une phrase intelligible.

– Mon cousin, je te l'ai déjà dit. Nos mères sont sœurs. Clarenz Terrasève, si tu veux chercher sur le net.

Je me sens rougir alors qu'il me lance un regard en coin. Sait-il que je l'ai cherché, lui ?

– Puisque tu n'as rien trouvé sur moi, j'imagine que tu vas chercher pour lui.

Cette fois, je meurs de honte. Il faut croire que je n'ai pas besoin de ma mère pour cette activité. Je bredouille des excuses nébuleuses, puis finis par pincer les lèvres. Je me cacherais bien derrière mes mains, mes bras, mes coudes, n'importe quoi, mais je reste bêtement figé, debout au milieu de la pièce.

– Ne fais pas cette tête, je me doutais bien que tu chercherais. C'est Humain. Les gens aiment percer des mystères. Mais, mon cœur, crois-moi...

Mon cœur ? Je lui adresse un sourire béat, il pouffe de rire. Si je m'éparpille de la sorte, il ne pourra jamais finir sa phrase. Je me calme aussitôt et l'invite à poursuivre. La suite me laisse perplexe : il aimerait m'en parler, vraiment, mais il n'est pas prêt. Et puis, nous ne nous connaissons pas assez, il préfère se montrer méfiant. Je meurs d'envie de lui faire remarquer qu'appeler quelqu'un « mon cœur » n'est pas synonyme de méfiance. Je me contiens. À force de contenir mes pensées avec lui, je vais finir par exploser ! Lui continue de parler sans se soucier de mes élucubrations mentales : pour le reste, il ne peut pas. Dommage que je ne comprenne pas de quoi il parle. Désabusé, je lui demande s'il pense m'apaiser avec ce genre de phrases. Seul un haussement désolé d'épaules me répond. Une fois de plus, Monsieur Terrasève demeurera indéchiffrable.

– Et pour le SMS, tu peux m'en dire plus au moins ? Vu le moment où...

– Je dois admettre que ce n'était pas cool. Je n'ai plus l'habitude.

Mon ton se fait sarcastique :

– Plus l'habitude d'attendre d'avoir fini de baiser pour prévoir une sortie en boîte avec ton cousin ?

– Mais laisse-moi finir, sinon la prochaine fois je ne réponds pas à tes foutues questions. Notre arrière-grand-mère est malade, il me donnait des nouvelles. Mais oui, la prochaine fois, j'attendrai pour répondre.

Je me sens un peu idiot de m'être énervé. Un peu seulement, une petite voix me murmure qu'il trouve là une excuse bien facile.

– Tu ne me crois pas.

– J'avoue que j'ai du mal. C'est pratique comme excuse.

Il se mordille la lèvre, comme toujours lorsqu'il réfléchit avant de se lever et de venir se planter face à moi.

– Et que dirais-tu de poser la question directement à Clarenz ?


Texte publié par Carazachiel, 23 septembre 2019 à 09h18
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