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tome 1, Chapitre 14 tome 1, Chapitre 14

Son téléphone sonne encore. Cette fois, il ne se contente pas d'y jeter un œil, mais prend le temps de répondre. Au texto, pas à moi. Non, moi, je reste là, à le dévisager plein d'incompréhension en attendant son explication.

– Tes parents vont bientôt rentrer. Tu crois que je dois te mettre au lit avant leur retour ?

Ma mine blasée ne l'émeut guère. Au contraire, il se lèche les lèvres — je ne peux m'empêcher de les fixer avec envie — avant de poursuivre d'un ton moqueur.

– Tu sais, pour être payé. J'ai peur que s'ils te trouvent sur le canapé, ils refusent de me donner un petit billet.

Mes yeux se plissent tandis que je lui réponds du tac au tac :

– Il faut coucher pour ça.

Basse vengeance pour le râteau récolté quelques minutes plus tôt. Mais au lieu de se démonter comme je m'y attends, il s'empare de mon menton, approche son visage à quelques centimètres du mien. Ma bouche s'assèche, je déglutis. Sa voix n'est plus qu'un chuchotement lorsqu'il reprend la parole :

– Ne propose pas quelque chose que tu ne soutiendras pas.

La seule réplique à me venir ressemble à celle d'un célèbre gaulois de bande dessinée face à une si jolie blondinette : geufreugeufreugeufreu. Il rit. Un rire magnifique, clair, doux, plein de... je délire. Il rit, simplement, et ces notes — pas si cristallines — me mettent en émoi !

Ses lèvres se posent sur les miennes, si douces, si sensuelles. Sa main descend dans mon cou, en caresse la peau avant de se loger sur ma nuque pour m'attirer à lui en douceur. Puis il s'enhardit, soulève mon haut, égare ses doigts sur mon ventre. Les fameux papillons reviennent.

Une alarme s'allume dans un coin de mon esprit, je la fais taire aussitôt. Profiter, réfléchir après. D'autant que le baiser se prolonge. Cléandre s'enhardit. Mon pull trouve très vite le chemin du sol, suivi de près par mon polo. Les papillons redoublent. Ils me réchauffent. Ils descendent, se logent dans mon bas-ventre, y diffusent une délicieuse chaleur.

Quelle torture ce serait de devoir tout interrompre maintenant !

L'alarme tonitrue désormais. De nouveau, je la bâillonne. Profiter, j'ai dit. Réfléchir après. Hélas, les mots commencent à remplacer les délectables sensations. Ils tournent, sinuent et s'insinuent. Ils gâchent tout. À regret, je le repousse. Oh, à peine, juste assez pour que nos bouches se séparent.

– Je croyais que tu ne voulais pas sortir avec moi.

– Forcément ; il fait froid dehors.

Si ma mâchoire pouvait se décrocher, elle le ferait. Le diable à capuche a repris tant d'assurance qu'il se paye ouvertement ma tête ! Ou bien essaie-t-il de me faire passer un message ? Je le lui demande d'une voix bougonne, sauf qu'au lieu de me répondre, il se penche en avant. Nos bouches s'effleurent à nouveau, néanmoins, il se fige avant que le contact ne devienne un vrai baiser. Ses chuchotements m'électrisent à chaque mot, si bien que je peine à me concentrer sur leur sens.

Il refuse de sortir avec moi à cause du côté officiel de la demande. Il ne veut rien d'officiel. Même s'il en a envie, même si je lui plais, il n'a pas fui tout ça pour se lancer dans une nouvelle histoire d'amour. Par contre, une relation secrète, un peu interdite lui conviendrait.

Impossible de lui refuser la requête, sa proximité, sa chaleur anéantissent mes derniers neurones encore opérationnels. Je suis out dans presque tous les sens du terme.

Profiter, réfléchir après, toujours.

Profiter de ses mains qui reviennent à l'assaut. De sa bouche chaude sur mon menton, puis dans mon cou, mon torse, mon ventre... Profiter de ce moment de volupté et d'extase, de ses gestes attentionnés et précis. Profiter et oublier jusqu'au retour imminent de mes parents...

Ceux-ci se rappellent à nous en ouvrant non pas la porte d'entrée — par bonheur !— mais celle du garage. Ma chambre se situe au-dessus, je reconnaîtrais ce bruit entre mille. Branle-bas de panique : Cléandre se redresse en vitesse, remonte mon boxer et, au moment où les deux intrus surgissent dans le salon, vide une des bières, sans doute pour se donner contenance.

Raté. La rougeur de ses joues rivalise avec celle des miennes, sans parler de mon vieux short qui ne laisse aucune place à l'imagination.

Ma mère nous propose aussitôt de reprendre une boisson, un thé cette fois. Gênés, nous acceptons. Pendant qu'elle s'affaire dans la cuisine, mon père s'affale dans le canapé. Du bout des lèvres, par politesse j'imagine, Cléandre lui demande comment était la soirée. Un soupir à fendre l'âme lui répond : Marianne a passé la soirée à s'inquiéter pour moi et à envoyer des textos à Cléandre. Textos restés sans réponse, sauf le dernier. Voilà qui explique la pollution sonore de la soirée.

Pendant ce temps, je cherche un coussin des yeux. J'ai des choses à cacher. Une chose surtout, qu'aucun de mes deux parents ne semble avoir remarqué. À mesure de la discussion, le soulagement me gagne, Cléandre se détend lui aussi : notre petit moment intime est passé inaperçu.

Sauf qu'au moment de nous servir du thé — dans son service en porcelaine, notre hôte a dû lui taper dans l'œil — ma mère lâche, l'air de rien, qu'elle comprend enfin pourquoi ses messages sont restés sans réponse. Hilare, mon père renchérit que nous aurions tout de même pu aller dans ma chambre. Ainsi, personne ne nous aurait interrompus.

Jared m'a souvent parlé de ce phénomène jusqu'alors inconnu pour moi ; je n'ai présenté aucun de mes ex à ma famille : les parents qui te foutent la honte. Je saisis désormais l'ampleur de la chose. Jamais encore je ne me suis senti aussi honteux. Pas même hier, à l'hôpital. Pas même lorsque je déblatère des âneries plus grosses que moi. Ja-mais.

Sans se laisser intimider, Cléandre rétorque qu'en son âme et conscience, il ne pouvait déplacer le si grand blessé que je suis sans crainte d'aggraver ma fracture. Puis, il porte la tasse à ses lèvres avant de remarquer que cet earl grey est une merveille, parfaitement infusé. Ma mère le remercie.

Puis, elle et mon désormais amoureux secret — l'état de fait me donne des frissons de joie ! – se dévisagent un long moment dans le blanc des yeux.Le duel m'impressionne. La tête droite et le regard fier, tous deux ne font que siroter leur thé. Le suspense devient insoutenable : qui va gagner ? D'ordinaire, j'aurais parié sur ma mère. Mais Cléandre... je ne sais pas, ses réactions me surprennent tellement que tout est possible !

De son côté, mon père bâille, puis allume la télé, amusé de découvrir la chaîne que nous regardions : celle du reportage sur les pompiers. Pas le temps de penser à cette curiosité, l'hypothèse émise par mon paternel me déstabilise : aurions-nous regardé quelque film érotique, voire pornographique, puis zappé au hasard pour donner le change ? Je démens avec vigueur. Cléandre reste de marbre. Ma mère aussi. Mon père exprime sa déception, il espérait faire cesser ce duel interminable ; il apprécierait de pouvoir se coucher.

Contre toute attente, la victoire revient à Capuche ! Il se voit même invité à passer la nuit chez nous. Puis, avec un sourire en coin, elle pose une boîte de préservatifs neuve sur la table. Je ne connaissais pas ma mère si provocatrice ! Après une hésitation, la main de Cléandre s'abat sur la boîte.

– Parfait, ça m'évite de sortir en racheter ! Quelle prévoyance, Marianne ! Devoir renoncer une deuxième fois à votre fils par pénurie de préservatifs m'aurait contrarié !


Texte publié par Carazachiel, 16 août 2019 à 11h00
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