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Loin sous la surface bleu-marine des océans vivait un poulpe répondant au doux prénom de Jean-Romuald.

Je dois ici à l’honnêteté d’admettre que ce n’était pas tout à fait son vrai nom : sa mère, une charmante pieuvre au teint vermeil, l’avait en effet baptisé Œbbløblblhę. Vous conviendrez cependant avec moi, cher lecteur, que cela ne se laisse pas facilement prononcer par les créatures de la surface que nous sommes. Aussi ai-je choisi de le renommer le temps de ce récit.

Jean-Romuald, donc, incirrina de son état comme nous l’avons dit, coulait des jours heureux au fond des mers.

C’était un céphalopode distingué aux goûts raffinés.

Mu par une intense curiosité, il nourrissait depuis sa plus tendre enfance une passion pour les objets de toutes sortes venus de la surface. Il pouvait passer des heures à les collecter, les nettoyer, les étudier, les rassembler. Il avait, au fil des années, accumulé une impressionnante quantité de fourchettes, de brosses à dents, de cruches, d’amphores, de barils, de miroirs, de statues, de gouvernails, de figures de proues, de cheminées de paquebot, d’hélices, d’épaves en tous genres.

Parfois, les agitations de la surface envoyaient par le fond un plein chargement de nouvelles pièces à ajouter à sa collection.

Il lui était aussi arrivé par le passé d’aider un peu le destin en amenant à lui l’un ou l’autre de ces vaisseaux qui flottaient avec indifférence sur le toit de son monde pour s’y servir en bibelots divers.

Il avait même, il y a longtemps de cela, coulé un paquebot magnifique avec quatre belles cheminées. Il avait d’abord cogné un petit coup dessus pour en percer la coque et le faire sombrer en douceur. Malheureusement, il avait été trop impatient et le titanesque mais malgré tout fragile esquif s’était brisé en deux lorsqu’il avait voulu l’attirer à lui.

Et puis il y avait eu ces quelques décennies durant lesquelles des sous-marins venaient le déranger pendant ses siestes. Il faut bien reconnaître que sous le coup de la colère, il lui était arrivé d’en détruire quelques-uns. Avait-on pas idée, aussi, de troubler ainsi le sommeil des gens !

N’allez cependant pas croire pour autant, amis lecteurs, que Jean-Romuald était un monstre marin déchaîné et destructeur, non, pas du tout ! Ce n’étaient là que quelques erreurs de jeunesse, après tout. Il savait à présent mesurer ses humeurs.

Il ne taquinait plus guère les embarcations qui sillonnaient son plafond, mais il lui arrivait encore de les approcher. En particulier les géants ventrus qui écumaient régulièrement les mers avec une lenteur désinvolte, car il s’échappait souvent de leurs panses enflées des rythmes qui lui plaisaient. Une chanson des années 80 en particulier avait ses faveurs. Lorsque de son ouïe fine, le poulpe percevait les premières notes de la chanson intitulée « Macumba », il ne pouvait s’empêcher de les laisser frémir jusqu’aux extrémités ses tentacules et il se lançait sous la mer dans des twists endiablés.

Jean-Romuald n’était pas seulement fin mélomane mais aussi un gastronome averti.

Il est l’inventeur du rôti de requin au court bouillon. Une recette simple et savoureuse : Prenez un requin bien dodu, farcissez-le d’anémones et de quelques rhizomes de mer, ficelez le avec des algues nori, puis faites-le mijoter pendant une bonne heure dans une source hydrothermale. Tout simplement exquis !

Une petite anecdote, à ce sujet : Dans sa jeunesse, notre sémillant céphalopode était doté, comme tous les jeunes gens, d’un insatiable appétit et d’un esprit festif. Il aimait à organiser avec sa nombreuse fratrie, ses cousins et amis, des barbecues parties autour des fumeurs noirs. Ces méchouis sous-marins, quelques peu excessifs, avaient hélas fini par entraîner l’extinction de l’espèce des mégalodons, si bien que nos joyeux drilles devaient dorénavant se contenter de la chair moins savoureuse des requins blancs

Il avait dès lors pris grand soin de ménager ses ressources et réservait ces plats de choix aux grandes occasions. De même que le foie gras de baleine ou la soupe de béluga.

On ne peut qu’en déduire que cet admirable esprit aquatique était doté de facultés qui font défaut à tant des nôtres : celle d’apprendre de ses erreurs et celle de veiller à l’équilibre de son écosystème.

Depuis quelques décennies, un changement dans le-dit écosystème était venu chambouler un peu le quotidien de notre ami aux huit bras : il avait pu observer, de plus en plus fréquemment des immersions volontaires de bipèdes. Au début, il n’y avait pas franchement prêté attention. Il avait bien essayé d’en cuisiner quelques-uns mais la qualité de la viande s’était dégradée au fil du temps. À l’époque où ils tombaient à l’eau frais ou descendaient en boîte de conserve, les humains étaient encore assez goûteux. Mais à présent les plongeurs étaient devenus parfaitement immangeables : livrés en emballage plastique, bourrés de pesticides et d’antibiotiques. Il n’y aurait plus touché pour rien au monde !

Et puis, le temps passant, il avait compris que ces curieuses créatures avaient la particularité de partager son intérêt pour les objets tombés dans les profondeurs. Ils descendaient souvent lui chiper ses pièces de collections les plus anciennes. D’abord agacé par ces chapardages, il en était pourtant venu à éprouver une sorte de fascination pour les allées et venues de ces poissons à temps partiel.

Ainsi naquit la nouvelle marotte de Jean-Romuald: présenter une exposition de ses plus belles trouvailles à proximité de son antre pour attirer des visiteurs et pouvoir les observer à son aise. Et ce stratagème fit merveille. Des dizaines puis de centaines d’habitants de la surface, palmes aux pieds, venaient chaque jour admirer sa ville sous-marine reconstituée et lui offraient le spectacle permanent d’êtres terrestres évoluant dans son élément.

Ce lieu désormais célèbre, sur terre comme sous la mer, est devenu un lieu d’étude de notre espèce pour les incirrina de toutes sortes. Ainsi se préparent-ils, en ce moment même, sous les enseignements du Professeur Jean-Romuald, à l’accomplissement de sa nouvelle idée révolutionnaire : l’invasion du monde de la surface.


Texte publié par Leliel, 10 février 2019 à 16h27
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