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tome 1, Chapitre 5 tome 1, Chapitre 5

Dans la petite maison, elle observe autour d'elle assise sur le tapis de la pièce principale.

- Où vis-tu d'ordinaire, tu as un abri quand il y a de la tempête ? demande le pêcheur les sourcils froncés et visiblement inquiet.

La sirène le regarde et elle cherche à deviner la cause de son malaise sans succès.

- Il y a quelques grottes sous-marines au large.

- Mais tu n'es pas une fée des houles ou quelque chose comme ça...

- Je ne sais pas ce que c'est.

- Une fée qui vit dans des cavernes... Elles ont des pouvoirs magiques.

- Je n'en ai jamais entendu parler. dit la sirène d'une toute petite voix en continuant à observer les objets inconnus qui l'entourent. Et je n'ai pas de pouvoirs.

- Si ce n'est celui de voler le cœur des marins...

A ces mots, Melen sourit faiblement et elle lui répond que ce n'est qu'une réputation sans fondements.

De temps en temps, elle prend en main un objet et elle le repose aussitôt, intimidée. Patiemment, Morgan tente de lui expliquer de son mieux son utilité et la manière de s'en servir.

- Tu as froid. Pardon, j'avais oublié.

Il va chercher une couverture dont il l'enveloppe. Elle serre l'étoffe contre elle qu'elle caresse un long moment en essayant de comprendre comment est fait le tissu mais elle n'ose pas poser la question et elle se tait.

- Je ne sais pas ce que tu manges, j'ai fait de la soupe de poisson, j'ai pensé que cela te plairait. Mais j'ai peut-être eu tort, ça se mange chaud et je doute que tu connaisses cette sensation.

Muette, la jeune fille ne répond rien et elle se contente de secouer la tête latéralement pour signifier son ignorance. Lorsque le jeune homme revient ses bols à la main, elle renifle longuement le liquide avant de tremper son doigt dans le récipient pour examiner la mixture de plus près. Puis, elle se décide à goûter avec prudence le breuvage qui semble lui plaire après avoir observé comment le jeune homme utilise son bol.

- Qu'est-ce que c'est ?

- De l'eau dans laquelle j'ai fait longuement cuire les poissons. Cuire sur le feu. Avec des légumes.

- Je connais le feu, un peu mais je n'en ai jamais vu de près.

- Viens avec moi. dit le jeune pêcheur en lui tendant la main.

Dans la cuisine, Melen observe l'âtre où le feu crépite. Elle approche sa main pour sentir sa chaleur , sensation qu'elle ne connaît que par le soleil les jours d'été. Cette sensation délicieuse l'intrigue et elle reste un moment à laisser sa main au-dessus de l'âtre jusqu'à ce que Morgan la prenne d'une voix douce.

- Tu vas finir par te brûler et la soupe va refroidir. Tu manges quoi dans la mer ?

- Des algues et des coquillages. Parfois du poisson mais c'est plus rare. Il y a suffisamment de nourriture à portée de main pour nous éviter de partir en chasse. Nous n'avons jamais été nombreux dans cette partie de la côte.

Emue, Melen pleure en silence et le pêcheur feint de n'avoir rien remarqué, ne sachant comment la consoler. Bientôt, elle sèche ses larmes et elle interroge son hôte.

- Tu n'as pas de famille ?

- Mon père était pêcheur comme moi, la mer l'a pris. Ma mère est morte de chagrin peu après. J'avais un frère de cinq ans plus âgé qui s'est noyé en mer et je crois que le cœur de ma mère s'est brisé à la mort de mon père. Cette partie de la côte est battue par les vents et on n'y accède que par un petit chemin escarpé. Nous sommes isolés, ce coin n'intéresse personne ; je vis seul mais je vais souvent au village le dimanche pour danser et m'amuser. Et aller à la messe quand le curé vient. Et toi ? Tu as une famille ?

- Non, non, je suis seule.

De nombreux mots ne disent rien à la jeune fille mais elle n'ose pas l'interroger, elle sait qu'elle finira par découvrir de quoi il parle. Le silence de Melen qui ne cesse d'observer autour d'elle met Morgan mal à l'aise et il la ramène à la table où il partage une pomme avec elle. Elle observe longuement le fruit avant de se décider à croquer dedans.

- Cette pomme est un fruit qui vient d'un arbre du jardin, je te montrerai tout à l'heure. Et aussi le potager d'où viennent les légumes que j'ai utilisé pour faire la soupe, j'imagine que tu ne sais pas ce que c'est.

Après, une rapide visite au jardin sous le clair de lune, il finit par déclarer qu'il est temps d'aller se coucher pour briser le silence pesant qui règne.

Dans le débarras aménagé, le pêcheur explique du mieux qu'il peut à la sirène à quoi servent les objets de toilette qu'il a mis. Il l'aide à se changer, rougissant lorsqu'il lui désigne la chemise de nuit qu'il a cousu dans un vieux drap, se promettant d'aller acheter quelques vêtements à Melen dès le lendemain. Plus tard, couchée dans le lit, la sirène écoute les bruits de la nuit, elle en reconnaît quelques uns et elle s'endort avec le bruit de la mer qui provient de la plage qui la berce.

Seul dans sa chambre, Morgan se demande s'il n'a pas fait une erreur en ramenant la sirène chez lui, elle semble si perdue qu'il s'interroge sur le fait qu'elle puisse s'adapter à la vie terrestre. Puis il s'endort, épuisé. Elle pourra toujours retourner dans la mer si elle le souhaite, lui brisant le cœur à jamais.

Le lendemain, le pêcheur se lève tôt, inquiet de voir la sirène partie durant la nuit. Il reste un long moment l'oreille collée à la porte de sa chambre mais il n'entend rien. Pourtant, il n'ose pas l'ouvrir pour s'assurer de la présence de la jeune fille. Une fois le petit-déjeuner et le repas du midi prêts, il songe qu'il ne peut repousser le moment fatidique et il toque à la porte avant d'ouvrir prudemment la porte. Melen s'est assise sur le lit à son entrée et elle le regarde sans rien dire.

- Je ne savais pas si tu dormais et comme tu ne répondais pas... Bref, je dois aller travailler pour gagner notre vie. Je resterai la majeure partie de la journée en mer puis j'irai au marché où j'irai vendre ma pêche du jour. Mais demain, je rentrerai tôt, je te le promets. J'ai laissé de quoi manger sur la table de la cuisine pour toi pour ce matin et ce midi, tu n'as pas besoin de le réchauffer. Il y a aussi de l'eau pour boire et te laver. J'espère que tout ira bien pour toi ?

La sirène acquiesce, elle retrouvera la mer aussitôt que le pêcheur aura passé la porte. Ce dernier, inquiet de la laisser seule, l'embrasse longuement avant de la serrer dans ses bras et quitter la maison. Son cœur se serre à l'idée qu'elle soit retournée à la mer à son retour sans un adieu mais il doit gagner sa vie. Il se demande si le pain et le fromage qu'il lui a laissé lui plairont mais il se dit qu'il ne peut faire mieux pour le moment et qu'elle pourra toujours se débrouiller dans la mer ou au pire qu'elle ne mourra pas de faim d'ici à ce qu'il revienne.

Sur la plage, il retrouve son associé qui le hèle, heureux de le voir de retour au travail. Il lui avait glissé un billet sous la porte avant de retrouver la sirène pour le prévenir de son absence comme lors de son escapade chez l'ermite du Menez-Bré.

- Te voilà de retour ! La pêche a été moins bonne sans toi. Tu viens au fest-noz ce soir ?

- Je ne sais pas. dit-il en regardant son ami.

- C'est à cause de cette fille qui t'a brisé le cœur ? Il y en aura d'autres...

- Je l'ai retrouvée... murmure le jeune homme. Elle est chez moi et je m'inquiète de la laisser seule.

- Tu l'as ramenée chez toi ? Et sa famille ?

- Elle n'a pas de famille et nulle part où aller.

- C'est une vagabonde ?

- En un sens. Je compte bien l'épouser demain si elle veut bien. Viens demain matin avec Yann avec qui nous pêchons parfois, j'irai voir le curé en rentrant chez moi. Et si elle ne veut pas, vous la rencontrerez.

Interloqué, le pêcheur regarde son ami en cherchant à comprendre comment sa solitude l'a amené à recueillir chez lui une vagabonde qu'il connaît à peine et à l'épouser si vite. Mais il ne dit rien, il estime que ce ne sont pas ses affaires.

Le soir venu, Morgan entend la sirène chanter en arrivant sur le pas de la porte. Il sourit avant d'entrer sans bruit et il reste un long moment à l'écouter tandis qu'elle démêle ses cheveux d'or. Devinant sa présence, elle finit par se retourner.

- Je t'ai dérangée... dit le jeune homme, intimidé.

- Non, je t'ai attendue toute la journée et j'avais hâte de te revoir. Tu m'as surprise, c'est tout. Je ne savais pas à quel moment tu rentrerais.

S'approchant à grands pas, il la serre dans ses bras et l'embrasse avec fougue.

- Veux-tu toujours m'épouser ?

- Oui. Mais n'est-ce pas un peu tôt ?

- Demain, je n'irai pas au travail et nous irons trouver le curé qui nous mariera. Je dois juste préparer la noce. Mes amis pêcheurs viendront. S'il devait m'arriver quelque chose, tu n'aurais nulle part où aller ; en tant qu'épouse, tu as un peu de droits, pas beaucoup car je ne possède presque rien mais c'est mieux que rien du tout. Et si tu veux rester sur terre, tu auras une existence légale. Ca va ? Je crains toujours que tu t'ennuies dans la journée.

- Je rejoins souvent la mer après ton départ. Viendras-tu avec moi un jour prochain ?

- Je viendrai. Mais la vie est dure ici et je dois gagner notre vie.

- Je le sais, tu me l'as dit.

- Je ne sais pas en quoi tu crois, je veux dire si tu crois en un dieu, une divinité. interroge le jeune homme en s'asseyant auprès d'elle, mesurant qu'au fond, il ne sait rien d'elle si ce n'est qu'il est fou amoureux d'elle.

- Je crois seulement en Llyr, le dieu de la mer. Et en Belenos, le dieu du soleil.

- Nous ne croyons plus depuis bien longtemps en ces vieux dieux. Nous avons un dieu unique que nous appelons Dieu, tout simplement.

- Je ne changerai pas mes croyances pour toi.

- Je le sais et si nous avons des enfants, peu m'importe en quoi ils croient tant que leurs croyances les aident à trouver leur chemin dans la vie. Je ne suis pas très croyant ni très pratiquant pour tout t'avouer. Mais quelques fois, il nous faudra aller à la messe, si tu veux bien.

La sirène acquiesce, elle sait qu'elle doit s'adapter à la vie sur terre et faire ce qu'on attend d'elle. Mais le soir venu, Morgan n'en est plus si sûr. Il reste un long moment les yeux ouverts dans le noir en se demandant ce qu'il sait de la sirène et il craint de faire des découvertes qui l'amènent à douter de sa décision. Pourtant, il se dit que si son cœur l'a choisie, il doit lui faire confiance. Et qu'il est trop tard pour revenir en arrière.

Avant que la nuit tombe, ils se rendent dans le jardin où il la laisse à loisir observer les plantes.

xXxXx

Le lendemain, le pêcheur emmène la sirène à la ville où il lui achète une robe rouge brodée de fil d'or pour la noce, ainsi qu'une robe du même vert que sa queue de poisson qu'elle s'empresse de mettre et des chaussures de cuir noir. La longue robe la gêne un moment mais elle finit par s'amuser de la sentir battre ses chevilles qui se font bientôt douloureuses, peu habituées à la marche. Des merveilles l'entourent de toutes parts et elle entraîne le pêcheur au gré de ses découvertes. Amusé, il se laisse entraîner avant de lui rappeler qu'on les attend, il achète de quoi régaler leurs invités avant de regagner leur logis. La sirène le regarde préparer le repas, elle l'aurait bien aidé mais le jeune homme lui répond qu'il n'a pas le temps de lui apprendre à cuisiner et de lui présenter les ingrédients. Mais que plus tard, il le fera.

Morgan chantonne en s'affairant avec des ustensiles que la sirène ne connaît pas et elle l'observe, avide d'apprendre et de découvrir ce monde nouveau. Elle le voit découper les légumes et la viande qu'ils ont acheté au marché et elle se lève pour observer les ingrédients changer de couleur et de texture au fur et à mesure de la cuisson. A plusieurs reprises, le pêcheur prend une louche et il la laisse tâter la viande et les légumes, observer les changements qui s'opèrent dans la nourriture. Il sort du pain et il la laisse goûter le bouillon avec circonspection. Longuement, il lui explique le déroulement de la cérémonie à venir et il l'interroge pour être certain que son choix est fait. Mais la sirène se dit sûre d'elle et le jeune homme veut croire en sa bonne fortune tandis que la préparation mijote sur le feu. Ils mangent en silence avant de se diriger vers la petite église où le pêcheur retrouve quelques connaissances venues pour la noce. Melen à son bras, ils affrontent le vent qui bat la lande et qui décroît à mesure qu'ils se rapprochent du bourg où la sirène observe autour d'elle le lieu où elle va vivre désormais qu'elle n'a pas vraiment eu le temps d'observer à sa guise. Elle voudrait poser des questions mais le pêcheur reste silencieux et recueilli à son côté et elle préfère se taire, elle aura tout le temps pour satisfaire sa curiosité. Elle reste un moment devant la petite église, elle reconnaît la roche de granit qui compose une partie de la côte qu'elle connaît bien mais elle ne comprend pas bien comment ils s'empilent pour former l'édifice mais elle ne dit rien se contentant de garder sa question en mémoire pour plus tard.

Lorsqu'elle entre dans la petite église, la sirène reste un long moment à regarder les vitraux et les peintures sur les murs, même si elle n'est pas certaine de comprendre toutes les scènes qui se jouent sous ses yeux. Mais les couleurs et la lumière qui passe à travers les vitraux suffisent à la ravir. Le prêtre que Morgan a bien dû mettre au courant de la situation ajoute Melen-Océane Tristana sur ses registres de baptême et de mariage, rappelant le choix de la jeune femme de quitter la mer qui l'a vue naître et lui donnant ainsi une existence légale. La cérémonie est rapide et les quelques invités se pressent pour féliciter les nouveaux mariés avant de rejoindre la maison du pêcheur. Melen ne dit rien de peur de commettre un impair, nerveuse, elle se contente de sourire et d'observer ce qui se passe autour d'elle pour suivre le mouvement.

Le repas de noces qui suit est frugal et composé de crêpes et de galettes aux produits de la ferme que Melen découvre pour la plupart. Circonspecte, elle tâte longuement les aliments le plus discrètement possible bien consciente des yeux braqués sur elle. Elle n'aspire qu'à retrouver la solitude mais elle sait qu'elle a choisi son destin et qu'elle doit surmonter cette épreuve. Les amis de son mari se montrent aimables avec elle mais elle est mal à l'aise dans cet environnement nouveau pour elle, elle observe minutieusement ce qui l'entoure et elle tente de deviner les coutumes. Elle ne sait pas comment se tenir et elle reste assise sur sa chaise en bougeant le moins possible de crainte de commettre un impair. Un coup de coude la fait sursauter et elle tourne les yeux vers son nouvel époux.

- Bois, mais doucement. C'est de la goutte, un alcool fort, il risque de te brûler les entrailles mais nous devons trinquer, c'est la coutume.

L'odeur ne dit rien à la jeune mariée qui renifle un instant le liquide transparent sous le regard amusé du pêcheur assis à ses côtés.

- Prête ?

Elle acquiesce et elle boit. Bientôt, le feu envahit ses entrailles et elle se sent nauséeuse, elle fuit la salle pour respirer l'air du dehors. Autour d'elle, tout tangue et elle doit s'appuyer au mur de la bâtisse pour retrouver l'équilibre.

- Je t'en ai trop mis, j'aurais dû te prévenir de ne pas tout boire d'un coup ? Ca va ? Respire, l'air frais te fera du bien. Viens dans mes bras, rien ne peut t'arriver tant que je suis à tes côtés.

Melen se niche contre la poitrine de Morgan qui la serre contre lui tandis que le vent de l'océan les malmène. Le jeune homme a froid mais il ne dit rien.

- Je ne me sens pas bien, je voudrais aller dormir.

- Le repas n'est pas terminé, nous devons encore danser.

- Je ne sais pas danser.

- Tu n'auras qu'à me suivre.

Melen se crispe et elle ouvre la bouche pour parler avant de renoncer. Mais les mots sortent sans qu'elle puisse les arrêter.

- Je ne me sens pas à ma place ici, je ne sais pas quoi faire, quoi dire. Tes amis ont l'air gentils mais je ne me sens pas bien ici, je voudrais être seule avec toi.

Une larme perle à ses yeux et Morgan soupire.

- Je te promets d'écourter la soirée autant que possible. Mais c'est notre mariage, on ne te connaît pas, tu comprends ? Tu ne parles à personne.

- J'ai peur de dire des bêtises, je ne connais rien de la vie sur Terre, j'écoute mais je ne comprends le plus souvent pas de quoi on me parle alors je me tais et je souris.

- Je comprends, je suis désolé, j'aurais dû te laisser plus de temps. Mais ce ne sont que quelques heures et ensuite, tu auras tout le temps voulu pour découvrir ce nouveau monde qui s'offre à toi.

La sirène prend la main que le jeune homme lui tend et il rejoint ses amis à quoi il annonce que son épouse est fatiguée et qu'il est temps de servir le dessert. Seule en bout de table, Melen grignote un morceau de crêpe garnie de confiture de mûres de l'an passé en guettant le moment où elle pourra se trouver loin de toute cette agitation. Elle se remémore les saveurs nouvelles qu'elle a découvertes en une seule soirée et elle se demande si la cuisine terrienne est aussi réputée et variée qu'on le prétend. Elle croise le regard de Morgan sur elle et elle se redresse avec un sourire tandis qu'il boit un dernier verre de rhum avec ses amis à l'autre bout de la table. Puis les quelques musiciens de l'assemblée se mettent à jouer et à chanter et les deux amoureux ouvrent le bal avec maladresse sous les rires de leurs amis. Morgan serre la sirène contrer lui, la soulevant presque pour danser.

- Je te promets que je t'apprendrai plus tard à danser. Mais pas ce soir. Je te jure que nous quitterons la fête très bientôt. Tu t'es amusée quand même ?

- Pas vraiment. Tu es resté avec tes amis et je me suis sentie un peu seule.

- Je suis désolé ma chérie, mais je ne pouvais pas rester tout le temps avec toi.

- Je comprends, je ne t'inquiète pas pour ça, mais j'ai trouvé le temps long, c'est tout.

Après trois danses, Morgan entraîne la jeune femme dans son sillage pour enfin la soustraire à cette agitation. Leurs amis leur souhaitent une bonne nuit avec des éclats de rire et ils se retrouvent enfin seuls.

- Viens. Ca va mieux maintenant que nous sommes seuls?

- Un peu mieux. dit-elle en le suivant jusqu'à la chambre où il la tient un moment contre lui, heureux de sentir sa présence à ses côtés et un peu inquiet à l'idée qu'elle choisisse de rejoindre la mer un jour.

- Promets-moi de ne pas partir sans me dire au revoir si tu sens que tu ne peux rester à mes côtés. On dit que les morganez partent sans prévenir un beau jour et on n'entend plus parler d'elle, laissant mari et enfants dans la peine. Je ferai mon possible pour t'aider à t'adapter à la vie sur terre et pour t'expliquer les choses que tu ne comprends pas.

- Je te le promets. dit-elle la tête posée sur son épaule déjà presque endormie.

Avec un sourire, Morgan l'aide à se coucher alors qu'elle est déjà à moitié partie au pays des rêves.

Le lendemain, ils se rendent au bord de la mer et le pêcheur lui parle des plantes, des pierres et des animaux qu'ils rencontrent. La sirène touche longuement les plantes agenouillée au bord du chemin, elle les hume et elle tente de se souvenir des noms et des propriétés dont lui parle le pêcheur. Un papillon blanc attire son attention et elle observe le vol de l'insecte en essayant de comprendre comment une si frêle créature peut voler sans que ses ailes ne se cassent.

Le dimanche suivant, après une courte messe à la chapelle où le pêcheur se rend plus par habitude que par conviction, la jeune sirène sent les regards peser sur elle. Ne sachant que faire malgré les explications de Morgan, elle suit tant bien que mal l'assemblée impatiente de voir l'office se terminer.

- Ca a été ? lui chuchote le jeune homme sur le parvis de la petite église.

- Je ne me sens pas à ma place ici. Tous ces regards sur moi.

- Ne t'inquiète pas, c'est normal, on ne te connaît pas au village. Et puis... on ne m'a jamais vu avec une fille à mes côtés. Alors ce mariage précipité intrigue et fait parler, c'est un petit village, les gens ont besoin de distraction.

Melen sourit perdue dans ses pensées.

- Et après que fait-on ?

- Chacun rentre chez soi manger en famille. sourit le pêcheur en la prenant par la main. Que veux-tu faire cet après-midi ?

Melen ne répond rien et son silence buté malgré les questions de plus en plus pressantes de Morgan n'y font rien. La sirène s'est murée dans le silence et le pêcheur décide de parler d'autre chose. Une fois, la porte de leur logis fermé, il se tourne vers elle, inquiet.

- Qu'est-ce qui ne va pas ?

- Je voulais retourner à la mer mais on pourrait nous voir.

- Ce n'est que ça. Il y a sans nul doute un endroit où nous pourrons plonger sans risque. Au bout du promontoire, il y a une sente qui descend jusqu'à un bout de plage si petit que personne n'y vient jamais.

- On pourrait nous voir ?

- Oui mais que verrait quelqu'un qui passerait par là ? Tant que nos queues de poisson restent sous l'eau nous n'avons rien à craindre. Viens avec moi, il n'y aura personne sur la plage, tout le monde est parti manger. A moins que tu n'aies faim ?

La sirène secoue la tête et elle revêt un robe toute simple avant de courir vers la plage en riant aux éclats dans le vent. Le pêcheur la suit du mieux qu'il peut mais il a peine à la suivre. Enfin, face à l'océan, la jeune fille cherche du regard un lieu où abriter leur transformation lorsqu'elle remarque une profonde cassure dans la falaise au pied de la mer et elle court s'y cacher sans se préoccuper de Morgan qui grommelle en la voyant reprendre sa course alors qu'il venait tout juste de la rejoindre. Dans l'eau mouvante, la sirène prononce la formule à voix basse et bientôt, elle se change en sirène. Tout sourire, les yeux levés vers Morgan, elle lui tend la main pour l'aider à la rejoindre dans l'eau. Elle le soutient tandis qu'il prononce à son tour la formule. Surpris, il se sent attiré vers le fond et lorsqu'il sent ses poumons se remplir d'eau, il se débat.

- Ne lutte pas ! lui dit Melen qui lui a pris la main et l'entraîne un peu plus vers le fond.

Les poumons du jeune homme s’emplissent d'eau de mer et vient le moment où il ne peut plus lutter et où il ouvre la bouche pour inspirer de l'air qui est resté en surface. Son pouls s'accélère à la pensée de mourir noyé mais il se rend alors compte qu'il respire tout à fait normalement inspirant et expirant de l'eau de mer sans dommage.

- Tu vas bien ? lui demande Melen derrière lui.

Il acquiesce malgré ses efforts pour lui parler. Il se force néanmoins à articuler quelques mots :

- Le plus dur est fait !

- Viens avec moi, je voudrais voir si quelques uns des miens sont revenus dans les parages comme je le fais régulièrement.

Main dans la main, ils explorent les grottes et les fonds marins mais ils ne trouvent aucune trace des congénères de la morganez. Après un moment où il s'est vu mourir noyé, Morgan a dû apprendre à se servir de sa longue queue. Puissante, cette dernière l'a propulsé la tête la première dans un banc de sable d'un mouvement mal maîtrisé. Après avoir ri de sa mésaventure, Melen est venue aider le jeune homme à se remettre d'aplomb. Puis elle l'a entraîné vers le lieu où fraient des bancs de poisson qui s'entrecroisent en un lent ballet. Le pêcheur est resté un long moment à observer le lent ballet des poissons d'argent qu'il pêche chaque jour pour se nourrir. Ce spectacle qu'il n'avait jamais espéré voir un jour l'emplit de sérénité et il ne quitte les lieux que lorsque son épouse le prend par l'épaule pour l'emmener plus loin. Le pêcheur s'émerveille de voir les poissons autour de lui nullement effrayés par leur présence mais il a beau regarder autour de lui, il ne voit nulle sirène dans les parages.

- Viens, allons danser.

- Je ne sais pas danser. Et tout le monde va me regarder.

- Ils finiront par s'habituer...

Le pêcheur soupire avant de reprendre.

- Nous sommes dans un petit village où tout le monde se connaît. On ne m'a jamais vu m'intéresser à une fille d'ici et un beau jour, je ramène une jolie jeune fille venue de nulle part que personne ne connaît que j'épouse aussitôt. Les gens se posent des questions, c'est normal, ils s'habitueront à toi. Viens. Que je t'ai choisie ou une autre ne changera rien pour eux, ils auraient fait de même pour n'importe qui. C'est un mauvais moment à passer, fais moi confiance.

Melen lève les yeux vers la main qu'il lui tend et elle la prend pour lui montrer quelques pas de danse. Les lèvres dans ses cheveux, il lui promet que tout se passera bien et qu'il danse tous les samedi soir avec ses amis, il ne se voit pas y aller sans la sirène qu'il aime. Melen se laisse aller contre lui, bercée par le rythme de la danse et heureuse de se trouver dans les bras de l'homme qu'elle a choisi.

A leur entrée, les conversations se taisent et Melen cherche la main du pêcheur qui la serre fort dans sa main puissante qui la rassure. Mal à l'aise, il cherche ses amis du regard et lorsqu'il les voit, il entraîne la jeune fille à sa suite. Les danses reprennent et les deux jeunes gens se placent dans un coin de la salle pour que Melen se familiarise avec les pas et les rythmes qui se succèdent. Puis son mari l'entraîne dans une danse simple sans lui laisser le temps de protester. Maladroite, la sirène s'enhardit au fil des danses et c'est les joues rosies par le plaisir de faire quelque chose dont elle a toujours rêvé qu'elle entraîne le pêcheur dehors pour prendre l'air. Dans la nuit fraîche, la sirène lève les yeux vers les étoiles lorsqu'elle entend parler à voix basse non loin d'eux.

- Il est joli garçon mais trop pauvre pour être un parti acceptable.

- Mais il aurait pu trouver mieux que cette fille que personne ne connaît, sortie de nulle part. Personne ne l'a jamais vue par ici.

- Il a dû la trouver dans un endroit sordide pour qu'elle accepte de vivre dans sa maisonnette loin de tout. Mais d'où peut-elle bien venir ? Ils se sont mariés sans famille et rapidement à ce qu'on dit.

- C'est une fille de mauvaise vie à n'en point douter.

- Et il y a peut-être un enfant à venir dans l'histoire.

- Rentrons danser.

La conversation à voix basse s'est tue et Melen a senti son époux se crisper autour d'elle.

- Qu'ont-elles dit ?

- Ce que tout le monde doit penser tout bas. Que tu es... et bien, le genre de fille qu'on n'épouse pas. Ou que je t'ai épousée pour de mauvaises raisons.

- Je ne comprends pas ce que tu dis...

- Une fille à la mauvaise réputation que j'aurais rencontrée loin d'ici... Ou que nous attendrions un enfant avant même de nous marier.

- Une fille dont personne ne voulait. C'est ce que je suis, personne n'est resté avec moi quand ils sont partis...

- Qu'importe, ils apprendront à te connaître et ils changeront d'avis mais je crois qu'il va falloir leur dire que je t'ai trouvé un soir sur la plage, une naufragée qui ne sait qu'une chose, qu'elle vient de la mer. Cela fera taire les rumeurs et on nous laissera tranquilles. Et surtout, on ne te posera pas de questions auxquelles tu ne saurais répondre. Je pense surtout à nos enfants et ce n'est pas tout à fait un mensonge, n'est-ce pas ? Rentrons, il est tard.

- Pourrons-nous avoir des enfants ?

- Je n'en sais rien, à vrai dire. Mais je pense que oui. Et si ce n'est pas le cas, ce n'est pas grave.

De retour dans la maisonnette, Melen reste un long moment à une fenêtre, le regard tourné vers la mer. Le pêcheur finit par la questionner et elle lui confie l'objet de ses tourments, si elle ne peut lui donner des enfants, il n'y aura plus la moindre chance de voir des sirènes sur cette partie de la côte à son décès. Morgan croit comprendre qu'elle envisage de revenir à la mer et il tait son inquiétude.

- Mais rien ne dit que ce ne sera pas le cas et qui sait ce que nos enfants choisiront entre la terre et l'océan ? Viens dormir, il est tard.

La jeune fille se blottit contre sa large poitrine et elle reste un long moment à écouter son cœur battre à son oreille. Le pêcheur s'endort et elle n'ose bouger de crainte de le réveiller.

- Je viens avec toi !

- Pourquoi ? Il est tôt, tu pourrais rester dormir.

- J'ai quitté la mer pour toi et tu me laisses seule la majorité de la journée.

- Mais qui va tenir la maison ?

- Tu vas vendre ta pêche au marché et pendant ce temps, je m'occupe de la maison. Je m'ennuie ici et si tu n'es pas avec moi à quoi bon vivre sur terre ?

Le cœur du jeune homme manque un battement, elle a dans l'idée de le quitter et la crainte de rentrer un jour dans une maison vide lui fait de nouveau peur mais il n'en montre rien. Il réfléchit qu'une paire de bras en plus ne serait pas une mauvaise idée mais il craint de voir la jeune femme le fuir. Il conclut qu'il vaut mieux qu'elle parte maintenant si l'envie lui prend et qu'il ne perd donc rien à tenter l'aventure. Ils marchent main dans la main dans la nuit pour retrouver NOM ? qui attend Morgan en fumant sa pipe à petit bouffée en regardant le soleil se lever.

- Bonjour, Melen, c'est ça ? Tu viens dire au revoir à ton mari ? Il reviendra, ne t'inquiète pas.

Intimidée, la jeune fille ne répond pas et elle attend que son époux réponde à sa place, elle ne connaît pas bien les usages sur terre.

- Elle vient avec nous, elle a insisté et qui sait si sa connaissance de la mer ne nous sera pas profitable ?

- On trouvera bien à l'occuper. On y va, on va manquer la marée.

Heureuse de retrouver la mer, la sirène se blottit dans un coin pour ne pas gêner la manœuvre de sortie du port mais rapidement la sensation nouvelle pour elle de voguer sur l'eau la met mal à l'aise. La main dans l'eau, elle tente d'apprivoiser les mouvements du bateau qui tangue sur la mer agitée. Cette sensation nouvelle lui est plaisante et elle regarde autour d'elle heureuse de découvrir la mer comme elle ne l'a jamais vue en se demandant si des sirènes se trouvent dans les eaux au-delà de l'horizon.

- On est arrivés.

Les deux hommes mettent les filets à l'eau et la pêche commence. La jeune fille observe ce qui se passe en silence pour ne pas effrayer les poissons. Un long moment se passe en silence sans que rien ne se passe puis les deux hommes remontent les premiers poissons pris dans leurs filets. Melen les regarde agoniser dans la caisse de bois où ils s'entassent et son cœur se serre mais elle ne dit rien même si elle voudrait dire aux deux hommes d'au moins abréger leurs souffrances.

- Pourquoi en prendre autant ?

- Pour les vendre au marché et nous procurer autre chose tout en offrant à d'autres la possibilité de manger des produits de la mer.

La sirène acquiesce et elle demande comment elle peut aider les deux hommes qui ne savent que répondre. Morgan comprend que son épouse s'ennuie et il se place à son côté pour lui montrer comment s'y prendre. Lorsque les deux hommes jugent qu'ils ont suffisamment pêché, ils se rendent au marché pour vendre le fruit de leur pêche. Melen observe autour d'elle et elle remarque des produits qu'elle ne connaît pas mais elle ne pose pas de question, ses compagnons sont fatigués et ils veulent vendre leurs prises au plus vite. Ils vont voir un poissonnier avec qui ils sont souvent en affaires à qui ils vendent le tout hormis ce qu'ils prélèvent pour eux-même.

- Tu veux quelque chose ? glisse le pêcheur à l'oreille de la sirène. Nous ne revenons pas en ville de sitôt, tu le sais.

- Non, rien, j'ai faim et sommeil.

- Nous allons rentrer, j'achète juste quelques provisions. Tu as dû t'ennuyer...

- C'est vrai.

- Tu pouvais en profiter pour nager...

- J'ai pensé que c'était impoli et je n'ai pas osé.

- La prochaine fois.

- Oui. acquiesce doucement la sirène le cœur serré au souvenir des poissons agonisants dans la caisse de bois du bateau.

Mais au fond d'elle, elle sait que c'est dans l'ordre des choses et qu'elle ne peut rien faire contre ça.

- Combien de temps vivez-vous ?

- Pardon ? demande Morgan alors qu'il arrivent à leur petite maison. Nous vivons en général entre cinquante et quatre-vingts ans, ça dépend. Pourquoi ?

- C'est que nous vivons bien plus longtemps que cela. En général, les deux premiers siècles nous vivons dans l'insouciance et ensuite nous dépérissons.

Le pêcheur semble préoccupé, elle le voit froncer les sourcils.

- Je pense que le moment venu, il nous faudra ou aller vivre ailleurs ou rejoindre la mer. Si nous vivons deux cent ans, nous allons attirer l'attention sur nous, on pourrait nous accuser de sorcellerie ou nous brûler. Nous verrons bien ce qu'il en est... Mais si nos enfants doivent avoir les mêmes caractéristiques que nous et l'ermite du Menez-Bré me l'a dit, nous devons les préparer eux et leurs descendants à cette éventualité. Mais nous avons bien le temps d'y penser, tranquilise-toi, mon amour des mers.

- Cela m'inquiète mais oui, le plus sage sera de quitter la terre le moment venu pour aller vivre dans la mer.

En son for intérieur, la sirène s'inquiète de toutes ces choses auxquelles ils n'ont pas songé mais elle a confiance dans leur capacité à faire face. Le pêcheur se montre toujours calme et réfléchi ce qui la rassure, il semble prendre les choses comme elles viennent et elle espère que sa nature ne finira pas par le révulser au fil du temps. Cette nuit-là, Morgan se questionne sur son choix de vie mais il arrive à la conclusion que si c'est la seule jeune fille qui a su toucher son cœur, c'est qu'elle est celle qui lui est destinée et qu'ils surmonteront tous les obstacles.


Texte publié par Bleuenn ar moana, 4 février 2019 à 16h06
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