Pourquoi vous inscrire ?
«
»
tome 1, Chapitre 3 tome 1, Chapitre 3

Chaque soir à la nuit noire, Morgan vient jusqu'à la plage après s'être assuré que personne ne le suit. Ce changement d'attitude est remarqué par ses amis avec qui il ne vient plus boire à la taverne ou chez qui il ne vient plus manger de temps à autre après une dure journée en mer. Sitôt son travail terminé, il rentre chez lui dormir pour s'éveiller à la nuit tombée pour rejoindre la plage. On se moque gentillement de lui en lui demandant s'il s'est fait naufrageur ou s'il a une aventure avec une fille du coin. Le jeune homme se contente de sourire sans réponde, énigmatique, il ne dit rien face aux questions et aux quolibets.

Ignorant les railleries dont il est l'objet, Morgan retrouve la morganez chaque soir à la nuit tombée. Ils parlent longuement à voix basse, leur conversation se mêlant au bruit des vagues frappant la plage. Puis ils vont nager dans l'eau froide et parfois la sirène se met à chanter sous les étoiles. La sirène est heureuse mais elle sait que cela ne pourra pas durer et elle attend avec angoisse le moment où il l'abandonnera.

Jour après jour, ils parlent de leurs vies dans deux éléments différents et de leur amour commun de l 'océan. Le pêcheur n'ose pas parler de son métier car il se voit en pilleur des mers et il lui a semblé comprendre que les sirènes ne chassent pas beaucoup de poissons. La sirène ne lui pose d'ailleurs nulle question sur son métier et elle ne semble pas avoir la moindre idée de ce qu'est un métier. Souvent, le jeune pêcheur tremble à l'idée de découvrir quelque chose qui rende leur relation impossible et il hésite à lui poser des questions trop précises même s'il se sait ridicule d'avoir de telles pensées mais il ne peut lutter. Pourtant, peu à peu, il s'y risque car il sait qu'il ne peut espérer un avenir s'il ne connaît pas sa nature profonde. Aussi peu à peu, il commence la questionner sur sa nature et sur son peuple. Il apprend ainsi que la chair de sa queue de poisson n'est pas une chair similaire à celle des poissons mais qu'il s'agit des mêmes muscles que ceux du haut de son corps ce qui lui semble logique et que les écailles de sa queue peuvent présenter toutes sortes de couleurs voire être modifiées pour des raisons esthétiques grâce à certains sables. Le jeune homme est surpris d'apprendre qu'il n'y a pas réellement de royauté dans le peuple sirène et que chaque groupe familial ou qui se regroupe par affinités est autonome. De plus, il n'y a pas de guerre et de différence sociale importante parmi ces communautés. Il tente d'expliquer à la jeune sirène le fonctionnement du monde humain avec les rois, les ministres, les chefs de village, le clergé et le système des impôts. Il devine un peuple heureux et paisible qui lui semble à l'abri des guerres et des maladies bien loin de la vie sur terre qui est bien plus dure entre les guerres, les famines et les épidémies.

- Mais tu n'es pas marié ? demande un jour Melen d'une petite voix.

- Tu me trouves trop vieux pour rester seul ? Je sais qu'on rit de moi au village, un si joli garçon qui reste vieux garçon et qui ne courtise pas les filles de l'endroit. Mais c'est seulement qu'aucune ne m'a jamais plu depuis toujours.

- Je m'étais dit que peut-être tu avais une épouse et des enfants à terre à cause de ton âge, en effet.

- Non et la population du village où je vis ne se renouvelle pas vite, il est rare de déménager. Bien sûr, il y a parfois des fêtes dans des villages voisins ou des voisins qui viennent dans mon village mais je connais plus ou moins tout le monde. Et toi ?

- J'ai aimé un de mes congénères durant quelques mois mais il a préféré suivre mon clan alors que je ne pouvais quitter ces lieux. dit-elle d'une voix triste.

- Pourquoi ne les as-tu pas suivis ? questionne le jeune homme.

- Parce que ma vie est ici.

Le pêcheur ne répond rien, il semble réfléchir et lorsqu'il ouvre la bouche, ses paroles font blêmir la sirène.

- J'ai décidé de me marier. J'ai rencontré une fille qui m'a fait changer d'avis.

La jeune fille tressaille et elle sent son sang quitter ses joues.

- J'en suis heureuse pour toi. marmonne la sirène qui s'est rembruni. Au moins, toi tu as le choix à terre. Tandis que moi...

- Tu as le choix parmi tous les marins que ta voix et ta beauté envoûtent.

- C'est faux ! s'insurge la jeune fille. Pourquoi viens-tu me voir si tu es fiancé ou que tu envisages le mariage ? Si tu en as choisi une autre, dis-le moi et va-t'en.

- Parce que je ne vois pas comment courtiser autrement la jeune fille que je convoite ?

- Qui est ? demande Melen, le cœur battant.

- Une jolie sirène si elle le veut bien.

- Mais c'est impossible, tu le sais.

- Je vais partir, nous trouverons un moyen. Si tu veux bien de mon cœur et si tu es consciente que je suis un pauvre pêcheur et que je n'ai rien à t'offrir.

- Je n'ai rien à t'offrir non plus, hormis la grotte où je vis dont on peut me chasser à tout moment car je suis sans défense.

Le pêcheur a pris sa décision. Il est tombé fou amoureux de la sirène dès qu'il l'a vue baignée par le clair de lune et il sait qu'il ne peut vivre sans elle. Lui qui n'a jamais rencontré la jeune fille de ses rêves au village malgré son succès auprès d'elles. Il a toujours su qu'elle viendrait d'ailleurs.

- Il y a un sorcier qui vit dans le Menez-Bré, un ermite que j'irai voir, il est réputé très puissant. Je partirai demain et je reviendrai dès que possible, je vous le promet Melen. M'attendras-tu ?

La jeune sirène acquiesce un peu inquiète à l'idée qu'il revienne avec des amis pêcheurs pour la capturer. Ils parlent longuement cette nuit-là et au matin, la sirène regarde le jeune homme s'éloigner certaine de ne jamais le revoir. Leur premier baiser qui a scellé son départ lui laisse une sensation de brûlure amère sur le cœur et elle chante dans l'aube naissante. La jeune fille imagine son amoureux dévoré par des bêtes féroces ou tombant dans un trou. Elle se rend compte qu'elle ne sait rien de la terre ferme ou si peu et qu'elle a négligé de questionner le jeune homme à ce sujet. Elle se demande quelles questions elle a oublié de poser mais elle sait qu'il est désormais trop tard, elle a fait son choix et il est trop tard pour revenir en arrière. La sirène s'interroge sur la puissance du sorcier dont le pêcheur lui a parlé, elle n'est pas certaine qu'il soit possible de changer leur nature et elle doute de la foi du jeune homme mais au fond d'elle, elle veut croire que l'espoir est permis et elle compte les jours les séparent de leurs retrouvailles. Elle ne peut s'empêcher de douter de son amour et de se dire que tomber amoureuse d'un humain est une folie. Elle se demande ce qu'elle fera si le jeune homme lui apprend qu'ils ne peuvent vivre dans le même élément, elle se retrouvera de nouveau seule et abandonnée ce qui lui sera d'autant plus douloureux qu'elle aura cru toucher le bonheur du bout du doigt.

Melen avait renoncé à l'amour quand elle a vu toute sa communauté partir pour d'autres côtes loin des hommes qui commençaient à s'approcher un peu trop de leur domaine pour leur garantir la sécurité. Mais elle n'avait pu se résoudre à quitter sa côte natale malgré la solitude qui en découlerait forcément. Toutefois, dans les premiers temps, elle ne désespérait pas qu'une partie de sa communauté revienne dans ce qui fut leur lieu de vie mais il n'en fut rien. Mais aimer un humain ? Un humain, de ceux qui ont fait fuir ses congénères peut-être ? Une créature qui la chassera, la tuera ou la capturera lorsqu'il saura ce qu'elle est ? Pourtant une part d'elle veut croire à un avenir radieux pour tous deux même si elle sait que ce ne sera pas facile pour eux deux. Tout le jour, Melen se risque à nager sous l'eau en profondeur pour profiter de cette belle journée. Elle sait que si un bateau passe dans les parages, il est possible que quelqu'un la remarque au fond de l'eau alors elle s'enfonce toujours plus profondément dans l'océan malgré les risques de rencontrer une créature dangereuse. Elle regarde autour d'elle avec prudence mais elle ne remarque rien d'anormal. Elle regrette sa solitude, d'ordinaire, ils sortent en groupe pour pouvoir surveiller les alentours mais elle est seule et elle ne peut compter sur personne. Peu à peu, la sirène se détend et elle laisse les courants la bercer, elle se laisse porter par eux par moments et elle flotte à la surface les yeux levés vers le ciel. L'océan la berce lentement et elle regarde les nuages se déplacer dans le bleu du ciel. Elle sait que ce qu'elle fait est dangereux mais elle souffre tant qu'elle a besoin de ce moment de répit qu'il eut mieux valu prendre de nuit mais elle est lasse de ne plus voir son environnement de jour. Elle se redresse et elle reste un moment à contempler la côte au loin. Elle voit les hommes s'activer et elle sourit.

Elle se demande où vit le pêcheur et s'il viendra la voir le soir venu. En effet, ce soir-là, il vient la voir. Le froid est vif et le jeune homme frissonne, il serre la sirène contre lui pour se réchauffer mais il n'y parvient pas. Elle l'entraîne dans l'eau et il nage en claquant des dents.

- Tu as froid...

- Oui et je suis mouillé maintenant. Je suis désolé, je dois rejoindre la plage et me sécher pour ne pas mourir de froid.

- Vraiment ?

- Non, bien sûr que non, c'est une expression. dit-il en rejoignant la plage et en se séchant.

Puis il se penche vers elle en lui tendant les bras et il la hisse sur la plage. Derrière des rochers, à l'abri du vent, il se réchauffe peu à peu. Ils parlent un long moment puis le pêcheur lui dit qu'il doit rentrer car il se lève tôt le lendemain matin, il regrette qu'elle n'ai pas pu le rejoindre plus tôt à cause de la lumière qui pourrait la trahir. Il l'embrasse avant de la porter jusqu'à la mer où elle plonge avant de lui murmurer un dernier au revoir.

Sur le chemin du retour, le jeune pêcheur songe que ses parents un peu superstitieux, lui auraient dit de se méfier de cette créature du diable qui ensorcelle les marins pour les précipiter dans l'océan et leur voler leur cœur avant de le briser. Il chantonne en frissonnant de froid et il reste un moment debout à regarder la mer qui lui fait face. Il écoute son bruit apaisant et il rentre en trottinant chez lui pour lutter contre le froid. Il imagine la sirène vivre auprès de lui mais il se dit qu'elle va sans nul doute regretter la mer et il hésite à mettre un terme à cette relation pendant qu'il en est encore temps même s'il sait qu'il est trop tard.

- Tous les marins savent que les sirènes sont des créatures dangereuses qui ensorcellent les marins pour les plonger dans les abîmes et moi, pauvre fou, je me suis laissé charmer par de grands yeux bleus, des cheveux blonds et une voix envoûtante. songe-t'il en se remémorant la jeune fille. Je suis un être faible, décidément, incapable de résister à une jolie fille. Pourtant, c'est la première fois que mon cœur est ainsi épris. Et puis, je verrai bien ce qu'il adviendra si je lui fais la cour. Sans doute ne voudra-t'elle même plus de moi... Je suis fou de croire que je peux changer ce qu'elle est.

- Tu chantonnes et tu as l'air ailleurs... lui demande un de ses amis alors qu'ils déchargent leur pêche du jour.

- Vraiment ? s'étonne Morgan. Sans doute, je suis heureux en ce moment, j'ai eu de la chance ces derniers temps.

- Si tu le dis mais moi, je crois que tu me caches des choses mais c'est ton jardin secret même si nous sommes amis depuis des années, tu pourrais me le dire à moi mais qu'importe. Sinon, j'ai acheté une petite chèvre pour ma maison, j'espère qu'elle s'entendra avec mon mouton.

Les yeux posés sur la mer, le pêcheur ne dit rien, il s'interroge sur son ami mais il décide de ne insister, s'il ne veut rien lui dire, il sait qu'il ne lui dira rien. Les deux hommes mettent en commun le contenu de leur panier et face à leur maigre pêche, ils décident de se la partager pour leur propre consommation en attendant des jours meilleurs.

- C'est fâcheux mais au moins, nous n'aurons pas à aller jusqu'au marché pour gagner quelques piécettes. se dit le jeune homme en repensant à la jeune fille.

Il rejoint la mer après avoir salué son ami et il s'assied sur le sable, il attend un long moment que la sirène le rejoigne mais le soleil se couche sans qu'elle ne soit venue.

- Elle attend la nuit ou elle ne viendra pas. Si, elle viendra, je le sais. se murmure-t'il en regardant le soleil descendre sur l'horizon.

A la nuit noire, il s'approche de l'eau et il attend un long moment.

- Tu es là ? Je t'attends... dit-il d'une voix mal assurée mais seul le clapotis de l'eau lui répond.

Il marche en long et en large alors que le temps passe en se demandant s'il ne devrait pas repartir. Allongé sur le sable, il laisse les vagues jouer avec ses doigts lorsqu'il entend du bruit provenant de l'océan.

- Tu es là, j'en étais venu à penser que tu ne viendrais plus. dit le jeune homme.

- J'étais en train de chercher ma nourriture et je n'ai pas vu la nuit tomber. dit Melen en rejetant ses cheveux blonds en arrière. J'étais loin au large. Tu m'as attendu longtemps ?

- Un peu mais ne t'inquiète pas. dit-il en entrant dans l'eau froide.

- Tu vas geler si nous restons ainsi.

- Ne t'inquiète pas, il est trop tard, je crois. dit-il avec un sourire forcé.

La jeune fille se blottit contre lui et elle le ramène vers la plage où ils s'installent à l'abri du vent.

- Tu trembles...

- J'ai froid, je l'avoue.

Melen se blottit contre la poitrine du pêcheur et il sent sa chaleur irradier jusqu'à lui à travers l'étoffe mouillée du vêtement qu'il n'a pas songé à ôter. Il l'entoure de ses bras et il se rend compte combien sa peau est chaude comparée à la sienne, il comprend que c'est ainsi qu'elle lutte contre la température de l'eau.

Il se demande dans quelle mesure ils sont différents et ce qu'il va découvrir sur la créature au fil du temps mais il sent que ce ne sera pas un obstacle à ses sentiments. Il l'embrasse sur les cheveux et ils restent un long moment allongés sur le sable sans dire un mot.

- Et si on nous découvrait ? s'interroge le pêcheur.

Il imagine ce qui arriverait à la jeune fille, il se dit qu'on la prendrait pour une créature du diable qui risquerait le bûcher par sa faute, on l'accuserait de l'avoir ensorcelé et il ne serait pas mieux loti qu'elle.

- Mais si on ne la capture pas, elle n'aura qu'à partir au loin et je subirai les conséquences de mon imprudence. se dit-il un peu rassuré.

La sirène chantonne et il sent ses côtes se soulever et s'abaisser sous ses doigts au rythme de sa respiration.

- Qu'est-ce que tu chantes ? lui murmure-t'il à l'oreille pour ne pas la perturber.

- Cette chanson est triste, elle parle d'éloignement et d'amour perdu.

- Tu te sens triste, loin de ton peuple ?

La sirène ne dit rien durant de longues minutes.

- Non, j'ai choisi de rester ici car ce coin de mer fait partie de moi. Je me sens seule et incomprise parfois même auprès de toi même si je vois bien que tu fais l'effort de m'accepter telle que je suis.

Morgan reste pensif un moment, il se demande s'il peut envisager un avenir auprès d'elle, il sent qu'il ne pourra pas l'éloigner de cette côte qui l'a vue naître mais il y a lui-même toujours vécu et il sait qu'il ne pourra jamais partir. non plus.

- J'aimerais tant te fait découvrir la vie sur terre mais c'est impossible... soupire-t'il.

- Comment est ta maison ?

Il sourit à la pensée de sa modeste demeure mais il fait de son mieux pour la lui décrire ainsi que son petit jardin. La tête posée sur son épaule, Melen tente d'imaginer ce qu'il lui explique à partir des constructions qu'elle voit au loin lorsqu'elle se risque en journée dans la mer.

Alors qu'il repart, le pêcheur se dit que la sirène est comme une enfant à qui il doit tout expliquer et il se demande si elle parviendra à comprendre son mode de vie et à s'y adapter. Il n'est pas certain d'avoir la patience nécessaire et lorsque Melen lui demande de lui expliquer comment il tient sur ses deux jambes, Morgan se sent désemparé. Il soupire longuement et il lève les yeux au ciel en cherchant une réponse dans les étoiles qui ne vient pas.

- Je ne sais pas, c'est une chose que les enfants apprennent très jeune comme nager pour vous, j'imagine. Mais il faut tenir en équilibre sur ses deux jambes et en avancer un en restant en équilibre sur l'autre jambe et faire pareil en changeant de jambe. Enfin, je crois qu'on peut définir les choses ainsi.

Attentive, elle lui sourit avant de lui souhaiter une bonne nuit. Il la regarde s'éloigner et il reste assis un moment sur le sable perdu dans ses pensées.


Texte publié par Bleuenn ar moana, 4 février 2019 à 15h57
© tous droits réservés.
«
»
tome 1, Chapitre 3 tome 1, Chapitre 3
LeConteur.fr Qui sommes-nous ? Nous contacter Statistiques
Découvrir
Romans & nouvelles
Fanfictions & oneshot
Poèmes
Foire aux questions
Présentation & Mentions légales
Conditions Générales d'Utilisation
Partenaires
Nous contacter
Espace professionnels
Un bug à signaler ?
2624 histoires publiées
1173 membres inscrits
Notre membre le plus récent est Yedelvorah
LeConteur.fr 2013-2024 © Tous droits réservés