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tome 1, Chapitre 1 tome 1, Chapitre 1

La sirène frissonne dans l'air du soir, elle enroule ses longs cheveux d'or autour d'elle pour se réchauffer oubliant qu'ils sont aussi mouillés que sa peau. Elle lève les yeux vers le ciel et elle regarde au loin la lune qui éclaire la scène d'un éclat fantomatique.

Puis elle se met à chanter et sa voix cristalline emplit l'air que le vent emporte aussitôt au loin. Nul bateau à l'horizon, elle est seule sans compagnon en ce soir d'hiver. Elle ressent à peine le froid mais peu à peu, malgré sa solide constitution adaptée aux températures hivernales en haute mer, il s'immisce en elle. Ce n'est pas tant le froid de l'extérieur qui la glace mais le froid de son cœur qui se meurt de solitude et de tristesse.

- Je suis la dernière sirène, je ne sais où sont mes compagnons qui ont fui ma plage bien-aimée, j'ignore s'ils sont en vie et s'ils voguent sur d'autres flots. Seule, sans amour, sans chants, sans rires et sans jeux, je me languis de vivre et parfois je songe à cesser de lutter. Si les hommes me découvraient qu'adviendrait-il de moi ? Me laisseraient-ils vivre à proximité de leur communauté, me chasseraient-ils ou me feraient-ils prisonnière ? Je ne sais et je ne parviens à me décider alors je chante sous la lune et sur les flots.

Un soir d'été, un jeune pêcheur titube légèrement sur la plage, les mains dans les poches. Soudain, un chant atteint son oreille et il cherche du regard d'où il provient. Il sait qu'il a trop bu mais il sait également qu'il n'a pas rêvé et que l'air frais qu'il cherchait en se rendant sur le rivage a commencé à remplir son office.

- J'ai bu trop de cidre à la taverne. se dit-il.

Pourtant, il cherche la chanteuse dans le noir mais il ne distingue rien dans la pâle lumière lunaire. Le chant s'est tu et il abandonne sa recherche, certain d'avoir rêvé ou entendu le bruit du vent. Mais de nouveau, le chant s'élève et il s'approche du rivage pour se passer le visage à l'eau dans l'espoir d'avoir les idées plus claires. Il tend l'oreille et il est certain de bien avoir entendu un chant de femme non loin de lui apporté par la brise légère. Il ôte ses chaussures et il marche dans l'eau dans la direction de la voix qui vient de la mer, il en est sûr. Un bateau ? Ou une baigneuse nocturne ? Puis il la voit. Une frêle jeune fille aux longs cheveux blonds chante dans l'eau à demi-nue, ignorant qu'un indiscret l'observe. La lumière donne à sa peau de porcelaine un aspect fantomatique et fragile qui rehausse sa beauté naturelle. Le jeune homme sourit, l'amour vient d'envahir son cœur qui se met à battre un peu plus vite. Il hésite un moment, craignant de faire fuir l'apparition. Mais sans réfléchir, il lance ses chaussures au loin et il remonte son pantalon pour s'avancer dans l'eau en silence.

A son approche, la jeune fille tourne la tête vers lui et il lui sourit, craignant de la faire fuir.

- Pardon, je vous ai entendu chanter et je vous ai vue. Je ne voulais pas vous importuner.

Il détaille la jolie demoiselle qui lui fait face et il ne peut ignorer sa poitrine découverte qui le met mal à l'aise ; il détourne le regard et il rougit dans l'obscurité.

- Je ne voulais pas vous déranger, je vous souhaite une bonne nuit.

Il s'éloigne, craignant de la déranger mais il se retourne pour lui crier :

- Vous chantez divinement bien, j'espère vous entendre de nouveau chanter. Je vous souhaite une bonne baignade au clair de lune.

La jeune fille ne répond pas et il s'éloigne en se retournant plusieurs fois. Dans la lumière lunaire, elle a noté ses épaules musclées par la vie de mer, ses grands yeux et ses courts cheveux ondulant sous la brise. Le lendemain soir, après une journée passée en mer, il revient sur la plage guettant la jeune fille de la veille. Et elle est là, chantonnant dans la mer le dos tourné à la plage, une fois la nuit tombée. Sans réfléchir, il se glisse dans l'eau à moitié habillé pour la rejoindre et elle se retourne en l'entendant plonger.

- Bonjour, je vous demande pardon, il n'est guère poli de me rapprocher ainsi de vous mais je vous ai trouvé si sereine que je n'ai pas voulu vous troubler. Je m'appelle Morgan et vous ?

- Melen. dit-elle avec un sourire.

- A cause de vos cheveux blonds. dit-il avec un léger sourire en tentant de distinguer leur éclat d'or dans la nuit. Et où vivez-vous ?

- Ici...

- Je ne vous ai jamais vue au village. Je dois y aller, je suis passé en rentrant de mon travail mais je ne puis m'attarder, je me lève tôt demain pour aller pêcher avec mon cousin. Venez au fest-noz demain soir, je vous y attendrai.

- Je serai là. répond la sirène sans réfléchir en le regardant s'éloigner.

Puis elle lève les yeux vers la lune et elle se remet à chanter, elle sait qu'elle vient de tomber amoureuse mais elle ne sait pas comment elle se rendra à cette fête.

Tout le jour, la sirène cherche une solution sans succès. Elle se remémore sa rencontre et à chaque fois qu'elle se plonge en pensée dans les yeux du jeune humain, elle sent son cœur se serrer.

- Nous appartenons à deux mondes différents et une relation n'est pas possible. Mais je suis si seule et c'est la première fois depuis longtemps qu'on me montre de l'intérêt, je sais que c'est un signe du destin et que je ne dois pas laisser passer cette chance. Mon cœur risque de se briser en deux mais je ne peux pas non plus lutter contre l'élan qui me pousse vers lui. Et s'il ne revient pas ? Peut-être que ce serai plus simple. Mais pourquoi lui avoir dit que je serai là ? Pourquoi n'ai-je pas pensé que la sorcière était également partie avec les autres ?

Triste, la jeune fille se rend dans la grotte où la sorcière vivait mais elle ne trouve que des coquillages brisés parmi des débris impossibles à identifier. Melen reste un moment à se remémorer l'adolescente qui jouait le rôle de sorcière dans sa communauté, ses longs cheveux bleu clair et sa queue dorée, elle était rieuse et elle avait toujours une réponse aux demandes les plus farfelues tant son savoir était grand.

- Mais elle est partie avec les autres et elle ne me sera d'aucun secours. Je ne sais même pas si elle peut faire ce que j'attends d'elle.

Elle furette un moment en se promenant dans la grotte mais elle ne trouve rien d'intéressant. Triste, la jeune sirène rejoint sa grotte où elle reste un moment, ses larmes se mêlant à l'océan. Puis la nuit venue, elle monte à la surface et elle rejoint la plage où elle pleure un long moment en silence. Triste, elle lève les yeux vers la lune et elle songe que si la lune peut changer au fil du mois, il ne serait pas juste qu'elle aussi ne puisse pas se transformer ou que sa vie ne puisse pas changer.

Malgré elle, ses pensées voguent vers les souvenirs des années heureuses qu'elle a connue autrefois. Elle se souvient de leurs longs moments passés au soleil en été sur les rochers à rire, chanter ; elle se souvient des fêtes en hommage au dieu Lir durant lesquels ils chantaient en chœur des chants connus de tous. Des couronnes d'algues sur la tête, ils restaient toute la journée sur les rochers à se reposer ou sous l'eau, ils dansaient des ballets aquatiques au gré des courants qui les portaient légers comme l'écume. Main dans la main en des rondes ou des farandoles, ils se laissaient ballotter par les flots.Ils restaient dans les grottes sous-marines durant les tempêtes. Lorsqu'ils le pouvaient, ils jouaient à cache-cache dans les grottes mais généralement, ils chantaient, dansaient, déclamaient des discours et des poèmes. Parfois, des pièces de théâtre étaient jouées puis des festins de coquillages, d'algues et parfois de poissons étaient servis alors qu'au-dehors la tempête faisait rage. Parfois les courants entraient dans les grottes et les portaient alors ils riaient et ils acclamaient le dieu Lir en lui demandant combien de temps durerait sa colère.

Parfois, ils montaient à la surface les jours de pleine lune et ils chantaient doucement lorsque le vent était fort. Leur mélopée emportée par le vent se perdait au large et souvent la sirène se demandait ce que devenaient ces paroles perdues à jamais. Ces chants parlaient de la lune, du cycle lunaire et du cycle des saisons, du printemps qui revient toujours et de leur joie de vivre en paix dans l'océan.

La sirène repense au pêcheur et elle se dit qu'il doit être merveilleux de vivre libre et heureux sans avoir à se cacher des prédateurs même si elle sait bien que lorsque les hommes vont sur l'eau, ils risquent la noyade mais cela lui semble bien peu comparé à leur vie. Souvent, cachée derrière un rocher, elle observe les hommes et leur monde. Elle observe leurs maisons au loin sans parvenir à déterminer leur matière, certaines semblent de pierre ou de sable mais d'autres, blanches comme l'écume la plus pure, la laissent perplexe.

- Je suis la dernière sirène de cette partie de la côte... Que puis-je espérer de l'avenir ? Je regrette parfois de ne pas avoir suivi les autres de l'autre côté de la mer mais je n'ai pas pu partir, mon cœur se serait fendu en deux si j'avais dû quitter les rochers où je suis née.

Mélancolique, elle plonge sous l'eau et elle laisse l'océan diluer ses larmes, les courants se faisant douce caresse sur ses joues comme pour les essuyer avec tendresse. Elle sourit malgré elle à cette idée et elle reste un moment au fond de l'eau à fouiller le sable à la recherche de coquillages morts pour orner sa grotte de leurs squelettes colorés. Les mains pleines, elle rentre dans la grotte où elle vit et elle remplace les coquillages brisées ou qu'elle estime avoir suffisamment longtemps décoré les anfractuosité de la roche. Doucement, elle retire les algues accrochées au rocher et elle livre aux courants les coquillages dont elle ne veut plus. Elle les regarde partir au loin en se demandant où ces débris de coquillages finiront leur vie. Puis elle se met en quête de nourriture pour apaiser sa faim, elle furette dans les rochers et sur le sable pour trouver des coquillages qu'elle mange sur place en leur demandant pardon puis elle cueille quelques algues qu'elle mange rapidement avant de rentrer dans son abri lorsque l'ombre d'un bateau et les bruits de l'étrave fendant l'écume lui parviennent.

- Tu as été imprudente de sortir en pleine journée. Si les hommes te voient, ils te tueront, ils ne doivent jamais savoir que tu vis ici. Tu t'es beaucoup trop éloignée de ta grotte, tu le sais.

Vive, elle nage du plus vite qu'elle le peut vers le lieu où elle vit à l'abri, loin des hommes.

Seule, elle se souvient du moment où son peuple a pris la décision de fuir la côte. Les hommes se sont un peu trop approchés de leurs grottes qu'ils croient hantés. Armés de gourdins, les naufrageurs se sont approchés en barque à quelques encablures des grottes en parlant avec force des trésors qu'ils pourraient trouver dans ce lieu où nul ne vient jamais par peur des spectres qui y vivent. Par chance, une vague a fracassé la barque sur les rochers et les corps disloqués des hommes ont frappé plusieurs fois les rochers avant d'être emportés au loin par l'océan. Après ces événements, choquées, les sirènes se sont réunies et elles ont longuement parlé avant de faire le choix difficile de partir retrouver une communauté qui vit de l'autre côté de la mer. Déchirée, Melen n'a pu se résoudre à les suivre. Longuement, elle a examiné toutes les solutions mais l'idée de quitter sa côte natale lui fendait le cœur et elle sait qu'elle aurait dépéri loin de chez elle sans espoir de retour. La mort dans l'âme, elle a regardé ses amis partir en respectant son choix de rester dans la grotte où ils vivaient. Les premiers jours, la peur s'est insinuée en elle. Elle s'est demandé comment elle pourrait se défendre face à des créatures dangereuses mais elle s'est dit que de toutes manières, elle allait déjà souvent seule dans le vaste océan. Au fond, cela ne changerait pas grand chose. Depuis leur départ, elle aime repasser là où ils aimaient à s'installer pour chanter certains soirs, elle revoit ses congénères jouer dans les vagues certains soirs au clair de lune ou jouer et danser dans la grotte en chantant et en riant aux éclats. Elle se remémore les chants et les histoires de son peuple qui remplissaient leurs journées heureuses et libres.

- Oh si seulement, je pouvais deviner ce que cette rencontre amènera. Je sais qu'elle pourrait bousculer mon destin et que c'est peut-être la rencontre que j'attendais mais je n'ose y croire. Et s'il me tue ? D'un autre côté, qu'ai-je à perdre sinon la vie et mon foyer ? Par moments, je me dis que je n'ai plus la force de continuer à vivre seule et sans amour.

La sirène se laisse aller à rêver au jeune homme qu'elle a rencontré mais elle sait qu'un avenir n'est pas possible et que ce fol espoir la fera plus souffrir qu'il ne la rendra heureuse au bout du compte mais elle sent l'espoir palpiter en son cœur et elle ne parvient pas à le faire mourir. La journée passe lentement et désœuvrée, Melen erre sous les flots en se disant que le jeune humain ne reviendra sans doute pas et que cela résout le problème. Mais elle espère malgré tout qu'il reviendra et qu'elle trouvera le courage de lui dire la vérité sur sa nature avant que son cœur ne soit pris.

Pourtant, Melen ne peut s'empêcher de rêver à un avenir plein d'amour au côté de l'homme que son cœur a choisi et elle se demande si leur nature différente pourrait être un réel obstacle à leur amour. Elle sait qu'elle ne l'a pas choisi par hasard et que son cœur a ses raisons pour l'avoir choisi lui entre tous.

- Il faut que je lui en parle. Au moins, je serais fixée et s'il doit m'abandonner, je ne perdrai pas trop de temps à l'aimer.

Apaisée par sa décision, la sirène démêle longuement ses cheveux emmêlés par les courants avec ses doigts en chantonnant une ballade. Elle songe combien le destin serait cruel de lui enlever ce après quoi elle avait espéré pour échapper à la solitude dont elle est victime depuis que son peuple a fui la côte. L'espoir renaît en son cœur et elle ne se sent pas la force de lutter contre ce sentiment dont elle avait oublié l'existence. Elle se remémore le visage du pêcheur et son corps si différent du sien, elle se demande comment ses longues jambes peuvent le porter sans qu'il ne tombe à terre.

- Après tout, il doit être bien plus lourd que les oiseaux qui vont aussi sur deux jambes et que je vois marcher sur les roches. Les chiens eux ont quatre pattes pour supporter leur poids, il faudra que je pense à lui poser la question mais que me répondra-t'il ? Il ne doit pas plus savoir comment il tient sur ses deux pattes que comment il fait pour respirer.

Ce mystère l'occupe de longues minutes mais elle se dit que cela n'a guère d'importance, elle doute que le jeune homme revienne lui rendre visite. Elle se remémore son visage et son sourire, ses yeux inquisiteurs qui la scrutaient et elle regrette de ne pas lui avoir révélé son secret.

- Il aurait eu peur de moi et tout aurait été terminé sans me laisser le temps de songer à lui, je l'aurais oublié au lieu de penser à lui maintenant qu'il est parti. Pourquoi n'ai-je pu m'éloigner pendant qu'il en était encore temps ?


Texte publié par Bleuenn ar moana, 4 février 2019 à 15h51
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