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tome 1, Chapitre 2 « Chapitre 2 » tome 1, Chapitre 2

Le besoin de se dénicher des bottes oublié, Anna déambula dans les rues jusqu’à atteindre la frontière de la ville. Il fallait qu’elle s’en éloigne, qu’elle s’échappe de son atmosphère bruyante et nauséabonde le temps d’y voir clair, de méditer à ses découvertes. Elle ne sentait plus ses pieds, sa couverture n’empêchait pas le vent de la cingler, toutefois, elle ne s’en souciait pas. Les paroles d’Alice la préoccupaient. Elle admettait qu’être en mesure de se débrouiller seule valait mieux afin éviter les déconvenues. Pourtant, la marchande de plaisir avait tort : avoir un être sur qui se reposer n’était pas un défaut.

Du plus loin qu’elle se souvienne, Anna avait toujours pu se fier à sa mère. Elle ne lui avait jamais rien caché. Oh ! Si le fameux bébé évoqué aujourd’hui existait, il était inconcevable que sa parente ne lui en ait pas parlé, surtout avant de rejoindre le père présumé et de le mettre devant ses responsabilités… À moins qu’elle n’ait été sûre de la réussite de sa démarche et ait souhaité la surprendre avec une bonne nouvelle ?

Anna frissonna. Imaginer que les projets de sa mère aient échoué et qu’elle soit morte lui était insupportable. L’hypothèse n’était pas envisageable ; elle ne le tolérerait pas ! Elle souffla un nuage de vapeur, puis cogita… En acceptant qu’Alice n’ait pas menti, le prétendu richard de Margaret l’aimait, Anna en était persuadée : il n’aurait pas pris la peine de la réserver et de payer plus sinon.

Elle réfléchit. Tue-t-on une femme qu’on chérit juste parce qu’elle entache une réputation ? Non, il est beaucoup plus simple de la cacher, de l’entretenir. Était-ce ce qui s’était produit ? Sa mère avait-elle été contrainte de quitter les lieux pour masquer son état et accoucher en toute discrétion ? La théorie lui sembla probable. Néanmoins, pourquoi ne l’avait-elle pas emmenée ? L’en avait-on empêchée ? Reviendrait-elle une fois la délivrance terminée ?

Nauséeuse, Anna se massa les tempes. Ses considérations allaient la rendre folle.

Elle pivota, marcha à reculons et observa les habitations rétrécir. Dire qu’elle ne connaissait pas d’autre environnement… Sa vie aurait-elle été différente si elle avait vécu ailleurs ? L’émotion la prit à la gorge.

— Tu me manques, maman, murmura-t-elle.

Anna trébucha, tomba en arrière. Frigorifiée par la neige, elle se redressa d’un bond et s’empressa de secouer sa couverture. Trop tard, hélas. Celle-ci était trempée.

— Non. Non, non, non !

Les dents serrées, elle refoula sa tristesse, puis plia le tissu sous son bras. Il était désormais inutile qu’elle s’en revêtisse : au contact du vent, l’humidité la refroidirait davantage. Elle pesta contre sa maladresse. Elle n’avait plus ni protection ni lieu où s’abriter durant la nuit…

— Anna !

Stupéfaite, elle se figea. Elle aurait reconnu cette voix entre mille…

Elle roula la nuque à gauche, à droite. N’aperçut pas âme qui vive.

— Anna !

Elle plissa les paupières sans obtenir plus de résultats. Rêvait-elle ?

— Ma-maman ? bégaya-t-elle.

— Anna !

Les larmes perlèrent sur ses joues. Était-ce possible ? Avait-elle le droit d’y croire ? Elle tourna sur elle-même et tenta de repérer une silhouette au loin.

Par tous les saints ! D’où l’interpellait sa mère ? Et pourquoi son ton avait-il l’air si désespéré ?

— Anna !

Elle ferma les yeux, attendit que l’appel se réitère.

Là !

Anna se concentra, fit confiance à ses sens. Le son ne provenait pas de la civilisation, il en était au contraire plus éloigné qu’elle. Elle se mordilla la langue. Pour quelle raison sa mère se terrait-elle au loin ?

— Par ici ! hurla-t-elle à son intention.

— Anna ! Anna !

Un sourire fendit ses lèvres gercées. Son cœur bondit dans sa poitrine. Enfin… Après d’interminables mois d’attente, elle allait enfin obtenir des réponses à ses questions, elle retrouverait enfin le bonheur d’être aimée.

— Maman. Maman, je suis là !

— Anna…

Sa bouche s’arrondit. L’intonation était beaucoup moins puissante que la précédente ; sa parente progressait dans la mauvaise direction. Ne l’avait-elle pas entendue ? Était-elle désorientée ?

Peu désireuse de la perdre encore, Anna n’hésita pas une seconde. Elle courut. Guidée par son prénom répété et répété, elle galopa jusqu’à ne plus sentir ses membres, jusqu’à ce que les dernières habitations s’évanouissent totalement derrière elle.

— Anna !

Elle se rapprochait… Elle détailla les alentours, perçut un mouvement sur sa gauche.

— Maman ?

Personne ne lui répondit. Étonnée, Anna regarda le sol blanc, puis déglutit. Elle n’y remarquait que ses propres empreintes.

— Que…

— Anna !

Elle sursauta. Elle entendait sa mère comme si elle était à ses côtés, or il n’y avait rien dans les environs, à peine un buisson. Tout à coup méfiante, elle s’approcha de ce dernier.

— Anna !

Elle frémit. Il était tout à fait inconcevable qu’un être de taille humaine se tienne derrière lui.

Anna songea à reculer, pourtant, elle s’en empêcha. Sa curiosité était plus forte que son inquiétude, il fallait qu’elle sache. Elle n’était pas folle. Son nom n’avait pas cessé d’être prononcé et elle avait reconnu le timbre de sa mère. Il y avait forcément une explication ! Et surtout, il s’agissait d’une piste.

Elle inspira, s’approcha, et se pencha…

Accroupi sous des brindilles, un jackalope la dévisagea aussitôt de ses grands iris terrifiés.

Anna le contempla sans bouger. Les rumeurs ! Elles ne mentaient pas… Un lapin cornu rôdait bel et bien aux abords de la ville.

Elle recula de quelques pas, papillonna des paupières. Il ne s’évapora pas.

— Tu… tu existes, souffla-t-elle en admirant ses bois.

L’envie de se rendre chez le propriétaire de l’escalier et de lui prouver que son honnêteté était aussi réelle que lui la tenailla. Cependant, elle fut vite remplacée par l’effroi d’une révélation : il se racontait que ces êtres étaient capables d’imiter le timbre humain.

La gorgée nouée, elle murmura :

— C’est toi qui criais, n’est-ce pas ?

L’interpellé ouvrit la gueule.

— Anna !

Les jambes d’Anna cédèrent sous elle. Elle chuta dans la neige. Un mirage, elle avait poursuivi un mirage. Sa mère n’était pas là.

Un sanglot la secoua, l’adrénaline déclenchée par les premiers appels s’estompa. Soudain, le froid la mordait de nouveau. Soudain, la douleur revenait dans ses pieds nus et son corps tremblait.

— Pourquoi ? Pourquoi m’infliger cela ?

Elle n’obtint aucune réponse et se replia sur elle-même. Meurtrie par son espoir déçu, elle maudit sa malchance. Plusieurs minutes lui furent nécessaire pour réaliser l’évidence : si le jackalope reproduisait les paroles de sa mère, alors il l’avait rencontrée à un moment ou un autre…

Anna redressa la tête avec virulence. Surprise qu’il soit toujours là – sa chute aurait dû l’effrayer –, elle hoqueta, puis tendit une main fébrile vers lui, qu’il renifla sans oser s’avancer.

— Je ne te veux pas de mal, lui assura-t-elle.

Il s’approcha d’un saut.

— Tu… tu me comprends ?

Elle patienta quelques secondes, et enchaîna :

— Je cherche ma mère. Elle a disparu, mais tu connais sa voix. Je… À quel endroit l’as-tu entendue ? Avais-tu conscience de ma présence lorsque tu as hurlé mon prénom ?

Anna se jugeait ridicule, néanmoins, elle fixa la créature avec intensité. Elle refusait de croire au hasard, de rentrer bredouille ; s’il avait vu Margaret, il était impératif qu’elle découvre où.

— Je t’en prie, réponds-moi.

Il la scruta de son air triste et clapit.

— Non. Pitié, non. Je ne vous importunerai plus. Je me tairais, je vous jure que je me tairais ! Laissez-moi partir, je vous en supplie… Ma fille a besoin de moi. Ma fille ! Je me tairais. Non. Anna… Anna. Anna !

Elle hurla et poussa l’animal. Tandis que les larmes inondaient ses joues, ses poings martelèrent le sol blanc. La détresse de sa mère était palpable, presque tangible. La peur jaillissait dans le moindre de ses mots.

Anna attrapa son crâne entre ses mains, tira sur ses cheveux. L’histoire racontée par Alice se rappelait à elle, agrémentée par les doutes qu’elle lui avait confiés. Un homme riche craignant pour sa réputation, une amante gênante et enceinte, le besoin de s’en débarrasser… Son cœur était prêt à imploser dans sa poitrine.

Elle tenta d’envisager une interprétation différente des propos du jackalope. Hélas, le ton de sa parente était clair : elle se savait fichue. Alice avait misé juste, elle ne reviendrait pas. Elle s’était fait des illusions, avait attendu son retour en vain.

Ses pleurs doublèrent d’intensité. Seule... Elle était et resterait seule. Personne ne viendrait la chercher. Personne ne l’aiderait à sortir de la rue. Elle était condamnée à mendier ou à implorer la pitié de Mrs Moore.

Seule…

Elle n’y arriverait pas. Pas en étant privée de son but. Écrasées par le chagrin, ses maigres forces l’abandonnaient déjà, une par une. Elle n’avait plus rien à quoi se raccrocher.

Seule…

Anna s’affaissa et perçut le contact glacé de la poudreuse sur son visage.

Le froid engourdit ses sens, il endormit son esprit.

Seule… Elle était seule.

Elle ferma les yeux.

Les battements de son palpitant ralentirent…


Texte publié par Rose P. Katell, 24 janvier 2019 à 10h48
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